Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : FI c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1200

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelant : F. I.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (0) datée du 22 août 2022 (communiquée par Service Canada))

Membre du Tribunal : Mark Leonard
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 1er novembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 21 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2842

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant (le prestataire) a démontré qu’il a droit à des prestations d’assurance‑emploi. La décision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada de déclarer le prestataire inadmissible du 7 décembre 2020 au 22 juillet 2021 parce qu’il n’a pas démontré qu’il avait retardé la présentation de son relevé d’emploi (RE) pour un motif valable n’est pas justifiée.

Aperçu

[3] Le prestataire a présenté une première demande de prestations d’assurance‑emploi le 11 décembre 2020. La Commission a établi sa demande comme prenant effet le 6 décembre 2020.

[4] La Commission n’a reçu le RE du prestataire que le 22 juillet 2021. Le RE est un élément d’information essentiel que la Commission utilise pour déterminer si un demandeur est admissible à des prestations d’assurance‑emploi. Elle a exclu le prestataire du bénéfice des prestations du 7 décembre 2020 au 22 juillet 2021 parce qu’elle a décidé que le prestataire avait retardé la présentation de son RE sans motif valable.

[5] Habituellement, s’il y a un retard dans la présentation d’une demande initiale, la production de déclarations bimensuelles ou la présentation des renseignements requis, le prestataire doit démontrer un motif valable ou, en d’autres termes, fournir à l’égard du retard une explication raisonnable que la Commission juge acceptable.

[6] Le prestataire soutient qu’il a fait tout ce qu’il était tenu de faire et croit qu’il devrait recevoir des prestations.

[7] Je dois décider si la décision de la Commission d’exclure le prestataire du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi parce qu’il avait un motif valable de retarder la présentation de son RE est justifiée.

Question en litige

[8] Le prestataire est‑il inadmissible à des prestations d’assurance‑emploi parce qu’il a présenté tardivement son RE sans motif valable?

Analyse

[9] La Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) contient plusieurs dispositions sur la procédure de demande qu’un prestataire doit suivre pour avoir droit à des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 1.

[10] La Commission ne peut établir une période de prestations à moins que le prestataire ne fournisse les renseignements requis expliquant sa situation d’emploi, la façon dont il en est venu à subir un arrêt de rémunération et tout autre renseignement que la Commission peut exiger.

[11] Pour avoir droit à des prestations d’assurance‑emploi pour une semaine de chômage, le prestataire doit prouver qu’il remplit les conditions requises et qu’il n’existe aucune circonstance ou condition ayant pour effet de l’exclure du bénéfice des prestations ou de le rendre inadmissible à celui‑ciNote de bas de page 2.

[12] Tout prestataire qui ne remplit pas une condition ou ne satisfait pas à une exigence prévue à la Loi sur l’AE n’est pas admissible au bénéfice des prestations tant qu’il n’a pas rempli cette condition ou satisfait à cette exigenceNote de bas de page 3.

Contexte

[13] Le prestataire a présenté une demande initiale de prestations d’assurance‑emploi le 12 novembre 2020. La Commission a établi que la demande prenait effet le 6 décembre 2020.

[14] La Commission a conclu que le prestataire a retardé la présentation de son RE jusqu’au 22 juillet 2021 et qu’il n’a fourni, pour justifier ce retard, aucune raison qu’elle estimait valable. Elle a exclu le prestataire du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[15] À l’appui de sa décision, elle soutient que le prestataire :

  • était tenu par la Loi sur l’AE de soumettre son RE ou de s’assurer qu’il soit soumis;
  • a mentionné dans sa demande de prestations d’assurance‑emploi qu’il [traduction] « […] a demandé ou demandera le relevé d’emploi à mon employeur pour le présenter rapidement »;
  • n’a demandé son RE que deux semaines avant sa présentation en juillet 2021;
  • a dit à la Commission qu’il n’avait pas demandé un RE plus tôt à son employeur parce qu’il ne croyait pas avoir besoin de prestations à ce moment‑là;
  • n’a fait aucun effort avant le 22 juillet 2021 pour vérifier les droits que lui accorde la Loi sur l’AE ainsi que les obligations dont il doit s’acquitter en application de celle‑ci pour recevoir des prestations d’assurance‑emploi;
  • n’a pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation pour vérifier ses droits et ses obligations en application de la Loi sur l’AE;
  • n’a pas de motif valable de retarder la présentation de son RE.

