Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : GV c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1551

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelant : G. V.
Intimée : Commission de l’assurance emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance emploi du Canada (461981) datée du 8 avril 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Lilian Klein
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience  : Le 12 juillet 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 29 août 2022
Numéro de dossier : GE 22 1402

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel du prestataire. La présente décision explique pourquoi.

[2] Le prestataire n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi parce qu’il avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Cela signifie qu’il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Aperçu

[3] Le prestataire a quitté son emploi le 4 octobre 2021 et a présenté une demande de prestations régulières d’assurance‑emploi. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a examiné les raisons de son départ. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement son emploi (qu’il avait choisi de démissionner) sans justification parce que son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable dans son cas. La Commission ne pouvait donc pas lui verser des prestations.

[4] Je dois décider si le prestataire a prouvé qu’il était fondé à quitter son emploi (autrement dit, s’il avait un motif de démission que la loi accepte). Pour prouver qu’il était fondé à quitter son emploi, il doit démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de démissionner lorsqu’il l’a fait.

[5] La Commission affirme qu’au lieu de démissionner, le prestataire aurait pu tenter de régler l’affaire avec son employeur. Elle soutient qu’il aurait pu se plaindre aux autorités responsables de la sécurité au travail ou rester en poste tout en cherchant un autre emploi.

[6] Le prestataire n’est pas d’accord. Il affirme être parti en raison d’un conflit personnel avec son employeur. Il dit que l’employeur a insisté pour qu’il répare les pneus d’un camion à l’endroit où il s’était enfoncé dans la boue, sans quoi il serait suspendu. Le prestataire soutient qu’il aurait été plus rapide et plus sécuritaire de réparer le pneu à dix minutes de là, à l’atelier, à l’aide d’une machine. Il affirme qu’en le menaçant de suspension, son employeur a exercé des pressions indues sur lui pour qu’il quitte son emploi.

La question que je dois trancher

[7] Le prestataire est‑il exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[8] Pour répondre à cette question, je dois d’abord établir si le prestataire a quitté volontairement son emploi. Si tel est le cas, je dois ensuite décider s’il était fondé à le faire.

Analyse

Les parties conviennent que le prestataire a quitté volontairement son emploi

[9] Je conclus que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Le prestataire convient qu’il a démissionné et il n’existe aucune preuve indiquant le contraire, de sorte que je tiens cette preuve pour avérée.

Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le prestataire était fondé à quitter son emploi

[10] La Commission affirme que le prestataire n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi lorsqu’il l’a fait. Le prestataire n’est pas d’accord.

[11] La loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas page 1 Une bonne raison ne suffit pas à démontrer une justification. En vertu de la loi, vous avez une justification si vous n’aviez aucune autre solution raisonnable que de démissionner.

[12] Il appartient au prestataire de prouver qu’il avait une justification. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilitésNote de bas page 2. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas page 3.

[13] Avant de décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi, je dois examiner l’ensemble de la situation au moment de son départNote de bas page 4. La loi énonce certaines des circonstances qui peuvent démontrer un motif valableNote de bas page 5. Après avoir décidé quelles circonstances s’appliquaient au prestataire, il doit quand même démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de démissionner ce jour-làNote de bas page 6.

Les circonstances dans lesquelles le prestataire a démissionné

Que dit le prestataire?

[14] Lorsque le prestataire a présenté une demande de prestations le 27 octobre 2021, il a dit à la Commission qu’il avait quitté son emploi en raison d’un conflit personnel avec son employeur. Il a mentionné que le conflit a commencé le jour de son départ. L’employeur voulait alors qu’il accomplisse un travail d’une façon, mais il croyait que sa façon de faire était plus efficace. Il a dit qu’en agissant de la façon préconisée par l’employeur, les pneus seraient à plat dès le lendemain et qu’il serait ensuite blâmé pour son mauvais travail.

[15] Le prestataire a déclaré qu’il aurait été beaucoup plus rapide de ramener les pneus à l’atelier, où une machine spéciale permettait d’effectuer ce genre de réparation. Il a dit que les pneus, énormes, pesaient trois cents livres, et qu’il devait travailler dans un pied de boue.

