Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1192

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. F.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale (GE-21-1505) datée du 22 septembre 2021 (demande d’annulation ou de modification)

Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (429786) datée du 16 août 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Angela Ryan Bourgeois
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 17 août 2022
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 20 septembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-554

Sur cette page

Décision

[1] La demande d’annulation ou de modification est accueillie. L’appelant (le prestataire) a prouvé que la décision antérieure a été fondée sur une erreur de fait essentiel.

[2] Je modifie la décision antérieure. L’appel est accueilli. La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Pour cette raison, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] La division générale peut modifier une de ses décisions si la partie appelante présente des faits nouveaux, ou si elle prouve que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou qu’elle a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

[4] Le prestataire me demande de modifier la décision que la division générale a rendue le 22 septembre 2021Note de bas de page 1.

[5] Dans sa décision, la division générale a maintenu la décision de la Commission d’exclure le prestataire du bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour avoir quitté son emploi chez X (employeur) sans justificationNote de bas de page 2.

[6] Après que la décision de la division générale a été rendue, le prestataire a présenté une demande à la division générale pour faire annuler ou modifier la décision.

[7] La division générale a refusé la demande du prestataire (décision relative à la demande de modification). Le prestataire a porté la décision en appel. La division d’appel a annulé la décision de la division générale relative à la demande de modification. Elle a renvoyé la demande de modification à un autre membre de la division générale. Il s’agit donc de la question que je dois examiner.

[8] Je dois décider si le prestataire satisfait aux exigences qui permettent de rouvrir le dossier pour être en mesure de modifier la décision. Dans le cas où il satisfait aux exigences, je dois décider si la décision doit effectivement être modifiée.

[9] Comme l’a ordonné la division d’appel, je n’ai pas reçu de copie de la décision relative à la demande de modification.

Questions en litige

[10] Le prestataire satisfait-il aux exigences qui me permettent de modifier la décision?

[11] S’il satisfait aux exigences, dois-je modifier la décision? Autrement dit, est-ce que la Commission a prouvé que le prestataire a quitté volontairement son emploi? Si oui, le prestataire a-t-il démontré qu’il était fondé à quitter son emploi?

Analyse

Réouverture du dossier

[12] La division générale peut modifier sa décision si elle est convaincue qu’elle a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou qu’elle a été fondée sur une erreur relative à un tel faitNote de bas de page 3.

[13] Le prestataire affirme que la division générale n’a pas examiné les éléments de preuve suivants :

  1. a) témoignage écrit de J.;
  2. b) horaire de travail électronique;
  3. c) témoignage écrit de W. (confirmation de l’agression physique);
  4. d) itinéraire de vol vers les États-Unis;
  5. e) itinéraire et dates du vol de retour vers le CanadaNote de bas de page 4.

[14] Le prestataire a fourni les itinéraires, mais il a demandé au Tribunal de se procurer les autres documents.

[15] Le 17 mars 2022, j’ai écrit au prestataire pour lui expliquer que le Tribunal n’est pas responsable d’enquêter ni d’obtenir les éléments de preuve. Il incombe aux parties de présenter les éléments de preuve sur lesquels elles souhaitent s’appuyer pour défendre leur cause.

[16] J’ai donné aux parties jusqu’au 1er avril 2022 pour présenter des documents additionnels. Aucune des parties ne l’a faitNote de bas de page 5.

[17] Puisque je n’ai pas pu examiner les témoignages écrits ni l’horaire de travail, je peux seulement tenir compte des itinéraires pour décider si la décision doit être modifiée.

[18] Je comprends que le prestataire n’a pas pu obtenir les témoignages écrits ni l’horaire de travailNote de bas de page 6. Je sais qu’il a demandé à son employeur de lui fournir les documents, mais celui-ci a refusé de le faireNote de bas de page 7. Toutefois, je peux seulement tenir compte des documents dont je dispose pour décider si la décision doit être modifiée.

Les itinéraires sont-ils des faits nouveaux?

[19] Non, les itinéraires ne sont pas des faits nouveaux.

[20] Pour être considérés comme des « faits nouveaux », les faits doivent :

  • s’être produits après que la décision a été rendue;
  • s’être produits avant que la décision soit rendue, mais sans qu’une partie prestataire agissant avec diligence soit en mesure de les connaîtreNote de bas de page 8.

