Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1374

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. R.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (460955) datée du 24 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Paul Dusome
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 9 juin 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 24 juin 2022
Numéro de dossier : GE-22-1243

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui l’a amenée à être suspendue de son emploi). Par conséquent, la prestataire n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a été mise en congé. L’employeur a dit qu’elle avait été mise en congé parce qu’elle refusait de se conformer à sa politique de vaccination contre la COVID-19 (la politique). La politique exigeait que le personnel divulgue son statut vaccinal et qu’il soit entièrement vacciné avant une date précise. Si une personne ne s’y conformait pas, elle était mise en congé non payé.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas que cela s’est produit, elle affirme que la politique ne s’appliquait pas à elle sur son lieu de travail. Elle travaillait de la maison et offrait du soutien à ses collègues de travail. Elle n’avait aucun contact personnel avec les autres pour son travail. Elle ne menaçait donc pas de leur transmettre la COVID-19. Elle n’a pas pris volontairement un congé autorisé. Le processus décisionnel de la Commission était incomplet. Elle a présenté un certain nombre d’arguments à l’appui de sa position. Elle n’aurait pas dû être mise en congé. Elle devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[5] La Commission a traité le congé comme une suspension et a accepté la raison de la suspension donnée par l’employeur. Elle a décidé que la prestataire avait été suspendue en raison d’une inconduite. La Commission a donc conclu que la prestataire était inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

La prestataire ne voulait pas contester la Charte

[6] Au début de l’audience, j’ai examiné avec la prestataire les exigences relatives à une contestation de la Loi sur l’assurance-emploi et de son règlement, fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). La raison de cet examen était la présence dans le dossier écrit de plusieurs renvois à la Charte. La prestataire ne s’est pas fondée sur la Charte dans ses moyens d’appel. Le succès d’une contestation de certains articles de la Loi sur l’assurance-emploi rendrait ces articles invalides. Si ces articles sont invalides, ils n’ont pas force de loi. Les décisions fondées sur ces articles seraient également invalides et sans effet. Ce processus consistait à soumettre un formulaire d’une page (avec des pages supplémentaires au besoin) au Tribunal, en précisant les articles de la Loi sur l’assurance-emploi contestés, les articles de la Charte sur lesquels la prestataire se fonde et ses arguments à l’appui de la contestation. Les arguments doivent décrire comment la prestataire pense que les articles contestés de la Loi sur l’assurance-emploi violent les droits et libertés garantis par la Charte. Si le Tribunal décidait qu’elle avait des motifs légitimes de contester la Charte, la prochaine étape du processus nécessitait la préparation de trois documents juridiques distincts énonçant des éléments de preuve et des arguments détaillés à l’appui de la contestation, ainsi que des copies des décisions des tribunaux à l’appui des arguments. Il incomberait à la prestataire d’envoyer une copie de ces documents à 14 gouvernements différents au Canada (fédéral, provinciaux et territoriaux). Le Tribunal ne fournit pas d’avocate ou d’avocat à la prestataire. Ce processus retarderait la décision relative à son appel pendant un certain temps.

[7] J’ai examiné trois options pour la prestataire. Nous pouvions prendre une pause maintenant ou ajourner l’audience pour lui permettre de décider s’il y a lieu de poursuivre. Elle pouvait aller de l’avant avec le processus de contestation fondée sur la Charte. Sinon, nous pouvions tenir l’audience aujourd’hui sans contestation fondée sur la Charte. La prestataire a décidé de tenir l’audience le jour même, sans contestation fondée sur la Charte.

