Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1428

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. L.
Représentant : Philip Cornish
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (466490) datée du 29 avril 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Mark Leonard
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience  : Le 15 novembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante

Date de la décision : Le 14 décembre 2022
DATE DU RECTIFICATIF : Le 16 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-1889

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal de la sécurité sociale est d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a été suspendue de son emploi et a fini par le perdre. L’employeur dit l’avoir congédiée parce qu’elle a décidé de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19, comme l’exigeait sa politique vaccinale.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas ce qui s’est produit, elle affirme que, malgré la politique vaccinale de son employeur, sa décision de ne pas se faire vacciner n’est pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté la raison du congédiement que l’employeur a donnée. Elle a conclu que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle l’a donc exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

J’accepterai les documents envoyés après l’audience

[6] Le représentant de la prestataire a envoyé des observations supplémentaires au Tribunal juste avant l’audience et après. Comme ces documents ont été mentionnés lors de l’audience, je les accepte. La Commission a obtenu un délai raisonnable pour examiner les observations de la prestataire et a répondu par des observations supplémentaires.

Question en litige

[7] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas toucher de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique aux cas de congédiement et de suspensionNote de bas page 2.

[9] Pour établir si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison elle a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[10] J’estime que la prestataire a été mise en congé sans solde et qu’elle a perdu son emploi parce qu’elle n’a pas fourni de preuve de vaccination ou d’exemption autorisée avant la date limite établie par son employeur dans sa politique de vaccination contre la COVID-19.

[11] La Commission dit que l’employeur a mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19 qui exigeait que tous les membres du personnel soient vaccinés au plus tard le 7 septembre 2021. Après avoir communiqué avec l’employeur, la Commission a établi que la prestataire a été mise en congé sans solde (suspendue) le 29 octobre 2021, puis congédiée le 13 novembre 2021, parce qu’elle n’avait pas fourni de preuve de vaccination contre la COVID-19 ni d’exemption approuvée.

[12] La prestataire ne conteste pas la raison de son congé forcé ni de son congédiement. Elle a admis qu’elle n’avait pas été vaccinée, mais qu’elle avait une bonne raison à cet effet.

[13] Je suis convaincu que l’employeur de la prestataire l’a suspendue et finalement congédiée, faute de preuve de vaccination ou d’exemption autorisée. La Commission a présenté deux relevés d’emploi. La raison pour laquelle l’un a été produit est [traduction] « Congé ». Dans l’autre, la raison est [traduction] « Congédiement », et on peut lire le commentaire [traduction] « Non-respect de la politique vaccinale ».

[14] Aucun élément de preuve à ma disposition ne m’amène à douter des raisons présentées ou à tirer toute autre conclusion.

La raison du congédiement de la prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[15] Selon la loi, la raison du congédiement de la prestataire n’est pas une inconduite.

[16] La Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas ce qu’on entend par inconduite. Toutefois, la jurisprudence (décisions des cours et des tribunaux) nous aide à décider si le congédiement de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. La jurisprudence établit le critère juridique relatif à l’inconduite, autrement dit les questions et éléments à prendre en considération lors de l’examen d’un cas d’inconduite.

[17] Voici ce qu’il faut pour prouver une inconduite :

  • La façon d’agir doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 3. Une inconduite peut aussi se présenter comme une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas page 4. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il ne faut pas nécessairement avoir une intention coupable (c’est-à-dire vouloir faire quelque chose de mal)Note de bas page 5.
  • Il doit y avoir manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travailNote de bas page 6.
  • La partie prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas page 7.

[18] La loi ne prévoit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas page 8. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait, et si sa façon d’agir constitue une inconduite selon la LoiNote de bas page 9.

[19] Je dois m’appuyer uniquement sur la Loi. Je ne peux pas prendre en considération d’autres lois pour évaluer si la prestataire a d’autres options. Il ne m’appartient pas de décider si la prestataire a été congédiée injustement ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables (mesures d’adaptation) pour la prestataireNote de bas page 10. Je vais trancher une seule chose : ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait constitue-t-il une inconduite selon la Loi?

