Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : EL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1156

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

appelante : E. L.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (466101) datée du 29 avril 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Teresa M. Day
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience  : Le 27 septembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 28 septembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1656

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La prestataire (qui est l’appelante dans le présent appel) ne peut recevoir de prestations d’assurance-emploi parce qu’elle a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 1.

Aperçu

[3] La prestataire travaillait comme commis-vendeuse en commerce de détail chez X (X). Le 1er octobre 2021, X a mis en place une politique obligatoire de vaccination contre la COVID-19 (la politique). Selon la politique, tous les employés devaient fournir la preuve qu’ils avaient reçu une première dose d’un vaccin contre la COVID-19 au plus tard le 15 octobre 2021 et une deuxième dose au plus tard le 15 novembre 2021. Si un employé ne respectait pas les dates limites de la politique ou n’obtenait pas une exemption de vaccination approuvée avant le 15 octobre 2021, il ferait l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

[4] La prestataire a été informée de la politique. Comme elle ne voulait pas respecter la politique en se faisant vacciner, elle a demandé à son médecin de signer son formulaire d’exemption médicale. Mais son médecin a refusé de le faire. Comme la prestataire n’était ni vaccinée ni exemptée à la date limite du 15 octobre 2021, l’employeur l’a mise en congé temporaire sans solde.

[5] La prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. L’intimée (Commission) a déterminé que la prestataire avait cessé de travailler en prenant volontairement un congé sans justification le 17 octobre 2021Note de bas page 2. Elle ne pouvait donc recevoir aucune prestation d’assurance-emploi.

[6] La prestataire a demandé à la Commission de réexaminer sa décision. Elle a nié avoir quitté son emploi volontairement sans justification. Elle a dit qu’en mettant en place la politique l’employeur l’a forcée [traduction] « à prendre le vaccin ou à partir » (pièce GD3-29). Lorsqu’elle a décidé de ne pas se faire vacciner pour des raisons de santé, l’employeur l’a mise en [traduction] « congé pour maladie infectieuse » (pièce GD3-29) après sa dernière journée de travail le 17 septembre 2021. La Commission a maintenu l’inadmissibilité de sa demande, mais a modifié le motif de l’inadmissibilité pour qu’il devienne une [traduction] « suspensionNote de bas page 3 ».

[7] La prestataire a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal).

[8] Je dois décider si la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite. Pour ce faire, je dois examiner la raison de sa suspension, puis déterminer si la conduite qui a causé sa suspension est une conduite qui, selon la loi, constitue une « inconduite » aux fins des prestations d’assurance-emploi.

[9] La Commission affirme que la prestataire était au courant de la politique, des dates limites pour s’y conformer et des conséquences de la non-conformité, et qu’elle a fait le choix conscient et délibéré de ne pas s’y conformer après que son médecin a refusé d’approuver sa demande d’exemption. Elle savait qu’elle serait mise en congé sans solde en faisant ce choix, et c’est ce qui s’est passé. La Commission affirme que ces faits prouvent que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite, ce qui signifie qu’elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploiNote de bas page 4.

[10] La prestataire n’est pas d’accord. Elle affirme avoir fait un choix personnel de ne pas se faire vacciner pour des raisons médicales. Elle affirme aussi qu’elle a le droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que l’employeur l’a forcée à partir en congé alors qu’il ne manquait pas de travail et qu’elle voulait travailler.

[11] Je suis d’accord avec la Commission. Voici les raisons qui expliquent ma décision.

Question en litige

[12] La prestataire a-t-elle été suspendue en raison de son inconduite?

Analyse

[13] Pour répondre à cette question, je dois trancher deux questions. Premièrement, je dois établir pourquoi la prestataire a été suspendue. Je dois ensuite décider si, selon la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), ce motif constitue une inconduite.

Question en litige no 1 : Pourquoi la prestataire a-t-elle été suspendue?

[14] La prestataire a été suspendue parce qu’elle a refusé de se faire vacciner comme l’exige la politique et qu’elle n’a pas obtenu d’exemption approuvée.