Compétence pour remplacer un congé par une suspension

[8] L’employeur et la prestataire ont tous deux compris que cette dernière avait été placée en congé non payé par l’employeur, conformément à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. La prestataire n’a pas accepté de prendre ce congé. L’employeur a fait le commentaire suivant sur le relevé d’emploi : [traduction] « Congé pour non-conformité à la politique de vaccination de l’employeur, veuillez le traiter comme un code M. » Le code M correspond à un « Congédiement ou [à une] Suspension ». La Commission a traité l’affaire comme une suspension et non comme un congé. Les tribunaux se sont prononcés sur la question de changer la raison de l’exclusion d’un départ volontaire sans justification à une inconduiteNote de bas de page 2. La Commission et le Tribunal sont autorisés à le faire si les éléments de preuve permettent de conclure à un départ volontaire sans justification ou à une inconduite, ou aux deux. Ce raisonnement s’applique également à la présente situation, c’est-à-dire le refus de verser des prestations d’assurance-emploi en raison d’un congé sans justification ou d’une suspension pour inconduite. Je dois ensuite décider si la preuve appuie l’un ou l’autre des motifs d’inadmissibilité, ou les deux. La preuve ne permet pas de conclure à un congé volontaire sans justification, car la prestataire n’a pas pris volontairement un congé. L’employeur l’a mise unilatéralement en congé non payé, sans son consentement, et il n’y a pas eu d’entente sur une date de retour au travail. L’article 32 (congé volontaire sans justification) de la Loi sur l’assurance-emploi exige que la prestataire consente à prendre un congé et que l’employeur et la prestataire conviennent d’une date de retour au travail. Je vais devoir décider si la preuve justifie une suspension pour inconduite.

Article du Centre juridique pour les libertés constitutionnelles présenté après l’audience

[9] Au cours de l’audience, la prestataire a fait référence à un document selon lequel il était illégal pour la Commission de considérer un congédiement pour refus de se faire vacciner comme étant une inconduite. Je lui ai demandé de soumettre le document pour examen, afin d’évaluer les arguments qui pourraient être pertinents pour l’appel. Je lui ai dit que je transmettrais le document à la Commission pour qu’elle y réponde. La Commission n’a pas répondu à la date limite du 20 juin 2022.  

[10] Le document provient d’un site Web du Centre juridique pour les libertés constitutionnelles. Le titre de l’article, daté du 6 juin 2022, est [traduction] « Le gouvernement refuse de verser des prestations d’assurance-emploi aux employés congédiés pour ne pas avoir été vaccinés contre la COVID-19 ». L’article conclut que la Commission n’a aucune compétence légale pour refuser des prestations d’assurance-emploi aux Canadiennes et aux Canadiens qui n’ont pas reçu les vaccins contre la COVID. Par conséquent, ces décisions de refuser des prestations sont nulles et non avenues. L’article indique que la politique de la Commission est de déclarer que les employés non vaccinés ont été suspendus en raison d’une inconduite de leur part. L’article porte sur la présumée politique de refus de prestations de la Commission. Il ne porte pas sur la politique de vaccination contre la COVID-19 établie par un employeur. L’article n’est donc pas pertinent pour la présente affaire. Les décisions des tribunaux mentionnées n’appuient pas l’allégation d’illégalité à l’égard de la politique de la Commission ou de la Loi sur l’assurance-emploi. De plus, en raison de la compétence limitée du Tribunal, celui-ci doit se limiter à trancher l’appel individuel. Le Tribunal ne peut pas déclarer qu’une politique de la Commission est illégale, sauf si elle est contestée en vertu de la Charte. En l’absence d’une conclusion de violation d’un droit garanti par la Charte, le Tribunal doit appliquer la Loi sur l’assurance-emploi, y compris les dispositions relatives à l’inconduite, à l’appel qu’il doit trancher.

Question en litige

[11] La prestataire a-t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

Analyse

[12] Pour savoir si la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite, je dois décider de deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison elle a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pour quelle raison la prestataire a-t-elle été suspendue?

[13] La prestataire a été suspendue parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner. À l’audience, la prestataire a déclaré que sa suspension était due au fait que l’employeur n’avait pas répondu à sa demande de renseignements sur le vaccin contre la COVID‑19. Je vais fournir les motifs à l’appui de cette conclusion lorsque je vais traiter de la cause de la suspension, sous la rubrique intitulée « La décision sur la question d’inconduite ».

La raison de la suspension est-elle une inconduite au sens de la loi?

[14] La raison pour laquelle la prestataire a été suspendue est une inconduite au sens de la loi. Les motifs de cette conclusion seront examinés ci-dessous, sous les rubriques « Le droit applicable », « Les faits », « Les arguments des parties », « La compétence du Tribunal » et « La décision sur la question d’inconduite ».