[16] Habituellement, pour être admissibles à des prestations d’assurance‑emploi, les prestataires doivent fournir tous les renseignements que la Commission juge nécessaires avant d’approuver la demande. La Commission soutient que cela inclut le RE du prestataire.

Qui a l’obligation de fournir un relevé d’emploi à la Commission?

[17] Je conclus que l’employeur du prestataire a l’obligation de fournir le RE à la Commission dans le format prescrit et dans les délais visés au Règlement sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 4.

[18] La Commission soutient que le prestataire doit avoir un motif valable de retarder la présentation de son RE. Elle s’appuie sur les articles 48, 49 et 50 de la Loi sur l’AE, selon lesquels il doit soumettre tous les renseignements requis, y compris son RE, et le défaut de le faire est une raison de refuser des prestations d’assurance‑emploi.

[19] En fait, la Loi sur l’AE n’exige pas que le prestataire envoie son RE à la Commission. Cette responsabilité incombe à l’employeur.

[20] La Loi sur l’AE précise qu’aucune période de prestations ne sera établie à moins que la personne ait présenté une demande initiale et, à titre de prestataire, ait fourni tous les renseignements concernant la raison de tout arrêt de rémunérationNote de bas de page 5.

[21] La Commission s’appuie sur cette disposition pour appuyer l’idée qu’il revient au prestataire de fournir le RE. Toutefois, la Loi sur l’AE précise à l’article 48(1) que la demande initiale doit être présentée conformément à l’article 50 et aux « règlements ».

[22] Le Règlement sur l’assurance‑emploi (Règlement sur l’AE) prescrit que l’employeur établit un relevé d’emploi, sur le formulaire fourni par la Commission, lorsque la personne qui exerce un emploi assurable à son service subit un arrêt de rémunérationNote de bas de page 6. Le Règlement précise également la façon dont l’employeur distribue les exemplaires et fixe le délai pour le faireNote de bas de page 7.

[23] Il précise que l’« employeur » envoie le RE à la « Commission » le premier jour de l’arrêt de rémunération. De toute évidence, le Règlement sur l’AE formule une demande en des termes plus explicites pour ce qui est de savoir à qui incombe la tâche de créer et de distribuer un RE.

[24] Je me trouve également guidé par une décision antérieure dans laquelle le juge‑arbitre a confirmé que le Règlement sur l’AE n’exige pas qu’un prestataire fournisse son relevé d’emploi à la Commission et qu’il ne peut être pénalisé pour ne pas l’avoir faitNote de bas de page 8.

[25] Lorsque le prestataire s’est fait dire qu’il n’y avait plus de travail pour lui à l’endroit où il travaillait, il a fait ce qu’on lui a demandé. Il a remis les biens de l’entreprise qu’il avait en sa possession. On lui a dit que l’on s’occuperait de tout le reste. Il a accepté ce qu’on lui a dit et il n’avait aucune raison de douter que cela comprendrait la responsabilité de l’employeur de transmettre son RE à la Commission. Lorsque son employeur lui a dit qu’il n’y avait plus de travail pour lui (un arrêt de rémunération), il est devenu la responsabilité de l’employeur de remplir et d’envoyer le RE du prestataire à la Commission. Comme le prestataire n’assume pas cette obligation, il n’a pas à démontrer un motif valable justifiant le retard.

[26] Même si j’acceptais la prémisse selon laquelle le prestataire devait quand même s’enquérir plus rapidement de la raison pour laquelle sa demande posait problème, je conclurais qu’il a un motif valable justifiant le retard.

Le prestataire avait-il un motif valable justifiant son retard?

[27] Je conclus que le prestataire a démontré qu’il a retardé le moment de faire le suivi auprès de son employeur au sujet de son RE pour un motif valable, même si le Règlement sur l’AE prescrit qu’il n’est pas celui qui doit le soumettre à la Commission.

[28] Le prestataire a travaillé comme manœuvre occasionnel pour trois agences de placement entre septembre 2019 et octobre 2020.

[29] Le prestataire a témoigné que, lorsque son dernier contrat a pris fin, il a demandé à l’employeur s’il avait quelque chose à faire. On lui a dit qu’il n’avait qu’à remettre les biens de l’entreprise et que l’on s’occuperait de tout le reste.

