Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : SS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1005

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (458101) datée du 10 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 28 juillet 2022
Personne présente à l’audience :
Appelante
Date de la décision : Le 30 juillet 2022
Numéro de dossier : GE-22-1074

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui a causé cela). Par conséquent, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire travaillait comme infirmière autorisée dans un hôpital. L’employeur a mis la prestataire en congé obligatoire et sans solde et l’a ensuite congédiée parce qu’elle n’avait pas respecté la politique de vaccination contre la covid19 au travailNote de bas de page 2. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières de l’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[4] La Commission a d’abord décidé que la prestataire n’avait pas droit aux prestations d’assurance-emploi parce qu’elle avait quitté volontairement son emploiNote de bas de page 4. Après que la prestataire a déposé son appel, la Commission a plutôt soutenu qu’elle a été suspendue et a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 5.

[5] La prestataire n’est pas d’accord et affirme que la politique de l’employeur était illégale et que le Canada n’avait pas rendu la vaccination contre la covid19 obligatoireNote de bas de page 6. Elle dit qu’elle devrait avoir le droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi après avoir payé des cotisations d’assurance-emploi pendant de nombreuses années.

Question que je dois examiner en premier

Quelle est la question juridique?

[6] La Commission a d’abord décidé que cette affaire en était une de « départ volontaireNote de bas de page 7 », mais elle a changé d’avis après le dépôt de l’appel de la prestataireNote de bas de page 8. La Commission affirme maintenant qu’il s’agit d’une affaire d’« inconduiteNote de bas de page 9 ».

[7] À l’audience, la prestataire a confirmé qu’elle n’a pas quitté son emploi volontairement, mais que c’était son employeur qui avait imposé le congé obligatoire et sans solde. Elle a convenu que la question juridique qu’elle conteste est l’inconduite.

[8] Si la raison de la cessation d’emploi de la prestataire n’est pas claire, je peux décider si elle repose sur un départ volontaire ou sur une inconduite. Ces deux enjeux se traduisent par le fait qu’elle n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi (c’est ce qu’on appelle l’« exclusion » du bénéfice des prestations d’assurance-emploi)Note de bas de page 10.

[9] Comme les deux parties sont d’accord, j’accepte que la question juridique à trancher est celle de l’inconduite.

Question en litige

[10] La prestataire a-t-elle suspendu et congédiée de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[11] Les parties prestataires qui perdent leur emploi en raison d’une inconduite ou qui quittent volontairement leur emploi sans motif valable n’ont pas droit aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 11.

[12] Les parties prestataires qui sont suspendues de leur emploi en raison d’une inconduite n’ont pas droit aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[13] Pour répondre à la question de savoir si la prestataire a cessé de travailler en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle cessé de travailler?

[14] Je conclus que la prestataire a été mise en congé obligatoire et sans solde le 15 octobre 2021 parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination de l’employeur contre la covid19. La prestataire n’a pas été autorisée à retourner travailler.

[15] Le congé obligatoire et sans solde devait durer deux semaines seulement; il a cependant été prolongé pour donner le temps à la prestataire de consulter une ou un spécialiste.

[16] Je conclus également que la prestataire a été congédiée de son emploi le 8 décembre 2021 parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination de l’employeur contre la covid19.

[17] Cela correspond au témoignage de la prestataire, à son relevé d’emploi, à la lettre l’avisant du congé non payé, à la lettre de licenciement et aux discussions entre la Commission et la prestataire, ainsi que l’employeurNote de bas de page 13.

Quelle était la politique de l’employeur?

[18] L’employeur a mis en place une politique d’« immunisation à la Covid19 » entrant en vigueur le 7 septembre 2021. Une copie de la politique se trouve dans le dossierNote de bas de page 14.

[19] La politique a pour objectif de préciser les attentes de l’organisation concernant la vaccination des employés, du personnel, du personnel professionnel embauché par le conseil d’administration, des sous-traitants, des bénévoles et des étudiants contre la covid19Note de bas de page 15.

[20] La politique exige que les membres du personnel obtiennent leur première dose de vaccin contre la covid19 au plus tard le7 septembre 2021 et la preuve de leur vaccination complète contre la covid19 au plus tard le 15 octobre 2021Note de bas de page 16.

[21] La politique prévoyait également une exemption pour raisons médicalesNote de bas de page 17. Elle exige que le personnel fournisse la preuve d’une raison médicale, donnée soit par un médecin ou une infirmière praticienne ou un infirmier praticien; qui établit que la personne ne peut pas être vaccinée contre la covid19 et la durée de validité.