Le droit applicable

[15] Pour être une inconduite au sens de la loi, il faut que la conduite soit délibérée. En d’autres termes, la conduite doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. Cela comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 4. Il n’est cependant pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 5.

[16] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit suspendue pour cette raisonNote de bas de page 6.

[17] Il faut que la Commission prouve que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire que la Commission doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduiteNote de bas de page 7.

[18] Les règles ci-dessus concernant la cessation d’emploi en raison d’une inconduite ont été établies par les tribunaux. La notion d’inconduite est la même, qu’il s’agisse d’un congédiement ou d’une suspension. Par conséquent, ces règles s’appliquent également à une suspension pour inconduite.

Les faits

[19] La prestataire travaillait pour X, à titre d’agente de ressources techniques chargée de la comptabilité de la TPS. Elle fournissait des services de soutien aux employés de X, et non au public. Elle travaillait de la maison depuis avril 2020 et pouvait continuer à le faire indéfiniment. Depuis, tout son travail se faisait par le biais de communications électroniques, avec peu de contacts en personne. Le seul contact en personne qu’elle a eu pendant cette époque était de se rendre dans le hall d’entrée de l’immeuble de bureaux, au début, pour récupérer l’équipement et, après sa suspension, pour le rapporter.

[20] Vers le 6 novembre 2021, l’employeur a transmis sa politique sur la COVID-19 au personnel par courriel. L’employeur n’a pas fourni de copie de la politique à la Commission. La prestataire a cité des parties de la politique dans ses communications avec la Commission. La preuve appuie les conclusions suivantes. La prestataire et l’employeur ont tous deux témoigné de vive voix devant la Commission au sujet de la politique. La politique exige que tout le personnel de X divulgue son statut vaccinal et soit entièrement vacciné d’ici le 30 novembre 2021, à moins que des mesures d’adaptation ne soient prises pour une raison médicale certifiée, pour des motifs religieux ou pour d’autres motifs de distinction illicite au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette politique s’appliquait également aux personnes en télétravail. Les employées ou employés qui n’avaient pas bénéficié de mesures d’adaptation ou qui ne voulaient pas être entièrement vaccinés ou divulguer leur statut vaccinal d’ici le 30 novembre 2021 se sont vu accorder un délai de grâce de deux semaines. À la fin des deux semaines, ces personnes seraient placées en congé administratif non payé, leur accès aux systèmes et aux lieux de travail de l’employeur serait retiré et on leur dirait de cesser de se présenter au travail ou de travailler à distance. Si une employée ou un employé devenait partiellement vacciné pendant son congé non payé, elle ou il pourrait alors reprendre le travail et voir sa paie recommencer.

[21] La prestataire n’a pas divulgué son statut vaccinal, n’a pas reçu le vaccin contre la COVID-19 et n’a pas demandé une exemption pour des raisons médicales, religieuses ou liées aux droits de la personne. Elle a traité avec son syndicat en novembre sur la façon de répondre à la politique de X. Le syndicat lui a conseillé de ne pas divulguer son statut vaccinal avant la date limite et de demander à son gestionnaire des renseignements sur le vaccin. Il a également déclaré qu’il fournirait les renseignements nécessaires à sa demande au gestionnaire, mais il ne l’a pas fait. Cela a entraîné le retard de la prestataire à demander des renseignements à son gestionnaire. Elle a rédigé la lettre, l’a fait examiner par le syndicat, puis l’a envoyée par courriel à son gestionnaire le 7 décembre 2021. La lettre fait six pages (voir les pages GD2-169 à GD2-175 du dossier d’appel). Elle comporte un certain nombre de questions détaillées sur le vaccin. La lettre indique que si la prestataire est satisfaite des réponses, elle suivra le traitement, sous réserve de conditions : elle ne subira aucun préjudice; un médecin pleinement qualifié doit assumer l’entière responsabilité juridique et financière de toute blessure qu’elle pourrait subir; si elle refuse l’offre de vaccination, elle doit recevoir la confirmation qu’elle ne subira pas de préjudice et de discrimination en conséquence; et ses droits inaliénables sont réservés. Elle détaille ensuite ses questions et ses arguments en citant les lois fédérales et provinciales, le Code de Nuremberg, la convention collective entre l’employeur et le syndicat et une décision de la Cour suprême du CanadaNote de bas de page 8. À la fin de la lettre, la prestataire a demandé une mesure d’adaptation pour reporter la date de divulgation de son statut vaccinal jusqu’à ce que quelqu’un puisse raisonnablement répondre à ses questions et à ses préoccupations.

