Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : SV c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1250

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission d’en appeler

Demanderesse : S. V.
Représentant : James S. M. Kitchen
Défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 12 septembre 2022 (GE-22-1628)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 14 novembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-740

Sur cette page

Décision

[1] La demande de permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été mise en congé sans solde parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur (politique). Elle a ensuite présenté une demande de prestations régulières d’assurance‑emploi.

[3] La défenderesse (Commission) a jugé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi la Commission a décidé que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi. Après révision, la Commission a maintenu sa décision initiale. La prestataire a interjeté appel de la décision en révision auprès de la division générale.

[4] La division générale a conclu que l’employeur avait mis la prestataire en congé sans solde parce qu’elle ne s’était pas conformée à sa politique. Elle a jugé que la prestataire avait été suspendue à la suite de son refus de se conformer à la politique de l’employeur. Elle a conclu que la prestataire savait que l’employeur la suspendrait vraisemblablement dans ces circonstances. La division générale a conclu que le non‑respect de la politique était la cause de sa suspension. Elle a conclu que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[5] La prestataire demande la permission d’en appeler de la décision de la division générale auprès de la division d’appel. La prestataire soutient que la division générale a commis à la fois des erreurs de droit et de compétence lorsqu’elle a conclu qu’elle avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur susceptible de révision de la part de la division générale, sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[7] Je refuse la permission d’en appeler parce que l’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève‑t‑elle une erreur susceptible de révision de la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énonce les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Les erreurs susceptibles de révision sont les suivantes :

  1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[10] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audition sur le fond de l’affaire. Il s’agit d’un premier obstacle que la prestataire doit franchir, mais le fardeau est ici inférieur à celui dont elle devra s’acquitter à l’audience relative à l’appel sur le fond. À l’étape de la permission d’en appeler, la prestataire n’a pas à prouver le bien‑fondé de ses prétentions, elle doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès compte tenu d’une erreur susceptible de révision. En d’autres termes, elle doit établir que l’on peut soutenir qu’il existe une erreur susceptible de révision sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[11] Par conséquent, avant que je puisse accorder la permission d’interjeter appel, je dois être convaincu que les motifs d’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés précédemment et qu’au moins l’un des motifs a une chance raisonnable de succès.

Le prestataire soulève‑t‑il une erreur susceptible de révision de la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli ?

[12] La prestataire soutient que la division générale a commis à la fois des erreurs de droit et de compétence lorsqu’elle a conclu qu’elle avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[13] Plus précisément, la prestataire soumet ce qui suit :

  • La division générale a tiré une conclusion d’inconduite même si l’employeur de la prestataire ne l’a pas congédiée ou n’a pas pris toute autre mesure disciplinaire contre elle.
  • L’employeur n’a pas considéré que le « choix » de la prestataire de refuser les vaccins contre la COVID-19 justifiait une mesure disciplinaire et ne l’a pas « suspendue » pour faire respecter sa nouvelle exigence sous forme de mesure disciplinaire, mais l’a plutôt placée en congé administratif à durée indéterminée jusqu’à ce que les circonstances changent.
  • Le simple spectre du congédiement dans une déclaration contenue dans une politique qui n’est pas mentionnée ou invoquée par l’employeur pour traiter avec un employé ne suffit pas – il ne s’agit pas d’une « possibilité réelle » de congédiement.
  • Refuser de recevoir le vaccin contre la COVID-19 n’est pas objectivementun comportement incompatible avec le maintien d’un lien d’emploi. Si c’était le cas, l’employeur de la prestataire aurait imposé des mesures disciplinaires à la prestataire et aurait fini par la congédier.
  • Il n’est pas de la compétence de la division générale de décider si un « congé non payé » imposé par l’employeur à un employé est de nature administrative ou disciplinaire. Il appartient à un juge ou à un arbitre du travail d’en décider.
  • La membre de la division générale s’est engagée dans une prise de décisions axée sur les résultats à partir de ses « convictions personnelles » selon lesquelles un mandat de vaccination de l’effectif contre la COVID-19 est une bonne politique et selon lesquelles la prestataire méritait de faire l’objet de mesures disciplinaires pour ne pas s’être fait vacciner contre la COVID-19.

[14] La division générale devait décider si la prestataire avait été suspendue en raison de son inconduite.

[15] La notion d’inconduite n’implique pas qu’il soit nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer de l’inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[16] Le rôle de la division générale ne consiste pas à juger de la sévérité de la sanction infligée par l’employeur ou d’établir si l’employeur a été coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée, mais bien de décider si la prestataire s’était rendue coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspensionNote de bas de page 1.

[17] La preuve démontre que la prestataire a été suspendue (empêchée de travailler) parce qu’elle a refusé de suivre la politique de l’employeur. Elle avait été informée de la politique de l’employeur et avait eu du temps pour s’y conformer. La prestataire a refusé intentionnellement; ce refus était volontaire. Il s’agissait de la cause directe de sa suspension. La division générale a conclu que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner sa suspension.

[18] La division générale a conclu à partir de la preuve prépondérante que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[19] Il est bien établi que le non‑respect délibéré de la politique de l’employeur est considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 2.

[20] La prestataire soutient qu’il n’est pas de la compétence de la division générale de décider si un « congé non payé » imposé par l’employeur à un employé est de nature administrative ou disciplinaire. Elle soutient qu’il appartient à un juge ou à un arbitre du travail d’en décider.

[21] La prestataire soutient en outre que la division générale a tiré une conclusion d’inconduite même si l’employeur de la prestataire ne l’a pas congédiée ou n’a pas pris d’autre mesure disciplinaire contre elle. Elle soutient que l’employeur n’a pas considéré que le « choix » de la prestataire de refuser les vaccins contre la COVID-19 justifiait une mesure disciplinaire et ne l’a pas « suspendue » pour faire respecter sa nouvelle exigence sous forme de mesure disciplinaire, mais l’a plutôt placée en congé administratif à durée indéterminée jusqu’à ce que les circonstances changent.