[21] Dans le cas du prestataire, la décision a été rendue en septembre 2021. Cependant, les vols ont été réservés en 2020 et en mars 2021 [sic]. Par conséquent, si le prestataire avait agi avec diligence, il aurait pu connaître les itinéraires avant que la décision soit rendue.

La décision a-t-elle été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a-t-elle été fondée sur une erreur relative à un tel fait?

[22] Les itinéraires vont comme suit :

  • Le 9 février 2020, le prestataire a réservé un vol vers les États-Unis. L’avion décollait le 10 février 2020.
  • Le 24 février 2020, le prestataire a réservé un vol de retour. L’avion décollait le 4 mars 2020.

[23] Dans sa décision, la division générale a conclu que le prestataire avait quitté le Canada immédiatement après sa dernière journée de travail, le 31 janvier 2020.

[24] La division générale ne savait pas que le prestataire n’avait pas réservé son vol avant le 9 février 2020 et que son avion avait décollé le 10 février 2020. Quand la division générale a demandé au prestataire de lui fournir la date à laquelle il quittait le Canada, il ne s’en souvenait pas.

[25] La question est maintenant de savoir si ces dates constituent un fait essentiel sur lequel la décision a été fondée.

[26] J’estime qu’elles constituent un fait essentiel sur lequel la décision a été fondée, car la division générale a écrit au paragraphe 32 de sa décision :

[traduction] Je trouve préoccupant que l’appelant n’ait pas pu confirmer la date à laquelle il quittait le Canada pour rendre visite à sa famille aux États-Unis. Cette date aurait prouvé sa présence au Canada, sa disponibilité pour travailler après le 31 janvier 2020 et la durée de sa disponibilité. Cette date permettrait d’appuyer ses déclarations selon lesquelles il surveillait son horaire de travail sur l’application mobile et faisait des suivis avec son employeur parce qu’il ne figurait pas à l’horaire. Cependant, parce qu’il n’a pas confirmé la date à laquelle il a quitté le Canada, cela laisse croire qu’il a voulu camoufler un fait qui lui nuirait. Cela appuie la déclaration de l’employeur selon laquelle l’appelant figurait à l’horaire, mais a cessé de se présenter au travail après le 31 janvier 2020 puisqu’il était en dehors du Canada.

[27] Ce paragraphe montre que la division générale a accordé un poids considérable au fait que le prestataire a omis de fournir une preuve de la date à laquelle il a quitté le Canada. Les renseignements manquants que fournissaient les itinéraires ont fait en sorte de diminuer le poids que la division générale a accordé aux déclarations du prestataire : le prestataire avait déclaré qu’il était disponible pour travailler, mais qu’il n’avait pas reçu d’heures de travail, et que l’employeur affirmait qu’il avait cessé de se présenter au travail.

Donc, puis-je modifier la décision?

[28] Oui, je peux modifier la décision parce qu’elle a été rendue sans qu’un fait essentiel soit connu : le prestataire a réservé un vol et a quitté le Canada pour rendre visite à son père. Ces dates montrent que le prestataire était disponible pour travailler jusqu’au 10 février 2020, et elles remettent en question le témoignage de l’employeur selon lequel le prestataire ne s’est pas présenté au travail conformément à son horaire de travail.

Modification de la décision

[29] Je vais modifier la décision, car je ne suis pas convaincue que la Commission a prouvé que le prestataire a quitté volontairement son emploi.

Exclusion pour avoir quitté son emploi sans justification

[30] Selon la loi, une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 9.

Le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi

[31] La Commission doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Elle ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve.

[32] Pour décider si le prestataire a quitté volontairement son emploi, ou autrement dit, s’il a démissionné, je dois décider s’il avait le choix de rester à son emploi ou de le quitterNote de bas de page 10.

