Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CA c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1404

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. A.
Représentante ou représentant : C. W.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (467886) datée du 4 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 27 septembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Date de la décision : Le 3 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1763

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Décision

[1] L’appel est rejeté, avec modification à la date de fin de l’inadmissibilité.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. En d’autres termes, on l’a suspendu parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi.

[3] Le prestataire est retourné travailler le 11 juillet 2022. Cela signifie qu’il est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi du 15 novembre 2021 au 8 juillet 2022.

Aperçu

[4] Le prestataire a cessé de travailler le 14 novembre 2021. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission a examiné les raisons données par le prestataire pour expliquer pourquoi il ne travaillait plus. Elle a décidé qu’il avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite et qu’elle ne pouvait donc pas lui verser des prestationsNote de bas de page 1.

[5] Son employeur a dit à la Commission qu’il avait mis le prestataire en congé sans solde de son emploi parce qu’il avait refusé de se conformer à sa politique de vaccination. Il s’agissait d’abord d’un congé d’une durée déterminée allant jusqu’au 11 janvier 2022, date à laquelle le prestataire allait être congédié s’il n’acceptait pas de respecter la politique de vaccination. L’employeur a reporté le congédiement du prestataire.

[6] L’employeur a pris connaissance de procédures judiciaires contestant l’arrêté ministériel rendant les vaccins obligatoires sur les lieux de travail du prestataire. Il a permis au prestataire de revenir au travail à partir du 11 juillet 2022.

[7] La Commission a examiné la raison pour laquelle l’employeur avait mis le prestataire en congé sans solde. Elle a décidé que l’employeur avait suspendu le prestataire en raison d’une inconduite. Elle a l’a donc déclaré inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

[8] Le prestataire fait appel au Tribunal de la sécurité sociale. Il conteste qu’il a été suspendu. Il affirme plutôt avoir été placé en congé sans solde pour avoir omis de démontrer qu’il était vacciné contre la COVID-19. Il affirme qu’il est un Autochtone et qu’il croit aux méthodes traditionnelles, pas aux vaccins. Il a droit à la vie et à l’égalité. Il dit avoir respecté les règlements, la convention collective et la politique relative à la COVID de l’employeur en demandant une exemption religieuse. Il affirme aussi que la politique de l’employeur enfreint les lois relatives à la protection des renseignements personnels et est une incitation publique à la haine.

Question que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas mis en cause

[9] Il arrive parfois que le Tribunal envoie à l’ancien employeur de la partie prestataire une lettre lui demandant s’il souhaite être mis en cause dans l’appel. Dans la présente affaire, le Tribunal a envoyé une lettre à l’employeur. Ce dernier n’y a pas répondu.

[10] Pour être mis en cause, l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas ajouter l’employeur comme mis en cause dans le présent appel, car rien dans le dossier n’indique que ma décision imposerait une obligation juridique à l’employeur.

Question en litige

[11] Le prestataire a-t-il été mis en congé ou suspendu?

[12] S’il a été suspendu, la suspension était-elle due à une inconduite?

Analyse

Congé ou suspension

[13] Je conclus que la situation du prestataire est une suspension pour les motifs que j’ai énoncés ci-dessous.

[14] Dans le contexte de la Loi sur l’assurance-emploi, un congé ou une période de congé volontaire exige une entente entre l’employeur et une partie prestataire. La partie prestataire et l’employeur doivent également avoir convenu d’une date de reprise d’emploiNote de bas de page 2.

[15] Le prestataire affirme qu’il n’a pas accepté de prendre une période de congé sans solde de son emploi commençant le 15 novembre 2021Note de bas de page 3. Il dit plutôt que son employeur l’a mis en congé sans solde parce qu’il préférait ne pas divulguer son statut vaccinal. Il a demandé une exemption religieuse, mais l’employeur a rejeté sa demande.

[16] Le prestataire affirme que l’employeur a commis une erreur au moment de délivrer le relevé d’emploi indiquant que le motif de l’émission du document était « M » pour « Congédiement ». Son employeur ne lui a jamais dit qu’il le congédiait ou le licenciait. Il affirme que le relevé d’emploi devrait être corrigé et indiquer « N », qui correspond à un congé.

[17] La loi dit qu’il n’existe aucun mécanisme aux termes duquel le Tribunal de la sécurité sociale peut obliger l’employeur à modifier le relevé d’emploiNote de bas de page 4. Ainsi, même si j’établissais que le relevé d’emploi indiquait un motif de fin d’emploi incorrect, ce qui n’est pas le cas, je n’ai pas compétence pour ordonner à l’employeur ou à la Commission de modifier le relevé d’emploi.

