Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 831

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : K. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (438424) rendue le 4 janvier 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Gary Conrad
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 2 mars 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 7 mars 2022
Numéro de dossier : GE-22-320

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le crédit unique d’heures d’emploi assurable n’aurait pas dû s’appliquer à la période de prestations qui a commencé le 27 septembre 2020. Ainsi, la prestataire peut l’utiliser pour remplir les conditions requises dans le cadre de sa demande de prestations du 21 septembre 2021.

Aperçu

[2] La prestataire a demandé des prestations de maladie de l’assurance-emploi le 21 septembre 2021. Dans son formulaire de demande, elle a précisé qu’elle voulait que ses prestations de maternité commencent tout de suite après ses prestations de maladie et que ses prestations parentales commencent tout de suite après ses prestations de maternité.

[3] Le 18 octobre 2021, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a dit à la prestataire qu’elle ne pouvait pas lui verser de prestations, car la prestataire avait accumulé seulement 151 heures d’emploi assurable au cours de sa période de référence alors qu’elle en avait besoin de 420 pour remplir les conditions requisesNote de bas de page 1.

[4] Selon la prestataire, si le crédit unique est ajouté aux 151 heures qu’elle a accumulées, le nombre d’heures lui permettrait alors de remplir les conditions requises pour recevoir des prestations.

[5] Selon la Commission, le crédit unique a déjà été utilisé pour la période de prestations précédente de la prestataire, qui a commencé le 27 septembre 2020. La prestataire ne peut donc pas s’en servir de nouveau pour la demande du 21 septembre 2021.

[6] La Commission affirme que, comme la prestataire ne peut pas réutiliser le crédit unique et qu’elle a accumulé seulement 151 heures alors qu’elle a en besoin de 420 pour remplir les conditions requises, elle ne peut pas recevoir de prestations.

[7] La prestataire fait valoir que personne ne lui a dit que le crédit unique serait appliqué à sa période de prestations précédente et qu’elle n’en avait même pas besoin pour remplir les conditions requises à ce moment-là.

Question en litige

[8] La prestataire peut-elle utiliser le crédit unique pour sa demande de prestations du 21 septembre 2021?

Analyse

[9] Oui, la prestataire peut utiliser le crédit unique pour la demande de prestations du 21 septembre 2021, car il n’aurait pas dû s’appliquer à la période de prestations débutant le 27 septembre 2020. La loi ne dit pas noir sur blanc que le crédit s’applique à la première demande présentée à compter du 27 septembre 2020. De plus, le fait d’appliquer le crédit automatiquement produirait un résultat absurde, qui serait illogique, inéquitable et contraire aux intentions du Parlement.

[10] La prestataire affirme que le personnel de la Commission lui a dit à maintes reprises que tout ce dont elle avait besoin, c’était 120 heures et que, grâce au crédit unique, elle remplirait les conditions requises pour recevoir des prestations.

[11] Elle ajoute que personne ne lui a dit que la Commission avait déjà appliqué le crédit unique à sa période de prestations précédente.

[12] La prestataire explique qu’elle n’avait pas besoin du crédit pour remplir les conditions requises à ce moment-là, car elle avait travaillé à temps plein pendant un an avant de présenter cette demande et, même sans le crédit, elle avait accumulé beaucoup plus d’heures que le nombre requis pour recevoir des prestations.

[13] La Commission affirme avoir appliqué le crédit unique à la période de prestations précédente, qui commençait le 27 septembre 2020Note de bas de page 2.

[14] La Commission explique qu’elle a dû appliquer le crédit unique à la période du 27 septembre 2020, car elle ne peut pas reporter la mise en œuvre de la disposition prévue par la loi pour permettre à la prestataire de remplir les conditions requises pour une période de prestations ultérieureNote de bas de page 3.

[15] Avec respect, je ne suis pas d’accord avec les observations de la Commission.

[16] La partie de la loi qui est au cœur du désaccord entre la prestataire et la Commission se trouve à la partie VIII.5 de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle est rédigée en ces termes :

  1. 153.17 (1) Le prestataire qui présente une demande initiale de prestations à l’égard de prestations visées à la partie I le 27 septembre 2020 ou après cette date, ou à l’égard d’un arrêt de rémunération qui survient à cette date ou par la suite, est réputé avoir, au cours de sa période de référence :
  2. a) si la demande initiale de prestations est présentée à l’égard de prestations visées à l’un des articles 21 à 23.3, 480 heures additionnelles d’emploi assurable;
  3. b) dans les autres cas, 300 heures additionnelles d’emploi assurable.

[17] Selon l’interprétation de la Commission, cet article l’empêche de reporter l’application du crédit unique à une autre demande pour aider la prestataire à remplir les conditions requises.

