Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c SP, 2022 TSS 1557

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Josée Lachance
Partie intimée : S. P.
Représentant : Patrick Langis

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 29 juillet 2022 (GE-22-691)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 13 décembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 30 décembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-624

Sur cette page

Décision

[1] L’appel de la Commission est accueilli sur la question de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

[2] Le dossier retourne à la division générale afin de déterminer si la prestataire suivait une formation non autorisée et, dans l’affirmative, si elle était disponible à travailler à partir du 28 septembre 2020.

Aperçu

[3] L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a décidé que l’intimée (prestataire) n’était pas admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi à compter du 28 septembre 2020, parce qu’elle suivait une formation qui n’était pas autorisée et qu’elle n’était pas disponible pour travailler. La prestataire a interjeté appel de la décision en révision de la Commission devant la division générale.

[4] La division générale a déterminé que la Commission n’avait pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire en décidant de vérifier et de réexaminer la demande de prestations de la prestataire. Elle a conclu que la Commission ne pouvait pas déterminer, d’une façon rétroactive, que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[5] La division d’appel a accordé à la Commission la permission d’en appeler de la décision de la division générale. La Commission soutient que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 153.161 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[6] Je dois décider si la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 153.161 de la Loi sur l’AE.

[7] J’accueille l’appel de la Commission sur la question de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

[8] Le dossier retourne à la division générale afin de déterminer si la prestataire suivait une formation non autorisée et, dans l’affirmative, si elle était disponible à travailler à partir du 28 septembre 2020.

Question en litige

[9] Est-ce que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 153.161 de la Loi sur l’AE?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[10] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).Note de bas page 1

[11] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[12] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, Je dois rejeter l'appel.

Est-ce que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 153.161 de la Loi sur l’AE?

[13] La division générale a déterminé que la Commission a utilisé les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu des articles 52 et 153.161(2) de la Loi sur l’AE pour réviser la demande de prestations de la prestataire. Elle a déterminé que la Commission a changé sa décision en déterminant que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations.

[14] La division générale a déterminé que la Commission a rendu une nouvelle décision conformément à la procédure prévue à l’article 52(2) de la Loi sur l’AE. Il y avait donc lieu d’examiner si la Commission avait utilisé son pouvoir discrétionnaire de réexamen de façon conforme à la norme judiciaire. La division générale a conclu que la Commission n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, en décidant de vérifier la demande de prestations de la prestataire et en procédant à un nouvel examen de cette demande.

[15] La Commission soutient que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 153.161(2) de la partie VIII.5 de la Loi sur l’AE en déterminant que cette provision donne à la Commission un pouvoir analogue à celui qu’elle détient en vertu de l’article 52(1) de la Loi sur l’AE.

[16] D’autre part, la Commission soumet que la division générale a également erré en droit lorsqu’elle a indiqué que la Commission avait changé sa décision en déterminant que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations et qu’elle avait rendu une nouvelle décision conformément à la procédure prévue à l’article 52(2) de la LAE.

[17] La Commission soutient que les décisions d'admissibilité sur la disponibilité, rendues en vertu de l’article 153.161(2) de la Loi sur l’AE, ne sont pas des décisions de réexamen ou révision en vertu des articles 52 ou 112 de la Loi sur l’AE.

[18] La prestataire fait valoir que la Commission aurait dû vérifier sa demande dès le début de sa période de prestations. Elle aurait pu ainsi obtenir la confirmation que sa demande d’autorisation avait été acceptée par Connexion NB-AE. Toutefois, la Commission a attendu environ un an après avoir commencé à lui verser des prestations, soit jusqu’en novembre 2021, pour l’informer qu’elle allait devoir rembourser celles qui lui avaient été versées.

[19] La prestataire soutient que la division générale n’a pas commis d’erreur en concluant que la Commission n’avait pas exercé son pouvoir de façon judiciaire puisqu’elle suivait une formation dirigée. De plus, elle a fait preuve de transparence en déclarant suivre une formation à temps plein dans sa demande, ainsi que dans ses déclarations.

