Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1473

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : K. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (473557) datée du 19 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jillian Evans
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 25 octobre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 27 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2055

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné la perte de son emploi). En conséquence, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelante, K. P., était une employée de longue date et de bonne réputation d’une société de transport sous réglementation fédérale. Son employeur affirme qu’elle a perdu son emploi parce qu’elle n’a pas respecté une de ses politiques : l’appelante ne s’est pas fait vacciner avant la date limite fixée par la politique de l’employeur sur l’immunisation obligatoire contre la COVID-19.

[4] L’appelante ne conteste pas la situation. Elle admet qu’elle a choisi de ne pas recevoir de vaccins contre la COVID-19 avant la date limite et qu’elle savait qu’elle perdrait son emploi en conséquence.

[5] La Commission a conclu que K. P. avait perdu son emploi en raison d’une inconduite puisqu’elle avait été congédiée pour avoir enfreint la politique de son employeur. La Commission a donc exclu l’appelante du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[6] L’appelante affirme qu’elle était une employée modèle et dévouée depuis plus d’une vingtaine d’années. Elle s’est surpassée tout au long de sa carrière pour offrir un service hors pair. Elle n’a jamais fait l’objet de plaintes ou de mesures disciplinaires et a été promue d’un échelon à l’autre grâce à son bon rendement et à sa fiabilité. Ses collègues lui ont fait une fête lors de sa dernière journée de travail. Elle conteste la décision de la Commission en soutenant qu’elle n’a jamais commis d’inconduite.

[7] Elle fait aussi valoir qu’elle a cotisé au régime d’assurance-emploi près de 50 ans, et que son choix basé sur ses convictions personnelles au sujet de son corps et de sa santé ne devrait pas être considéré comme une inconduite qui l’empêcherait de recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[8] Mon rôle est de décider si les actions et les comportements de l’appelante correspondent au sens juridique de l’inconduite dans la Loi sur l’assurance-emploi.

Question en litige

Question en litige : L’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[9] Pour savoir si l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois établir la raison de la perte d’emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelante a-t-elle perdu son emploi?

[10] La Commission et l’appelante s’entendent sur la raison de la perte d’emploi.

[11] Au cours de ses conversations téléphoniques avec le personnel de l’assurance-emploi, l’appelante a confirmé qu’elle avait été informée de la politique de l’employeur sur la vaccination obligatoire à plusieurs reprises au cours des mois précédant son congédiement. Elle a aussi confirmé qu’elle comprenait la politique et qu’elle était au courant des conséquences en cas de manquement. Elle savait qu’elle pouvait être congédiée si elle ne se faisait pas vacciner contre la COVID-19Note de bas de page 2.

[12] À l’audience, K. P. a été tout aussi honnête sur sa compréhension de sa perte d’emploi :

  • Elle dit qu’elle était au courant de la politique et de l’exigence de vaccination complète contre la COVID-19 avant une date précise.
  • Elle ne voulait pas se faire vacciner parce qu’elle s’inquiétait pour sa santé : elle croit que les vaccins contre la COVID-19 comportent un grand risque de crise cardiaque qui mettrait sa vie en danger.
  • K. P. savait aussi que la politique lui permettait de demander une exemption médicale à un membre de la profession médicale, qui aurait pu remplir un formulaire de demande d’exemption médicaleNote de bas de page 3.
  • Elle n’a pas demandé à sa clinique de remplir ce formulaire, car elle s’est fait dire au préalable qu’elle ne serait pas admissible. K. P. n’a donc pas insisté pour obtenir une exemption.
  • Elle a demandé à son employeur différentes mesures d’adaptation pour éviter d’avoir à se faire vacciner (travailler à domicile, travailler tard ou de nuit lorsque personne d’autre n’était au bureau), mais ces mesures ont été refusées.
  • À la suite de ses discussions avec les ressources humaines de l’employeur, elle a réalisé que sans exemption, elle aurait à choisir entre se faire vacciner ou perdre son emploi. Elle a choisi de ne pas se faire vacciner.

[13] L’appelante a compris qu’elle avait été congédiée parce qu’elle avait choisi de ne pas se conformer à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Je ne vois rien qui puisse contredire cela. J’en conclus que l’appelante a perdu son emploi pour cette raison.

La raison du congédiement de l’appelante est-elle une inconduite selon la loi?

[14] La décision de l’appelante de ne pas respecter la politique vaccinale de l’employeur constitue une inconduite selon la loi.

[15] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas exactement le mot « inconduite ». Mais la jurisprudence (décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment décider si les actions et les comportements d’une partie appelante constituent une inconduite aux termes de la Loi.

[16] En examinant les décisions judiciaires, nous constatons une différence entre l’utilisation courante du mot « inconduite » et le sens juridique de ce mot dans le contexte de l’assurance-emploi.

