Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c CL, 2022 TSS 1246

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Angèle Fricker
Partie intimée : C. L.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 1er août 2022 (GE-22-946)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 3 novembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Date de la décision : Le 10 novembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-504

Sur cette page

Décision

[1] L’appel de la Commission est accueilli en ce qui concerne la disponibilité.

[2] Toutefois, je renvoie le dossier à la division générale pour qu’elle regarde si la Commission avait le pouvoir de décider de façon rétroactive que la prestataire était inadmissible et, si c’est le cas, pour qu’elle vérifie si la Commission devait agir et a effectivement agi de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réviser la demande de prestations.

Aperçu

[3] L’intimée (prestataire) ne pouvait pas travailler pour des raisons de santé. L’appelante (Commission) a décidé que, sans cela, la prestataire n’aurait tout de même pas été disponible pour travailler parce qu’elle étudiait à temps plein. La Commission a donc décidé que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations de maladie de l’assurance-emploi. Après avoir révisé le dossier, la Commission a maintenu sa décision initiale. La prestataire a porté la décision de révision en appel à la division générale.

[4] La division générale a décidé que la prestataire voulait retourner au travail, qu’elle avait fait assez d’efforts pour trouver un emploi et qu’elle n’avait pas établi de conditions personnelles qui auraient limité indûment ses chances de reprendre le travail pendant qu’elle suivait un programme de formation à temps plein. La division générale a conclu que si la prestataire n’avait pas été malade, elle aurait été disponible pour travailler au sens de la loi.

[5] La division d’appel a donné à la Commission la permission de faire appel de la décision de la division générale. La Commission soutient que la division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que si la prestataire n’avait pas été malade, elle aurait été disponible pour travailler.

[6] Je dois décider si la division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que si la prestataire n’avait pas été malade, elle aurait été disponible pour travailler.

[7] J’accueille l’appel de la Commission sur la question de la disponibilité. Toutefois, je renvoie le dossier à la division générale pour qu’elle regarde si la Commission avait le pouvoir de décider de façon rétroactive que la prestataire était inadmissible et, si c’est le cas, pour qu’elle vérifie si la Commission devait agir et a effectivement agi de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réviser la demande de prestations.

Question en litige

[8] La division générale a-t-elle fait une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que si la prestataire n’avait pas été malade, elle aurait été disponible pour travailler, et ce, même si elle étudiait à temps plein?

Analyse

Le mandat de la division d’appel

[9] La Cour d’appel fédérale a établi que, lorsque la division d’appel instruit des appels par application de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, le mandat de la division d’appel lui est conféré par les articles 55 à 69 de la LoiNote de bas de page 1.

[10] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel pour les décisions rendues par la division générale. Elle n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui exercé par une cour supérieureNote de bas de page 2.

[11] Par conséquent, à moins que la division générale ait omis d’observer un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je n’ai d’autre choix que de rejeter l’appel.

La division générale a-t-elle fait une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que si la prestataire n’avait pas été malade, elle aurait été disponible pour travailler, et ce, même si elle étudiait à temps plein?

[12] Pour être admissible aux prestations, la personne qui demande des prestations de maladie doit établir qu’elle est incapable de travailler et que, si ce n’était de la maladie, elle serait disponible pour travailler.

[13] Pour qu’on la considère comme disponible pour le travail, la personne doit démontrer qu’elle est capable de travailler, disponible pour travailler et incapable d’obtenir un emploi convenable.

[14] On établit la disponibilité par l’analyse de trois éléments :

  1. 1) le désir de retourner sur le marché du travail dès qu’un emploi convenable est offert;
  2. 2) l’expression de ce désir par des efforts pour trouver un emploi convenable;
  3. 3) le non-établissement de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de retour sur le marché du travailNote de bas de page 3.

[15] De plus, la disponibilité est établie pour chaque jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel la personne peut prouver qu’elle était capable de travailler, disponible pour travailler et incapable d’obtenir un emploi convenableNote de bas de page 4.