[20] Afin de déterminer si la division générale a commis des erreurs, il est important d'examiner d'abord les pouvoirs de révision de la Commission avant de considérer l'impact des mesures temporaires pour faciliter l'accès aux prestations qui sont entrées en vigueur pendant la pandémie.

[21] Les pouvoirs de réexamen de la Commission sont énoncés à l'article 52 de la Loi sur l'AE. Cet article prévoit que la Commission peut réexaminer une demande de prestations dans les 36 mois suivant le paiement des prestations.Note de bas page 2

[22] La jurisprudence a établi que la seule restriction au pouvoir de réexamen de la Commission en vertu de l'article 52 de la Loi sur l'AE est le délai. Par conséquent, la Commission peut réexaminer une demande en vertu de l'article 52, même s'il n'y a pas de faits nouveaux. En d'autres termes, elle peut retirer son approbation antérieure et exiger des prestataires qu'ils remboursent les prestations qui ont été versées en vertu de cette approbation.Note de bas page 3

[23] Pendant la pandémie, le gouvernement a modifié temporairement la Loi sur l’AE. L'article 153.161 a été ajouté à la Loi sur l'AE et est entré en vigueur le 27 septembre 2020. Cette disposition s’applique à la prestataire qui a établi une demande initiale de prestations d’assurance-emploi le 27 septembre 2020.

[24] L'article 153.161 de la Loi sur l'AE mentionne ce qui suit :

Disponibilité

Cours ou programme d’instruction ou de formation non dirigé

153.161 (1) Pour l’application de l’alinéa 18(1) a), le prestataire qui suit un   cours ou programme d’instruction ou de formation pour lequel il n’a pas été dirigé conformément aux alinéas 25(1) a) ou b) n’est pas admissible au versement des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu’il était, ce jour-là, capable de   travailler et disponible à cette fin.

Vérification

(2) La Commission peut vérifier, à tout moment après le versement des prestations, que le prestataire visé au paragraphe (1) est admissible aux prestations en exigeant la preuve qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestations.

[25] Cette disposition temporaire prévoit que la Commission peut vérifier si un prestataire a droit à des prestations en exigeant une preuve de sa disponibilité à travailler à tout moment après le versement des prestations. Ceci implique que la vérification de l’admissibilité ne pourrait avoir lieu qu’après le versement des prestations. L'article 52 de la Loi sur l'AE est rédigé différemment. Il prévoit que la Commission peut examiner de nouveau toute demande de prestations dans les 36 mois suivant une approbation antérieure.

[26] Malgré ces différences, je suis d'avis que l'article 153.161 doit être lu conjointement avec l'article 52 de la Loi sur l'AE. Une section permet à la Commission de vérifier le droit aux prestations, si elle ne l'a pas fait, l'autre permet à la Commission de reconsidérer sa décision, si elle l'a fait. Les deux articles visent à récupérer des sommes indûment reçues par un prestataire.

[27] La preuve démontre que la disponibilité de la prestataire a été vérifiée pour la 1ere fois le 15 octobre 2021. La prestataire a déclaré qu’elle était aux études à temps plein et que sa priorité était de terminer sa formation. Il n’y a aucune preuve devant la division générale qui démontre que la prestataire a discuté avec un agent de la Commission ou qu’une vérification de sa disponibilité a été effectuée avant cette date.

[28] Je suis d'avis que l'article 153.161 de la Loi sur l’AE permettait à la Commission de vérifier si la prestataire avait droit à des prestations. Il n'était certainement pas nécessaire d’exiger une preuve de disponibilité puisque la prestataire a admis que sa priorité était de terminer sa formation.

[29] Cependant, la décision de procéder à une vérification en vertu de l'article 153.161, ou d’examiner à nouveau en vertu de l’article 52, est de nature discrétionnaire. Cela signifie que bien que la Commission ait le pouvoir de vérifier ou de réexaminer, elle n'est pas obligée de le faire.