[17] Il appartient à la Commission de prouver que le refus de K. P. de se conformer à la politique vaccinale de son employeur correspond au sens juridique du mot. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 4.

[18] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la façon d’agir doit être délibérée. La Commission doit donc prouver que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 5. La Commission n’a pas à prouver quelconque tromperie ou volonté de causer un préjudice à l’employeur. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il ne faut pas nécessairement vouloir faire quelque chose de malNote de bas de page 6.

[19] Selon la jurisprudence, l’inconduite signifie également, dans le contexte de la Loi, un comportement qui pourrait empêcher une personne de remplir ses obligations envers son employeur. Bref, il appartient aussi à la Commission de prouver que le comportement de l’appelante mettait en jeu une partie importante et nécessaire de ses responsabilités professionnelles. Pour que le comportement constitue une inconduite, la jurisprudence n’exige pas que la Commission démontre qu’il était dangereux, criminel, trompeur ou immoral.

[20] Enfin, la jurisprudence établit également que, pour qu’un comportement constitue une inconduite selon la Loi, la personne visée devait savoir que sa façon d’agir pouvait entraîner son congédiement.

[21] J’estime que l’employeur a le droit de gérer son fonctionnement au quotidien, ce qui comprend le droit de créer et de mettre en œuvre des politiques en milieu de travail. Quand l’employeur a fait de sa politique vaccinale une exigence pour l’ensemble du personnel, elle est devenue du même coup une condition d’emploi pour l’appelante.

[22] Je suis d’avis que le respect de la politique est alors devenu un élément essentiel du travail de l’appelante.

[23] J’estime que la Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que K. P. a perdu son emploi en raison d’une inconduite :

  • Je considère que l’appelante était au courant de la politique de son employeur qui l’obligeait à recevoir deux doses de vaccin contre la COVID-19 avant une date précise. L’appelante convient qu’elle était au courant.
  • Je considère que l’appelante savait qu’elle pouvait être congédiée en cas de manquement à la politique de l’employeur. L’appelante a été claire à ce sujet à l’audience.
  • Je considère aussi que l’appelante a choisi de ne pas suivre la politique. Elle savait que c’était une condition d’emploi, mais elle a choisi de ne pas la respecter.

[24] L’appelante a soulevé d’autres questions dans ses observations.

[25] Elle affirme que la politique violait son droit de prendre ses propres décisions sur sa santé et ce qui était le mieux pour son corps. Je ne suis pas d’accord. L’appelante était en mesure de prendre une décision sur la vaccination, et elle a décidé de plein gré de ne pas se faire vacciner.

[26] L’appelante affirme aussi que son employeur a eu tort de lui refuser des mesures d’adaptation. Elle a offert de travailler à distance ou de se présenter sur le lieu de travail seulement lorsqu’aucun autre membre du personnel n’y était.

[27] La Cour fédérale a établi que le rôle du Tribunal n’est pas de décider si la politique d’un employeur est juste ou si le congédiement d’une personne en vertu de cette politique est justifié ou raisonnable. Son rôle est plutôt de décider si la façon d’agir de la personne constituait une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 7.  

[28] Le Tribunal se concentre sur le comportement et les actions de l’appelante, et non sur la conduite de l’employeurNote de bas de page 8. Autrement dit, je ne peux pas évaluer si l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation raisonnables pour l’appelante. Je ne peux pas évaluer non plus si son congédiement était une sanction raisonnable ou appropriée.

[29] L’appelante a soutenu qu’elle avait cotisé à l’assurance-emploi toute sa vie active et qu’il était injuste qu’on lui refuse maintenant des prestations au moment où elle en a le plus besoin. 

[30] L’assurance-emploi est un régime d’assurance et, comme pour tout autre régime de ce type, une personne qui veut des prestations doit satisfaire à certaines conditionsNote de bas de page 9.

[31] Le rôle du Tribunal consiste à voir si l’appelante – la personne qui demande des prestations dans le cadre du régime d’assurance – a rempli les conditions requises. Le Tribunal n’a pas le pouvoir de rendre des décisions fondées sur la compassion ou l’équité. Il doit respecter et appliquer la LoiNote de bas de page 10.

[32] L’appelante peut avoir d’autres recours pour faire valoir ses allégations. Elle prétend que la politique de l’employeur a porté atteinte à ses droits fondamentaux et que des mesures d’adaptation auraient dû être mises en place à son égard. Ces questions doivent être traitées par la cour ou le tribunal approprié.

Alors, l’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[33] Selon mes conclusions ci-dessus, je conclus que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle a agi de façon délibérée. Elle savait que si elle refusait de se faire vacciner, elle risquait de perdre son emploi. Elle a quand même décidé de ne pas se faire vacciner, puis elle a perdu son emploi.

Conclusion

[34] La Commission a prouvé que l’appelante a perdu son emploi pour inconduite. C’est pourquoi l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[35] Par conséquent, l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.