[22] Le gestionnaire a envoyé sa réponse par courriel à la prestataire le 10 décembre 2021, à 12 h 45. Il a fait remarquer que sa demande de prolongation du délai était tardive et qu’elle ne relevait pas des motifs prévus par la politique en matière de mesures d’adaptation, soit les droits religieux, les droits médicaux ou les droits de la personne. Il lui a donné jusqu’à 15 h ce jour-là pour présenter une demande de mesures d’adaptation pour l’un de ces motifs, accompagnée de documents à l’appui de la demande. Si elle ne fournissait pas ces renseignements d’ici 15 h, on considérerait qu’elle refuse de divulguer son statut vaccinal et elle serait mise en congé non payé à compter du 13 novembre 2021.

[23] L’employeur a mis la prestataire en congé non payé à compter du 13 décembre. À la date de l’audience, la prestataire était toujours suspendue. Ni X ni elle n’avait mis fin à son emploi. La prestataire continue de présenter des griefs au sujet de son congé non payé au titre de la politique.

[24] La prestataire a toujours affirmé et témoigné qu’elle n’avait pas refusé de se conformer à la politique. Elle a simplement demandé plus de temps et d’information pour pouvoir prendre une décision éclairée sur la façon de procéder.

Les arguments des parties

[25] Selon la Commission, il y a eu inconduite parce que la prestataire a consciemment choisi de ne pas se conformer à la politique. Elle savait que la non-conformité entraînerait une suspension. Elle a eu la possibilité de demander des mesures d’adaptation pour des raisons médicales, des raisons religieuses ou des raisons liées aux droits de la personne, mais elle ne l’a pas fait. La Commission n’est pas tenue de prouver que la politique de l’employeur est raisonnable. La conduite de l’employeur n’est pas en cause; celle de la prestataire l’est. Les croyances et le statut vaccinal de la prestataire ne sont pas des motifs de distinction illicite en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Tribunal n’a pas le pouvoir ou la compétence de se prononcer sur la légalité d’une politique de vaccination, sur le caractère raisonnable de la politique de l’employeur, sur l’efficacité du vaccin ou sur la justification de la suspension et sur la sanction appropriée. La prestataire peut présenter ces arguments dans le cadre d’autres procédures. La Commission affirme qu’elle a prouvé tous les facteurs requis pour établir qu’il y a eu inconduite de la part de la prestataire.

[26] La prestataire a présenté une série d’arguments à l’appui de sa position. Bon nombre d’entre eux ne relèvent pas de la compétence du Tribunal. Je vais les aborder dans la prochaine rubrique.

[27] En ce qui concerne la question d’inconduite traitée dans une rubrique distincte ci-dessous, la prestataire a présenté les arguments qui suivent. La prestataire affirme que la politique ne s’appliquait pas à elle, dans son lieu de travail éloigné. L’employeur aurait dû lui accorder une prolongation de délai et répondre à ses questions afin qu’elle puisse prendre une décision éclairée au sujet de l’obligation de se faire vacciner. Ses actions n’ont pas satisfait aux quatre facteurs permettant de conclure à une inconduite. Elle n’aurait pas dû être suspendue. Elle devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi.

La compétence du Tribunal 

[28] Le Tribunal a un pouvoir limité dans la prise de décisions. Contrairement aux cours supérieures, le Tribunal ne dispose pas d’un pouvoir étendu pour traiter de toutes les questions juridiques qui peuvent lui être présentées. La division générale de l’assurance-emploi du Tribunal peut rejeter l’appel, confirmer, annuler ou modifier la décision de la Commission, en tout ou en partie, ou rendre la décision que la Commission aurait dû rendreNote de bas de page 9. Cela limite ce que le Tribunal peut faire concernant les décisions que la Commission rend au sujet des prestations d’assurance-emploi en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et de son règlement. La section de l’assurance-emploi de la division générale du Tribunal doit travailler suivant ce cadre. Le pouvoir du Tribunal de décider de toute question de fait ou de droit nécessaire pour trancher l’appel est également limitéNote de bas de page 10. Le Tribunal n’a pas le pouvoir de se prononcer sur certains des arguments avancés par la prestataire.