[16] Le 3 février 2022, le prestataire a dit à la Commission qu’il était dangereux pour la sécurité d’exécuter le travail comme l’employeur le souhaitait.

[17] Le prestataire a également dit à la Commission que l’employeur avait fourni l’équipement de sécurité approprié et qu’il n’y avait eu récemment aucun accident ou blessure sur son lieu de travail. Il a mentionné qu’il n’avait pas expliqué le risque pour la sécurité à son employeur le jour de son départ parce qu’il estimait que l’employeur aurait dû connaître lui-même les risques.

[18] Le 3 mars 2022, lorsque le prestataire a demandé un réexamen de la décision de la Commission de lui refuser des prestations, il a dit que son emploi lui causait de l’anxiété. Il a dit ne pas s’y sentir en sécurité.

[19] À son audience du 12 juillet 2022, le prestataire a déclaré qu’il n’avait pas seulement démissionné en raison du conflit lors de sa dernière journée. Il dit avoir pris des dispositions pour l’utilisation d’un camion de l’entreprise pour couvrir tous les appels de service survenus en dehors des heures de travail. Au début, il répondait sans problème aux appels, mais cela a commencé à le déranger lorsque l’employeur a commencé à réduire sa paie de 100 $ par semaine pour couvrir l’essence. Il n’a donc pas reçu de rémunération pour les heures supplémentairesNote de bas page 7.

[20] Le prestataire a également témoigné que l’emportement de l’employeur le dernier jour l’a surpris; l’employeur n’était pas comme ça en général. Le prestataire affirme qu’il savait que l’employeur devait le garder, de sorte qu’il croyait que la menace de suspension signifiait un jour ou deux à la maison. Il ne pensait pas que cela signifiait un congédiement.

[21] Cependant, le prestataire a dit qu’à ce moment-là, c’était une question de respect de soi et d’intégrité de ne pas céder aux menaces de l’employeur. Il a dit s’être rendu compte ce jour‑là que l’employeur ne se souciait pas de sa sécurité et qu’il le traitait comme un chien en le faisant travailler dans la chaleur et la boue. Le prestataire affirme qu’il ne pouvait pas adhérer à la façon de faire de l’employeur qui facturait au client quatre ou cinq heures pour effectuer une réparation manuelle alors que cette réparation ne prendrait qu’une heure à l’atelier.

[22] Plus tard au cours de l’audience, le prestataire a déclaré qu’il n’avait jamais été heureux de son emploi parce que l’employeur avait toujours commis des abus. Le prestataire a déclaré que l’employeur était comme un dictateur qui voulait que tout soit fait à sa façon. Enfin, le prestataire a dit que l’employeur avait agi comme un sauvage le dernier jour et que cela lui avait causé un traumatisme qu’il ressent toujours.

Que dit la Commission?

[23] La Commission s’est appuyée sur les déclarations de l’employeur pour décider d’exclure le prestataire du bénéfice des prestations.

[24] L’employeur a dit à la Commission que le prestataire menaçait de démissionner s’il devait terminer le travail sur place. L’employeur a déclaré qu’il n’existait aucun problème de sécurité. Il a fourni tout l’équipement de sécurité approprié et un autre travailleur a terminé le travail sans problème après que le prestataire a démissionné. L’employeur a ajouté que les pneus étaient de la taille des pneus de voiture et il a dit au prestataire de les réparer sur place sur une surface sèche puisqu’ils avaient déjà été retirés.

Mes conclusions

[25] Je conclus que les circonstances du jour où le prestataire a démissionné étaient qu’il s’était disputé avec son employeur et que la dispute s’est aggravée. L’employeur a lancé au prestataire un ultimatum selon lequel le prestataire serait suspendu s’il ne suivait pas les ordres sur la façon d’effectuer le travail et l’endroit pour le faire.

[26] Je doute de certaines des déclarations de l’employeur. Il a tenté de minimiser les préoccupations du prestataire en disant à la Commission que les pneus n’étaient que de la taille des pneus de voiture.