[30] Il a présenté sa demande initiale de prestations d’assurance‑emploi. Il affirme ne pas avoir reçu de code d’accès pour accéder à son compte. Il dit qu’il a tenté de communiquer avec Service Canada au téléphone, mais qu’il a eu de la difficulté à parler à quelqu’un. Il a également déclaré dans son témoignage qu’il s’est présenté au bureau de Service Canada pour parler à un représentant, mais qu’il ne savait pas exactement ce que le représentant lui avait dit au sujet de sa demande ou de la façon de la corriger.

[31] Il a déclaré en outre qu’il utilisait sa carte de crédit pour acquitter ses factures et qu’il cherchait un autre emploi. Il a dit qu’il avait déjà fait part à la Commission de sa réticence à parler à des représentants au téléphone parce que des gens interceptaient ses communications et pourraient se faisaient peut‑être passer pour des fonctionnaires.

[32] Il affirme que lorsqu’il a perdu ses cartes de crédit pour défaut de paiement, il a de nouveau communiqué avec la Commission parce qu’il avait besoin d’argent pour acquitter ses factures. Il affirme qu’on lui a dit qu’il devait soumettre un RE de son employeur. Cela l’a incité à communiquer avec l’employeur pour qu’il envoie le RE en juillet 2022.

[33] J’ai dû m’y prendre à plusieurs reprises pour l’amener à confirmer à quel moment certains événements se sont produits. Je suis convaincu que le prestataire a fait des efforts pour communiquer avec la Commission entre décembre 2020 et juillet 2021. Je suis convaincu que s’il a éprouvé des problèmes en ce qui concerne son compte et son code d’accès, ces problèmes sont survenus après le 22 juillet 2021.

[34] J’estime que le prestataire est crédible. Je n’ai relevé aucune erreur ou tentative d’être évasif. Pendant l’audience, il a pu raconter son histoire en la lisant et a terminé sa présentation en disant qu’il a fait de son mieux.

[35] Toutefois, dans ses réponses aux questions, le prestataire a de toute évidence eu de la difficulté à situer les événements dans un ordre séquentiel. Sa voix s’est estompée ou il a simplement cessé d’essayer, a souri et a terminé en répétant qu’il avait fait de son mieux.

[36] Je note dans les observations de la Commission que, lors d’une interaction avec un représentant de la Commission au sujet de sa demande de révision, le prestataire a refusé de répondre aux questions sur son identité et a raccroché au nez du représentant. Lors d’un autre appel, il a exprimé des préoccupations concernant l’utilisation du téléphone parce que d’autres personnes écoutaient peut‑être ou que des voisins se faisaient passer pour des fonctionnaires.

[37] C’est préoccupant parce qu’il semble évident qu’il y a autre chose qui se passe dans la vie du prestataire.

[38] Je lui ai demandé s’il y avait quelque chose qui aurait pu l’empêcher de communiquer plus tôt avec la Commission au sujet de ses prestations. Encore une fois, il a simplement répondu qu’il croyait avoir fait tout ce qu’il devait faire et qu’il avait fait de son mieux.

[39] Je ne dispose d’aucune preuve selon laquelle le prestataire souffre d’un problème de santé. Il n’a pas confirmé qu’il éprouvait des problèmes de santé. Toutefois, je ne peux faire fi de ce dont j’ai été témoin pendant l’audience tenue en personne.

[40] Je suis convaincu que le prestataire éprouve des problèmes de santé qui réduisent sa capacité de répondre de manière habituelle ou attendue. Je suis également convaincu que ces circonstances ont pu influer sur son raisonnement pour ce qui est de comprendre ses obligations en lien avec sa demande d’assurance‑emploi et d’y donner suite.

[41] La Commission soutient que la question des prestations ne préoccupait pas le prestataire parce qu’il utilisait ses cartes de crédit et cherchait du travail. Elle déclare que le fait de se concentrer sur la recherche d’emploi n’est pas un motif valable de ne pas faire le suivi au sujet de ses prestations. Elle a noté que le prestataire a dit qu’il ne croyait pas avoir besoin des prestations avant de communiquer avec son employeur en juillet 2022.