[18] L’article de loi consacré à l’inadmissibilité en raison d’une suspension porte sur les gestes d’une partie prestataire qui ont mené à la fin de leur emploi. Il prévoit que la partie prestataire suspendue de son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestationsNote de bas de page 5.

[19] La preuve montre que c’est à cause de sa façon d’agir, en refusant de se conformer à la politique de vaccination de l’employeur, que le prestataire s’est retrouvé sans travail. Je suis donc convaincue qu’aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi, on peut considérer que la situation du prestataire est une suspension.

Suspension en raison d’une inconduite

[20] Pour établir si l’employeur a suspendu le prestataire en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison le prestataire a été suspendu de son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi?

[21] J’estime que l’employeur a suspendu le prestataire parce que celui-ci ne s’est pas conformé à sa politique de vaccination contre la COVID-19. Le prestataire convient que l’employeur l’a empêché de travailler à compter du 14 novembre 2021, pour cette raison.

[22] L’employeur a dit à la Commission que le prestataire avait été mis en congé parce qu’il a choisi de ne pas divulguer son statut vaccinal, comme l’exige la politique de vaccination de l’employeur. Le prestataire a été mis en congé sans solde pendant une période indéterminée.

[23] La preuve montre que le prestataire était au courant de la politique de vaccination. Plus précisément, les documents au dossier montrent qu’il a présenté une demande d’exemption religieuse de cette politiqueNote de bas de page 6. À l’audience, le prestataire a livré un témoignage contradictoire. D’abord, il a affirmé qu’il n’était pas tout à fait au courant de la politique. Ensuite, il a expliqué de façon détaillée qu’il ne pouvait pas entrer sur les lieux de travail parce qu’il préférait ne pas divulguer son statut vaccinal, comme l’exige la politique. Il a également expliqué que son employeur a rejeté sa demande d’exemption religieuse de la politique. Le prestataire affirme avoir gardé le contact avec son syndicat, pour recevoir des mises à jour sur les modifications à la politique.

[24] Le 16 novembre 2021, l’employeur a informé le prestataire par écrit qu’il ne s’était pas conformé à sa politique de vaccination. Il avait aussi omis de fournir à son employeur un motif légitime expliquant pourquoi il ne s’y était pas conformé; il a donc été mis en congé sans solde à compter du 15 novembre 2021Note de bas de page 7.

[25] Le 30 novembre 2021, l’employeur a écrit au prestataire, indiquant que celui-ci serait congédié le 11 janvier 2022 s’il ne fournissait pas de preuve de vaccination au plus tard le 10 janvier 2022Note de bas de page 8. Le 10 janvier 2022, l’employeur a écrit une autre lettre au prestataire, indiquant qu’il demeurait en congé sans solde en attendant l’issue d’une procédure récente intentée pour contester l’arrêté ministériel exigeant que tous les employées et employés de leur secteur d’activité se fassent vaccinerNote de bas de page 9.

[26] Le prestataire soutient qu’il n’a reçu aucune des lettres que l’employeur lui a envoyées par courriel après le 14 novembre 2021. En effet, il n’avait pas accès à sa boîte de courriel professionnelle jusqu’à son retour au travail le 11 juillet 2022. Après de plus amples précisions, le prestataire a affirmé qu’il était au courant de ce qui se passait relativement à son statut d’emploi après le 14 novembre 2021, grâce à une communication constante avec son syndicat.

[27] La Commission a refusé de verser des prestations d’assurance-emploi au prestataire parce qu’il avait été suspendu de son emploi en raison de son inconduite. Elle a imposé une inadmissibilité d’une durée indéterminée à compter du 15 novembre 2021. La Commission a maintenu sa décision après révision.

[28] D’après ce qui précède, je conclus que l’employeur a suspendu le prestataire parce que celui-ci ne s’est pas conformé à sa politique de vaccination contre la COVID-19.

La raison de la suspension est-elle une inconduite selon la loi?

[29] Oui. J’estime que la raison de la suspension du prestataire est une inconduite selon la loi. Mes motifs sont énoncés ci-dessous.

[30] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelle. Cela comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 10. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupableNote de bas de page 11 (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal).

[31] Il y a inconduite si la partie prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 12.

[32] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que le prestataire savait qu’il devait respecter la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur pour continuer à travailler. La politique exige qu’il divulgue son statut vaccinal et reçoive au moins une dose de vaccin contre la COVID-19 au plus tard le 15 novembre 2021, si on ne lui accordait pas d’exemption. L’employeur a rejeté sa demande d’exemption religieuse et il a refusé intentionnellement de divulguer son statut vaccinal. Ce refus volontaire était la cause directe de sa suspension.

