Assurance-emploi (AE)

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[TRANSLATION]

Citation : AW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1469

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale – Section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. W.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (467548) datée du 13 avril 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Candace R. Salmon
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 16 juin 2022
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 13 juillet 2022
Numéro de dossier : GE-22-1623

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec la prestataire.

[2] La demande de prestations parentales de l’assurance-emploi de la prestataire indique qu’elle a choisi l’option des prestations prolongées.

[3] La prestataire a fait valoir qu’elle avait commis une erreur et qu’elle voulait en fait choisir l’option des prestations standards. Il importe de souligner qu’elle a communiqué avec la Commission quelques jours après avoir présenté sa demande de prestations et qu’un agent de la Commission a examiné sa demande. L’agent a confirmé qu’elle avait choisi l’option qui lui accordait une année de congé au total; cela était inexact et a induit la prestataire en erreur.

Aperçu

[4] Lorsqu’une personne remplit une demande de prestations parentales de l’assurance-emploi, elle doit choisir entre deux options : l’« option standard » et l’« option prolongéeNote de bas page 1 ».

[5] L’option standard verse des prestations au taux normal pour une période allant jusqu’à 35 semaines. L’option prolongée verse le même montant de prestations à un taux inférieur pour un maximum de 61 semaines. Dans l’ensemble, le montant demeure presque le même; il est simplement réparti sur un nombre différent de semaines.

[6] Une fois que les prestations parentales commencent à être versées, on ne peut pas modifier notre choix d’optionsNote de bas page 2.

[7] Dans sa demande, la prestataire a choisi les prestations parentales prolongées. Elle a d’abord reçu des prestations parentales au cours de la semaine du 27 février 2022. Mais, en fait, elle voulait des prestations parentales standards.

[8] La Commission de l’assurance-emploi du Canada affirme que la prestataire a fait son choix et qu’il est trop tard pour le modifier parce qu’elle a déjà commencé à recevoir des prestations.

[9] La prestataire n’est pas d’accord. Elle affirme qu’elle a peut-être choisi de recevoir 53 semaines de prestations parentales prolongées, mais qu’elle l’a seulement fait parce qu’elle était mêlée après avoir lu le formulaire de demande de la Commission. Elle ajoute qu’elle a reconnu qu’elle était mêlée et qu’elle a communiqué avec la Commission presque immédiatement après avoir présenté sa demande de prestations pour confirmer que son choix correspondait à son intention de s’absenter du travail pendant un an.

Question en litige

[10] Quel type de prestations parentales la prestataire a-t-elle réellement choisi lorsqu’elle a fait son choix dans la demande?

Analyse

[11] La prestataire a présenté une demande de prestations de maternité et de prestations parentales de l’assurance-emploi le 18 octobre 2021. Sur le formulaire de demande, elle a indiqué qu’elle avait cessé de travailler le 12 octobre 2021 et qu’elle devait retourner au travail le 17 octobre 2022Note de bas page 3.

[12] Même si elle avait l’intention de s’absenter du travail pendant un an, la prestataire a choisi de recevoir 15 semaines de prestations de maternité, suivies de 53 semaines de prestations parentales prolongées.

[13] Dans l’avis d’appel, la prestataire a soutenu qu’au moment de demander des prestations d’assurance-emploi, elle craignait avoir fait une erreur. Elle savait qu’elle avait choisi des prestations prolongées, mais elle n’avait pas la certitude qu’il s’agissait du bon choix. Elle a dit avoir téléphoné à la Commission, et un agent l’a assurée que sa demande avait été remplie correctement. À l’audience, elle a confirmé que cette personne lui avait dit qu’elle avait présenté une demande en bonne et due forme pour recevoir une année de prestations d’assurance-emploi. Elle a ajouté qu’elle avait fourni une date de retour au travail dans la demande, de sorte qu’il était clair qu’elle ne voulait s’absenter du travail que pendant un an au total.

[14] La Commission soutient que la prestataire a reçu des prestations parentales le 27 février 2022. Elle a demandé de modifier son choix de prestations parentales le 23 mars 2022. Puisque les prestations avaient déjà été versées, la Commission a dit que la prestataire ne pouvait pas modifier son choix. La Commission ajoute que la prestataire avait reçu les détails sur les prestations parentales, y compris la durée et les taux de prestations hebdomadaires, avant de faire son choix.

[15] La prestataire a dit avoir commis une erreur de bonne foi. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’y a pas de recours juridique à la disposition des prestataires qui ont fondé leur choix parental sur une mauvaise compréhension du programme de prestations parentalesNote de bas page 4. Toutefois, cette affaire se distingue parce que la prestataire a déclaré qu’elle avait communiqué avec la Commission quelques jours après avoir présenté sa demande de prestations pour confirmer que sa demande correspondait à son intention de demander une année de prestations. Elle soutient qu’un agent de la Commission lui a dit que sa demande avait été remplie correctement, ce qui l’a induite en erreur en lui faisant croire qu’elle avait choisi l’option qui lui accordait un an de congé de maternité et de congé parental.

