Assurance-emploi (AE)

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Citation : NS  c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1281

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : N. S.
PReprésentante ou représentant : Jérémie Dhavernas
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (462325) datée du 19 avril 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Manon Sauvé
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 8 septembre 2022
Personne présentes à l’audience : L’appelante
Le représentant
Date de la décision : Le 12 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1448

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Par conséquent, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Depuis plusieurs années, la prestataire travaille pour le gouvernement du Canada. Le 12 novembre 2021, elle est suspendue pour ne pas avoir respecté la politique de vaccination de l’employeur.

[4] Le 18 novembre 2021, elle présente une demande pour recevoir des prestations d’assurance-emploi. La Commission refuse de lui verser des prestations d’assurance-emploi, parce qu’elle a pris volontairement un congé sans justification. En effet, elle avait d’autres solutions raisonnables que de prendre un congé sans solde. Elle aurait pu répondre aux demandes de son employeur.

[5] La prestataire n’est pas d’accord avec la Commission. Il ne s’agit pas d’un congé sans solde, mais d’une suspension pour inconduite. Elle soutient qu’elle n’a pas commis une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La demande de l’employeur n’était pas raisonnable.

[6] Pour la Commission, peu importe l’angle d’analyse, c’est la prestataire qui a choisi de se mettre en situation de chômage.

Question que je dois examiner en premier

[7] Les parties ont bénéficié d’un délai pour déposer des arguments supplémentaires. L’appelante avait jusqu’au 26 septembre 2022 pour répondre aux arguments supplémentaires de la Commission produits le 12 septembre 2022.

[8] Avant de procéder à l’analyse de la question en litige, je dois décider s’il s’agit d’une inconduite ou d’un congé sans justificationNote de bas de page 2.

[9] Je suis d’accord avec la prestataire qu’il faut analyser la situation sous l’angle de l’inconduite. Contrairement aux prétentions de la Commission, elle n’a pas pris un congé volontairement sans justification. 

[10] Peu importe les termes utilisés, ce sont les faits qui déterminent la nature des gestes. Ainsi, la prestataire a refusé de suivre la politique de vaccination de son employeur. La conséquence de ce refus est un « congé administratif » imposé par l’employeur. Autrement dit, la prestataire a été suspendue pour ne pas avoir respecté la politique de vaccination de son employeur. Il s’agit bel et bien d’une situation d’inconduite.

[11] Je vais donc analyser la cause de la prestataire sous l’angle de l’inconduite et déterminer si les gestes commis par la prestataire constituent une inconduite. D’ailleurs, la Commission a déposé, après l’audience, des arguments en ce sens.

Question en litige

[12] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite ?

Analyse

[13] Pour décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle été suspendue de son emploi ?

[14] Je retiens que la prestataire travaille pour le gouvernement du Canada. Au mois de mars 2020, l’employeur a mis en place des mesures pour que le personnel travaille à partir de leur domicile en raison de la pandémie de la COVID-19.

[15] La prestataire, comme ses collègues, assurait ses fonctions en télétravail dans le cadre d’un confinement décrété par le gouvernement. Elle a toujours respecté les règles sanitaires mises en place par les instances gouvernementales.

[16] Au mois d’août 2021, la demande de télétravail de la prestataire est acceptée par l’employeur pour la période du 23 août 2021 au 31 décembre 2022.

[17] Le 20 août 2021, la supérieure de la prestation informe le personnel que le gouvernement a l’intention d’exiger la vaccination dans l’ensemble de la fonction publique. La politique va s’appliquer à ceux et celles qui travaillent sur un lieu de travail, à distance de son lieu de travail et en mode hybride.

[18] Le 6 octobre 2021, le gouvernement du Canada a mis en œuvre la Politique de la vaccination contre la COVID-19 pour le personnel de l’administration centrale.

[19] Le 2 novembre 2021, la prestataire a reçu un courriel lui mentionnant qu’elle n’a pas donné les informations relatives à son statut vaccinal. Elle devait également suivre une formation sur le vaccin contre la COVID-19.

[20] Le 12 novembre 2021, elle est informée qu’elle va être placée en congé administratif pour ne pas avoir respecté la politique. Le gouvernement informe également les employés de l’assouplissement de certaines restrictions, dont la possibilité de travailler au bureau.

[21] Le 20 juin 2022, le gouvernement a suspendu sa politique de vaccination.

[22] Je retiens du témoignage de la prestataire qu’elle reconnait que la raison de sa suspension est de ne pas avoir respecté la politique de vaccination de son employeur.

