Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : SP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1437

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (460189) datée du 13 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Leanne Bourassa
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 12 juillet 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 18 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1290

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec le prestataire, S. P.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été mis en congé sans solde (qu’il a été suspendu) en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’il a fait quelque chose qui lui a valu d’être mis en congé). Par conséquent, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Le prestataire, un infirmier autorisé, a été placé en congé sans solde de son emploi. L’employeur du prestataire a affirmé l’avoir mis en congé (suspendu) parce qu’il ne s’est pas conformé à sa politique de vaccination.

[4] Bien que le prestataire ne conteste pas ce qui s’est passé, il affirme qu’il a seulement été mis en congé sans solde et qu’il n’a pas été suspendu en raison d’une inconduite. Il a des raisons personnelles de ne pas se faire vacciner. Il ajoute qu’il croyait qu’il obtiendrait une exemption de la politique.

[5] La Commission a accepté la raison du congédiement que l’employeur a fournie. Elle a conclu que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Questions que je dois examiner en premier

L’appel n’est pas rejeté de façon sommaire

[6] Selon l’article 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division générale doit rejeter de façon sommaire un appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès.

[7] Selon l’article 22 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, avant de pouvoir rejeter un appel de façon sommaire, la division générale doit aviser la partie appelante par écrit et lui donner un délai raisonnable pour présenter des observations.

[8] Dans le cas qui nous occupe, j’ai avisé le prestataire le 27 mai 2022 que j’envisageais de rejeter le présent appel de façon sommaire. Le prestataire a répondu par écrit le 10 juin 2022 et la Commission a eu l’occasion de répondre. La réponse de la Commission a été reçue le 13 juin 2022.

[9] Compte tenu de ces réponses, j’ai conclu que l’appel avait une chance raisonnable d’être accueilli. Ainsi, l’appel n’est pas rejeté de façon sommaire. Une audience a été tenue sur le bien-fondé de la demande et la présente décision traite de l’affaire sur le fond.

L’employeur n’est pas mis en cause

[10] Il arrive parfois que le Tribunal envoie à l’ancien employeur d’une ou un prestataire une lettre lui demandant s’il souhaite être mis en cause dans l’appel. Dans la présente affaire, le Tribunal a envoyé une lettre à l’employeur. Ce dernier n’y a pas répondu.

[11] Pour être mis en cause, l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas ajouter l’employeur comme mis en cause dans le présent appel, car rien dans le dossier ne me laisse croire que ma décision imposerait une obligation juridique à l’employeur.

La question portée à la connaissance du Tribunal est l’inadmissibilité en raison d’une inconduite

[12] Dans ses observations, la Commission a signalé au Tribunal qu’il y a eu une erreur administrative dans la décision envoyée au prestataire après le réexamen de sa demande. Bien que la lettre indique que la raison de l’inadmissibilité est un [traduction] « congé », la Commission explique que l’on devrait lire [traduction] « inconduite ».

[13] Après l’examen du dossier et des faits, j’accepte que cette lettre doive indiquer qu’une [traduction] « inconduite » est la raison de l’inadmissibilité. J’estime aussi que le prestataire ne subirait aucun préjudice relativement à cette correction, premièrement parce que toutes les parties conviennent que son congé n’était pas volontaire, et deuxièmement parce qu’il a eu l’occasion de présenter des arguments qui étaient pertinents à la question de l’inconduite.

Question en litige

[14] Le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[15] Pour décider si le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison le prestataire a été mis en congé. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il été mis en congé de son emploi?

[16] J’estime que le prestataire a été mis en congé parce qu’il a refusé de se faire vacciner conformément à la politique de son employeur.

[17] La Commission et le prestataire ne sont pas entièrement d’accord sur la raison pour laquelle ce dernier a été suspendu de son emploi.

[18] La Commission affirme que l’employeur a donné la vraie raison de la suspension. L’employeur a dit à la Commission que le prestataire a été mis en congé parce qu’il ne s’est pas conformé à sa politique de vaccination. Le prestataire n’était pas vacciné au 19 octobre 2021 et il n’a fourni aucune exemption médicale ou religieuse au plus tard à la date limite.

[19] Le prestataire n’est pas d’accord et affirme qu’il n’a pas été suspendu, mais involontairement mis en congé sans solde parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination de l’employeur. Il avait des raisons personnelles de ne pas se faire vacciner et son syndicat contestait la question parce qu’il y avait eu violation de ses conditions d’emploi.

[20] J’estime que le prestataire a été mis en congé sans solde involontaire, ce qui équivaut à être suspendu, car il ne s’est pas conformé à la politique de l’employeur.