[18] Je juge que l’article 153.17(1) de la Loi ne précise pas explicitement que le crédit unique s’applique à la première demande de prestations présentée à compter du 27 septembre 2020.

[19] Toutefois, le fait que ce ne soit pas mentionné de façon claire ne met pas fin à l’analyse, car la Cour suprême du Canada a déclaré que « […] l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. Il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateurNote de bas de page 4 ».

[20] La Cour suprême a affirmé que le sens grammatical et ordinaire d’une disposition n’est pas déterminant et ne met pas fin à l’analyse, car il faut tenir compte du contexte global de la disposition, même si, à première vue, le sens de son libellé (c’est-à-dire du texte) peut paraître évidentNote de bas de page 5.

[21] La Cour suprême a confirmé que lorsqu’il est question de l’interprétation d’une loi, le libellé prévaut s’il est clair; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet (le but) prédominant de la loiNote de bas de page 6.

[22] La Loi d’interprétation précise que tout texte s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objetNote de bas de page 7.

[23] Ainsi, quel est l’objet global de la Loi?

[24] La Cour d’appel fédérale a déclaré que la Loi est un régime contributif qui procure une assurance sociale aux personnes qui perdent leur emploiNote de bas de page 8 et « dont l’objectif est d’indemniser les chômeurs pour la perte de revenus provenant de leur emploi et d’assurer leur sécurité économique et sociale pendant un certain temps pour ainsi leur permettre de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 9 ».

[25] La Cour suprême a déclaré que le but général de la Loi est de procurer des prestations aux personnes en chômage et qu’il est préférable d’en faire une interprétation libérale. Elle a ajouté que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur des prestatairesNote de bas de page 10.

[26] Je juge que le libellé de l’article 153.17(1) n’est pas clair. Le texte ne précise pas en toutes lettres que le crédit unique s’applique à la première demande présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date.

[27] Je conclus également que le mot « réputé » qui figure à l’article 153.17(1) ne veut pas dire que le crédit unique s’applique forcément à la première demande présentée à compter du 27 septembre 2020.

[28] Le mot « réputé » introduit simplement une présomption réfutable, c’est-à-dire quelque chose dont on présume à moins d’en prouver le contraire.

[29] En ce sens, la loi dit que la prestataire est « réputée » avoir (c’est-à-dire qu’on suppose qu’elle a) des heures additionnelles dans la période de référence de la demande qu’elle a présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date.

[30] J’estime qu’une telle supposition n’exige aucunement l’ajout des heures à la première demande présentée à compter du 27 septembre 2020, car cela produit un résultat absurde, qui est illogique et inéquitable.

[31] Pourquoi le Parlement voudrait-il que la Commission considère qu’une personne a accumulé des heures additionnelles durant sa période de référence si ce n’est pour aider cette dernière à remplir les conditions requises quand elle n’a pas accumulé assez d’heures?

[32] Je conclus que rien dans la législation n’empêche la Commission de considérer, c’est-à-dire de supposer, que la prestataire compte des heures de plus dans sa période de référence pour une autre demande que la première présentée à compter du 27 septembre 2020, c’est-à-dire pour une demande de prestations pour laquelle la prestataire a réellement besoin des heures supposées pour remplir les conditions requises.

[33] Comme le libellé de l’article 153.17(1) n’est pas clair, le texte doit céder le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loiNote de bas de page 11.

[34] La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux déclaré que l’objet de la Loi est de procurer des prestations aux personnes en chômage.

[35] Dans cette optique, je remarque que la section contestée de la Loi, la partie VIII.5, s’intitule « Mesures temporaires pour faciliter l’accès aux prestations ». Je conclus que cela montre que l’objet des articles placés sous ce titre est d’aider les travailleurs et les travailleuses à obtenir des prestations d’assurance-emploi.

[36] La Cour suprême du Canada a écrit que l’interprétation législative repose sur un principe bien établi : le Parlement ne peut pas avoir voulu des conséquences absurdesNote de bas de page 12.

[37] Selon la Cour suprême, une interprétation sera qualifiée d’absurde si elle mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatifNote de bas de page 13.

[38] La prestataire affirme qu’elle n’avait pas besoin du crédit unique d’heures d’emploi assurable pour remplir les conditions requises pour la période de prestations commençant le 27 septembre 2020.

[39] La Commission n’a pas contesté cette affirmation. De plus, le relevé d’emploi de la prestataire montre qu’elle a accumulé 2 000 heures d’emploi assurable du 5 avril 2019 au 28 septembre 2020Note de bas de page 14, ce qui semble appuyer son affirmation voulant qu’elle n’avait pas besoin du crédit unique pour sa période de prestations commençant le 27 septembre 2020.