[20] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 11.

[21] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur a mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Il a clairement fait part de ses exigences à la prestataire au sujet de la vaccination.
  • Il a répété ses exigences à la prestataire plusieurs fois.
  • La prestataire a choisi de ne pas se faire vacciner.
  • La façon d’agir de la prestataire était délibérée, car son choix était voulu et intentionnel.
  • La prestataire savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait (congédiement) si elle ne respectait pas la politique.

[22] La prestataire soutient qu’il n’y a pas eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • Elle avait une bonne raison de ne pas prendre le risque de se faire vacciner.
  • Son congédiement était illégal.
  • La décision découlant de la révision de la Commission ne comprenait aucune analyse significative des éléments essentiels permettant d’arriver à une conclusion d’inconduite.

[23] La prestataire occupait un poste administratif dans un hôpital. Son employeur a mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19 qui exigeait que tous les membres du personnel présentent une preuve de vaccination ou d’exemption autorisée au plus tard le 7 septembre 2021. Toute personne qui ne présentait pas de preuve de vaccination complète ou d’exemption au 28 octobre 2021 serait mise en congé sans solde. Si aucune preuve de début de vaccination ou d’exemption n’était présentée au 12 novembre 2021, la personne visée serait congédiée. La politique ne contenait aucune autre option qui permettrait de rester à l’emploi.

[24] La prestataire a mentionné qu’elle avait reçu une copie de la politique par courriel et qu’elle en comprenait les exigences. Elle a admis que c’était son choix de ne pas se faire vacciner.

[25] Elle soutient toutefois que sa façon d’agir ne constitue pas une inconduite. Selon elle, la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait de corroborer les éléments qui l’amènent à une conclusion d’inconduite.

[26] La Commission affirme que la prestataire a choisi de façon délibérée de ne pas se conformer à la politique vaccinale de l’employeur. Selon la Commission, la prestataire savait ou aurait dû savoir que le fait de ne pas se faire vacciner entraînerait son congédiement. La Commission fait valoir qu’il doit y avoir un lien de causalité entre l’« inconduite » et la situation d’emploi, et conclut que l’« inconduite » doit constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail. Elle cite une affaire de la Cour d’appel fédérale à l’appui de sa conclusion d’inconduiteNote de bas page 12.

[27] La Commission a décidé que la façon d’agir de la prestataire constituait une inconduite et l’a exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. L’exclusion est considérée comme une forme de « punition » d’un comportement indésirableNote de bas page 13.

[28] La prestataire avance que la Commission n’a fait aucun examen approfondi des circonstances avant de rendre sa décision. Elle soutient que les observations rudimentaires de la Commission sont une simple reformulation du critère à appliquer, plutôt qu’un examen raisonné à l’appui de sa conclusion d’inconduite.

Y a-t-il eu manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail?

[29] J’estime que la Commission n’a pas prouvé qu’il y a eu manquement à une obligation de vaccination résultant expressément ou implicitement du contrat de travail de la prestataire, malgré la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur.

[30] La Commission soutient qu’il y a eu manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail de la prestataire. Elle affirme que ce manquement a mené à une suspension et ultimement au congédiement, et en arrive à une conclusion d’inconduite. Par conséquent, la Commission doit prouver qu’il y a eu manquement à une obligation afin de conclure à une inconduite.

[31] Un contrat de travail n’est rien d’autre qu’un contrat. Il s’agit d’une entente qui précise les obligations que les deux parties ont l’une envers l’autre. Ni l’une ni l’autre ne peut imposer unilatéralement de nouvelles conditions à la convention collective sans consultation et accord de l’autre partie. La seule exception à cette règle, c’est lorsque la loi exige une mesure précise de la part de l’employeur et la conformité d’un membre du personnel.

[32] La prestataire est une employée syndiquée dont le travail est régi par une convention collective conclue entre l’équipe de négociation, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et l’employeur.