[21] Le prestataire ne nie pas avoir refusé de se faire vacciner. Il reconnaît qu’il a été mis en congé parce qu’il a fait un choix personnel en matière de santé, comme il en avait le droit. Il n’y a pas d’autre raison ayant mené à son congé.

La raison du congé (de la suspension) du prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[22] Selon la loi, la raison de la suspension du prestataire est une inconduite.

[23] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 2. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 3. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupableNote de bas de page 4 (c’est-à-dire qu’il a voulu faire quelque chose de mal).

[24] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 5.

[25] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 6.

[26] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que le prestataire était au courant de la politique de son employeur et de la date à laquelle il devait s’y conformer. Il n’a pas vraiment tenté d’envisager la possibilité d’une exemption et a volontairement refusé de se faire vacciner, ce qui contrevenait à la politique de son employeur. Il aurait dû savoir qu’il risquait une suspension sans solde, car son employeur l’avait averti clairement.

[27] Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu inconduite parce que la politique de l’employeur contrevenait à certains articles de son contrat de travail; l’employeur n’a pas établi d’exigence professionnelle justifiée pour sa politique obligatoire et l’a plutôt soumis à de la discrimination fondée sur le handicap perçu de l’infectiosité. Il explique également qu’il était prêt à se faire tester comme il l’a fait avant son congé et qu’il avait indiqué qu’il demandait des mesures d’adaptation pour divers motifs.

[28] J’estime que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite, parce que le prestataire savait que l’employeur avait instauré une politique et il connaissait les conséquences de ne pas s’y conformer. Il a pris la décision consciente et délibérée de ne pas se conformer à la politique. Il a été suspendu parce qu’il ne s’y est pas conformé.

[29] Le prestataire soutient que son relevé d’emploi indique qu’il a été mis en congé sans solde et que cela n’équivaut pas à être [traduction] « suspendu » en raison d’une [traduction] « inconduite ». Il affirme qu’il n’est écrit nulle part dans la politique de l’employeur que la suspension en raison d’une inconduite est une conséquence du défaut de se faire vacciner contre la COVID-19. Il ne pouvait donc pas savoir qu’il était possible qu’on le suspende s’il n’était pas vacciné.

[30] Je constate que l’obligation de se faire vacciner est énoncée clairement dans la politique de l’employeur. Voici le premier paragraphe de la politique : [traduction] « La présente politique exige que tout le personnel de [employeur] se fasse vacciner contre la COVID-19 et en fournisse la preuve en date du 19 octobre 2021 ». Le prestataire affirme qu’il a lu et compris la politique.

[31] La politique établit aussi clairement que le défaut de s’y conformer peut entraîner un congé sans solde ou d’autres mesures pouvant aller jusqu’à la cessation d’emploiNote de bas de page 7. Elle est encore plus précise lorsqu’elle indique qu’en date du 19 octobre 2021, les membres du personnel n’ayant pas été entièrement vaccinés seraient considérés comme non conformes à la politiqueNote de bas de page 8. Les personnes non conformes seraient mises en congé sans solde et pouvaient être considérées comme étant en violation de contratNote de bas de page 9.

[32] Bien que le prestataire soutienne qu’il n’a pas été suspendu pour inconduite, il m’apparaît évident qu’il n’a pas cessé de travailler de sa propre initiative. C’est son employeur qui a décidé qu’il ne pouvait pas travailler parce qu’il ne s’était pas conformé à la politique. Cela veut dire qu’il a été suspendu du travail.

[33] Comme l’établit la jurisprudence, il peut y avoir inconduite même lorsqu’une partie prestataire n’a pas d’intention coupableNote de bas de page 10. Le prestataire affirme qu’il exerçait son droit personnel de ne pas se faire vacciner. Il en a le droit. Cependant, il connaissait aussi les conséquences de l’exercice de ce droit.

[34] Le prestataire fait aussi valoir qu’il croyait se conformer à la politique de son employeur parce qu’il avait demandé une exemption de vaccination contre la COVID-19. L’employeur a dit à la Commission qu’il n’y avait aucune trace de demande d’exemption.

[35] J’ai interrogé le prestataire au sujet de sa demande d’exemption. Il m’a dit qu’il avait coché les cases du formulaire de divulgation en ligne indiquant qu’il voulait une exemption pour des raisons de religion, de santé et de croyance. Il n’y avait aucune communication de son employeur concernant le fait qu’il avait coché ces cases.

[36] Il n’y a aucune preuve au dossier qui montre exactement ce que le prestataire a dit dans son formulaire de divulgation en ligne. À cause de cela, je dois me fier à ce que dit la politique de l’employeur au sujet des exemptions. La politique dit que les membres du personnel qui demandent une exemption de la vaccination ou des tests doivent fournir des documents à l’appui d’une telle demandeNote de bas de page 11. Le prestataire affirme qu’on ne lui a jamais demandé de documents supplémentaires et qu’il n’a rien donné d’autre à son employeur que les cases qu’il a cochées dans le formulaire en ligne.

