Assurance-emploi (AE)

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Citation : JM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 13

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : J. M.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 9 novembre 2022 (GE-22-1540)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 6 janvier 2023
Numéro de dossier : AD-22-947

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Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été suspendue parce qu’elle a refusé de respecter la politique de vaccination contre la COVID-19 (politique) adoptée par l’employeur. L’employeur ne lui a pas accordé une exemption.

[3] La défenderesse (Commission) a conclu que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite. Elle l’a donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. La prestataire a demandé la révision de la décision. La Commission a maintenu sa décision initiale. La prestataire a interjeté appel devant la division générale.

[4] La division générale a déterminé que la prestataire a refusé de se conformer à la politique de l’employeur. Elle a conclu que la prestataire savait ou devait savoir que l’employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances et que son refus était volontaire, conscient et délibéré. La division générale a conclu que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite.

[5] La prestataire demande à la division d’appel la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, n’a pas tenu compte de la preuve qu’elle a déposé, et a erré en droit dans son interprétation de la notion d’inconduite.

[6] Je dois décider si on peut soutenir que la division générale a commis une erreur révisable qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[7] Je refuse la permission d’en appeler puisqu’aucun des moyens d’appel soulevés par la prestataire ne confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] Est-ce que la prestataire soulève, dans ses moyens d’appel, une erreur révisable qu’aurait commise la division générale et qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, spécifie les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Ces erreurs révisables sont que :

  1. 1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une certaine façon.
  2. 2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question sans pouvoir de le faire.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a commis une erreur de droit dans sa décision.

[10] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond de l'affaire. C'est une première étape que la prestataire doit franchir, mais le fardeau est ici inférieur à celui auquel elle devra rencontrer à l'audience de l'appel sur le fond. À l’étape de la demande permission d’en appeler, la prestataire n’a pas à prouver sa thèse mais elle doit établir que son appel a une chance raisonnable de succès. En d’autres mots, elle doit établir que l’on peut soutenir qu’il y a eu erreur révisable sur laquelle l’appel peut réussir.

[11] La permission d’en appeler sera en effet accordée si je suis convaincu qu’au moins l’un des moyens d’appel soulevé par la prestataire confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

Est-ce que la prestataire soulève, dans ses moyens d’appel, une erreur révisable qu’aurait commise la division générale et qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès?

[12] Afin de rendre la présente décision sur la permission d’en appeler, j’ai considéré la preuve additionnelle de la prestataire produite devant la division générale en date du 20 octobre 2022. Je suis d’avis que la division générale aurait dû l’admettre et en tenir compte dans sa décision puisqu’elle appuyait la position de la prestataire à l’effet qu’elle devait obligatoirement travailler à domicile et que le vaccination n’avait pas pour effet de freiner la transmission du virus.

[13] La prestataire fait valoir qu’au moment de sa suspension, en novembre 2021, elle devait obligatoirement travailler à domicile. Le premier rappel de retour au travail obligatoire sur place ne fût appliqué qu’en septembre 2022. Elle fait valoir que le non-respect de la politique n’a donc eu aucune conséquence pour les activités de l’employeur. De plus, la preuve scientifique et médicale a toujours démontré que la vaccination n'empêchait pas la transmission du virus.

[14] La prestataire soutient qu’il faut interpréter la notion d’inconduite de façon restrictive ou stricte et ne pas lui donner une portée démesurée favorisant la violation par les employeurs des droits protégés par la Charte Canadienne des droit et libertés (Charte). Elle soutient qu’il est erroné de mettre l’accent uniquement sur la conduite du prestataire. La prestataire soutient que la division générale avait toute la compétence pour interpréter le terme inconduite à la lumière des arguments de Charte qu’elle a soulevé.

[15] La prestataire s’interroge sérieusement sur l’indépendance des membres vaccinés d’un tribunal à décider d’une question qui a clairement divisé la population canadienne.

[16] La preuve prépondérante démontre que la prestataire travaillait à domicile. L’employeur a mis en place une politique de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre le danger de la COVID-19. La prestataire ne s’est pas conformée à la politique de l’employeur. L’employeur ne lui a pas accordé d’exemption. Elle a été suspendue par l’employeur.

[17] La division générale devait décider si la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite.

[18] La notion d’inconduite ne prévoit pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[19] Tel que souligné, à bon droit, par la division générale, son rôle n’est pas de savoir si l’employeur s’est rendue coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension serait injustifiée, mais bien de savoir si la prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné sa suspension.Note de bas de page 1

[20] La division générale a déterminé que la prestataire a été suspendue parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de l’employeur en réponse à la pandémie. La prestataire a été informé de la politique mise en place par l’employeur pour préserver la santé et la sécurité de tout le personnel et a eu le temps de s’y conformer. La division générale a déterminé que la prestataire a volontairement refusé de suivre la politique et qu’elle n’a pas obtenu une exemption. C’est ce qui a directement entraîné sa suspension.