[29] Il n’appartient pas au Tribunal de modifier la politique de l’employeur. La compétence du Tribunal est de trancher les appels individuels qu’il entend, dans le contexte de la Loi sur l’assurance-emploi. Cette compétence ne s’étend pas au jugement sur l’application plus large des politiques ou des modalités contractuelles des employeurs. Il ne s’agit pas non plus de rendre une décision qui modifierait la politique de l’employeur. C’est ce que la prestataire demande au Tribunal de faire dans la présente affaire. La politique prévoyait des exemptions pour des motifs religieux, des motifs médicaux ou des motifs liés aux droits de la personne. La prestataire n’a pas demandé d’exemption pour ces motifs. Elle demande au Tribunal de modifier la politique afin d’ajouter une exemption pour prolonger le délai pour décider si elle se conforme ou non, ou pour lui permettre de travailler à domicile. La politique inclut expressément les personnes qui travaillent à distance en raison de l’exigence relative à la vaccination et des conséquences liées au congé non payé. Je ne peux apporter aucun des deux changements.

[30] À l’appui de son autorisation à travailler à domicile, la prestataire a fait référence à un site Web de la Commission traitant de la vaccination contre la COVID-19 et de l’inconduite (voir la page GD2-5 du dossier d’appel). Le texte commence par préciser que les informations données doivent servir de lignes directrices. Plus tard, sous une sous-rubrique traitant de la vaccination contre la COVID-19, le texte indique que dans la plupart des cas, si une personne perd ou quitte son emploi parce qu’elle ne respecte pas la politique de vaccination obligatoire de l’employeur contre la COVID-19, elle ne sera pas admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi. Elle cite une liste de renseignements utilisés pour déterminer l’admissibilité : [traduction] « Si l’application de la politique était raisonnable dans votre milieu de travail ». Elle ne croyait pas que la politique était raisonnable alors qu’elle travaillait de la maison depuis avril 2020. Cela ne tient pas compte de la disposition expresse de la politique qui s’applique aux personnes qui travaillent à domicile. Ni la Commission ni son personnel n’ont le pouvoir de modifier la loi. Leur interprétation de la loi n’a pas force de loi. Leur engagement à agir autrement que ce que prescrit la loi est absolument nulNote de bas de page 11. Les déclarations figurant sur le site Web ne modifient pas la loi que je dois appliquer pour trancher le présent appel.

[31] La prestataire s’est appuyée sur la convention collective conclue avec son syndicat et l’employeur. Elle a fourni une copie de l’entente (voir les pages GD2-12 à GD2-142 du dossier d’appel). Elle a déclaré qu’il n’y avait aucune obligation à se faire vacciner dans cette entente ou dans son contrat de travail (voir la page GD2-143 du dossier d’appel). Un congé non payé n’est pas autorisé par la convention collective ou par une décision de la Cour suprême du Canada (voir la page GD3-36 du dossier d’appel). Elle s’est appuyée sur une déclaration du syndicat selon laquelle le fait de mettre des travailleuses et travailleurs en congé non payé au titre d’une politique relative à la COVID-19, alors que ces personnes ne représentaient pas une menace raisonnable pour la santé et la sécurité de leur lieu de travail, pourrait constituer un exercice abusif et coercitif du pouvoir de gestion et une atteinte à la vie privée (voir la page GD3-24 du dossier d’appel). Elle s’est également appuyée sur la décision d’un arbitre en relations de travail, qui a jugé déraisonnable une politique sur la COVID-19 axée uniquement sur la vaccination et qui ordonnait à l’employeur de modifier la politique (voir la page GD2-147 du dossier d’appel). Le Tribunal n’a pas compétence pour trancher les questions relatives aux conventions collectives, y compris les deux points mentionnés ci-dessus. Cette compétence relève exclusivement des arbitres en relations de travail, des conseils de relations de travail et des cours de justice. Tout recours en vertu de la convention collective doit être exercé auprès de ces organismes, et non auprès du Tribunal. À l’inverse, ces arbitres et ces conseils n’ont pas compétence pour se prononcer sur les questions d’assurance-emploi. La décision de l’arbitre fournie par la prestataire n’a aucune incidence sur la question relative à l’assurance-emploi du présent appel. Elle n’appuie donc pas la position de la prestataire. Il en va de même pour l’opinion du syndicat de la prestataire sur une politique liée à la COVID-19. La décision de la Cour suprême du CanadaNote de bas de page 12 sur laquelle la prestataire s’appuie porte sur le droit d’un employeur non syndiqué de suspendre un employé accusé de tentative d’extorsion en dehors de son travail. Après avoir été acquitté de l’accusation, l’employé a repris son travail auprès de l’employeur. Le contrat de travail ne mentionnait pas la suspension d’un employé. La Cour a conclu que la suspension était justifiée pour protéger les intérêts commerciaux de l’employeur, mais que celui-ci devait payer l’employé pendant la durée de la suspension. Étant donné que cette affaire concerne un employeur non syndiqué et que la loi concernant les employeurs syndiqués diffère de façon importante, la décision n’est pas pertinente dans le cadre du présent appel. De plus, dans la décision, il n’a pas été décidé que la suspension était invalide, ce qui ne soutient pas l’argument de la prestataire selon lequel la politique est déraisonnable et invalide.

