Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CH c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1337

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. H.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (471526) rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada le 18 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Nathalie Léger
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 11 octobre 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 16 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2045

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue pour inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné son congédiement). Par conséquent, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a perdu son emploi. Son employeur dit qu’elle a été congédiée parce qu’elle a contrevenu à sa politique de vaccination : elle ne s’est pas fait vacciner et a refusé de dire si elle avait été vaccinée.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas que cela s’est produit, elle affirme que contrevenir à la politique de vaccination de son employeur n’est pas une inconduite. La prestataire dit que la Commission et le Tribunal doivent évaluer le caractère raisonnable de la politique de son employeur. Elle soutient également que de nombreux facteurs laissent entrevoir le caractère déraisonnable de la politique, et que si une politique est déraisonnable, ce n’est pas une inconduite que de refuser de la suivre.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeur pour expliquer le congédiement. Elle a estimé que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a également décidé que la prestataire savait qu’elle pouvait être mise en congé en contrevenant à la politique. Elle a finalement jugé qu’elle n’avait pas à examiner le caractère raisonnable de la politique. La Commission a donc conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] La loi dit qu’on ne peut pas toucher de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique tant en cas de congédiement que de suspensionNote de bas de page 2.

[8] Pour décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois examiner pour quelle raison elle a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite. Dans cette section, j’examinerai si c’est le rôle de la Commission ou du Tribunal de décider du caractère raisonnable de la politique d’un employeur dans un cas d’inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[9] Les deux parties conviennent que la prestataire a été suspendue parce qu’elle a contrevenu à la politique de vaccination de son employeur. Je ne vois rien dans le dossier ou la preuve fournie à l’audience qui me fasse croire qu’il ne s’agit pas d’une description exacte des événements.

[10] Par conséquent, je conclus que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle a contrevenu à la politique de vaccination de son employeur.

La prestataire a-t-elle été congédiée en raison d’une inconduite au sens de la loi?

[11] La prestataire a été congédié en raison d’une inconduite au sens de la loi.

[12] La Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas ce qu’on entend par inconduiteNote de bas de page 3. Toutefois, la jurisprudence (décisions de cours et de tribunaux) nous montre comment établir si le congédiement de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Cette dernière définit le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les éléments à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[13] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, deux éléments doivent être réunis. Premièrement, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. Par inconduite, on entend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 5. Il n’est cependant pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 6.

[14] Deuxièmement, pour qu’il y ait inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi, la Commission doit prouver que la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas de page 7.

[15] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 8. Je reviendrai sur ce point plus loin dans cette décision. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou omis de faire et si cela équivaut à une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 9.

[16] Je dois me concentrer uniquement sur la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si la prestataire a d’autres options selon d’autres lois. Il ne m’appartient pas de décider si elle a été suspendue injustement ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables pour répondre à ses besoins (lui offrir des mesures d’adaptation)Note de bas de page 10. Je ne peux examiner qu’une seule chose, soit si ce que la prestataire a fait ou a omis de faire est une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[17] Il faut que la Commission prouve que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire que la Commission doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 11.

[18] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur a mis en place une politique de vaccination exigeant que tous les employés soient entièrement vaccinés et divulguent leur statut vaccinalNote de bas de page 12;
  • le 6 octobre 2021, l’employeur a clairement avisé les employés, y compris la prestataire, qu’ils devaient lui dire s’ils avaient été vaccinés au plus tard le 29 octobre 2021Note de bas de page 13;
  • à la même date, l’employeur a clairement informé les employés, y compris la prestataire, que les personnes non vaccinées seraient mises en congé administratif;
  • la prestataire savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait si elle ne suivait pas la politique;
  • la prestataire a refusé de divulguer son statut vaccinal à l’employeurNote de bas de page 14;
  • le 15 novembre 2022, la prestataire a reçu une lettre de son employeur l’informant qu’elle avait été mise en congé administratif sans solde avec effet immédiat parce qu’elle n’avait pas divulgué son statut vaccinal comme l’exigeait la politique.

[19] La prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que la politique de vaccination de l’employeur était déraisonnable et violait son droit à la vie privée. Elle ne conteste pas le fait qu’elle n’est pas vaccinée et qu’elle n’a pas informé son employeur de son statut vaccinal. La prestataire ne conteste pas non plus le fait qu’elle était consciente des conséquences qu’elle encourait si elle ne respectait pas la politique. Elle a dit qu’elle voulait des réponses à ses nombreuses questions avant de prendre une décision, mais qu’elle ne les a pas obtenues de son employeur.