[22] La prestataire a déclaré qu’elle avait respecté la directive de l’employeur de faire un test de dépistage rapide de la covid19 auparavant; cependant, elle n’était pas disposée à se faire vacciner contre la covid19 et ne voulait pas divulguer son statut vaccinal. Bien qu’elle reconnaisse ne pas s’être conformée à la politique de l’employeur, elle a expliqué qu’elle a plusieurs raisons de ne pas le faire.

La politique a-t-elle été communiquée à la prestataire?

[23] La prestataire a déclaré que la politique lui a été communiquée en août ou septembre 2021. Elle a entendu parler de la note de service concernant la politique affichée en ligne au travail.

[24] L’employeur a dit à la Commission que le personnel avait été avisé le 3 septembre 2021 concernant la politiqueNote de bas de page 18.

[25] Je conclus que la politique a été communiquée à la prestataire au plus tard le 3 septembre 2021.

Quelles étaient les conséquences de la non-conformité à la politique?

[26] La politique précise que la non-conformité entraînera un congé sans solde d’une durée maximale de 14 joursNote de bas de page 19.

[27] La politique dit aussi que le refus d’obtempérer peut entraîner la cessation d’emploi, la perte de privilèges, la résiliation d’un contrat ou des mesures similaires appropriées à l’association de la personne avec l’hôpital.

[28] L’employeur s’est adressé à la Commission et a affirmé avoir dit aux membres du personnel que s’ils ne se conformaient pas à l’exigence d’être entièrement vaccinés au plus tard le 15 octobre 2021, ils seraient mis en congé obligatoire et sans solde et ensuite congédiés le 1er novembre 2021Note de bas de page 20.

[29] La prestataire a déclaré qu’elle ignorait que la non-conformité à la politique entraînerait un congé obligatoire et sans solde et un congédiement. Puisque la politique était illégale à son avis, elle s’attendait à ce que les choses se tassent. Elle a donc été surprise lorsqu’elle a été mise en congé obligatoire et sans solde le 25 octobre 2021, puis congédiée le 8 décembre 2021.

Y a-t-il une raison pour laquelle la prestataire ne pouvait pas se conformer à la politique?

[30] L’employeur a dit à la Commission que la prestataire n’a présenté aucune preuve d’exemptionNote de bas de page 21.

[31] La prestataire a déclaré qu’elle a tenté d’obtenir une exemption médicale parce qu’elle est atteinte d’une maladie auto-immune. Elle s’est adressée à son médecin, qui a refusé de lui remettre un certificat médical d’exemptionNote de bas de page 22. Cependant, son médecin l’a aiguillée vers une ou un allergologue. L’employeur a alors accepté de prolonger son congé sans solde de deux semaines pour qu’elle soit évaluée par la ou le spécialiste.

[32] La prestataire s’est entretenue avec une ou un allergologue au téléphone au début décembre 2021. L’allergologue a dit à la prestataire que l’on testait un seul ingrédient du vaccin contre la covid19 et qu’elle devrait montrer une réaction allergique à cet ingrédient. Le rapport de l’allergologue a été publié et cela a mené au congédiement de la prestataire le 8 décembre 2021Note de bas de page 23.

[33] Par conséquent, la prestataire n’a pas présenté de demande d’exemption médicale à l’employeur parce qu’elle n’avait pas de certificat médical.

S’agit-il d’inconduite selon la loi, la Loi sur l’assurance-emploi?

[34] Pour constituer une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 24. L’inconduite comprend aussi une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 25.

[35] Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (autrement dit, qu’elle ait voulu mal agir) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 26.

[36] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas de page 27.

[37] La Commission doit prouver que la prestataire a été suspendue et a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a été suspendue et a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 28.

[38] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les motifs suivants.

[39] Premièrement, je conclus que la politique avait été communiquée à la prestataire et qu’elle était au courant des dates limites pour s’y conformer. La prestataire a également eu assez de temps pour le faire.

[40] Plus précisément, la prestataire savait qu’elle devait être entièrement vaccinée contre la covid19 au plus tard le 15 octobre 2021. Elle avait accès à une copie de la politique au travail.

[41] Deuxièmement, je conclus que la prestataire a volontairement choisi de ne pas se conformer à la politique pour des raisons personnelles. Elle a fait un choix délibéré. La Cour a déjà affirmé qu’une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 29.