[32] La prestataire a fait référence à un article sur le congédiement injustifié (voir la page GD3-23 du dossier d’appel). On y lit qu’il existe une idée fausse selon laquelle les employeurs peuvent congédier une travailleuse ou un travailleur pour inconduite parce qu’elle ou il n’est pas vacciné. L’article précise que : [traduction] « […] ce n’est pas ainsi que les tribunaux traiteront la question. » La loi relative au congédiement injustifié diffère considérablement de la loi sur l’assurance-emploi et ne s’applique pas directement aux dossiers d’assurance-emploi. Dans le contexte de l’assurance-emploi, la question n’est pas de savoir si l’employeur était coupable d’inconduite en se livrant à un congédiement injustifié, mais plutôt de savoir si la prestataire était coupable d’inconduiteNote de bas de page 13. L’article n’appuie pas la position de la prestataire.

[33] La prestataire s’est fondée sur l’article 11(2) de la Loi sur le consentement aux soins de santé de l’Ontario à l’appui de sa position (voir la page GD3-24 du dossier d’appel). Cet article porte sur la notion de consentement éclairé. L’argument de la prestataire est que l’employeur a l’obligation d’obtenir son consentement éclairé avant de l’obliger à se faire vacciner. Cet argument doit être rejeté. L’article 11(2) figure à la partie II intitulée « Traitement ». L’obligation d’obtenir un consentement éclairé avant le traitement s’applique aux spécialistes de la santé, comme les médecins, les infirmières et infirmiers ou les autres professionnelles et professionnels de la santé réglementés (voir les articles 10(1)(a) et 2(1)). Cette obligation ne s’applique pas à l’employeur.

[34] La prestataire cite l’autorité de la santé et de la sécurité au travail (Occupational Safety and Health Authority) des États-Unis pour sa déclaration selon laquelle sa politique exempte les travailleurs à distance de l’obligation de se faire vacciner. Elle demande ensuite pourquoi le Canada n’adopte pas le même principe. Tout d’abord, il s’agit d’une déclaration d’une autorité américaine. Cette déclaration ne s’applique pas au Canada. De plus, dans le cadre de cet appel, nous devons traiter du droit canadien tel qu’il est, et non tel qu’il pourrait être. Ce point n’est pas pertinent dans la présente affaire.

[35] La prestataire fait référence à un certain nombre de lois portant sur la protection de la vie privée (voir la page GD3-33 du dossier d’appel). S’il y a une violation des dispositions de ces lois, le recours se fait auprès des tribunaux créés en vertu de ces lois, ou auprès des cours de justice. Le Tribunal n’a pas compétence pour se prononcer sur les dispositions de ces lois.

[36] La prestataire fait référence à de la discrimination et à la Loi canadienne sur les droits de la personne (voir les pages GD3-33 à GD3-34 du dossier d’appel). S’il y a eu ou s’il peut y avoir de la discrimination aux termes de cette loi, le recours revient à la Commission canadienne des droits de la personne ou aux cours de justice, et non au Tribunal.

