Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1497

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (469949) rendue le 20 mai 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 7 novembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 15 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1878

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Je ne suis pas d’accord avec l’appelante (prestataire).

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). En conséquence, la prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire travaillait comme préposée aux fournitures pour le service de la gestion de l’approvisionnement dans un hôpital. Elle a été placée de façon involontaire en congé sans solde (son employeur l’a suspendue) parce qu’elle ne respectait pas sa politique de vaccination contre la COVID-19. La prestataire a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[4] La Commission a décidé que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle avait été suspendue pour inconduite. La prestataire n’est pas d’accord avec la décision de la Commission. Elle la porte en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[5] Selon la prestataire, elle n’a pas consenti au congé sans solde ni quitté son emploi de façon volontaire. Elle soutient que la politique de vaccination ne faisait pas partie de son contrat de travail, et elle a déposé un grief syndical à ce sujet. Elle dit que son employeur a fait preuve de discrimination à son égard, qu’il lui a fait du chantage et qu’il a agi de façon criminelle. Elle affirme que la façon dont son employeur a essayé de la forcer à se faire vacciner contre la COVID-19 constitue du harcèlement, de la coercition et une violation de son consentement éclairé.

Question que je dois examiner en premier

Partie potentiellement mise en cause

[6] Parfois, le Tribunal envoie une lettre aux anciennes employeuses et anciens employeurs des prestataires pour leur demander si devenir une partie à l’appel les intéresse. Pour devenir une partie mise en cause, l’employeuse ou l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas mettre l’employeur en cause dans le présent appel parce que rien au dossier n’indique que ma décision lui imposerait des obligations juridiques.

Question en litige

[7] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] La loi dit qu’on ne peut pas toucher de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique en cas de suspension ainsi qu’en cas de congédiementNote de bas de page 2.

[9] Pour savoir si la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois vérifier pourquoi la prestataire ne travaille plus pour son employeur. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle été suspendue?

[10] L’employeur a dit à la Commission que la prestataire ne s’était pas conformée à sa politique de vaccination contre la COVID-19, alors il l’a mise en congé sans solde à compter du 1er novembre 2021.

[11] La Commission s’est appuyée sur les déclarations de l’employeur et les documents énonçant sa politique pour décider que la prestataire avait été suspendue pour inconduite.

[12] La prestataire convient que l’employeur l’a suspendue quand elle a refusé de se conformer à sa politique de vaccination. Elle dit avoir toutes les versions de la politique de vaccination de l’employeur, y compris la version du 22 septembre 2021.

[13] La prestataire explique qu’au début, l’employeur disait avoir fondé ses politiques sur la directive no 6 de la santé publique provinciale. Mais lorsque la province a levé ces obligations, l’employeur a décidé de maintenir sa politique de vaccination. Elle affirme avoir agi délibérément, mais ses faits et gestes ne constituent pas une inconduite parce qu’elle croit que le maintien de la politique par l’employeur n’est pas raisonnable. Elle pense donc que sa conduite serait peut-être de l’insubordination, mais pas une inconduite. La prestataire est encore une employée, mais elle ne peut pas retourner au travail sans être entièrement vaccinée contre la COVID-19.

[14] Dans le contexte de l’assurance-emploi, je juge que l’employeur a suspendu la prestataire avant de la congédier. Son congé n’était pas volontaire parce qu’elle n’a pas accepté de partir en congé sans soldeNote de bas de page 3. Elle n’a pas non plus choisi de quitter son emploi volontairement.

[15] Par conséquent, comme la prestataire n’a pas consenti au congé ni quitté volontairement son emploi, je suis convaincue que, pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, la situation de la prestataire peut être considérée comme une suspension pour non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.

Quelle était la politique de l’employeur?

[16] L’employeur a mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19. Un exemplaire de la politique se trouve au dossier. La politique est entrée en vigueur le 22 septembre 2021Note de bas de page 4.

[17] La politique exige que tout le personnel soit entièrement vacciné contre la COVID-19 au plus tard le 31 octobre 2021. Chaque personne doit fournir une preuve de vaccination à l’employeur, sauf si une exemption lui est accordéeNote de bas de page 5.

La politique a-t-elle été communiquée à la prestataire?