[30] La loi dit que les pouvoirs discrétionnaires doivent être exercés de manière judiciaire. Cela signifie que lorsque la Commission décide de reconsidérer une demande, elle ne peut agir de mauvaise foi ou dans un but ou motif illégitime, tenir compte d'un facteur non pertinent ou ignorer un facteur pertinent ou agir de manière discriminatoire.Note de bas page 4

[31] Je constate que la Commission a élaboré une politique pour l'aider à exercer son pouvoir discrétionnaire de réexaminer des décisions en vertu de l’article 52 de la Loi sur l'AE. La Commission affirme que la raison de la politique est « d'assurer une application uniforme et équitable de l'article 52 de la Loi sur l'AE et d'empêcher la création de dettes lorsque le prestataire a été payé en trop sans qu'il y ait eu faute de sa part ». La politique prévoit qu'une réclamation ne sera réexaminée que lorsque :

  • il y a un moins-payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la loi;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit.Note de bas page 5

[32] La politique stipule qu'une période de non-disponibilité n'est pas une situation où des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi sur l'AE.Note de bas page 6 La prestataire n'a pas fait de déclaration fausse ou trompeuse et ne pouvait pas savoir qu'elle n'avait pas droit aux prestations reçues. Aucun des facteurs mentionnés dans la politique de la Commission ne justifie un réexamen de la réclamation de la prestataire puisqu’elle a agi de bonne foi et a déclaré sa formation à plusieurs reprises à la Commission.

[33] Est-ce que la Commission devait appliquer la politique de l’article 52 pour l'aider à exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 153.161 de la Loi sur l’AE? Je ne le crois pas.

[34] Je suis d'avis que, pendant les mesures temporaires mises en place pendant la pandémie, le pouvoir discrétionnaire de la Commission de décider de vérifier la disponibilité d’un prestataire devait être exercé en gardant à l'esprit l'intention législative de l'article 153.161 de la Loi sur l'AE.

[35] En mettant en œuvre cet article pendant la pandémie, le Parlement a clairement voulu insister sur le pouvoir de la Commission de vérifier si un prestataire suivant un cours, un programme d'enseignement ou une formation avait droit aux prestations d'assurance-emploi, et ce, même après le versement des prestations.

[36] Je suis d’avis que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire selon les paramètres établis par le Parlement durant la pandémie.

[37] Compte tenu des facteurs susmentionnés, je conclus que la division générale a commis une erreur en décidant que la Commission n’a pas exercé son pouvoir de manière judiciaire et qu'elle ne pouvait donc pas déterminer, d’une façon rétroactive, que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[38] Je suis donc justifié d’intervenir.

Remède

[39] Pour les raisons précédemment mentionnées, je suis d’avis que la Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire suivant l’article 153.161 de la Loi sur l’AE.

[40] La Commission a tenu compte de tous les renseignements pertinents pour décider de vérifier la disponibilité de la prestataire. Aucun nouveau fait pertinent n'a été fourni à l'audience de la division générale que la prestataire n'ait déjà fourni à la Commission. Rien n'indique que la Commission ait considéré des informations non pertinentes ou ait agi de mauvaise foi ou de manière discriminatoire. La Commission a également agi dans un but légitime en vérifiant le droit de la prestataire aux prestations.

[41] Cependant, compte tenu des conclusions erronées de la division générale, le dossier retourne à la division générale afin de déterminer si la prestataire suivait une formation non autorisée et, dans l’affirmative, si elle était disponible à travailler à partir du 28 septembre 2020.

Conclusion

[42] L’appel de la Commission est accueilli sur la question de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

[43] Le dossier retourne à la division générale afin de déterminer si la prestataire suivait une formation non autorisée et, dans l’affirmative, si elle était disponible à travailler à partir du 28 septembre 2020.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.