Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1485

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (428176) datée du 8 juillet 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Candace R. Salmon
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 25 juillet 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 27 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-21-1371

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prestataire.

[2] La prestataire n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi au moment où elle l’a fait (autrement dit, qu’elle avait une raison que la loi accepte). La prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi parce qu’elle avait d’autres options raisonnables. Cela signifie qu’elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] La prestataire a quitté son emploi en avril 2021, et elle a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons de son départ. Elle a décidé que la prestataire avait quitté son emploi de façon volontaire (ou qu’elle avait choisi de démissionner) sans être fondée à le faire, et qu’elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si la prestataire a prouvé qu’elle n’avait aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[5] La Commission dit que la prestataire aurait pu chercher du travail dans sa nouvelle communauté avant de démissionner, demander un congé ou des vacances avant de démissionner, ou consulter un médecin au sujet des répercussions de ses circonstances sur sa santé.

[6] La prestataire n’est pas d’accord et dit qu’elle n’a pas eu le choix de quitter son emploi. Elle dit qu’elle se sentait seule après le décès de son époux. Elle a expliqué que la pandémie de COVID-19 a empiré les choses, qu’elle avait peur et qu’elle ne se sentait pas en sécurité. Elle a ajouté qu’elle avait besoin d’être dans une communauté où elle connaissait des gens, alors elle est déménagée où elle avait de la famille.

Question en litige

[7] La prestataire est-elle exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle a quitté volontairement son emploi sans être fondée à le faire?

[8] Pour trancher cette question, je dois d’abord examiner le départ volontaire de la prestataire. Je dois ensuite décider si elle était fondée à quitter son emploi.

Analyse

Les parties conviennent que la prestataire a quitté volontairement son emploi

[9] Je reconnais que la prestataire a quitté volontairement son emploi. La prestataire convient que sa dernière journée de travail était le 8 avril 2021, et elle dit avoir démissionné de son emploi pour déménager à un autre endroit et veiller à sa santé mentale. Je ne vois aucune preuve pour contredire cela.

Les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la prestataire était fondée à quitter son emploi

[10] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi quand elle l’a fait.

[11] La loi précise qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans être fondée à le faire. Avoir une bonne raison de quitter un emploi ne suffit pas à démontrer que l’on avait une justificationNote de bas de page 1.

[12] La loi explique ce qu’on entend par une personne « est fondée à » faire quelque chose. Selon la loi, une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. La loi précise qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 2.

[13] La prestataire est responsable de prouver que son départ était fondéNote de bas de page 3. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas. Pour décider si le départ de la prestataire était fondé, je dois examiner toutes les circonstances entourant sa démission.

[14] La prestataire dit qu’elle travaillait dans une résidence de retraite assistée et de soins de longue durée. Elle a dit y avoir travaillé du mois d’avril 2009 au 8 avril 2021. Elle a dit avoir démissionné parce qu’elle a décidé de déménager de X, en Nouvelle-Écosse, à X, en Nouvelle-Écosse, et qu’elle n’avait pas pu obtenir un transfert de poste.

[15] À l’audience, la prestataire a énuméré une série de pertes difficiles dans sa vie personnelle. Elle a dit qu’en 2018, elle s’est réveillée et a réalisé que son époux de 38 années était décédé dans son sommeil. Il y a eu ensuite plusieurs autres décès et maladies graves dans sa famille immédiate et chez ses amis. Elle a dit qu’elle était retournée au travail trois semaines après le décès de son époux, parce qu’elle [traduction] « n’en pouvait plus d’être seule ».

[16] La prestataire a dit qu’en 2018 et en 2019, elle était en état de choc et qu’elle a commencé à reprendre sa vie en main lorsque la COVID-19 a frappé en 2020. Elle a dit qu’elle était passée de la solitude à l’isolement et la peur. Elle a dit qu’elle n’arrivait plus à gérer la situation. Elle a dit avoir consulté un médecin en février 2020 et qu’elle pensait devoir déménager de X à X pour être avec sa famille. Elle a dit qu’elle était complètement seule à X et qu’elle avait besoin d’être en sécurité.

[17] La prestataire a quitté son emploi. Son dernier jour de travail, inscrit dans son relevé d’emploi, était le 11 avril 2021. Elle a dit qu’elle avait vendu sa maison parce qu’elle avait besoin de rénovations importantes et qu’elle ne pouvait pas les entreprendre à son âge. Elle a ajouté qu’elle n’aurait pas pu entretenir la maison toute seule.

[18] La prestataire a déclaré qu’elle avait déménagé principalement pour des raisons de santé mentale. Elle a dit qu’elle ne savait pas combien de temps la pandémie de COVID-19 se poursuivrait et combien de temps elle serait isolée. Elle a d’abord présenté une demande de prestations spéciales de l’assurance-emploi pour maladie et a reçu des prestations du 16 décembre 2021 jusqu’en avril 2022. Elle a déménagé à X, en Nouvelle-Écosse, le 31 mai 2021.