[21] La division générale a déterminé que la prestataire savait ou aurait dû savoir que son refus de se conformer à la politique pourrait mener à sa suspension.

[22] La division générale a conclu de la preuve prépondérante que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[23] Il est bien établi que le non-respect délibéré de la politique d’un employeur est considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).Note de bas de page 2

[24] La prestataire fait essentiellement valoir qu’il n’est pas du ressort de son employeur de lui imposer une politique pour protéger sa santé et sa sécurité lorsqu’elle est en télétravail obligatoire, et qu’il est prouvé que la vaccination n’empêche pas la transmission du virus.

[25] Il n'est pas vraiment contesté qu'un employeur a l'obligation légale de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés sur leur lieu de travail. Il n'appartient pas au Tribunal de décider s'il était raisonnable pour l'employeur d'étendre cette protection aux employés travaillant à domicile pendant la pandémie.

[26] En d'autres termes, le Tribunal n'a pas la compétence pour décider si les obligations de l'employeur en matière de santé et de sécurité concernant la COVID-19 ont cessé au moment où la prestataire a commencé à travailler à domicile ou si elles ont continué de s'appliquer. Je note cependant que la prestataire a reconnu devoir éventuellement retourner sur son lieu de travail.

[27] Je suis également d’avis que statuer sur une question de santé publique dépasse largement la portée de l'expertise du Tribunal en matière d'assurance-emploi et ne relève pas de sa compétence.

[28] Il n’appartenait donc pas à la division générale de trancher les questions concernant l’efficacité du vaccin ou le caractère raisonnable de la politique de l’employeur qui s'applique aux travailleurs travaillant à distance et en télétravail.

[29] La prestataire soutient que la politique de l’employeur a enfreint ses droits constitutionnels et que ceux-ci doivent être protégés afin de prévenir des abus de la part des employeurs. Cette question relève d'un autre forum. Ce Tribunal n'est pas le forum approprié par lequel la prestataire peut obtenir la réparation qu'elle demande.Note de bas de page 3

[30] Dans la récente affaire Paradis, le prestataire a demandé le contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel du Tribunal refusant la permission d’en appeler. Il a fait valoir que la division d’appel n’avait pas tenu compte, dans son interprétation de la notion d’inconduite, du fait que la politique de l’employeur en matière de drogues et d’alcool contrevenait à l’Alberta Human Rights Act.

[31] La Cour fédérale a décidé qu’il en revenait à une autre instance de régler cette question. Elle a souligné qu’il existe d’autres recours disponibles pour sanctionner le comportement d'un employeur que par le truchement du programme d’assurance-emploi.Note de bas de page 4

[32] La preuve prépondérante démontre que la politique de l'employeur s'appliquait à la prestataire qui travaillait à domicile. Elle a refusé de se conformer à la politique. Elle savait que l'employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances et son refus était volontaire, conscient et délibéré.

[33] La prestataire a fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l'employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie et cela a entraîné la suspension de son emploi.

[34] Je ne vois aucune erreur révisable commise par la division générale lorsqu'elle a tranché la question de l'inconduite uniquement selon les paramètres établis par la Cour d'appel fédérale, qui a défini l'inconduite en vertu de la Loi sur l'AE.Note de bas de page 5

[35] Je suis pleinement conscient que la prestataire peut demander réparation devant une autre instance, si une violation est établie.Note de bas de page 6 Cela ne change rien au fait qu'en vertu de la Loi sur l'AE, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite.

[36] La prestataire s’interroge sérieusement sur l’indépendance des membres vaccinés d’un tribunal à décider d’une question qui a clairement divisé la population canadienne. Elle souligne que le Premier Ministre a dit publiquement qu’il fallait punir les fonctionnaires qui refusaient de se faire vacciner en les privant d’assurance-emploi.

[37] Une allégation de partialité, en particulier réelle et non simplement appréhendée, contre un tribunal est une allégation grave. Surtout lorsqu’elle provient d’un officier de justice. Elle met en cause l'intégrité du tribunal et de ses membres qui ont participé à la décision attaquée.

[38] Cela ne peut pas être fait à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressions d'un requérant ou de son avocat. Elle doit être étayée par des preuves matérielles démontrant une conduite dérogeant à la norme. Il est souvent utile, voire nécessaire, pour ce faire, de recourir à des preuves extrinsèques à l'affaire.Note de bas de page 7

[39] Je constate que la prestataire ne présente aucune preuve matérielle démontrant que la conduite du membre de la division générale déroge à la norme. Je dois réitérer qu'une telle allégation ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressions d'un prestataire.

[40] Après examen du dossier d’appel, de la décision de la division générale et des arguments au soutien de la demande de permission d’en appeler, je suis d’avis que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. La prestataire ne soulève aucune question dont la réponse pourrait mener à l’annulation de la décision contestée.

Conclusion

[41] La permission d’en appeler est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

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