[33] La Commission a fourni une copie de la politique de vaccination contre la COVID-19 mise en place par l’employeurNote de bas page 14. Selon la Commission, cette politique est légale et le non-respect délibéré de la prestataire suffit pour démontrer un manquement à une obligation envers l’employeur résultant du contrat de travail.

[34] La prestataire a déclaré et témoigné qu’elle ne s’est pas fait vacciner parce qu’elle a un problème de santé. Elle a expliqué qu’elle a été atteinte d’un cancer lorsqu’elle était enfant et avait eu des réactions négatives à l’anesthésique pendant une chirurgie. Elle a assisté à une séance d’information sur la COVID-19 et a parlé des vaccins avec plusieurs médecins. Elle a fait ses propres recherches. Elle a décidé que l’information offerte n’était pas suffisante pour l’assurer que le vaccin ne lui nuirait pas. Elle a choisi d’attendre d’avoir plus d’information sur le caractère inoffensif des vaccins.

[35] La prestataire a dit qu’elle et d’autres membres du personnel ont fait part de leurs préoccupations sur les vaccins à leur employeur et à leur syndicat (équipe de négociation), mais n’ont pas reçu de réponse. Par la suite, la prestataire a communiqué avec son employeur pour proposer des options différentes de la vaccination, comme les tests continus de dépistage de la COVID-19 et d’autres protocoles de protection. L’employeur a rejeté ces options et maintenu son exigence de vaccination ou d’exemption autorisée.

Y a-t-il une obligation résultant expressément du contrat de travail de la prestataire?

[36] J’estime que la Commission n’a pas démontré qu’il existe une obligation résultant expressément de la convention collective de la prestataire, qui exigerait qu’elle soit vaccinée contre la COVID-19.

[37] Une obligation expresse (explicite) est un énoncé formel qui se trouve dans un contrat de travail, ou bien une notion de nature si fondamentale qu’elle est évidente en soi. En d’autres mots, le contrat de travail devrait contenir une exigence explicite de vaccination contre des affections précises, laquelle la prestataire, ou son équipe de négociation, aurait acceptée au moment de l’embauche ou plus tard au cours de son emploi, avant le congédiement.

[38] La prestataire travaillait au service d’admission d’un hôpital. Elle a présenté une copie de sa convention collectiveNote de bas page 15. Elle a fait valoir que celle-ci ne contient aucune disposition relative à la vaccination contre la COVID-19. La convention collective contient seulement un article sur la vaccination contre la grippe, où l’on reconnaît les avantages de ce type de vaccinationNote de bas page 16. L’article précise expressément que les membres du personnel ont le droit de refuser toute [c’est moi qui souligne] vaccination recommandée ou requise. Il décrit ensuite en détail la procédure à suivre en cas d’éclosion. Bien que l’article comprenne des options de réaffectation, de congé payé et de congé non payé, aucune disposition ne prévoit le congédiement si un membre du personnel ne se fait pas vacciner contre la grippe.

[39] La prestataire a affirmé qu’elle n’a jamais accepté de se faire vacciner ni de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 mise en place par l’employeur avant sa suspension et son congédiement. À sa connaissance, son employeur n’a jamais tenté de rencontrer l’équipe de négociation pour adopter une disposition relative à la vaccination contre la COVID-19 dans sa convention collective. Elle a témoigné qu’elle a déposé un grief contre sa suspension et son congédiementNote de bas page 17. Elle n’a pas reçu de mise à jour sur son statut depuis.

[40] La Commission n’a pas présenté de copie de la convention collective ni fait référence à une disposition de celle-ci relativement à l’obligation imposée par la politique vaccinale. Lorsque la prestataire a soutenu qu’aucune disposition de sa convention collective n’exigeait la vaccination, la Commission a dit ne pas être responsable de prouver la nature raisonnable et équitable des politiques de l’employeur. Selon la Commission, la conduite de l’employeur n’est pas pertinente; seule celle de la prestataire est en cause. La Commission explique aussi que le critère relatif à l’inconduite ne consiste pas à établir si le congédiement était injuste, mais plutôt à décider si la façon d’agir ou l’omission de la prestataire constitue une inconduite.