[16] Rien au dossier ne montre que la prestataire a communiqué avec la Commission immédiatement après avoir présenté sa demande de prestations. Le 16 juin 2022, j’ai demandé à la Commission de fournir toute autre preuve au dossier concernant la correspondance ou la communication entre la prestataire et la CommissionNote de bas page 5. La Commission a répondu le 17 juin 2022 en confirmant qu’elle n’avait aucun autre document au dossierNote de bas page 6.

[17] L’absence d’un compte rendu de la conversation téléphonique ne signifie pas que celle-ci n’a pas eu lieu. Je signale que les observations du 27 mai 2022 de la Commission ne contiennent aucune réponse à l’argument de la prestataire selon lequel elle a été induite en erreur par un agent de la Commission. La Commission affirme dans ses observations du 17 juin 2022 qu’il n’y a aucune trace d’une autre conversation téléphonique ou d’une discussion en personne entre la Commission et la prestataire. La Commission ne répond pas à l’argument de la prestataire selon lequel un agent de la Commission lui a dit que sa demande avait été remplie correctement, lui accordant un an de congé.

[18] Bien qu’il n’y ait pas de preuve montrant que la prestataire a communiqué avec la Commission immédiatement après avoir présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, j’estime que l’absence de preuve ne prouve pas le contraire. Même si la Commission n’a pas de compte rendu de la conversation, elle n’a pas pour autant fourni de preuve ou d’observations indiquant qu’elle consigne toutes les conversations ou qu’un manque de compte rendu signifierait qu’une conversation n’a pas eu lieu. Cela signifie qu’il n’y a aucune preuve que la conversation n’a pas eu lieu. De plus, la Commission n’a pas contesté la preuve de la prestataire selon laquelle elle a eu lieu. D’ailleurs, la prestataire a été franche, directe et a présenté des éléments de preuve crédibles. J’accepte que la prestataire a communiqué avec la Commission quelques jours après avoir présenté une demande de prestations afin de vérifier son choix, parce que son témoignage était logique et cohérent.

[19] Quoique la prestataire ait affirmé qu’elle était mêlée par le formulaire de demande, elle a reconnu qu’elle avait peut-être commis une erreur et qu’elle a communiqué avec la Commission. Elle a déclaré que l’agent de la Commission a vérifié son numéro d’assurance sociale et a révisé sa demande. L’agent a également confirmé que la prestataire avait bien rempli le formulaire pour recevoir un an de prestations.

[20] Dans une affaire récente, qui portait également sur les prestations parentales, la Cour fédérale a abordé les conséquences que peut avoir sur un appel le fait d’être induit en erreur par un agent de la Commission :

Il est certain que bon nombre de programmes de prestations gouvernementales sont complexes et assortis de conditions d’admissibilité strictes. Il est presque toujours possible, après coup, de conclure qu’il aurait fallu donner plus d’information, recourir à un langage plus clair et fournir de meilleures explications. Si un prestataire est réellement induit en erreur parce qu’il s’est fié à des renseignements officiels et erronés, la doctrine des attentes raisonnables lui offre certains recours juridiques. Cependant, lorsqu’une prestataire comme Mme Karval n’est pas induite en erreur, mais qu’elle ne possède tout simplement pas les connaissances nécessaires pour répondre correctement à des questions qui ne sont pas ambiguës, il n’y a aucun recours possible en droit. Il incombe fondamentalement au prestataire d’analyser soigneusement les options possibles et de tenter de les comprendre puis, si des doutes subsistent, de poser des questionsNote de bas page 7.

[21] Dans Karval, la prestataire n’a tenté de modifier son choix de prestations qu’après avoir reçu des prestations parentales. En l’espèce, la prestataire a communiqué avec la Commission presque immédiatement après avoir présenté sa demande de prestations pour s’assurer qu’elle avait choisi la bonne option.

[22] Une autre affaire récente énonce ce qui suit :

[traduction] L’application de [la loi] empêche de modifier le choix des prestations parentales une fois que la partie prestataire a reçu son premier paiement de prestations parentales; le choix – tel qu’il est indiqué sur le formulaire de demande – ne peut pas être modifié. Toutefois, les prestataires ont encore la possibilité de vérifier et de modifier leur choix de prestations parentales avant de recevoir leur premier versement, par exemple, pendant qu’ils reçoivent des prestations de maternité. Cette modification peut être effectuée en vérifiant le compte Web individuel « Mon dossier Service Canada » et en demandant à la Commission de modifier son choix avant le versement de la prestationNote de bas page 8.

[23] Dans ce cas, la prestataire a tenté de vérifier son choix avant qu’elle ne reçoive des prestations. Un agent de la Commission a examiné sa demande et lui a fourni des renseignements erronés. Compte tenu de cela, la prestataire n’a pas posé d’autres questions, jusqu’à ce que son taux de prestations change. Lorsque cela s’est produit, il était trop tard pour modifier le choix des prestations parentales.