[37] La politique de l’employeur prévoit que les membres du personnel seraient informés de l’approbation ou du rejet de la demande d’exemption. Le prestataire a confirmé qu’après avoir remis son formulaire de divulgation en ligne, il n’a eu aucune nouvelle de la part de son employeur concernant une exemption. En fait, il a déclaré que pendant la seule conversation qu’il a eue avec son employeur, celui-ci avait tenté de le convaincre de se faire vacciner, lui rappelant qu’il ne voulait pas perdre son emploi.

[38] Le prestataire m’a dit qu’il savait qu’il serait mis en congé et qu’il espérait que le syndicat communique avec son employeur et parvienne à une entente quelconque. Il espérait qu’il n’y aurait pas de congé.

[39] Puisque le prestataire savait qu’un congé était la conséquence pour une personne qui ne se faisait pas vacciner au plus tard le 19 octobre 2021, et qu’il a choisi de ne pas le faire de manière délibérée, je dois conclure que sa conduite, en refusant de se conformer à la politique en se faisant vacciner, était délibérée.

[40] Bien que le prestataire affirme avoir demandé une exemption, je ne vois aucune preuve selon laquelle elle lui a été accordée. En fait, je comprends d’après son témoignage qu’il ne s’attendait pas vraiment à obtenir une exemption. Il savait donc qu’il n’avait pas d’exemption et a tout de même choisi de ne pas se conformer à la politique de l’employeur. Être mis en congé était une conséquence prévisible de ce geste.

[41] Selon la preuve dont je suis saisie, je conclus que le prestataire a fait le choix délibéré de ne pas se conformer à la politique de vaccination obligatoire de son employeur. Il connaissait les conséquences de la non-conformité à la politique et il a continué de refuser de s’y conformer. Ainsi, pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, il s’agit d’inconduite.

Somme toute, le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

[42] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

Autres arguments

[43] Le prestataire soutient également que son employeur n’a pas établi d’exigence professionnelle justifiée pour sa politique obligatoire. Il ajoute que la politique contient plusieurs violations des articles de son contrat de travail.

[44] Pour trancher les affaires d’inconduite, la Commission n’a pas à prouver la nature raisonnable et équitable de la politique d’un employeur. Au moment de rendre une décision sur des questions d’inconduite aux fins de l’assurance-emploi, seule la conduite de la partie prestataire constitue un facteur déterminantNote de bas de page 12.

[45] Dans la présente affaire, l’employeur est un organisme de santé publique de l’Ontario. Il est assujetti aux exigences énoncées par le ministère de la Santé de l’Ontario. Face à une pandémie mondiale, le ministère a mis en place la directive no 6 pour les hôpitaux publics, qui exigeait que ces organismes rendent compte de la vaccination. La politique de l’employeur fait précisément référence à cette directive et explique qu’elle témoigne de l’engagement de celui-ci envers la santé et la sécurité de ses clients ou patients, de son personnel et de l’ensemble de la collectivité.Note de bas de page 13

[46] L’employeur a aussi fourni des renseignements supplémentaires aux employées et employés. De plus, le prestataire confirme avoir pris part à une séance d’information concernant les vaccins contre la COVID-19. Bien qu’il n’ait peut-être pas accepté les renseignements qui lui ont été donnés, je ne suis pas d’accord pour dire que dans le contexte d’une pandémie mondiale et des obligations du ministère de la Santé, son employeur n’avait pas démontré d’exigence professionnelle pour sa politique.

[47] Le prestataire n’a fourni aucun renseignement au sujet des modalités de son contrat de travail. Il a confirmé que son syndicat a déposé des griefs contre la politique et sur la base également de ses circonstances personnelles. L’arbitrage en matière d’emploi entre le syndicat et l’employeur est l’instance appropriée pour traiter de ces questions. Je n’ai pas le pouvoir d’intervenir pour résoudre des différends liés au contrat entre le prestataire et son employeur.

[48] Enfin, le prestataire fait valoir qu’il a été soumis à de la discrimination, car son employeur l’a traité de façon différente parce qu’il n’était pas vacciné. Il estime qu’il a fait l’objet d’un traitement différent des autres en raison du handicap perçu de l’infectiosité. Même si je constate qu’avant sa mise en congé, le prestataire devait se faire tester avant le début de ses quarts de travail et que cette exigence était imposée uniquement aux employées et employés non vaccinés, l’infectiosité possible n’est pas un motif de discrimination qui peut être considéré pour décider s’il y a eu inconduite de la part d’une partie prestataire.

Conclusion

[49] La Commission a prouvé que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[50] Par conséquent, l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.