[41] Ces déclarations de la Commission sont vraies. Toutefois, la Commission ne reconnaît pas que, par sa conclusion d’inconduite, elle a établi que la prestataire avait manqué à une obligation résultant de son contrat de travail. La Commission doit donc prouver qu’un tel manquement a eu lieu.

[42] L’examen de la convention collective révèle une disposition précise sur la vaccination contre la grippe. J’ai remarqué que la convention collective contient plusieurs lettres d’entente et protocoles d’entente à titre d’addendas sur une multitude de sujets. Cela m’indique que les parties se sont déjà réunies pour négocier des ajouts mutuellement acceptables, mais que dans le cas de la vaccination contre la COVID-19, il n’y a aucune preuve de consultation ou d’entente. Il semble que la politique de l’employeur sur la COVID-19 a été imposée unilatéralement au personnel et à la prestataire sans égard à la convention collective et sans consultation de l’équipe de négociation.

[43] D’ailleurs, la Commission n’a présenté aucune preuve d’exigence explicite dans le contrat de travail (convention collective), selon laquelle la prestataire devait se soumettre à la vaccination contre la COVID-19. En réalité, la convention collective précise expressément que les membres du personnel ont le droit de refuser toute [c’est moi qui souligne] vaccination recommandée ou requise.

[44] La Commission n’a présenté aucune preuve permettant de conclure qu’une obligation expresse a été ajoutée à la convention collective. Rien n’indique que la prestataire a accepté d’être liée par une exigence de vaccination dans son contrat de travail, car rien n’indique qu’elle ou l’équipe de négociation ont accepté les exigences de la politique.

Y a-t-il une obligation résultant implicitement du contrat de travail de la prestataire?

[45] J’estime que la Commission n’a pas démontré qu’il existe une obligation résultant implicitement de la convention collective ou de tout autre contrat de travail de la prestataire, qui exigerait qu’elle accepte la vaccination.

[46] Une obligation implicite est quelque chose que l’on peut déduire d’un contrat de travail et qui englobe les cas dont on ne traite pas précisément (expressément). La Commission n’a présenté aucune preuve selon laquelle la prestataire était tenue, en fonction d’une exigence générale, d’accepter toute politique de l’employeur qui pouvait raisonnablement contenir une exigence de vaccination.

[47] En fait, la convention collective contient un article qui traite expressément de la vaccination contre la grippe. J’en conclus que les parties ont considéré que les questions de vaccination étaient si importantes qu’elles ont inclus une disposition à cet égard. Il est donc logique de croire que, si les parties avaient voulu s’entendre sur une politique de vaccination contre la COVID-19, elles auraient eu amplement le temps de se consulter afin de modifier la convention collective ou de créer un addenda pour ajouter expressément une telle disposition. Rien ne prouve qu’une entente existe en la matière.

[48] Je suis convaincu qu’il n’y a aucune preuve qui laisse croire que la prestataire avait une obligation de vaccination résultant implicitement de son contrat de travail (convention collective).

[49] L’obligation d’accepter un traitement médical pour conserver un emploi va bien au-delà de la simple exigence de respect des protocoles de santé et de sécurité. Ce n’est pas la même chose que de s’attendre à ce qu’une personne se lave les mains avant de manipuler des aliments ou porte un gilet de sécurité. Si l’on accepte qu’une personne risque d’être congédiée en ne respectant pas une politique de l’employeur exigeant un type de traitement médical, on accepte qu’une simple attente de respect des protocoles généraux de santé et de sécurité devienne une condition d’emploi essentielle.

Imposition d’une nouvelle condition d’emploi essentielle

[50] J’estime que l’employeur a imposé unilatéralement une nouvelle condition d’emploi à la prestataire sans son accord ni celui de l’équipe de négociation.