La raison de la suspension de son emploi est-elle une inconduite selon la loi ?

[23] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 4. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupableNote de bas de page 5.

[24] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit suspendue pour cette raisonNote de bas de page 6.

[25] La Commission doit prouver que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 7.

[26] Comme je l’ai mentionné précédemment, la prestataire reconnait qu’elle n’a pas respecté la Politique vaccinale de son employeur en ne divulguant pas son statut vaccinal.

[27] Selon la Commission, le geste de la prestataire constitue de l’inconduiteNote de bas de page 8. Dans le présent cas, la prestataire reconnait ne pas s’être conformée à la demande de son employeur. Elle a été suspendue pour cette raison. Elle devait s’attendre ou aurait dû d’attendre à être suspendue.

[28] Pour sa part, la prestataire soutient qu’il ne s’agit pas d’une inconduite au sens de la Loi. Elle a plusieurs motifs à l’appui de son appel.

[29] La prestataire soutient que la politique vaccinale n’est pas raisonnable dans son cas. Ainsi, la prestataire est en télétravail depuis le début du mois de mars 2020. Elle a obtenu la permission de poursuivre en télétravail jusqu’au mois de décembre 2022. Elle n’a donc pas de contacts avec ses collègues ni avec l’administration ou le public. Elle est prête à se soumettre à des tests de dépistage.

[30] Toujours selon la prestataire, la politique de vaccination peut être jugée raisonnable dans un contexte général de pandémie, mais pas dans le cas de la prestataire. Il est pertinent de prendre en compte le fait qu’elle travaille à son domicile.

[31] L’employeur peut juger répréhensible le fait que la prestataire ne respecte pas sa politique, mais l’élément propre à l’inconduite n’est pas présent.

[32] Pour la prestataire, il faut examiner le comportement de l’employeur qui, dans ce cas-ci, est responsable de la conduite de la prestataire. En imposant sa politique de vaccination, qui n’est pas nécessaire dans la situation de la prestataire, il en résulte qu’elle n’a pas commis une inconduite. C’est l’employeur qui est responsable de sa situation, parce qu’il n’était pas raisonnable de lui imposer sa politique de vaccination, alors qu’elle travaille de son domicile.

[33] Afin d’y parvenir, la prestataire s’appuie sur la décision d’AstolfiNote de bas de page 9 qui a établi le principe ainsi que des décisions du Tribunal. Il importe de prendre en compte le comportement de l’employeur qui n’a pas voulu discuter d’accommodements possibles. Le fait de ne pas respecter une politique qui n’est pas adaptée à la situation de la prestataire n’est pas une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 10. Le fait pour la prestataire de ne pas respecter la politique de vaccination n’a pas d’incidence sur son travail. Elle peut accomplir ses tâches en télétravail.

[34] Également, la prestataire était prête à passer des tests de dépistage ou autres accommodements pour poursuivre son travail.

[35] Pour sa part, la Commission maintient que la prestataire a initié la suspension de son emploi en refusant de se conformer à la Politique de vaccination. C’est la cause directe de sa suspension.

[36] Après avoir étudié le dossier, entendu la prestataire et tenu compte des représentations des parties, je suis d’avis que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite.

[37] Je ne suis pas d’accord avec la prestataire que la décision Astolfi de la Cour fédérale a établi un principe. Dans cette affaire, la Cour reproche au Tribunal de ne pas avoir tenu compte du contexte. Rappelons brièvement les faits, l’employeur a été violent à l’endroit du prestataire. Ce dernier a refusé de revenir au travail, lorsque son employeur l’a exigé. L’employeur a congédié pour inconduite le prestataire. L’appelant reprochait au Tribunal de ne pas avoir tenu compte de la situation de harcèlement dont il était victime.

[38] Premièrement, je distingue cette décision de la présente affaire. En effet, la politique de vaccination a été mise en œuvre pour l’ensemble des employés de la fonction publique fédérale. La prestataire n’a pas été traitée différemment des autres employés. Les mesures prises par l’employeur s’appliquent à tout le personnelNote de bas de page 11. On me demande de faire indirectement ce que je n’ai pas à faire, lorsque je dois décider si le geste qu’on reproche à la prestataire constitue de l’inconduite.

[39] En effet, la prestataire soutient qu’il y avait d’autres possibilités pour l’employeur ; par exemple la possibilité de passer des tests pour savoir si elle a contracté le virus ou non.