[15] L’employeur a affirmé ce qui suit à la CommissionNote de bas page 5 :

  • X a une politique de vaccination obligatoire qui a été communiquée aux employés pour les informer qu’ils devraient être vaccinés pour continuer à travaillerNote de bas page 6.
  • Les employés ont été informés que s’ils n’étaient pas vaccinés au plus tard le 15 octobre 2021 ils seraient mis en congé sans solde jusqu’à ce qu’ils soient vaccinés.
  • La prestataire a travaillé jusqu’à la date limite et a ensuite été mise en congé sans solde parce qu’elle n’avait pas été vaccinée.
  • La prestataire est en [traduction] « congé pour maladie infectieuse », selon la désignation de l’employeur.

[16] La prestataire ne conteste aucun des faits susmentionnés.

[17] Elle a déclaré ce qui suit à la CommissionNote de bas page 7 :

  • Elle a été informée au début d’octobre qu’elle avait jusqu’au 15 octobre 2021 pour recevoir une première dose d’un vaccin contre la COVID-19.
  • Elle ne souhaite pas se faire vacciner.
  • Elle a demandé à son médecin de remplir un formulaire de demande d’exemption médicale afin qu’elle soit exemptée de l’exigence de vaccination obligatoire prévue dans la politique.
  • Mais son médecin a refusé de le signer.
  • L’employeur lui a dit qu’elle était mise en congé parce qu’elle n’était pas vaccinée et qu’elle ne respectait pas la politique.

[18] La prestataire a déclaré ce qui suit à l’audience :

  • Elle a été informée au début d’octobre 2021 qu’elle [traduction] « avait deux semaines pour se faire vacciner ».
  • Elle a immédiatement obtenu les formulaires de l’employeur et a pris rendez-vous avec son médecin de famille pour faire signer son formulaire de demande d’exemption médicale.
  • Mais son médecin de famille a refusé de signer son formulaire, et lui a dit de [traduction] « ne pas s’inquiéter » du vaccin.
  • Son médecin de famille a dit qu’elle pouvait communiquer avec son cardiologue si elle le voulait, mais son cardiologue ne pouvait pas la voir avant 6 mois, et donc elle a laissé tomber.
  • Le 17 octobre 2021, l’employeur l’a informée verbalement qu’il s’agissait de son dernier jour de travail parce qu’elle n’était pas vaccinée. L’employeur lui a dit qu’elle était mise en [traduction] « congé pour maladie infectieuse ».

[19] Je conclus que la preuve montre que la prestataire a été suspendue de son emploi parce qu’elle a refusé de se faire vacciner comme l’exige la politique et qu’elle n’a pas obtenu d’exemption approuvée.

Question en litige no 2 : Le motif de la suspension de la prestataire est-il une inconduite au sens de la loi?

[20] Oui, le motif de la suspension de la prestataire est une inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploi.

[21] Pour constituer une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 8. L’inconduite comprend également une conduite à ce point insouciante (ou négligente) qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas page 9 (ou qui démontre un mépris délibéré des répercussions de ses actes sur son rendement au travail).

[22] La prestataire n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, il n’est pas nécessaire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas page 10.

[23] Il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit suspenduNote de bas page 11.

[24] La Commission doit prouver que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas page 12. Elle s’appuie sur la preuve que les représentants de Service Canada obtiennent de l’employeur et de la prestataire pour le faire.

[25] La prestataire affirme qu’elle a pris la décision médicale personnelle de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19. Elle affirme qu’elle était toujours disposée à travailler et que c’est l’employeur qui l’a forcée à quitter son emploi, de sorte que sa conduite ne peut être considérée comme volontaire. Je ne partage pas ce point de vue.