[51] Une condition d’emploi essentielle est une disposition qui peut entraîner un congédiement immédiat si elle n’est pas respectée à tout moment pendant la relation d’emploi. Habituellement, ces conditions sont établies au début de la relation d’emploi. Avant d’établir un contrat de travail, si une personne ne peut pas satisfaire à la condition, elle n’est pas embauchée. Lorsqu’une telle condition doit être établie plus tard, le contrat de travail est ouvert à la négociation.

[52] Dans cette affaire, l’employeur a ouvert unilatéralement la convention collective de la prestataire et a imposé une nouvelle condition d’emploi essentielle sans son consentement ni celui de l’équipe de négociation. En fait, il a instauré une politique sans consultation et sans égard au contrat de travail déjà signé. Cette modification a établi une nouvelle exigence essentielle (vaccination ou exemption valide), puisqu’à défaut d’être vaccinée ou d’obtenir une exemption autorisée, une personne risquait d’être congédiée. La prestataire n’avait pas d’autre choix que de remplir la condition pour conserver son emploi.

[53] Rien n’indique que l’employeur a voulu négocier avec l’équipe de négociation, ou plus précisément avec la prestataire, pour modifier la convention collective et y ajouter une exigence de vaccination comme condition d’emploi. Rien n’indique que la prestataire a accepté explicitement la condition ou a accepté de travailler dans cette condition avant d’être congédiée.

[54] En fait, il est clair que la prestataire a été franche et honnête lorsqu’elle a contesté immédiatement la politique de l’employeur et exprimé son intention de ne pas se faire vacciner.

[55] L’exigence de vaccination ou d’exemption valide n’était pas une condition d’emploi essentielle établie au moment de son embauche, ni acceptée par la prestataire à un moment donné pendant son emploi, mais avant son congédiement. Il n’était pas question d’une telle exigence dans sa convention collective. Par conséquent, on ne peut pas dire que la convention collective (contrat de travail) contenait une disposition établissant une obligation expresse ou implicite de se conformer à la politique vaccinale de l’employeurNote de bas page 18.

[56] La Commission soutient que le critère relatif à l’inconduite ne consiste pas à établir si le congédiement était juste ou non. Elle ajoute qu’on doit se concentrer sur la façon d’agir de la prestataire. Je suis d’accord. Mais le critère exige que la Commission prouve que la façon d’agir de la prestataire constitue un manquement à une obligation envers l’employeur résultant du contrat de travail.

[57] La Commission a choisi d’ignorer le contrat de travail (convention collective) de la prestataire. Elle a fait valoir que la simple existence d’une politique que la prestataire n’a pas respectée suffit pour démontrer un manquement à une obligation envers l’employeur. Elle étaye son argument en citant l’affaire Lemire de la Cour d’appel fédérale.

[58] Je ne suis pas convaincu que les circonstances sur lesquelles les juges se sont fondés dans l’affaire Lemire correspondent à celles de la prestataire. Dans cette affaire, l’employé a vendu des cigarettes de contrebande sur son lieu de travail, en portant son uniforme, ce qui contrevenait à la politique de l’employeur. Même s’il n’est pas expressément indiqué que la politique existait au moment de l’embauche, l’employé congédié a admis qu’il était au courant de la politique, et il est évident qu’il avait accepté de plein gré de travailler en vertu de cette politique lorsqu’il s’est fait prendre. Autrement dit, la politique existait dans le cadre d’un contrat de travail que l’employé avait accepté avant l’infraction qui a mené à son congédiement.

[59] De plus, il est évident que les juges de l’affaire Lemire ont fait référence aux dispositions de la convention collective de l’employé congédié pour examiner les questions entourant la sanction appliquée. De toute évidence, les juges ont tenu compte des obligations imposées à l’employeur et à l’employé dans les dispositions de la convention collective pertinentesNote de bas page 19.

