Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1291

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : T. J.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (461078) datée du 19 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Paul Dusome
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 21 juillet 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 8 août 2022
Numéro de dossier : GE-22-1429

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné la perte de son emploi). En conséquence, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a perdu son emploi. Son employeur a dit l’avoir congédiée parce qu’elle avait refusé de se conformer à la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 découlant du décret des autorités provinciales de santé publique, précisément en refusant de communiquer son statut vaccinal.

[4] La prestataire affirme que l’employeur a demandé d’accéder à tous ses dossiers médicaux. De plus, elle croit que ce n’était ni juste ni raisonnable de la part de l’employeur de modifier les conditions de son contrat de travail. Elle a estimé que l’accès forcé à ses dossiers médicaux personnels constituait une violation de ses droits civils et religieux.

[5] La Commission a accepté la raison du congédiement que l’employeur a fournie. Elle a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle l’a donc exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] Pour établir si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison elle a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[8] J’estime que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle n’a pas respecté le décret concernant la vaccination contre la COVID-19 en refusant de dire si elle s’était fait vacciner ou non. Je n’ai aucune preuve du contraire. La prestataire n’a d’ailleurs présenté aucune preuve au sujet d’un autre motif de congédiement.

La raison du congédiement de la prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[9] Selon la loi, la raison du congédiement de la prestataire est une inconduite.

[10] Pour constituer une inconduite selon la loi, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 2. Une inconduite peut aussi se présenter comme une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 3. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il ne faut pas nécessairement avoir une intention coupable (c’est-à-dire vouloir faire quelque chose de mal)Note de bas de page 4.

[11] Il y a inconduite si une personne savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 5.

[12] La Commission doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 6.

[13] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que la prestataire était au courant des exigences et des délais. Elle était également au courant des conséquences en cas de non-respect. Elle savait qu’elle avait le droit de demander une exemption, mais ne l’a pas fait. La Commission a conclu d’après les faits qu’il s’agissait d’un cas d’inconduite.

[14] La prestataire avance qu’il n’y a eu aucune inconduite de sa part parce qu’elle a simplement refusé de donner accès à ses dossiers médicaux personnels. La demande d’accès de son employeur constituait une violation de son contrat de travail, de ses droits civils et religieux, et de ses libertés.

[15] J’estime que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite, parce que la prestataire a choisi délibérément de ne pas communiquer son statut vaccinal. Ce choix a entraîné son congédiement. Compte tenu du décret en place, le choix de la prestataire était un manquement à ses obligations envers son employeur, et cela l’a empêché d’exercer ses fonctions professionnelles. La prestataire connaissait à l’avance les conséquences de tout non-respect.

[16] La prestataire travaillait dans le milieu des centres de soins de longue durée et établissements hospitaliers. Elle était syndiquée, mais les griefs déposés au sujet du décret concernant la vaccination contre la COVID-19 n’allaient nulle part. Dans son travail, la prestataire s’occupait des services alimentaires et de l’entretien ménager. Pendant la pandémie, elle a fait des semaines de 60 heures, en accumulant souvent plusieurs quarts de travail en raison des pénuries de main-d’œuvre. Elle a demandé de travailler seulement au centre de soins pour éviter la propagation de la COVID-19 entre les sections. Ses évaluations de rendement étaient excellentes.

[17] Le 12 août 2021, l’employeur a envoyé un courriel au personnel au sujet de la vaccination obligatoire contre la COVID-19 pour les employés du milieu des soins de longue durée et des résidences avec assistance. Cet avis découlait d’un décret que les autorités provinciales de santé publique avaient pris ce jour-là. Le décret exigeait que tout membre du personnel ait reçu deux doses de vaccin au plus tard le 13 octobre 2021. Avant cette date, les employés devaient porter un équipement de protection individuelle et subir régulièrement des tests de dépistage de la COVID-19. Le décret obligeait les employeurs à recueillir des renseignements sur le statut vaccinal de leurs employés et à les fournir aux autorités provinciales de santé publique.

[18] Le 24 septembre 2021, l’employeur a envoyé un nouveau courriel au personnel. Il indiquait que les autorités provinciales de santé publique avaient reporté la date limite pour la vaccination complète au 26 octobre. Par conséquent, les employés devaient recevoir leur première dose au plus tard le 27 septembre pour être admissibles à la deuxième dose avant la date limite. L’employeur prévoyait que l’exigence de vaccination complète en date du 26 octobre serait une condition d’emploi.