[26] La prestataire a déclaré ce qui suit à l’audience :

  • La politique obligatoire de vaccination contre la COVID-19 a été communiquée à tous les employés [traduction] « au début d’octobre 2021 ».
  • Selon la politique, elle disposait de deux semaines pour se faire vacciner, sans quoi elle pourrait faire face à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.
  • L’employeur lui a dit qu’elle était mise en congé sans solde après sa dernière journée de travail le 17 octobre 2021 parce qu’elle n’était pas vaccinée et ne s’était pas conformée à la politique.
  • Elle a tenté d’obtenir une exemption médicale avant la date limite, mais son médecin de famille a refusé de la signer.
  • [Traduction] « Mais c’est mon corps. C’est ma santé. »
  • Elle s’inquiète de la sécurité des vaccins contre la COVID-19 parce qu’elle a une [traduction] « maladie cardiaque », et donc elle a décidé de ne pas se faire vacciner.
  • Même si son médecin de famille n’a pas signé son formulaire de demande d’exemption et même après avoir découvert qu’elle ne pouvait pas voir son cardiologue avant encore 6 mois, elle a tout de même décidé de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19.
  • Elle a pris la décision personnelle de ne pas se faire vacciner.
  • Elle a pris cette décision en sachant qu’elle serait mise en congé sans solde après la date limite du 15 octobre 2021 pour la première dose.
  • [Traduction] « Au Canada, le vaccin n’a jamais été obligatoire ».
  • Elle ne comprend pas comment son entreprise peut la forcer à se faire vacciner pour travailler.
  • Et maintenant, elle est de retour au travail.
  • Après 7,5 mois de congé sans solde, elle a reçu un appel téléphonique de l’employeur qui lui a demandé de revenir au travail, même sans être vaccinée contre la COVID-19.
  • Elle ne comprend pas en quoi ce n’était pas acceptable pour elle de travailler il y a 7,5 mois, mais qu’elle peut maintenant travailler.
  • Comment l’employeur a-t-il le droit d’agir ainsi dans un pays où les vaccins n’étaient pas obligatoires?
  • Elle avait droit à des prestations d’assurance-emploi pour ces 7,5 mois de congé sans solde parce que c’est l’employeur qui l’a forcée à prendre ce congé. Elle ne voulait pas le faire; elle voulait travailler.

[27] Il n’appartient pas au Tribunal de décider si la politique de l’employeur était raisonnable, si l’employeur aurait dû accepter la demande d’exemption de la prestataire fondée sur sa décision personnelle, ou si l’imposition du congé sans solde était trop sévèreNote de bas page 13. Le Tribunal doit se concentrer sur la conduite qui a entraîné la suspension de la prestataire, et décider s’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi sur l’AE.

[28] J’ai déjà conclu que la conduite qui a mené à la suspension de la prestataire était son refus de se faire vacciner conformément à la politique au travail de l’employeur en réponse à la pandémie de COVID-19.

[29] La preuve non contestée obtenue de l’employeur ainsi que le témoignage de la prestataire à l’audience me permettent de tirer les conclusions supplémentaires suivantes :

  1. a) La prestataire a été mise au courant de la politique de vaccination obligatoire et a eu le temps de s’y conformer.
  2. b) Son refus de se conformer à la politique était délibéré et intentionnel. Son refus était donc volontaire.
  3. c) Elle savait que son refus de se faire vacciner après ne pas avoir obtenu une exemption approuvée pourrait entraîner sa suspension. Cela signifie qu’elle en a accepté les conséquences.
  4. d) Son refus de se conformer à la politique était la cause directe de sa suspension.

[30] L’employeur a le droit d’établir des politiques en matière de sécurité au travail. La prestataire avait le droit de refuser de se conformer à la politique.

[31] En choisissant de ne pas se faire vacciner après que son médecin de famille eut refusé de lui accorder une exemption médicale, elle a pris une décision personnelle qui a entraîné des conséquences prévisibles sur son emploi.

[32] Il est bien établi qu’une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’AENote de bas page 14. Mes constatations appuient également la conclusion selon laquelle le refus délibéré de la prestataire de se faire vacciner conformément à la politique, après ne pas avoir réussi à obtenir une exemption approuvée dans le délai prévu dans la politique, constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’AE.

[33] La réintégration de la prestataire 7,5 mois après sa suspension ne change rien au fait qu’elle savait qu’elle pourrait faire face à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement pour avoir refusé de fournir une preuve de vaccination et de se conformer à la politique au plus tard le 15 octobre 2021.