[60] Dans le cas présent, il n’y avait aucune disposition concernant la vaccination contre la COVID-19 dans la convention collective à laquelle la prestataire ou l’équipe de négociation a accepté d’être liée. La prestataire n’a pas non plus accepté la politique et travaillé selon les conditions de celle-ci pour la transgresser plus tard. Elle a exprimé son désaccord au sujet de la politique immédiatement après sa mise en œuvre et n’a jamais accepté d’être liée par cette politique.

[61] Enfin, rien ne prouve qu’il existe des dispositions législatives, provinciales ou fédérales, qui exigent que quiconque soit vacciné. La Directive no 6 à l’intention des hôpitaux publics donnée par le médecin hygiéniste en chef n’établit pas toutefois une exigence absolue en matière de vaccination. En fait, elle offre trois optionsNote de bas page 20 :

  • la vaccination complète;
  • une preuve écrite d’une raison médicale justifiant le refus de la vaccination complète;
  • une preuve de participation à une séance d’information sur les avantages de la vaccination contre la COVID-19 avant le refus pour toute raison autre que médicale.

[62] La Directive laisse aux organismes visés le soin de décider s’ils souhaitent abandonner la troisième option, et ainsi, appliquer une exigence se limitant à la vaccination ou à l’obtention d’une exemptionNote de bas page 21. En l’absence de dispositions législatives ou de directives précises appuyées par la loi qui obligent une personne à se faire vacciner, la vaccination demeure volontaire.

[63] Compte tenu de mes conclusions, je suis convaincu que la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve. Il lui incombait de prouver que la prestataire a manqué à une obligation expresse ou implicite envers son employeur lorsqu’elle a choisi de ne pas se faire vacciner ou de ne pas fournir d’exemption.

[64] Comme il n’y avait aucune obligation de vaccination contre la COVID-19 émanant de la convention collective de la prestataire ou de tout autre texte juridique, rien ne justifie qu’elle aurait dû envisager ou tenter d’obtenir une exemption autorisée.

[65] La Commission suggère que la prestataire n’a pas expliqué pourquoi son état de santé l’empêcherait de se faire vacciner et qu’il n’était donc pas déraisonnable pour elle de se conformer à la politique de l’employeur. La prestataire n’a pas à prouver quoi que ce soit. C’est la Commission qui est responsable de démontrer ce qui permet d’établir l’inconduite.

[66] Je suis d’avis que la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve. Elle n’a pas démontré que la prestataire a manqué à une obligation expresse ou implicite résultant de son contrat de travail (convention collective).

[67] Il n’est pas pertinent de savoir si la décision de la prestataire de ne pas se faire vacciner était délibérée ou si elle aurait dû être au courant qu’elle pouvait se faire congédier faute de vaccination. La Commission n’a pas prouvé que la prestataire avait l’obligation d’accepter la vaccination ou de fournir une exemption. Par conséquent, on ne peut pas établir que la décision de la prestataire de ne pas se faire vacciner – peu importe si elle contrevenait à la politique de l’employeur – répond aux critères dans la jurisprudence pour en arriver à une conclusion d’inconduite.

Politique vaccinale illégale?

[68] La prestataire a fait valoir que la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur était illégale et violait ses droits.

[69] La Commission affirme que je n’ai pas compétence pour examiner la légalité de la politique de l’employeur.

[70] Je suis d’accord avec la Commission sur ce point. Je n’ai pas à examiner les actions de l’employeur. Pour savoir si la politique de l’employeur est légale, si elle enfreint la Charte canadienne des droits et libertés ou si elle est déraisonnable, la prestataire doit s’adresser à une autre instance compétente. Je suis limité à examiner la façon d’agir de la prestataire et à décider si elle peut être qualifiée d’inconduite au sens de la Loi.

[71] Même si je ne me pencherai pas sur la légalité des actions de l’employeur, je peux tout de même examiner la façon d’agir de la prestataire en parallèle avec la jurisprudence entourant les droits de la personne.