[37] La prestataire affirme qu’elle a eu la COVID plusieurs semaines avant de déposer son appel. Elle a maintenant une immunité naturelle, qui est plus efficace qu’un vaccin (voir la page GD2-143 du dossier d’appel). Le Tribunal n’a ni l’autorité ni l’expertise pour se prononcer sur cette affirmation. Elle ne peut pas être un facteur dans cette décision.

[38] Au cours d’une conversation avec la Commission, la prestataire a déclaré qu’elle se sentait en droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi, car elle avait cotisé au régime d’assurance-emploi et que son congé involontaire était contraire à l’éthique. L’assurance-emploi n’est pas une prestation automatique. Comme pour les autres régimes d’assurance, il faut remplir certaines conditions pour en bénéficier. Comme il est indiqué sous la rubrique suivante, la Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue de son poste en raison d’une inconduite. Cela signifie que la prestataire n’est pas admissible aux prestations au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, même si elle a cotisé au régime.  

La décision sur la question d’inconduite

[39] Je dois trancher le présent appel en me fondant sur le droit énoncé aux paragraphes 15 à 17 ci-dessus.

[40] Je juge que la Commission a prouvé qu’il y avait eu inconduite. Voici pourquoi.

[41] Premièrement, la prestataire savait-elle ou aurait-elle dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher d’exercer ses fonctions envers son employeur? La preuve établit que la prestataire connaissait les exigences de la politique et les conséquences d’un congé non payé de son emploi pour ne pas s’être conformée à la politique. Elle savait qu’elle était tenue de divulguer son statut vaccinal au plus tard le 30 novembre 2021. Elle savait que le fait de ne pas être entièrement vaccinée ou de ne pas divulguer son statut vaccinal ferait en sorte qu’elle serait mise en congé non payé. Elle ne s’est conformée à aucune des exigences à la deuxième date limite du 13 décembre 2021. L’employeur l’a suspendue à cette date. Cette preuve démontre que la prestataire savait que sa conduite l’empêcherait d’exercer ses fonctions envers son employeur. Le fait qu’elle ne se soit pas conformée à la politique a entraîné sa suspension. Cela l’a empêchée d’exercer toutes ses fonctions envers l’employeur. C’est le principal moyen de l’empêcher d’exercer ses fonctions envers son employeur. La prestataire a fait valoir qu’elle aurait pu continuer à travailler de la maison, de sorte qu’elle aurait pu continuer à exercer ses fonctions. Cet argument doit être rejeté. Il suppose qu’elle pourrait être exemptée de l’exigence expresse de la politique selon laquelle le personnel non conforme, y compris celles et ceux qui travaillaient à domicile, serait mis en congé non payé. Ni la prestataire ni le Tribunal n’a le pouvoir de lui accorder une exemption des modalités expresses de la politique.