[42] Je n’ai pas été convaincue par l’argument de la prestataire selon lequel refuser un vaccin n’est pas un acte délibéré d’inconduite. J’accepte qu’elle n’ait pas eu une intention coupable, mais elle a tout de même fait le choix délibéré d’enfreindre la politique pour des raisons personnelles.

[43] Troisièmement, je conclus que la prestataire savait ou aurait dû savoir que la non-conformité entraînerait un congé obligatoire et sans solde et un congédiement.

[44] Je n’ai pas été convaincue par l’argument de la prestataire selon lequel elle ne pensait pas que cela se produirait. Les conséquences étaient présentées dans la politiqueNote de bas de page 30. On lui a aussi fourni une lettre, datée du 15 octobre 2021, lorsque son congé sans solde a commencé, et la lettre disait que le congédiement aurait lieu le 1er novembre 2021 si elle ne se conformait pasNote de bas de page 31.

[45] Quatrièmement, je conclus que la prestataire n’a pas prouvé qu’elle était exemptée de la politique. Bien qu’elle ait fait des démarches pour obtenir un certificat médical de son médecin et de son allergologue, ils ne lui ont pas remis ce document. Elle n’a donc jamais présenté de demande d’exemption à l’employeur.

[46] La Commission ontarienne des droits de la personne est d’avis que la décision de se faire vacciner demeure volontaire, mais qu’exiger la vaccination et la présentation d’une preuve de vaccination afin de protéger les travailleurs dans un lieu de travail ou les personnes qui reçoivent des services est permis en règle générale en vertu du Code des droits de la personneNote de bas de page 32 , pour autant que des protections soient mises en place pour veiller à ce que les personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons protégées par le Code puissent obtenir une mesure d’adaptation raisonnableNote de bas de page 33.

[47] Enfin, je reconnais généralement que l’employeur peut décider d’établir et d’imposer des politiques en milieu de travail. Dans ce cas-ci, l’employeur, un hôpital, a imposé une politique de vaccination en raison de la pandémie de covid19 et en réponse à la « directive no 6Note de bas de page 34 ». Autrement dit, la vaccination contre la covid19 est devenue une condition d’emploi lorsque l’employeur a adopté la politique. La prestataire a enfreint la politique lorsqu’elle a choisi de ne pas s’y conformer et cela a nui à sa capacité de s’acquitter de son devoir envers l’employeur.

[48] L’objectif de la Loi sur l’assurance-emploi est d’indemniser les personnes qui ont perdu leur emploi de manière involontaire et qui se retrouvent sans travail. La perte d’emploi doit être involontaireNote de bas de page 35. Dans la présente affaire, même si la prestataire a payé des prestations d’assurance-emploi, la perte de son emploi n’était pas involontaire, car ce sont ses gestes qui ont mené à son congédiement.

Qu’en est-il des autres arguments de la prestataire?

[49] La prestataire a soulevé d’autres arguments à l’appui de sa position. En voici quelques-uns :

  1. a) La politique de l’employeur était illégale et violait la convention collective.
  2. b) La vaccination n’est pas obligatoire au Canada.
  3. c) L’employeur ne lui a pas offert de mesure d’adaptation ou solution de rechange.
  4. d) L’hôpital a outrepassé la directive no 6 lorsqu’il a mis la politique en place.
  5. e) Le vaccin contre la covid19 était expérimental et elle n’en connaît pas tous les ingrédients.
  6. f) Il n’y a pas eu de consentement éclairé.
  7. g) L’employeur l’a contrainte.
  8. h) Il y a des risques pour la sécurité associés au vaccin contre la covid19.
  9. i) Elle a été congédiée sans motif.

[50] La Cour a affirmé que le Tribunal ne peut décider si le congédiement ou la pénalité était justifié. Le Tribunal doit décider si la conduite de la prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 36. J’ai déjà conclu que la conduite de la prestataire constitue effectivement une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[51] Je prends note des arguments supplémentaires de la prestataire, mais je n’ai pas le pouvoir de les trancher. Le recours de la prestataire consiste à intenter une action en justice ou devant tout autre tribunal qui pourrait examiner ses arguments particuliers. Je signale que la prestataire a déjà déposé un grief auprès de son syndicat, mais il n’y a pas encore de mise à jourNote de bas de page 37.

Conclusion

[52] La prestataire avait le choix et a décidé de ne pas se conformer à la politique pour des raisons personnelles. Ce choix a donné lieu à un résultat indésirable, un congé sans solde obligatoire et un congédiement.

[53] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue et a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la prestataire n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi.

[54] Cela signifie que l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.