[18] La prestataire dit qu’en effet, l’employeur lui a communiqué toutes les versions de la politique. Elle confirme avoir reçu la version du 22 septembre 2021. La politique précise que la déclaration du statut vaccinal est obligatoire et donne les délais fixés pour le respect de cette obligation. Chaque personne faisant partie du personnel devait déclarer son statut vaccinal. Les personnes non vaccinées devaient présenter une copie de l’exemption approuvée par l’employeur. La prestataire affirme qu’elle n’a pas demandé d’exemption pour des raisons médicales ni pour un motif lié aux droits de la personne.

Quelles étaient les conséquences du non-respect de la politique?

[19] La politique indique qu’à compter du 1er novembre 2021, tout le personnel non vacciné et sans contre-indication médicale valide ni autre exemption raisonnable au titre du Code des droits de la personne de l’Ontario sera placé en congé sans soldeNote de bas de page 6.

[20] La prestataire affirme qu’elle savait que la politique l’obligeait à déclarer son statut vaccinal si aucune exemption ne lui était accordée. La procédure de divulgation prévue par la politique l’obligeait à fournir une preuve de vaccination ou les documents montrant que son employeur lui avait donné une exemption.

[21] De plus, les documents au dossier montrent que, pour continuer à travailler, le personnel non exempté devait avoir reçu toutes les doses du vaccin contre la COVID-19 et avoir déclaré son statut vaccinal à son employeur au plus tard le 1er novembre 2021, comme l’exigeait la politiqueNote de bas de page 7.

[22] Comme la prestataire a refusé de suivre la politique, l’employeur l’a suspendue à compter du 2 novembre 2021. Je constate que le relevé d’emploi indique que son dernier jour payé était le 3 novembre 2021. La prestataire dit que son dernier jour de travail était le 1er novembre 2021. J’admets donc que sa suspension a pris effet le 2 novembre 2021.

La politique prévoyait-elle des exemptions?

[23] Oui. La politique prévoit des exemptions pour les membres du personnel ne pouvant pas se faire vacciner pour des raisons médicales ou pour des motifs liés aux droits de la personneNote de bas de page 8. La prestataire a expliqué qu’elle n’avait pas demandé d’exemption parce que le service des ressources humaines lui avait dit qu’il n’en accordait aucune.

La raison de la suspension est-elle une inconduite au sens de la loi?

[24] Oui. Je juge que la Commission a prouvé qu’il y avait eu inconduite. Voici les éléments que j’ai considérés.

[25] Pour être une inconduite au sens de la loi, il faut que la conduite soit délibérée. En d’autres termes, la conduite doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 9. Cela comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 10.

[26] Pour qu’il y ait inconduiteNote de bas de page 11, il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal).

[27] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que la possibilité d’être congédiée pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 12.

[28] La Commission doit prouver que la prestataire a été suspendue pour inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire que la Commission doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que la suspension découle d’une inconduite de la prestataireNote de bas de page 13.

[29] Je conclus que la prestataire a choisi de façon délibérée et consciente de ne pas respecter la politique de l’employeur. Elle savait qu’elle serait suspendue si elle ne la suivait pas.

[30] Le 16 août 2021, l’employeur a communiqué la politique à la prestataire pour la première fois. La prestataire a aussi reçu de nombreuses mises à jour et autres messages de la part de son employeur. Il a été clair avec elle : si elle n’était pas entièrement vaccinée au plus tard le 1er novembre 2021, elle violerait la politique. Celle-ci précise aussi que le défaut de se conformer à la politique entraînerait des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à l’imposition d’un congé sans soldeNote de bas de page 14 (suspension).

[31] La Cour d’appel fédérale a affirmé que le Tribunal doit se concentrer sur la conduite de la prestataire, et non sur celle de l’employeur. La question n’est pas de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant, puis en congédiant la prestataire, ce qui aurait constitué un congédiement injuste. Il s’agit plutôt de savoir si la prestataire était coupable d’inconduite et si l’inconduite a entraîné sa suspensionNote de bas de page 15.

[32] Dans la présente affaire, la prestataire a fait le choix délibéré de ne pas se conformer à la politique de l’employeur. Cette conduite contrevenait à la politique de l’employeur. La prestataire savait qu’une telle conduite entraînerait des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à l’imposition d’un congé sans solde (suspension).