[33] Pour les raisons ci-dessous, je conclus que le prestataire n’a pas reçu d’heures de travail après le 31 janvier 2020 :

  • Le prestataire a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’avait pas reçu d’heures de travail après le 31 janvier 2020. Il affirme qu’il surveillait l’horaire de travail sur l’application, mais qu’il n’y figurait pas.
  • Sur son formulaire de demande, il a déclaré avoir cessé de travailler en raison d’une pénurie de travailNote de bas de page 11.
  • Le prestataire n’a pas pu fournir une copie de son horaire de travail, car il n’a plus accès au contenu de l’application mobile où se trouve l’horaire. Il a demandé à son employeur de lui fournir une copie de l’horaire de travail, et celui-ci a refusé de le faireNote de bas de page 12.
  • Le prestataire a déclaré qu’il aurait continué de travailler s’il avait reçu des heures de l’horaire. Il a expliqué que, même s’il devait travailler avec les personnes qui l’avaient harcelé, il aurait tout de même continué de travailler comme il le faisaitNote de bas de page 13. Il a ajouté qu’il ne pouvait pas se permettre de ne pas travailler.
  • L’employeur affirme avoir donné des heures de travail au prestataireNote de bas de page 14. Il aurait été facile pour l’employeur de prouver que le prestataire avait des heures de travail s’il avait fourni l’horaire. En refusant de le faire, il semble probable que l’horaire n’appuie pas les déclarations de l’employeur.

[34] De plus, je suis d’accord avec le prestataire sur ce point : s’il avait cessé de se présenter au travail, le message texte qu’il a reçu de l’employeur le 10 février 2020 n’aurait pas été au sujet d’une réunion d’équipe manquée, mais au sujet de son absence du travail.

[35] J’ai examiné les messages textes que l’employeur a envoyés au prestataire le 10 février 2020 (dans lequel il mentionne la réunion d’équipe manquée) et le 14 février 2020 (dans lequel il mentionne vouloir le rencontrer). J’ai aussi examiné la lettre de congédiement du 6 mars 2020Note de bas de page 15. Ces éléments de preuve laissent tous sous-entendre que le prestataire était toujours à l’emploi de X, même s’il n’avait pas reçu d’heures de travail.

[36] Toutefois, la note rédigée à la main par l’employeur sur le dernier talon de paye du prestataire laisse croire qu’il a été congédié en janvier 2020. Le chèque de paye indique « VOID » [annulé]. Voici ce que l’employeur a écrit sur le talon de paye :

Title: Capture d'écran de la note manuscrite - Description: Montant dû janvier 2020 Avantages sociaux - individuel 132,43-78,30=54,13 $ (somme due) Fin d'emploi : 28 janvier 2020

[37] J’estime que cela démontre que l’employeur a mis fin aux avantages sociaux du prestataire le 28 janvier 2020.

[38] Étant donné que l’employeur a mis fin aux avantages sociaux du prestataire le 28 janvier 2020, je conclus qu’il est peu probable qu’il ait reçu des heures de travail en février 2020.

[39] La date à laquelle l’employeur a mis fin aux avantages sociaux du prestataire (janvier 2020) et son refus de fournir l’horaire de travail constituent des éléments de preuves solides. Après avoir tenu compte de ces éléments de preuve, je conclus qu’ils démontrent que le prestataire n’avait pas d’emploi après janvier 2020, malgré ce que l’employeur affirme dans ses messages textes et dans sa lettre.

[40] Le prestataire est d’avis que son employeur a cessé de lui donner des heures de travail parce qu’il a dénoncé avoir été agressé physiquement par ses collègues de travail. L’employeur a refusé de donner au prestataire une copie des témoignages écrits de ses collègues au sujet de ces incidentsNote de bas de page 16.

[41] J’ai accordé peu de poids aux messages textes et à la lettre, car l’employeur a refusé de fournir des renseignements qui semblaient pertinents (horaire de travail et témoignages des collègues de travail au sujet des agressions physiques que le prestataire a subies). Le fait que l’employeur a refusé de fournir ces documents m’amène à me demander si le prestataire a en effet raison de penser que l’employeur a cessé de lui donner des heures de travail parce qu’il a dénoncé les agressions physiques qu’il a subies. Dans une telle situation, il est possible que les messages textes et la lettre de l’employeur aient été des tentatives de monter un dossier contre le prestataire afin de montrer qu’il avait abandonné son emploi, bien qu’il n’avait pas reçu d’heures de travail.

[42] Pour ces raisons, je conclus que la Commission n’a pas prouvé qu’il était plus probable qu’improbable que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Je ne suis pas convaincue que le prestataire aurait pu continuer de travailler après le 31 janvier 2020.

Conclusion

[43] La demande du prestataire relative à la modification de la décision est accueillie.

[44] Le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi. Par conséquent, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification.

[45] L’appel est accueilli.

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