[19] La Commission a rendu une décision le 28 juin 2021. Elle a conclu que la prestataire n’avait pas droit aux prestations régulières d’assurance-emploi parce qu’elle avait volontairement quitté son emploi sans justification.

[20] Le 29 juin 2021, elle a demandé une révision. Elle a dit que son époux de 38 années était décédé et qu’elle n’avait pas d’enfants. Elle a dit qu’elle s’est retrouvée seule et que, lorsque la pandémie de COVID-19 a commencé, elle était isolée et avait peur, alors elle a déménagé à X pour être avec sa famille. Elle a dit qu’elle ne voulait pas quitter son emploi, mais que [traduction] « la solitude était devenue insupportable ».

[21] La prestataire a parlé à une personne de la Commission le 8 juillet 2021. Elle a dit à cette personne qu’elle n’avait pas cherché d’autre travail avant de quitter son emploi. Elle a également dit qu’elle avait dû cesser de travailler en avril 2021, avant de déménager à la fin de mai 2021, pour avoir le temps d’emballer ses effets personnels et vendre sa maison. Elle a dit qu’elle n’aurait pas pu travailler en essayant d’emballer, de nettoyer et de déménager. Elle a également affirmé qu’elle n’avait pas envisagé de prendre des congés, des vacances ou un congé autorisé.

[22] La personne de la Commission a demandé à la prestataire si elle avait parlé à un médecin de ce qu’elle ressentait avant de quitter son emploi. Elle a dit qu’elle ne l’avait pas fait parce qu’elle gérait la situation et qu’elle essayait de s’en sortir elle-même. Elle a dit qu’elle vit maintenant à deux minutes de chez sa mère de 92 ans, qui vit seule et qui est autonome.

[23] La Commission a rendu une décision découlant d’une révision le 8 juillet 2021. Elle a maintenu sa conclusion selon laquelle la prestataire n’avait pas droit aux prestations d’assurance-emploi parce qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justification.

[24] Le prestataire a fait appel devant le Tribunal le 3 août 2021Note de bas de page 4. Elle a dit qu’elle n’était pas d’accord avec la décision de la Commission parce qu’elle a quitté son emploi en raison de son déménagement dans une autre région. Elle a dit qu’elle ne voulait pas déménager, mais qu’elle était trop seule et qu’elle ne se sentait pas en sécurité lorsque la pandémie de COVID-19 a commencé. Elle a dit qu’en 2021, elle [traduction] « n’en pouvait plus » et qu’elle est donc allée voir son médecin pour lui expliquer qu’elle se sentait vraiment seule et qu’elle songeait à déménager de X à X pour être avec sa famille. Elle a dit que son médecin lui avait dit que c’était une bonne idée.

[25] À l’audience, la prestataire a déclaré que son employeur n’avait pas de succursale à X, et qu’elle n’avait donc pas pu obtenir un transfert. Elle a dit avoir décidé en février 2021 qu’elle déménagerait, et qu’elle a déménagé le 31 mai 2021. Elle a ajouté qu’elle n’avait postulé pour aucun autre emploi avant de quitter son poste parce que la pandémie limitait l’embauche. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas encore commencé à chercher un emploi. Elle a dit qu’elle avait l’intention de retourner au travail, mais qu’elle voulait d’abord [traduction] « s’installer et retrouver ses repères ».

[26] La prestataire a confirmé qu’elle ne prodigue pas de soins à sa mère, mais elle a dit qu’elle a choisi de déménager à X en grande partie parce que sa mère était là.

[27] J’ai remarqué que la prestataire avait dit à la Commission qu’elle n’était pas allée voir un médecin pour lui parler de la façon dont elle se sentait avant de quitter son emploi. Toutefois, à l’audience, elle a dit avoir consulté un médecin en février 2021, avant de démissionner en avril 2021. La prestataire a précisé que même si elle était allée voir son médecin, ils n’avaient pas parlé de son emploi. La prestataire a dit qu’elle avait dit à son médecin qu’elle voulait déménager à X, et qu’ils avaient eu une conversation pour savoir si la prestataire demeurerait sur la liste des patientes et patients du médecin.

[28] La Commission soutient que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait, comme chercher un nouvel emploi avant de quitter son emploi ou prendre un congé temporaire ou des vacances pour composer avec la solitude et les difficultés qu’elle éprouvait.

[29] La prestataire soutient qu’elle n’a pas pensé à ces choses, parce qu’elle avait vécu une perte importante et qu’elle ne réfléchissait pas de façon rationnelle. Elle a dit qu’elle ne pensait pas à ce qu’elle pouvait faire ou à ses options, mais à ce qu’elle devait faire pour survivre.