[27] Toutefois, le prestataire avait pour tâche de changer les pneus d’un chariot élévateur, qui est un véhicule industriel. La preuve ne démontre pas exactement la taille des pneus qu’il a dû réparer le 4 octobre 2011. Cependant, les photos qu’il a soumises après l’audience laissent croire que ces pneus étaient vraisemblablement plus gros et plus lourds que des pneus de voitureNote de bas page 8.

[28] Cela me fait douter de la crédibilité de l’employeur.

[29] Malgré leur taille et leur poids, le prestataire a réussi à enlever les pneus. Le litige portait donc sur la question de savoir s’il les réparait sur place ou à l’atelier à dix minutes de distance.

[30] Comme l’employeur manque de crédibilité quant à la taille des pneus, je doute de la crédibilité de sa déclaration selon laquelle le prestataire est celui qui a proféré des menaces en disant qu’il démissionnerait. J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que l’employeur ait menacé le prestataire de suspension en utilisant son pouvoir de propriétaire de l’entreprise. L’employeur avait tout le pouvoir dans cette situation.

[31] Toutefois, j’ai également des préoccupations au sujet de la fiabilité de certaines des déclarations du prestataire, car ses déclarations antérieures et ultérieures ne concordent pas.

[32] Par exemple, dans sa demande de prestations du 24 octobre 2021, le prestataire a déclaré qu’il devait travailler dans un pied de boue. Lorsqu’il a parlé à la Commission plusieurs mois plus tard, le 3 février 2022, il a dit qu’il y avait trois pieds de boue. C’est une différence importante. Celle-ci suggère un élément d’exagération.

[33] De plus, le prestataire n’avait pas mentionné de problèmes de sécurité dans sa demande. Le seul risque qu’il a rapporté était que les réparations de pneus ne durent pas. Toutefois, le 3 février 2022, il a déclaré pour la première fois que réparer les pneus dans la boue représentait un danger pour la sécurité. Le 3 mars 2022, il a dit pour la première fois que l’aspect sécurité de son emploi lui avait causé de l’anxiété.

[34] À l’audience du prestataire tenue le 12 juillet 2022, il a d’abord dit que la façon dont l’employeur l’a traité à son dernier jour l’a surpris parce que l’employeur n’agissait pas ainsi en général. Plus tard à l’audience, il a dit que l’employeur avait toujours commis des abus. À la fin de l’audience, il a déclaré que les abus de l’employeur étaient si graves qu’ils lui ont causé un traumatisme durable.

[35] Le prestataire a déclaré que sa mère avait rempli le formulaire de demande pour lui, de sorte que c’était son erreur à elle de ne pas inclure de préoccupations en matière de sécurité ou de questions liées aux heures supplémentaires, et non la sienne.

[36] Je conclus toutefois qu’il est peu probable que la mère du prestataire ait rempli le formulaire sans savoir pourquoi il a démissionné. Le formulaire indique qu’il a obtenu son aide, mais c’est lui qui a attesté la véracité des renseignements soumis.

[37] Les prestataires ont le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve jusqu’à leur audience. Toutefois, les déclarations initiales ont généralement plus de poids que celles faites après que la Commission eut refusé pour la première fois les prestationsNote de bas page 9.

[38] De plus, le prestataire a fait ses premières déclarations peu après sa démission. Il aurait probablement eu les faits plus frais à la mémoire à ce moment-là que des mois plus tard.

[39] Je conclus donc que le prestataire n’a pas démontré que les raisons pour lesquelles il a quitté son emploi le 4 octobre 2021 comprenaient des préoccupations en matière de sécurité. Il a confirmé que l’employeur lui avait donné l’équipement de sécurité approprié. Il n’a parlé de préoccupations en matière de sécurité que des mois après son départ volontaire. J’estime qu’il est plus probable qu’improbable qu’il aurait coché la case « conditions de travail dangereuses » lorsqu’il a présenté sa première demande de prestations si c’était vraiment la raison pour laquelle il avait démissionné.

[40] Je conclus également que le prestataire n’a pas démontré qu’il avait démissionné parce qu’il n’était plus heureux de renoncer à se faire payer des heures supplémentaires en échange de l’utilisation d’un véhicule de fonction. Les « heures supplémentaires excessives » sont une autre option qu’il n’a pas choisie dans sa demande pour expliquer pourquoi il a démissionnéNote de bas page 10.