[24] Dans une affaire maintes fois citée de la Cour d’appel fédérale datant de 1986, la Cour a déclaré ce qui suit :

[traduction] Il ne fait aucun doute que la Commission et ses représentants n’ont pas le pouvoir de modifier la loi et que, par conséquent, les interprétations qu’ils peuvent donner de cette loi n’ont pas force de loi. Il est également certain que l’engagement que prendrait la Commission ou ses représentants, qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi, d’agir autrement que ne le prescrit la loi, serait absolument nul et contraire à l’ordre publicNote de bas page 9.

[25] En l’espèce, la question n’est pas de savoir si un agent de la Commission a mal interprété la loi ou a donné des renseignements erronés au sujet de la loi; il a donné des renseignements erronés au sujet du dossier. L’agent n’a pas bien vérifié la demande de la prestataire et il a confirmé qu’elle recevrait des prestations pendant une année au total, alors que sa demande n’indiquait pas cela. Dans cette affaire, l’agent de la Commission a commis une erreur qui a influé sur la demande.

[26] Je signale que Hugessen J. a écrit ce qui suit dans une opinion dissidente dans le cadre de l’affaire ci-dessus :

[traduction] Une personne s’adresse aux autorités chargées d’administrer une loi dont la portée est sociale afin de déterminer l’effet qu’elle aura sur elle. Les autorités lui donnent des renseignements erronés. À la lumière de cette information, elle prend une mesure irrévocable. Par la suite, les autorités ont changé d’avis et ont cherché à employer contre l’individu les mesures qu’elles lui avaient elles-mêmes en grande partie encouragé à prendre. La loi le permettra-t-elle? À mon avis, la réponse doit être nonNote de bas page 10.

[27] À mon avis, l’opinion dissidente dans cette affaire porte précisément sur la question de l’appel dont je suis saisi. La Commission applique la Loi sur l’assurance-emploi. L’agent de la Commission a fourni à la prestataire des renseignements erronés au sujet de sa demande, ce qui l’a amenée à croire qu’elle avait été établie correctement. Lorsqu’elle a reçu moins d’argent que prévu et qu’elle a demandé ce qui s’était produit, la Commission lui a répondu qu’elle ne pouvait pas modifier son choix. Il n’était modifiable qu’avant qu’elle ne soit reçoive le premier versement; pourtant, elle a demandé qu’il soit modifié avant de le recevoir et on l’a assurée que c’était fait. Dans cette situation, comment peut-on laisser la prestataire subir les effets de cette erreur alors qu’elle a respecté [traduction] « le délai… pour vérifier et modifier [son] choix de prestations parentales? »Note de bas page 11

[28] Dans Karval, la Cour a fait référence à des attentes légitimes. Elle a dit que la prestataire dans cette affaire pouvait avoir un certain recours si elle avait été induite en erreur en se fondant sur des renseignements officiels erronés. La théorie juridique de l’expectative légitime signifie qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à être traitée d’une certaine façon par les organismes administratifs. Ce n’est pas un droit légal, mais plutôt une attente d’un certain type de réparation ou recours équitable.

[29] Je n’ai pas le pouvoir de prendre des décisions fondées sur l’équité. Cela signifie que je ne peux pas prendre une décision fondée sur ce que je considère être « équitable ». Je dois prendre une décision en fonction de la loi et de la jurisprudence pertinente, ce qui inclut les affaires Karval et Hull.

[30] Compte tenu de la preuve et des arguments des parties, ainsi que de la jurisprudence, il est clair que la prestataire a été induite en erreur par la Commission. Elle avait légalement le droit de modifier son choix de prestations avant de recevoir des prestations parentales, et elle a communiqué avec la Commission pour le faire dans les délais où cela était possible. Un agent de la Commission l’a assurée que sa demande avait été établie correctement, lui accordant le congé total d’un an qu’elle souhaitait. La prestataire n’avait aucune raison de continuer à vérifier sa demande ou de chercher à obtenir de plus amples renseignements au sujet de son choix parce qu’elle s’attendait raisonnablement à ce que l’agent de la Commission lui fournisse les bons renseignements au sujet de son dossier.

[31] Je conclus que la prestataire a été induite en erreur par la Commission. Elle a communiqué avec la Commission « dans les quelques jours » suivant la présentation de sa demande de prestations d’assurance-emploi parce qu’elle s’est rendu compte qu’elle n’avait peut-être pas choisi le bon nombre de semaines ou le type de prestations correspondant à son intention de s’absenter du travail pendant un an. L’agent de la Commission l’a assurée qu’elle recevrait des prestations pendant un an. Pour une raison quelconque, la modification n’a pas été apportée à son dossier et elle a reçu des prestations parentales prolongées.

[32] Je constate en outre que la prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales standards parce qu’elle a dit à la Commission, quelques jours après avoir présenté sa demande initiale, qu’elle voulait recevoir des prestations pendant une année au total. Au moment où elle a fait cette déclaration, elle était dans la période où il était possible de modifier son choix.

Conclusion

[33] L’appel est accueilli.

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