Caractère raisonnable de la politique de l’employeur

[20] Dans ses observations très complètes et bien rédigéesNote de bas de page 15, la prestataire affirme que son appel est fondé sur le fait qu’il ne peut y avoir d’inconduite lorsqu’une politique est déraisonnableNote de bas de page 16. Elle fait valoir que la jurisprudence invoquée par la Commission ne s’applique pas à son cas parce la politique n’était pas en cause dans cette décisionNote de bas de page 17.

[21] Je ne suis pas d’accord avec cet argument parce que le principal point de droit en cause dans cette décision est que la conduite d’un employeur n’est pas du tout une question à prendre en compte dans un cas d’inconduiteNote de bas de page 18. Il découle de cette conclusion que le caractère raisonnable d’une politique d’un employeur ne pose pas de problème, qu’elle soit contestée ou non. Deux autres décisions de la Cour fédérale vont dans le même sensNote de bas de page 19.

[22] La prestataire soutient égalementNote de bas de page 20 que la Commission, et donc le Tribunal, doivent décider si la politique était raisonnable parce que le Guide de la détermination de l’admissibilitéNote de bas de page 21 dit qu’il faut examiner le caractère raisonnable d’une politique pour décider la conduite d’une partie prestataire constitue une inconduite. Cela est mentionné dans la section sur l’insubordination, qui ne fait pas référence à une décision clairement exécutoire d’une cour supérieure.

[23] Le Guide de détermination de l’admissibilité ne lie pas le Tribunal, mais il peut faciliter l’interprétation lorsque la jurisprudence ou le libellé de la Loi sur l’assurance‑emploi ne sont pas clairs sur un point précisNote de bas de page 22. On peut pas s’appuyer sur le Guide pour renverser l’interprétation reconnue d’un article précis de la LoiNote de bas de page 23.

[24] Dans cette affaire, les décisions exécutoires de la Cour fédéraleNote de bas de page 24 et de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 25 sont claires : l’accent est mis sur la conduite de l’employé, et non sur celle de l’employeur. Cela signifie qu’il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer si une politique d’un employeur est raisonnable ou juste. L’accent doit rester sur ce que l’employé a choisi de faire et sur sa connaissance des conséquences de ce choix. La question du caractère raisonnable de la politique de l’employeur relève de l’arbitre du travail ou des tribunauxNote de bas de page 26.

[25] De plus, le critère juridique de l’inconduite est objectif. Cela signifie qu’elle ne se concentre pas sur les raisons pour lesquelles elle a agi d’une certaine façon, mais sur la connaissance qu’avait une prestataire des conséquences possibles de ses actes.Note de bas de page 27 Les motifs qui appuient la décision d’un employé d’agir d’une manière qui ne correspond pas à la politique de l’employeur ne sont pas pertinents pour décider si une inconduite a été démontrée par la Commission.

[26] Par conséquent, je conclus que le Tribunal ne devrait pas et ne peut pas se pencher sur le caractère raisonnable de la politique de l’employeur pour évaluer s’il y a eu inconduite dans cette affaire.

Conclusion sur l’inconduite

[27] Je juge que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination qui précisait clairement que les employés devaient être entièrement vaccinés et divulguer leur statut vaccinal au plus tard le 29 octobre 2021;
  • cette politique a été communiquée à tous les employés le 6 octobre 2021;
  • la prestataire a envoyé à l’employeur des questions au sujet de la politique pour pouvoir prendre une décision éclairée;
  • le 29 octobre 2021, la prestataire a discuté avec son gestionnaire de son non‑respect de la politique et on lui a donné jusqu’au 15 novembre 2021 pour se conformer;
  • le prestataire connaissait ou aurait dû connaître les conséquences de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, parce que celles-ci y étaient clairement énoncées.

[28] Il ressort clairement des éléments énumérés ci-dessus que la prestataire était au courant de la politique de l’employeur et de ses obligations aux termes de celle-ci. Il est aussi clair que la prestataire était consciente des conséquences du non-respect de ces obligations et qu’elle a quand même choisi de ne pas se faire vacciner avant la date limite du 15 novembre.

Somme toute, la prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[29] D’après les conclusions que j’ai tirées ci-dessus, je juge que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[30] Ceci est dû au fait que les actions de la prestataire ont mené à son congédiement. Elle a agi de façon délibérée. Elle savait qu’elle risquait de perdre son emploi en refusant de se faire vacciner et de dire si elle avait été vaccinée.

Conclusion

[31] La Commission n’a pas prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle est donc exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[32] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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