[41] De plus, le prestataire a déclaré qu’il ne cherchait pas d’autre emploi, car il aimait son emploi et n’avait pas l’intention de partir le jour de sa démission avant de se disputer avec son employeur.

[42] Pour ces motifs, j’accorde plus de poids aux déclarations antérieures du prestataire selon lesquelles le jour où il a démissionné, il s’agissait d’une décision instantanée à la suite d’une dispute avec son employeur. Ce jour-là, l’employeur a donc insisté pour qu’il continue de travailler dans la chaleur et la boue et l’a menacé de suspension, ce qui a jeté de l’huile sur le feu.

Le prestataire disposait d’autres solutions raisonnables

[43] Je conviens avec la Commission que le prestataire avait encore d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait compte tenu des circonstances le jour de sa démission.

[44] Le prestataire affirme qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable puisqu’il s’est senti obligé de démissionner lorsque l’employeur l’a menacé de congédiement. Il affirme qu’il croyait que l’employeur le menaçait d’un jour ou deux de suspension plutôt que d’un congédiement parce qu’il savait que l’employeur avait besoin de lui. Cependant, il soutient que personne ne devrait avoir à travailler en faisant l’objet de menaces et qu’il s’agissait d’une question de respect de soi et d’intégrité.

[45] La Commission affirme que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. Elle mentionne qu’il aurait pu faire part de ses préoccupations en matière de sécurité aux autorités compétentes. Il aurait pu tenter de régler ses problèmes avec l’employeur. Ou il aurait d’abord pu chercher un autre emploi.

[46] Selon la jurisprudence, les prestataires doivent parler à leur employeur avant de démissionnerNote de bas page 11. Se disputer dans le feu de l’action n’est pas la même chose que tenter de résoudre un conflit.

[47] Je conviens que les menaces ne sont pas appropriées en milieu de travail. Cependant, il incombe aux prestataires de ne pas risquer de se mettre au chômage et de dépendre des prestations. Il leur appartient de tenter de résoudre les problèmes avec leur employeur avant de démissionner.

[48] Compte tenu des circonstances dans lesquelles le prestataire a démissionné, je conclus qu’il avait deux solutions raisonnables autres que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[49] Je ne crois pas que le dépôt d’une plainte en matière de sécurité aurait été une solution raisonnable en l’espèce parce que ce processus prend du temps. La flambée du conflit et la réaction impulsive du prestataire ont été toutes deux déclenchées de façon soudaine.

[50] Je conclus toutefois que le prestataire aurait pu tenter de résoudre son conflit avec l’employeur en discutant tranquillement à l’atelier après que les gens se furent calmés. Après tout, il s’agit du premier et du seul conflit qu’il a déclaré avoir eu avec son employeur. Il aurait également pu essayer de rester à son emploi tout en cherchant un autre emploi.

[51] Le témoignage du prestataire selon lequel l’employeur a depuis tenté de le réembaucher appuie l’argument selon lequel il avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. Le prestataire affirme qu’il a reçu un message selon lequel l’employeur était résolu à régler ses problèmes. Cela laisse entendre que l’employeur aurait voulu qu’il reste une fois la dispute terminée.

[52] Comme il avait d’autres solutions raisonnables, le prestataire n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi le 4 octobre 2021. En ne mettant à l’essai aucune de ces solutions raisonnables avant de démissionner, il a transformé le risque de chômage en certitude. Il est donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[53] Je compatis avec la situation du prestataire, mais je dois appliquer la loi telle qu’elle est rédigéeNote de bas page 12. Vous êtes peut-être dans une situation de travail difficile avec un patron difficile, mais dans la plupart des cas, pour obtenir des prestations d’assurance‑emploi, vous devez démontrer que vous avez essayé toutes les solutions raisonnables autres que de démissionner avant de choisir cette option.

Conclusion

[54] Je conclus que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations parce qu’il avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[55] Cela signifie que je dois rejeter l’appel du prestataire.

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