[34] La prestataire soutient que la politique de l’employeur a eu pour effet de l’obliger à choisir entre travailler et obtenir un vaccin qui aurait, selon elle, un effet négatif sur sa santé. Elle affirme que la politique ne respectait pas le droit canadien.

[35] Je ne tire aucune conclusion concernant la validité de la politique ou toute violation des droits de la prestataire. Elle est libre de présenter ces arguments devant les instances décisionnelles compétentes et de demander réparationNote de bas page 15. Aucun de ses arguments ne change le fait que la Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a été suspendue en raison d’une inconduite en vertu de la Loi sur l’AE.

[36] Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige no 3 : Le versement excédentaire

[37] À l’audience, la prestataire a déclaré que sa principale préoccupation était de rembourser le versement excédentaire de sa demande.

[38] Elle a dit ce qui suit dans son témoignage :

  • Elle a reçu trois semaines de prestations régulières d’assurance-emploi, puis les paiements ont cessé parce que la Commission a dit qu’elle n’était [traduction] « pas admissible » au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.
  • Mais la Commission a alors décidé de recommencer à la payer et lui a accordé une somme forfaitaire.
  • La Commission dit maintenant qu’elle doit rembourser tout ce qu’elle lui a versé, soit plus de 4 000 $Note de bas page 16.
  • Elle avait droit à des prestations d’assurance-emploi pendant son congé sans solde parce que l’employeur l’a [traduction] « forcée » à partir en congé.
  • Elle n’a jamais voulu arrêter de travailler. Elle était toujours disponible pour travailler. Mais l’employeur l’a renvoyée.
  • Ce sera très difficile pour elle de rembourser le versement excédentaire. C’est beaucoup d’argent pour elle.
  • Il est inapproprié que la Commission demande le remboursement parce qu’elle avait droit à des prestations d’assurance-emploi.

[39] Je reconnais les préoccupations de la prestataire au sujet de l’importante dette qu’elle doit maintenant rembourser. Je remarque que la Commission a tenté d’expliquer ce qui a causé le versement excédentaire et qu’elle s’est excusée de la façon dont sa demande a été traitéeNote de bas page 17.

[40] Je prends acte de la frustration de la prestataire à l’égard de la façon dont sa demande a été traitée. Mais je n’ai pas compétence pour défalquer le versement excédentaire.

[41] Il y a deux raisons à cela.

[42] Premièrement, selon la loi, toute décision visant à défalquer tout montant dû à la Commission est expressément exclue du processus de révisionNote de bas page 18. Étant donné que ma compétence se limite aux décisions qui ont été dûment révisées par la CommissionNote de bas page 19, la question du versement excédentaire de l’appelante n’est pas une question que je peux examiner dans le présent appel.

[43] Deuxièmement, je n’ai pas le pouvoir discrétionnaire d’annuler, de pardonner, de défalquer le versement excédentaire, même si les arguments de l’appelante peuvent être convaincants. La loi ne me permet tout simplement pas de dégager l’appelante de sa responsabilité à l’égard du versement excédentaireNote de bas page 20, et je ne peux ignorer la loi, même si l’issue semble injusteNote de bas page 21.

[44] Je profite toutefois de l’occasion pour fournir les renseignements suivants :

  1. a) La prestataire doit d’abord demander explicitement à la Commission de défalquer cette dette. Si la Commission refuse de le faire et que la prestataire souhaite en appeler officiellement du refus de la Commission de défalquer le versement excédentaire, elle doit s’adresser à la Cour fédérale du Canada, qui a la compétence exclusive sur cette questionNote de bas page 22.
  2. b) Si le remboursement du versement excédentaire cause des difficultés financières à la prestataire, elle peut communiquer avec le Centre d’appels de la gestion des créances de l’Agence du revenu du Canada et s’informer au sujet d’un plan de remboursement ou d’une demande d’allègement de sa detteNote de bas page 23.

Conclusion

[45] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite. Cela signifie qu’elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi pendant la période de suspension, à compter du 18 octobre 2021.

[46] L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.