[42] Les déclarations de la Commission ne sont pas retenues. Étant donné que le prestataire a par le passé décroché des emplois de manœuvre occasionnel dans plusieurs agences de placement, je peux conclure qu’il n’occupe pas un emploi régulier lui permettant d’avoir une réserve de fonds suffisante pour vivre tout en cherchant un autre emploi et en renonçant ainsi aux prestations d’assurance‑emploi.

[43] De plus, sa déclaration selon laquelle il s’est servi de ses cartes de crédit pour subvenir à ses besoins concorde avec la situation de toute personne qui perd son emploi, qui n’a pas reçu d’aide financière et qui doit quand même acquitter ses factures. Je ne suis pas convaincu que le prestataire a bien saisi les questions que lui a posées le représentant lors de l’interaction du 20 août 2021 ou qu’il a répondu correctement à ces questions lorsqu’il a dit qu’il n’avait pas besoin des prestations à ce moment‑làNote de bas de page 9. Je suis convaincu que le prestataire a fourni les réponses qui, à son avis, répondaient correctement aux questions posées, mais qu’elles ne témoignaient pas de sa véritable situation. De plus, je suis convaincu que le prestataire avait besoin des prestations et que sa réponse, si elle a été correctement consignée, était incompatible avec sa situation.

[44] Le prestataire a témoigné qu’il a appelé son employeur (agence de placement) pour lui demander s’il y avait du travail après la fin de son contrat au dernier lieu de travail, mais qu’on lui a dit qu’il n’y en avait pas à ce moment‑là. Il dit avoir ensuite cherché d’autres emplois.

[45] Son admission qu’il cherchait un autre emploi ne m’amène pas à conclure qu’il s’est concentré sur la recherche d’emploi et qu’il a fait fi de ses obligations concernant sa demande. J’estime qu’il est plus probable qu’il ait cherché du travail en attendant ses prestations d’assurance‑emploi. Chercher du travail après avoir perdu son emploi est exactement ce que le prestataire est tenu de faire conformément à la Loi sur l’AE pour être admissible à des prestations d’assurance‑emploi.

[46] La Commission a conclu que le prestataire n’a pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait, dans sa situation, pour faire un suivi plus tôt au sujet de sa demande et demander à son employeur de transmettre son RE.

[47] Je suis convaincu que la situation du prestataire est totalement différente de celle d’autres personnes. Il y a de toute évidence dans sa vie des circonstances qui diminuent sa capacité de se comporter d’une manière à laquelle on pourrait normalement s’attendre. Donc, s’attendre à ce qu’il agisse comme n’importe qui d’autre, dans sa situation, n’est tout simplement pas raisonnable.

[48] Je conclus que le prestataire se trouve dans une situation qui permet de penser qu’il a fait tout ce qu’il était en mesure de faire pour assurer le suivi de sa demande. Je conclus qu’il a fourni un motif valable du retard mis à communiquer avec son employeur pour qu’il envoie son RE à la Commission.

Le prestataire a-t-il droit à des prestations d’assurance‑emploi?

[49] Je conclus que le prestataire a droit à des prestations d’assurance‑emploi.

[50] Comme la Commission a déjà établi la demande comme prenant effet le 6 décembre 2020, je suis convaincu que le prestataire était admissible à des prestations à cette date.

[51] La Commission a rendu une décision principale et une décision de réexamen selon laquelle le prestataire a retardé la présentation de son RE sans motif valable. Elle invoque les articles 48, 49 et 50 de la Loi sur l’AE à l’appui de sa décision. Toutefois, la Loi sur l’AE n’oblige pas le prestataire à soumettre son RE ou à instruire son employeur de le faire.

[52] Le Règlement sur l’AE précise qu’il ne revient pas au prestataire de s’assurer que son RE est envoyé à la Commission en temps opportun. Il incombe à l’employeur de préparer et d’envoyer le RE. Comme il n’assume pas cette responsabilité, le prestataire n’est pas tenu de démontrer un motif valable justifiant le retard.

[53] Enfin, je suis convaincu que le prestataire avait un désir constant de recevoir des prestations d’assurance‑emploi et qu’il a fait de son mieux pour assurer un suivi dans les limites de ses capacités compte tenu de sa situation. Il a démontré qu’il avait un motif valable pendant toute la période où il a tardé à communiquer avec la Commission au sujet de sa demande.

Conclusion

[54] L’appel est accueilli. Le prestataire a droit à des prestations d’assurance‑emploi à compter du 6 décembre 2020.

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