[33] Le prestataire s’est contredit. Il a d’abord dit qu’il n’était pas tout à fait au courant de la politique de l’employeur, mais a indiqué ensuite qu’il s’y était conformé. Je reconnais que le prestataire a demandé une exemption religieuse, mais l’employeur a rejeté sa demande. Le prestataire admet qu’il était conscient de ne pas se conformer à la politique de l’employeur en refusant de divulguer son statut vaccinal.

[34] Le prestataire fait valoir qu’il était disposé à travailler et capable de le faire. Il était disposé à travailler et à passer des tests de dépistage ACP (selon le procédé d’amplification en chaîne par polymérase). Il savait cependant que la politique de l’employeur exigeait qu’il mette à jour son statut vaccinal au plus tard le 24 septembre 2021.

[35] J’estime que le prestataire savait que son refus de se conformer à la politique de l’employeur pouvait entraîner sa mise en congé sans solde (sa suspension) et son congédiement éventuel. Il s’agit là d’une attitude délibérée, consciente et voulue, et qui respecte le principe juridique de l’inconduite énoncé à l’article 30(1) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[36] Comme je l’ai expliqué durant l’audience, il ne m’appartient pas de vérifier si la politique ou les actions de l’employeur étaient raisonnables ou contrevenaient aux droits à la protection de la vie privée du prestataireNote de bas de page 13. Je n’ai pas le pouvoir de rendre des décisions quant à savoir si l’employeur aurait dû accorder des mesures d’adaptation au prestataire ou si son refus de le faire était discriminatoire. Le prestataire peut faire des revendications en ce sens et des allégations auprès d’un autre tribunal qui peut rendre des décisions à leur égard.

[37] Il ne m’incombe pas non plus d’établir si l’employeur a congédié le prestataire de manière abusive ou implicite, car ce terme relève du droit du travail et du common law. Le critère du « motif valable », tel qu’utilisé dans ces procédures et en arbitrage diffère du critère juridique appliqué au moment de décider s’il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 14.

[38] De plus, je ne peux pas trancher les questions relatives au non-respect d’une convention collective. Le prestataire affirme que sa convention collective exigeait que son employeur mène une enquête formelle avant de lui imposer des sanctions disciplinaires, ce qu’il n’a pas fait. La conformité de l’employeur à une convention collective doit être soumise à l’arbitrage conformément à cette entente et n’est pas pertinente à l’admissibilité du prestataire aux prestations d’assurance-emploi.

[39] Selon le représentant du prestataire, il était déraisonnable de s’attendre à ce que celui-ci se conforme à la politique de l’employeur en si peu de temps. Il soutient que la politique a été communiquée le 13 novembre 2021 et est entrée en vigueur le 15 novembre 2021. Je ne suis pas d’accord, parce que les documents au dossier montrent qu’il y a eu sept communications envoyées aux employées et employés par courriel entre août et novembre 2021, traitant des exigences gouvernementales et de la condition d’emploi exigeant que tous soient vaccinésNote de bas de page 15.

[40] L’employeur a dit à la Commission qu’il a envoyé un courriel aux employées et employés en octobre 2021, indiquant que toute personne n’ayant pas fourni son statut vaccinal risquait la mise en congé sans solde à compter du 1er novembre 2021. L’employeur a également écrit au prestataire au sujet de l’arrêté ministériel émis le 29 octobre 2021, qui exigeait la vaccination pour l’ensemble des employées et employés des chemins de fer sous réglementation fédérale.

[41] Après examen de l’ensemble de la preuve portée à ma connaissance, je conclus que la Commission a démontré que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Il a été mis au courant de l’arrêté ministériel sur la vaccination et de la politique de vaccination de l’employeur. On lui a donné du temps pour s’y conformer. Puisqu’il ne l’a pas fait, l’employeur l’a suspendu.

[42] Bien que je sois sensible à la situation du prestataire, je dois appliquer la loi telle qu’elle estNote de bas de page 16. Compte tenu de mes conclusions décrites ci-dessus, je suis d’avis que l’employeur a suspendu le prestataire de son emploi en raison de l’inconduite de ce dernier. Par conséquent, le prestataire est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi pendant la période de suspension.

[43] Le prestataire affirme qu’il est retourné travailler le 11 juillet 2022. Cela signifie qu’il est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi du 15 novembre 2021 au 8 juillet 2022.

Conclusion

[44] La période d’inadmissibilité va du 15 novembre 2021 au 8 juillet 2022. Autrement dit, l’appel est rejeté avec modification.

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