[42] Deuxièmement, sa non-conformité à la politique était-elle volontaire, consciente, délibérée ou intentionnelle? La prestataire a déclaré qu’elle ne croyait pas que ses actions étaient délibérées. Elle n’a pas refusé de se conformer, elle a simplement demandé du temps pour se renseigner et prendre une décision éclairée. Il était raisonnable qu’elle demande plus de temps. L’employeur n’a pas répondu, ce qui était déraisonnable. Je ne suis pas d’accord avec cette position. La prestataire a fait le choix de ne pas se conformer aux exigences de la politique de divulguer son statut vaccinal au plus tard le 30 novembre ou de demander des mesures d’adaptation pour des motifs médicaux, des motifs religieux ou des motifs liés aux droits de la personne au plus tard à cette date. Elle a présenté un certain nombre de raisons pour ne pas s’y conformer, ce qui montre que sa non-conformité était délibérée. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas refusé de se conformer, mais avait simplement demandé du temps pour se renseigner pleinement avant de prendre une décision. Il est vrai qu’elle n’a pas dit expressément qu’elle ne se conformerait pas, qu’elle refuserait de se faire vacciner ou qu’elle refuserait de divulguer son statut vaccinal. Mais la non-conformité peut consister en des déclarations explicites ou des refus de se conformer, ou encore en des actions passives, comme ne rien faire de ce qui est requis par la politique dans les délais prescrits. C’est ce que la prestataire a fait. Elle a demandé une mesure d’adaptation, soit une prolongation du délai le 7 décembre, ainsi que des renseignements détaillés et des garanties de la part de l’employeur. La politique ne prévoit pas de prolongation du délai à titre de mesure d’adaptation. La prestataire demande au Tribunal de modifier la politique pour permettre cela. Comme il a été mentionné précédemment, le Tribunal n’a pas compétence pour modifier la politique de l’employeur. La prestataire pose également des questions très détaillées au sujet du vaccin et impose des conditions pour qu’elle le prenne. Ces conditions comprennent la confirmation qu’elle ne subira aucun préjudice causé par le vaccin et qu’une ou un médecin pleinement qualifié assumera l’entière responsabilité juridique et financière de toute blessure qu’elle pourrait subir. Ces questions et conditions imposent un lourd fardeau à tout employeur. Plus particulièrement, la condition selon laquelle une ou un médecin pleinement qualifié doit assumer l’entière responsabilité juridique et financière de toute blessure qu’elle pourrait subir est, selon toute probabilité, impossible à respecter. J’estime que les exigences formulées dans la demande de la prestataire le 7 décembre permettent de conclure qu’elle n’était pas sérieuse dans sa volonté de se faire vacciner, et donc de se conformer à la politique. Il n’y a aucun doute que la non-conformité de la prestataire était volontaire, consciente, délibérée et intentionnelle. 

[43] Troisièmement, le fait que la prestataire ne se soit pas conformée à la politique a-t-il entraîné sa suspension? La preuve démontre clairement qu’elle a été mise en congé non payé parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique. Cela est fondé sur la demande de prestations d’assurance-emploi de la prestataire (voir la page GD3-9 du dossier d’appel), sur son relevé d’emploi (voir la page GD3-17), sur les conversations que la Commission a eues avec la prestataire et l’employeur, sur le courriel de l’employeur à la prestataire le 10 décembre 2021 (voir la page GD3-29), sur la réponse de l’employeur au grief de la prestataire (voir la page GD3-43) et sur le témoignage de cette dernière. La prestataire a également déclaré qu’elle ne pensait pas qu’elle serait mise en congé. Elle pensait que l’employeur approuverait sa demande de prolongation de délai. Elle a déclaré que la cause de sa suspension était l’absence de réponse de l’employeur aux questions qu’elle avait posées sur le vaccin dans son courriel du 7 décembre 2021. Ces trois éléments du témoignage ne sont pas convaincants. Ces trois éléments ne sont pas mentionnés dans les documents mentionnés ci-dessus qui contiennent des déclarations de la prestataire, ni dans sa demande de révision ou dans son avis d’appel au Tribunal. Lorsqu’il tire des conclusions de fait, le Tribunal peut avoir le droit de ne pas tenir compte des déclarations ultérieures d’une partie prestataire par rapport à ses déclarations antérieures, particulièrement lorsque les déclarations ultérieures soulèvent de nouvelles questions qui ne sont pas mentionnées dans les déclarations antérieuresNote de bas de page 14. Je n’accepte pas le témoignage portant sur ces trois éléments.  

[44] Quatrièmement, la prestataire savait-elle qu’elle pouvait être suspendue pour non-conformité? La prestataire était consciente, d’après la politique, de la possibilité d’être mis en congé non payé. La politique énonce explicitement les conséquences d’un congé non payé et de la cessation de tout son travail en cas de non-conformité à l’article 6.7.1 (voir la page GD3-35 du dossier d’appel). Elle a également discuté de la politique avec son représentant syndical en novembre. Elle était au courant de sa mise en congé non payé pour une durée déterminée compte tenu du courriel que l’employeur lui a envoyé le 10 décembre 2021. Il ne fait aucun doute que la prestataire savait qu’elle serait suspendue pour non-conformité. Son témoignage selon lequel elle pensait qu’elle ne serait pas mise en congé a été rejeté au paragraphe précédent.

Conclusion

[45] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la prestataire n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi.

[46] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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