[19] Le 15 octobre 2021, l’employeur a envoyé au personnel une autre mise à jour par courriel. Le décret avait été publié en ligne et on pouvait y accéder par un hyperlien dans son courriel. Le décret exigeait que tous les employés aient reçu au moins une dose au 26 octobre pour pouvoir continuer de travailler. Si une personne n’avait pas reçu sa première dose avant le 26 octobre, elle ne serait pas autorisée à travailler, que ce soit sur place ou à distance, et serait mise en congé sans solde. Si cette personne recevait sa première dose entre le 26 octobre et le 15 novembre, elle pourrait retourner travailler sous certaines conditions. L’une de ces conditions consistait à confirmer son statut vaccinal et son plan d’immunisation auprès des gestionnaires. Le courriel indiquait que les employés qui n’auraient pas reçu leur première dose au 15 novembre [traduction] « devraient entrevoir la possibilité que leur emploi […] prenne fin ». Le courriel se concluait en expliquant comment déclarer un statut vaccinal et demander une exemption médicale.

[20] Le 26 octobre 2021, l’employeur a mis la prestataire en congé sans solde. Il lui a donné la chance de se conformer au décret au plus tard le 15 novembre pour éviter de perdre son emploi.

[21] Le 18 novembre 2021, l’employeur a congédié la prestataire pour non-respect du décret concernant la COVID-19 à la date limite reportée du 15 novembre. La lettre passait en revue les avis sur le décret et les délais annoncés. L’employeur lui a aussi offert de rediscuter des options possibles si elle devenait pleinement vaccinée un jour.  

[22] Le 14 février 2022, la Commission a avisé la prestataire qu’elle n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi à compter du 19 décembre 2021, parce qu’elle avait perdu son emploi le 25 octobre 2021 en raison d’une inconduite. La prestataire avait demandé des prestations d’assurance-emploi le 24 décembre 2021. Selon la date de sa demande, le 19 décembre était la première date à laquelle la prestataire aurait pu recevoir des prestations. Cela signifie que la période de suspension du 26 octobre au 17 novembre ne fait pas partie de l’appel. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner l’inadmissibilité aux prestations découlant de la suspension en raison de l’inconduite.

[23] L’employeur a fourni une copie du décret des autorités provinciales de santé publique. Cette copie est datée du 9 novembre 2021. Il fait également référence à des décrets précédents datés du 20 août au 25 octobre 2021. La copie du décret confirmait les dates limites et l’obligation de déclaration du statut vaccinal décrites dans les courriels de l’employeur du 24 septembre et du 15 octobre. J’ai tenu compte de cette copie, car elle précède le congédiement du 18 novembre.

[24] L’employeur a fourni une copie de sa politique sur l’immunisation contre la COVID-19. Elle a été approuvée le 1er décembre 2021. Il n’y a aucune preuve d’une version antérieure. Comme l’employeur a congédié la prestataire le 18 novembre, je n’ai pas tenu compte de cette politique dans ma décision.

[25] La prestataire a convenu qu’elle était au courant des trois courriels de l’employeur sur l’obligation vaccinale. Elle a eu quelques conversations à ce sujet et deux réunions sur Zoom avec ses gestionnaires. Elle a déclaré qu’elle n’a jamais communiqué son statut vaccinal à son employeur. Elle n’a pas demandé d’exemption non plus.

[26] La prestataire a déclaré que l’employeur exigeait un accès à tous ses dossiers médicaux. Selon son témoignage, le site Web de déclaration de la vaccination contenait beaucoup de renseignements, par exemple, toutes les ordonnances qu’elle avait reçues. Sur ce site Web, il y avait sept cases pour consigner l’information sur les vaccins. Je ne trouve aucune confirmation à ce sujet. Toutefois, certains éléments de preuve contredisent ce témoignage. Le courriel de l’employeur du 12 août indique que le décret exige que les employeurs recueillent des renseignements sur le statut vaccinal de leurs employés et les fournissent aux autorités provinciales de santé publique. Le courriel du 24 septembre ne dit rien sur la communication du statut vaccinal. Le courriel du 15 octobre indique que les employés qui reçoivent leur première dose de vaccin entre le 26 octobre et le 15 novembre doivent fournir l’information sur leur statut vaccinal et leur plan d’immunisation. Le courriel demande aux employés de faire leur déclaration sur la plateforme de l’employeur sous [traduction] « Déclaration de vaccination et d’immunisation du personnel ». La copie du décret fournie à titre de preuve exige que les employeurs demandent une preuve de vaccination à tous les employés, et que ceux-ci la fournissent. D’après ces documents, il est clair que les seuls renseignements que la prestataire devait communiquer étaient son statut vaccinal et, si elle n’avait pas été pleinement vaccinée au 26 octobre, son plan pour recevoir la deuxième dose. Le nombre de cases pour consigner l’information correspond au nombre de doses ou de rappels qui pourraient être nécessaires compte tenu de l’incertitude scientifique. Je n’accepte pas le témoignage de la prestataire selon lequel le décret exigeait l’accès à tous ses renseignements personnels sur sa santé.