Droits de la prestataire

[72] La prestataire a clairement montré qu’elle ne défiait pas son employeur en choisissant de ne pas se faire vacciner, mais qu’elle voulait simplement protéger sa santé. Elle affirme qu’elle n’a rien fait de mal qui justifiait son congédiement et que sa façon d’agir ne constitue pas une inconduite au sens de la Loi. Elle avance que son employeur n’a pas veillé à protéger son intégrité physique comme le prévoit la loi. Elle ajoute qu’elle a tenté de garder son emploi en proposant des options, comme les tests continus de dépistage et d’autres protocoles de protection contre la transmission, mais que l’employeur a rejeté son offre.

[73] Je le répète : je n’ai pas à examiner les actions de l’employeur. Mais la prestataire soulève un point pertinent concernant son droit à l’intégrité physique.

[74] Comme je l’ai mentionné plus haut, aucune disposition législative, provinciale ou fédérale, n’exige la vaccination contre la COVID-19 et, par conséquent, elle demeure volontaire.

[75] La common law canadienne reconnaît depuis longtemps qu’une personne a le droit de contrôler les interventions sur son corpsNote de bas page 22. Il revient à chaque personne de décider des traitements médicaux qu’elle accepteNote de bas page 23.

[76] La common law confirme que la prestataire a un fondement juridique (un « droit ») pour ne pas accepter un traitement médical, y compris la vaccination. Si la vaccination est donc volontaire, la prestataire a le choix de l’accepter ou de la refuser. L’exercice de son droit de refus remet en question la conclusion selon laquelle sa façon d’agir s’apparente à quelque chose qui est « mal » ou qu’elle « n’aurait pas dû faire », délibérément ou non, et qui correspond à une inconduite et à une exclusion au sens de la LoiNote de bas page 24.

[77] Même le contrat de travail (convention collective) de la prestataire reconnaît qu’elle a le droit de refuser toute vaccination recommandée ou requise.

[78] La question des vaccins contre la COVID-19 et des refus qui ont entraîné des congédiements est une situation nouvelle. À l’heure actuelle, il n’existe pas de jurisprudence précise sur la question pour orienter la prise de décision.

[79] En effet, je n’ai pas pu trouver une seule affaire où une partie prestataire avait posé un geste permis selon la loi, et où l’on a tout de même conclu à l’inconduite simplement parce que le geste avait été jugé délibéré.

[80] Même en l’absence d’une décision de la Cour d’appel fédérale qui pourrait m’orienter sur la question, je suis persuadé que la prestataire a le droit d’accepter ou de refuser un traitement médical. Malgré le fait que son choix contredit la politique de son employeur et a mené à son congédiement, j’estime que l’exercice de ce « droit » ne peut pas être qualifié d’acte répréhensible ou de conduite indésirable qui mènerait à une conclusion d’inconduite, et ainsi, à l’exclusion en vertu de la Loi.

Alors, la prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[81] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que la prestataire n’a pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[82] Il ne s’agit pas de savoir si la politique de l’employeur est légale ou raisonnable ni si sa décision de congédier la prestataire est justifiée. La question est de savoir si la décision de la prestataire de ne pas se faire vacciner, malgré la politique de l’employeur, justifie une conclusion d’inconduite. Les tribunaux ont bien expliqué le critère applicable pour rendre ce genre de décision, et la Commission est responsable de prouver ce qu’elle avance.

[83] La Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait de démontrer que la prestataire a manqué à une obligation expresse ou implicite résultant de son contrat de travail.

[84] De plus, la prestataire avait le droit de refuser la vaccination, tel qu’il est énoncé dans la jurisprudence canadienne et à l’article 19.02 de sa convention collective.

[85] Compte tenu de ce droit explicite, je conclus que la décision de la prestataire de refuser la vaccination, malgré la politique de son employeur, ne constitue pas une inconduite au sens de la Loi.

Conclusion

[86] La Commission n’a pas prouvé que la prestataire a été suspendue ou a perdu son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[87] Par conséquent, l’appel est accueilli.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.