[22] Je ne vois aucune erreur susceptible de révision parce qu’il incombait à la division générale de vérifier et d’interpréter les faits de la présente affaire et de faire sa propre évaluation de la question de l’inconduite en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi. Les motifs invoqués par un employeur ne lient aucunement la division généraleNote de bas de page 3. De plus, il n’était pas nécessaire que la division générale décide si le « congé non payé » imposé par l’employeur à un employé était de nature administrative ou disciplinaire. La procédure disciplinaire d’un employeur n’est pas pertinente pour décider de l’inconduite en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 4.

[23] La prestataire soutient que le simple spectre du congédiement dans une déclaration contenue dans une politique qui n’est pas mentionnée ou invoquée par l’employeur pour traiter avec un employé ne suffit pas – il ne s’agit pas d’une « possibilité réelle » de congédiement.

[24] Je note que la prestataire a témoigné devant la division générale qu’elle savait qu’elle pourrait être mise en congé sans solde et éventuellement perdre son emploi si elle ne recevait pas le vaccin et n’avait pas d’exemption. Ce moyen d’appel n’a donc pas de chance raisonnable de succès.

[25] Comme je l’ai mentionné précédemment, la question soumise à la division générale n’était pas de savoir si l’employeur s’était rendu coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que la suspension serait injustifiée, mais de savoir si la prestataire était coupable d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi et si cette inconduite a entraîné la suspension de la prestataire.

[26] La preuve prépondérante dont dispose la division générale montre que la prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas se conformer à la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, ce qui a entraîné sa suspension et son congédiement.

[27] Selon moi, la division générale n’a commis aucune erreur susceptible de révision lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite selon les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 5.

[28] Je suis tout à fait conscient que la prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établieNote de bas de page 6. Cela ne change rien au fait que, conformément à la Loi sur l’assurance‑emploi, la Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire ait été suspendue en raison de son inconduite.

[29] La prestataire soutient en outre que la membre de la division générale s’est engagée dans une prise de décisions axée sur les résultats à partir de ses « convictions personnelles » selon lesquelles un mandat de vaccination de l’effectif contre la COVID-19 est une bonne politique et selon lesquelles la prestataire méritait de faire l’objet de mesures disciplinaires pour ne pas s’être fait vacciner contre la COVID-19.

[30] Une allégation de partialité, surtout réelle et non simplement appréhendée, contre un tribunal est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Une telle allégation ne peut être formulée à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressions de la demanderesse ou de son avocat. Elle doit être appuyée par des preuves matérielles démontrant un comportement dérogatoire à la norme. Il est souvent utile, et même nécessaire, de recourir à des preuves extrinsèques à l’affaireNote de bas de page 7.

[31] La prestataire fonde son allégation de partialité sur les paragraphes 16 et 49 de la décision de la division générale et sur les références répétées de la membre de la division générale aux commentaires que la prestataire a formulés à divers moments dans le temps, mais qui ne faisaient pas partie des observations de son avocat à l’audienceNote de bas de page 8.

[32] Je note que le représentant de la prestataire soutenait que l’employeur de la prestataire l’a placée en congé administratif, ce qui n’est pas une mesure disciplinaire. À l’appui de cette position, il invoquait une décision de la Cour suprême du Canada (CSC)Note de bas de page 9. Dans ce cas, l’employeur a imposé une suspension administrative à l’employé. Il l’a fait pour protéger ses intérêts commerciaux en attendant l’issue d’accusations criminelles contre son employé non liées à l’employeur.

[33] Au paragraphe 16 de sa décision, la membre de la division générale a décidé que, dans le cas de la prestataire, son employeur lui a demandé de faire quelque chose qu’elle a refusé de faire. Pour cette raison, l’employeur a mis la prestataire en congé sans solde. Elle a conclu que la décision de la CSC ne s’appliquait pas à la situation de la prestataire.

[34] Au paragraphe 49, la membre de la division générale a jugé raisonnable que l’employeur mette en œuvre une politique conforme à la directive des autorités sanitaires provinciales « pour protéger la santé et la sécurité de son personnel et de ses patients ».

[35] En ce qui concerne les paragraphes 40, 42 et 49 de sa décision, la membre fait référence au témoignage de la prestataire pour établir qu’elle n’était pas d’accord avec la politique de l’employeur et qu’elle aurait souhaité que l’employeur l’autorise à passer des tests antigéniques rapides.

[36] Je ne vois aucune erreur commise par la membre de la division générale lorsqu’elle fait référence dans sa décision à la preuve orale présentée par la prestataire pendant l’audience. Les observations de l’avocat ne peuvent empêcher la membre de la division générale d’examiner dans sa décision la preuve qui lui a été présentée.

[37] Je ne vois aucune preuve à l’appui d’une conclusion selon laquelle la membre a pris une décision axée sur les résultats sur la base de ses « convictions personnelles ».

[38] Je suis d’avis qu’aucune preuve importante ne démontre la conduite de la membre de la division générale qui déroge à la norme. Je dois répéter qu’une telle allégation ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’une prestataire.

[39] Dans sa demande de permission d’en appeler, la prestataire n’a soulevé aucune erreur susceptible de révision, comme la compétence ou le défaut de la division générale d’observer un principe de justice naturelle. Elle n’a relevé aucune erreur de droit ni aucune conclusion de fait erronée que la division générale aurait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance en rendant sa décision sur la question de l’inconduite.

[40] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments de la prestataire à l’appui de sa demande de permission d’en appeler, je conclus que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Conclusion

[41] La demande de permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.