[27] En gardant ces faits en tête, je dois maintenant décider si la Commission a prouvé que la prestataire a été congédiée en raison d’une inconduite.

[28] Dans ses documents et dans ses conversations avec la Commission, la prestataire a affirmé que ses droits civils et religieux avaient été violés. Cependant, la prestataire n’a fourni aucune preuve ni observation à l’appui de cette allégation dans les documents fournis, dans ses conversations avec la Commission ou dans son témoignage. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de cette affirmation.   

[29] Aspect délibéré : La prestataire a convenu dans son témoignage que cet aspect a été prouvé. Il ressort clairement de la preuve fournie dans ses déclarations à la Commission et de son témoignage que la prestataire a choisi de ne pas communiquer son statut vaccinal à l’employeur. Ce choix a été fait de façon délibérée, ce qui est caractéristique d’une inconduite au sens de l’assurance-emploi. 

[30] Manquement aux obligations envers l’employeur : En tant que milieu de soins de longue durée et établissement hospitalier, l’employeur avait l’obligation légale de suivre le décret, et ainsi, d’exiger la vaccination contre la COVID-19 et la communication du statut vaccinal (à moins d’une exemption ou d’une mesure d’adaptation). Le décret a créé une obligation pour les employés de se conformer aux exigences. À titre d’employée d’un établissement de soins de santé, la prestataire était donc tenue de respecter le décret. La prestataire a affirmé qu’elle n’avait pas accepté ce changement unilatéral à son contrat de travail et que c’était illégal de la part de son employeur. Ce sujet ne relève pas de ma compétence. Pour obtenir réparation à cet égard, la prestataire a la possibilité d’une procédure de griefs par l’entremise de son syndicat ou d’une action en justice. La preuve venant de la prestataire elle-même est claire et non contestée : elle a refusé de communiquer son statut vaccinal à l’employeur. Voilà l’inconduite reprochée dans cette affaire. Son refus délibéré de se conformer au décret constituait un manquement à ses obligations envers son employeur. Le décret exigeait que l’employeur obtienne le statut vaccinal de tous ses employés et qu’il en informe les autorités provinciales de santé publique. De plus, la prestataire savait que sa suspension ou son congédiement l’empêcherait de s’acquitter de toutes ses obligations envers son employeur. Elle aurait eu du 26 octobre au 15 novembre pour corriger la situation, se faire vacciner et déclarer son statut à ses gestionnaires, et ainsi, garder son emploi. Ce n’est pas ce qu’elle a fait.

[31] Connaissance des conséquences du non-respect : La prestataire a mentionné qu’elle ne savait pas qu’elle serait réellement suspendue ou congédiée. C’est ce qu’elle a déduit du courriel de l’employeur du 15 octobre : [traduction] « Les employés qui n’auront pas reçu une première dose de vaccin contre la COVID-19 d’ici le 15 novembre devraient entrevoir la possibilité que leur emploi ou toute autre entente contractuelle avec [employeur] prenne fin. » Selon la prestataire, cela ne signifiait pas nécessairement que l’employeur la congédierait. Elle pensait que c’était une tactique d’intimidation pour forcer les employés à se faire vacciner. Son interprétation était erronée. Malgré les nombreux avertissements de l’employeur au sujet des conséquences de tout non-respect, la prestataire est demeurée non conforme. Le courriel du 15 octobre indiquait que si elle n’avait pas reçu sa première dose au 26 octobre, elle serait [traduction] « mise en congé sans solde ». Le fait qu’elle a bel et bien été mise en congé sans solde le 26 octobre montre qu’il ne s’agissait pas d’une simple tactique d’intimidation. L’employeur était sérieux. La notion de « possibilité » de cessation d’emploi dans la formulation de l’employeur ne change rien. Dans son témoignage, la prestataire a reconnu qu’elle était au courant du risque de suspension ou de congédiement. Le critère juridique pour trancher la question est de voir si elle était au courant ou aurait dû être au courant du risque de congédiement. Je conclus que la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle risquait d’être suspendue ou congédiée si elle ne se conformait pas au décret.

[32] Congédiement causé par un manquement : Comme je l’ai conclu ci-dessus, le non-respect du décret a été la cause du congédiement de la prestataire.

Alors, la prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[33] Compte tenu de mes conclusions ci-dessus, j’estime que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[34] La Commission a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. C’est pourquoi la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[35] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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