[16] Pour l’application de l’article 18 de la Loi sur l’assurance-emploi, chaque jour de la semaine est un jour ouvrable sauf le samedi et le dimancheNote de bas de page 5.

[17] Dans la présente affaire, la principale question en litige est la façon dont la division générale a interprété le troisième élément du critère établi par la décision Faucher, à savoir le non-établissement de conditions personnelles qui pourraient limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.

[18] Les décisions que la division d’appel a rendues récemment sur cette question ne sont pas unanimes. Dans la décision JD, elle a confirmé que la prestataire, qui a exprimé l’intention de chercher seulement un emploi à temps partiel qui n’entrait pas en conflit avec ses études à temps plein et posait les mêmes contraintes qu’avant sa perte d’emploi, n’a pas limité indûment ses chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 6.

[19] Dans l’affaire RJ, une autre affaire récente, la division d’appel a conclu que le fait de limiter sa disponibilité à certaines heures de certains jours revenait à établir des conditions personnelles pouvant limiter à tort les chances de retour sur le marché du travailNote de bas de page 7.

[20] La question de la disponibilité des prestataires pendant leurs études à temps plein a fait l’objet de nombreuses décisions au fil des ans.

[21] Le principe suivant est ressorti de la jurisprudence des juges-arbitres qui rendaient de telles décisions auparavant :

  • La démonstration de la disponibilité doit viser les heures normales de travail pour chaque jour ouvrable et la disponibilité ne peut pas se limiter à des heures irrégulières à cause d’un horaire de cours qui restreint considérablement le temps libreNote de bas de page 8.

[22] La Cour d’appel fédérale a aussi rendu plusieurs décisions concernant la disponibilité de prestataires qui suivaient une formation à temps plein.

[23] Dans l’affaire Bertrand, la Cour a affirmé qu’être disponible pour le travail seulement de 16 h à minuit, ce n’est pas être disponible au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 9.

[24] Dans l’affaire Vézina, la Cour a suivi la décision Bertrand. Elle a conclu que l’intention du prestataire de travailler les soirs et la fin de semaine démontrait un manque de disponibilité pour le travail au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 10.

[25] Dans l’affaire Rideout, la Cour a conclu que le fait que le prestataire était disponible pour travailler seulement deux jours par semaine et la fin de semaine limitait sa disponibilité pour un travail à temps pleinNote de bas de page 11.

[26] Dans les affaires Primard et Gauthier, la Cour a souligné qu’un jour ouvrable excluait la fin de semaine aux termes du Règlement sur l’assurance-emploi et elle a conclu que la limitation de la disponibilité pour le travail aux soirs et à la fin de semaine constitue une condition personnelle pouvant limiter indûment les chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 12.

[27] Dans l’affaire Duquet, la Cour a appliqué les éléments énoncés dans la décision Faucher et elle a jugé que le fait d’être disponible seulement à certaines heures de certains jours limitait la disponibilité du prestataire ainsi que ses chances de trouver un emploi.

[28] Je tire les principes suivants de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale :

  1. 1- Les prestataires doivent être disponibles pendant les heures normales de travail pour chaque jour ouvrable durant la semaine.
  2. 2- Le fait de restreindre la disponibilité à certaines heures de certains jours de la semaine, y compris les soirs et la fin de semaine, équivaut à limiter la disponibilité pour le travail à temps plein et établit une condition personnelle pouvant limiter indûment les chances de retourner sur le marché du travail.

[29] Compte tenu de ces principes et avec tout le respect que je dois à la division d’appel, je ne peux pas suivre sa décision dans l’affaire JD. Premièrement, la décision ne précise pas quels jours de la semaine la prestataire est disponible pour travailler. Deuxièmement, la division d’appel n’explique pas pourquoi elle a choisi de ne pas suivre la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale sur la disponibilité des prestataires qui suivent des cours de formation à temps plein.