[30] ○À l’audience, la prestataire a déclaré avoir fourni à la Commission une note médicale confirmant qu’elle avait consulté un médecin. Elle a dit que la note ne figurait pas au dossier et qu’elle n’en avait pas une copie. Le 26 juillet 2022, j’ai demandé à la Commission de fournir tout document d’un professionnel de la santé dans son dossier. Elle a répondu le 27 juillet 2022 en fournissant des observations supplémentaires et des copies de deux documents.

[31] La première lettre est datée du 7 décembre 2021. Elle provient du médecin de famille de la prestataire. Elle confirme que la prestataire [traduction] « se sentait seule après le décès de son époux » et qu’elle avait déclaré que [traduction] « sa santé mentale s’était détériorée après la COVID-19 ». Le médecin ajoute qu’en avril 2021, la prestataire a décidé de déménager pour être auprès de sa famille ainsi pour son bien-être et sa santé mentale. Il n’y a pas de diagnostic ni de recommandation du médecin dans la note.

[32] L’autre document est daté du 8 mars 2022 et confirme que la prestataire n’a pas été en mesure de travailler pour des raisons médicales à partir du 16 décembre 2021. Étant donné que la prestataire a reçu des prestations de maladie, il est probable que cette deuxième lettre visait précisément à établir cette demande.

[33] Je note que la prestataire a dit à la Commission qu’elle n’avait pas parlé à un médecin de la façon dont elle se sentait avant de quitter son emploi. À l’audience, elle a dit avoir parlé à son médecin en février 2021, avant de démissionner en avril 2021. La première lettre du médecin confirme qu’elle a parlé à son médecin en décembre 2021, plus de six mois après avoir démissionné de son emploi et déménagé à X. J’estime que les éléments de preuve appuient davantage le fait que la prestataire n’a pas demandé de soutien ou de conseils médicaux avant de quitter son emploi, parce qu’elle a d’abord dit à la Commission qu’elle ne l’avait pas fait, et parce que les dates indiquées dans ses notes médicales n’indiquent pas qu’elle a demandé une intervention médicale avant de quitter son emploi.

[34] Je juge que la prestataire a quitté son emploi parce qu’elle voulait déménager dans une autre communauté. Elle voulait déménager parce qu’elle se sentait seule à la suite de plusieurs pertes personnelles.

[35] La prestataire n’a pas cherché d’emploi à X, en Nouvelle-Écosse, avant de quitter son emploi. À l’audience, elle a confirmé qu’elle n’avait pas encore cherché de travail. Au lieu de quitter son emploi et de se retrouver en situation de chômage, une solution de rechange raisonnable aurait été de chercher un autre emploi avant de démissionner.

[36] La prestataire a également déclaré qu’elle n’avait pas envisagé de prendre des vacances ou un congé au lieu de démissionner. À l’audience, elle a dit qu’elle n’était pas financièrement prête à prendre un congé. Je note qu’elle a ensuite choisi de quitter son emploi et de se retrouver sans revenu. J’estime qu’elle avait l’option raisonnable de prendre un congé temporaire avant de décider de démissionner.

[37] J’ai vérifié si la prestataire avait l’obligation de prendre soin d’un membre de sa famille immédiate. J’ai conclu que non, car sa mère n’a pas besoin de soins, elle vit seule et elle est autonome.

[38] J’ai également tenu compte de la santé mentale de la prestataire et de sa déclaration selon laquelle elle s’en occupait d’elle-même, mais qu’elle avait consulté un médecin. J’ai remarqué une certaine incohérence dans le dossier, parce que la prestataire a dit à la Commission qu’elle n’avait pas consulté de médecin au sujet de ses problèmes de santé mentale, mais qu’elle a ensuite dit qu’elle l’avait fait. Il est clair que la prestataire a rendu visite à son médecin en décembre 2021, mais j’ai déjà conclu qu’il était plus probable qu’improbable qu’elle n’ait pas consulté de médecin avant de quitter son emploi. Bien que les notes du médecin datent d’avant la cessation d’emploi, je n’y vois aucun diagnostic de problème de santé mentale ni de recommandation de la part du médecin pour que la prestataire quitte son emploi. La preuve tirée de ses rendez-vous n’appuie pas le fait qu’elle a dû quitter son emploi pour des raisons médicales.

[39] Je comprends que la prestataire se soit sentie seule lorsque son époux est décédé, et que la pandémie ait aggravé les choses. Je comprends aussi qu’elle voulait déménager dans une communauté où elle avait de la famille. Cependant, choisir de déménager parce qu’on veut être plus près de sa famille ne constitue pas une justification. C’est peut-être une bonne raison de quitter son emploi, mais ce n’est pas la même chose que de n’avoir aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[40] Compte tenu de toutes les circonstances individuelles et combinées, j’estime que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. Cela signifie que j’estime qu’elle n’était pas fondée à quitter son emploi.

Conclusion

[41] Je conclus que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations.

[42] Cela signifie que l’appel est rejeté.

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