[33] Je reconnais que la prestataire a le droit de décider si elle veut se faire vacciner. Mais elle savait qu’il y aurait des conséquences si elle refusait de suivre la politique de vaccination. Dans son cas, elle risquait la suspension. Je reconnais aussi que l’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes. Cela comprend le pouvoir d’élaborer et d’imposer des politiques dans le milieu de travail pour assurer la santé et la sécurité de son personnel et de sa clientèle.

[34] Dans la présente affaire, la prestataire a choisi de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 et elle a refusé de déclarer son statut vaccinal pour des raisons personnelles, même si elle savait que cela pourrait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur.

[35] Les faits ne sont pas contestés : l’employeur est un hôpital qui fournit des services de soins de santé. Il a dit à la prestataire qu’il avait mis en œuvre la politique conformément aux exigences de la directive no 6, qui exigeait que le personnel ne bénéficiant pas d’une exemption soit vacciné. L’employeur a maintenu sa politique sur la vaccination même après la levée des obligations provinciales dans le but de poursuivre ses efforts visant à protéger la sécurité publique, et ce, sans distinctionNote de bas de page 16.

[36] La Loi sur l’assurance-emploi a pour objet d’indemniser les personnes sans travail dont l’emploi a pris fin pour des raisons indépendantes de leur volonté. Il faut que la perte de l’emploi assuré soit involontaireNote de bas de page 17. L’indemnisation n’est pas un droit automatique, même si les prestataires ont payé des cotisations d’assurance-emploi.

[37] À mon avis, la suspension de la prestataire n’est pas involontaire de sa part. En effet, c’est le fait qu’elle n’a pas respecté la politique de l’employeur qui a entraîné la suspension. D’après les conclusions que j’ai tirées ci-dessus, je juge que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Autres arguments

[38] La prestataire conteste la politique de l’employeur, le code qui figure dans son relevé d’emploi ainsi que sa suspension. Elle dit que la politique l’empêchait de donner un consentement éclairé. Elle affirme avoir été victime de discrimination et ajoute, entre autres choses, que la politique était déraisonnable et que les faits et gestes de l’employeur étaient criminels.

[39] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux affirmé que la question de savoir si une employeuse ou un employeur a répondu ou non aux besoins de son personnel suivant la législation sur les droits de la personne n’est pas pertinente pour l’évaluation de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Cela s’explique par le fait que ce n’est pas la conduite de l’employeur qui est en cause. De telles questions peuvent être jugées par d’autres instancesNote de bas de page 18.

[40] La Cour d’appel fédérale a aussi dit que le rôle du Tribunal n’est pas de décider si un congédiement, ou ici une suspension, était justifié ou représentait la sanction appropriéeNote de bas de page 19.

[41] Pour avoir droit aux prestations, il faut d’abord démontrer qu’on a subi un arrêt de rémunération et qu’on a accumulé un nombre suffisant d’heures dans un emploi assuréNote de bas de page 20. Mais pour recevoir les prestations, il faut qu’il n’y ait aucune circonstance entraînant l’exclusion ou l’inadmissibilité des prestataires. Dans cette affaire-ci, la prestataire n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi durant la période de suspensionNote de bas de page 21.

[42] La prestataire a fait valoir que son employeur avait inscrit le code « K » sur le relevé d’emploi, et non le code « M » pour inconduite. Le code qui figure sur le relevé d’emploi n’est pas ce qui détermine l’inconduite comme étant la cause de la perte d’emploi. Ce sont plutôt les faits de l’affaire qui mènent à la détermination de l’inconduite et à l’inadmissibilité aux prestations.

[43] Je n’ai pas le pouvoir de décider si la politique de vaccination de l’employeur était illégale. Je n’ai pas non plus le pouvoir de décider si l’employeur a porté atteinte aux droits de la prestataire en tant qu’employée lorsqu’il l’a suspendue ou s’il aurait pu ou dû mettre en place de quelconques mesures d’adaptation pour elle. Le recours de la prestataire contre son employeur consiste à demander l’aide de son syndicat et à s’adresser à la Cour ou à tout autre tribunal qui peut juger ces questions particulières.

[44] Je dois vérifier si la conduite de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 22. À la lumière des faits dans la présente affaire, j’ai déjà décidé que la conduite de la prestataire constituait une inconduite délibérée, comme je l’ai expliqué plus haut.

Conclusion

[45] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue pour inconduite. Pour cette raison, la prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[46] Ainsi, l’appel est rejeté. Linda Bell Membre de la division générale, section de l’assurance-emploi

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