[30] La prestataire insiste sur le fait que ses études n’étaient pas une condition personnelle pouvant limiter indûment ses chances de retourner au travail parce que cela faisait très longtemps qu’elle travaillait à temps plein selon un horaire irrégulier (après-midi, soir et fin de semaine) en même temps que ses études. Elle maintient que c’est son problème de santé qui l’empêchait de travailler.

[31] Je reconnais que les prestataires peuvent faire établir une période de prestations à leur profit sur la base d’un travail à temps partiel effectué en dehors de leur horaire de cours. Toutefois, pour qu’on les considère comme disponibles pour le travail au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, les prestataires ne peuvent pas établir de conditions personnelles qui pourraient limiter indûment leurs chances de retourner sur le marché du travail durant la période de prestations. Chercher du travail à effectuer en dehors des heures de classe est une condition personnelle qui peut limiter indûment les chances de réintégrer le marché du travail.

[32] La preuve démontre que la prestataire était une étudiante à temps plein inscrite dans un programme à temps plein et qu’elle était disponible pour travailler seulement en dehors de ses heures de classe, soit l’après-midi, le soir et la fin de semaine. Elle ne voulait pas abandonner ses cours pour accepter un emploi à temps plein. Ces deux conditions limitaient les chances qu’elle retourne travailler pendant les heures normales de travail du lundi au vendredi.

[33] Je suis d’avis que la division générale a fait une erreur de droit en ignorant la jurisprudence obligatoire de la Cour d’appel fédérale et en adoptant une mauvaise interprétation du troisième élément du critère de disponibilité énoncé dans la décision Faucher, c’est-à-dire le non-établissement de conditions personnelles qui pourraient limiter indûment la disponibilité des prestataires pour le travail.

[34] En conséquence, mon intervention est justifiée.

Réparation

[35] Comme les deux parties ont eu l’occasion de présenter à la division générale leurs arguments sur la question de la disponibilité, je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[36] La preuve montre que la prestataire était étudiante à temps plein au Collège Centennial. Elle était disponible pour travailler seulement en dehors de son horaire de cours, c’est-à-dire l’après-midi, le soir et la fin de semaine. Elle ne voulait pas abandonner ses cours pour accepter un emploi à temps plein. Ces deux conditions l’ont empêchée de trouver du travail pendant les heures normales de travail du lundi au vendredi.

[37] Si j’applique la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, je conclus que, si elle n’avait pas été malade, la prestataire n’était tout de même pas disponible et elle était incapable de trouver un emploi convenable pour chaque jour ouvrable de sa période de prestations, car les exigences du programme qu’elle suivait au Collège Centennial limitaient indûment sa disponibilité.

[38] Pour les raisons mentionnées plus haut, j’accueille l’appel de la Commission sur la question de la disponibilité.

[39] Cependant, tout au long de l’appel, la prestataire a soulevé la question de savoir si la Commission pouvait réviser sa demande, car elle avait en toute bonne foi dit la vérité sur sa situation scolaire à plusieurs personnes de la Commission après avoir présenté sa demande et rempli ses déclarations toutes les deux semaines.

[40] Compte tenu de sa conclusion sur la question de la disponibilité, la division générale n’a pas vérifié si la Commission pouvait décider de façon rétroactive que la prestataire était inadmissible et, si c’est bien le cas, si la Commission devait agir et avait effectivement agi de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réviser la demande de prestations de la prestataire.

[41] En conséquence, je juge qu’il convient de renvoyer le dossier à la division générale pour qu’elle puisse trancher cette question.

Conclusion

[42] J’accueille l’appel de la Commission sur la question de la disponibilité.

[43] Le dossier est renvoyé à la division générale pour qu’elle décide si la Commission avait le pouvoir de déclarer la prestataire inadmissible de façon rétroactive et, si oui, pour qu’elle vérifie si la Commission devait agir et a effectivement agi de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réviser la demande de prestations.

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