[40] J’estime que la façon dont la Commission a interprété l’article 153.17(1), à savoir que le crédit unique s’applique à la première demande de prestation présentée à compter du 27 septembre 2020, peu importe si la prestataire en a besoin ou non, mène à un résultat absurde, qui est illogique et inéquitable ou, autrement dit, injuste.

[41] Une telle interprétation, qui est préconisée par la Commission, est illogique, inéquitable et incompatible avec l’objet du texte législatif, car elle punit injustement les gens en les empêchant d’utiliser le crédit unique pour remplir les conditions requises dans le cadre d’une demande de prestations où le crédit est réellement nécessaire.

[42] L’interprétation est inéquitable, car elle punit une personne parce qu’elle a accumulé un nombre d’heures suffisant pour remplir les conditions requises à sa première demande de prestations. En effet, le crédit unique est utilisé alors qu’il n’est pas nécessaire et devient donc indisponible plus tard pour une autre demande, alors qu’il serait vraiment nécessaire.

[43] Le Parlement avait-il vraiment l’intention de punir les gens qui ont présenté leur demande à compter du 27 septembre 2020 et qui avaient accumulé un nombre d’heures suffisant pour remplir les conditions requises et recevoir des prestations en les empêchant de se prévaloir du crédit unique alors qu’il leur est véritablement nécessaire? Je ne peux pas croire que c’était là l’intention du Parlement.

[44] L’objet de la Loi est de donner des prestations aux personnes qui se retrouvent sans emploi. Le Parlement a ajouté des articles à la Loi, dans la partie intitulée « Mesures temporaires pour faciliter l’accès aux prestations », ce qui démontre qu’il voulait que les articles qui s’y trouvent aident les gens à obtenir des prestations.

[45] Je conclus que la façon dont la Commission interprète l’article 153.17(1), c’est-à-dire que le crédit unique s’applique à la première demande de prestations présentée après le 27 septembre 2020, peu importe si les prestataires en ont besoin ou non, est incompatible avec l’objet du texte législatif. Le titre de la partie de la loi où se trouve l’article 153.17(1) est clair : les articles dans cette partie de la loi visent à aider les gens à obtenir des prestations. L’application du crédit unique lorsqu’il n’est pas nécessaire irait à l’encontre de cet objectif.

[46] De plus, le texte de l’article 153.17(1) en tant que tel montre que son but est d’aider les gens à remplir les conditions requises pour recevoir des prestations en leur donnant des heures additionnelles pour les aider à répondre aux conditions d’admissibilité. Non seulement l’ajout de ces heures alors qu’elles ne sont pas nécessaires ne fait rien pour aider les gens à remplir les conditions requises, mais cela leur nuit aussi, car on leur enlève la possibilité de remplir les conditions requises plus tard, quand les heures additionnelles sont véritablement nécessaires. Adopter l’interprétation de la Commission irait à l’encontre de l’objet du texte législatif, puisque l’article de loi n’aiderait pas les gens à remplir les conditions requises pour recevoir des prestations alors qu’il est censé le faire.

[47] Enfin, je garde à l’esprit ce que la Cour suprême a dit : le but général de la Loi est de procurer des prestations aux personnes en chômage, il est préférable de l’interpréter de façon libérale et tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur des prestatairesNote de bas de page 15. Cela vient renforcer l’argument voulant qu’il ne faut pas interpréter l’article 153.17(1) comme le veut la Commission, car cela ne permettrait pas d’aider les gens en chômage à obtenir des prestations. De plus, comme le texte de loi n’est pas clair, je dois résoudre la difficulté en faveur de la prestataire.

[48] Je conclus qu’on ne peut pas retenir l’interprétation de la Commission en ce qui concerne l’article 153.17(1), c’est-à-dire que le crédit unique d’heures d’emploi assurable s’applique à la première demande de prestations présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date, peu importe si les prestataires en ont besoin ou non.

[49] Je conclus qu’il faut interpréter l’article 153.17(1) de sorte que le crédit s’applique seulement si la prestataire a besoin des heures additionnelles pour remplir les conditions requises. Une telle interprétation évite les résultats absurdes et correspond mieux au but du texte législatif.

[50] Par conséquent, dans le cas de la prestataire, je conclus que le crédit unique n’aurait pas dû s’appliquer à la période de prestations commençant le 27 septembre 2020. Il est donc disponible pour la demande du 21 septembre 2021.

Conclusion

[51] L’appel est accueilli.

[52] Je conclus qu’il faut interpréter l’article 153.17(1) de sorte que le crédit s’applique seulement si la prestataire a besoin des heures additionnelles pour remplir les conditions requises. Une telle interprétation évite les résultats absurdes et injustes et correspond mieux à l’objet du texte de loi.

[53] Compte tenu de cette interprétation, je conclus que le crédit unique n’aurait pas dû s’appliquer à la période de prestations qui a commencé le 27 septembre 2020.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.