[40] Si je tenais compte de cette possibilité, je serai en train de déterminer si la mesure était raisonnable ou non. Ce n’est pas mon rôle. Et je me permets d’ajouter que la prestataire a déclaré lors de l’audience qu’elle aurait fourni les résultats de ses tests à son employeur, bien qu’il s’agit d’une information médicale.

[41] Elle prétend qu’elle a le droit de refuser de remettre son attestation relative à son statut vaccinal, parce qu’il s’agit d’une information médicale. Je constate que le consentement de la prestataire à transmettre des informations médicales est à géométrie variable. De toute façon, ce n’est pas au Tribunal de décider si la prestataire pouvait refuser de transmettre des renseignements médicaux à son employeur, il existe des instances pour décider de cette question. 

[42] Deuxièmement, la décision Astolfi n’a pas établi un principe. Il s’agit d’une décision rendue selon une situation qui était propre à l’appelant. Le principe étant que le rôle du Tribunal n’est pas de déterminer si une politique est raisonnable ou si une suspension ou un congédiement est justifiéNote de bas de page 12. En fait, dans cette décision, la Cour a décidé qu’il fallait examiner l’allégation de harcèlement pour décider si la conduite était intentionnelle ou non.

[43] Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a décidé à plusieurs reprises que le Tribunal n’a pas pour rôle de déterminer si le comportement de l’employeur est raisonnable ou justifiéNote de bas de page 13.

[44] Dans cette perspective, le Canada, comme plusieurs pays, était en situation de pandémie de la COVID-19. Le gouvernement du Canada a adopté différentes mesures pour contrer cette pandémie. Il a mis en œuvre une politique de vaccination qui s’applique à tout le personnel. Il a traité l’ensemble de ses employés de la même façon.

[45] La prestataire a décidé de ne pas respecter les politiques de vaccination. Elle savait qu’elle serait suspendue pour ne pas se conformer à la politique.

[46] Prétendre qu’elle pouvait s’acquitter de ses tâches, malgré son refus de transmettre son statut vaccinal à l’employeur ne me convainc pas qu’il ne s’agit pas d’une inconduite. Et qu’elle n’avait pas l’intention de nuire à son employeur, mais elle ne voulait pas se soumettre à une politique qu’elle juge déraisonnable non plus.

[47] En effet, il n’est pas question d’une intention coupable, mais d’un geste volontaire et délibéréNote de bas de page 14. Concernant le lien de causalité, il faut que le geste cause la perte de l’emploiNote de bas de page 15. C’est le cas de la prestataire : elle a été suspendue pour ne pas avoir respecté la politique de vaccination de l’employeur.

[48] De plus, c’est à mon avis, encore une fois, de me demander de faire indirectement ce que je n’ai pas à faire directement : déterminer si la politique est raisonnable ou non dans le cas de la prestataire. Il est vrai qu’il faut examiner la cause du défaut de respecter les conditions de l’emploiNote de bas de page 16.

[49] Dans le cas de la prestataire, c’est parce qu’elle est en désaccord avec la politique de vaccination. Elle a le droit, mais elle savait qu’elle serait suspendue en ne la respectant pas. Mon rôle n’est pas de décider s’il était déraisonnable de la part de l’employeur de mettre en œuvre une politique de vaccination qui s’applique à tous les employés fédéraux. Ni de décider s’il devait faire une sélection dans son personnel ni s’il devait permettre des mesures d’accommodements. Il existe des recours et des instances pour décider de ces questions.

[50] Dans le cadre de la Loi sur l’assurance-emploi, qui vise à verser des prestations à des assurés qui n’ont pas délibérément perdu leur emploi ou été suspendus, je dois décider si la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite. En fait, est-ce que la Commission a démontré, selon la prépondérance des probabilités, si elle a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite ?

[51] J’ai conclu qu’effectivement la Commission avait démontré selon la prépondérance des probabilités que la prestataire ait été suspendue en raison de son inconduite. Elle connaissait la politique de l’employeur, elle savait qu’elle serait suspendue pour ce geste. Elle n’a pas été suspendue en raison de ses croyances ou convictions ou ses opinions, mais bien parce qu’elle n’a pas respecté la politique de l’employeur ce qui, dans les circonstances, constitue le lien de causalité.

[52] Dans l’arrêt NelsonNote de bas de page 17, la Cour d’appel fédéral réitérait qu’il faut appliquer une appréciation objective comme l’exige la Loi. En effet, «  il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié  ». Et j’estime que l’inconduite peut prendre différentes formes dont le non-respect d’une politique de vaccination qui est une condition essentielle au maintien en emploiNote de bas de page 18.

Alors, la prestataire a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite ?

[53] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[54] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[55] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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