Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 27

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance emploi du Canada (462548) datée du 6 avril 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 22 décembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 3 janvier 2023
Numéro de dossier : GE 22 3509

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Décision

[1] Je rejette l’appel avec modification. Je suis en désaccord avec l’appelante (la prestataire).

[2] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a démontré que la prestataire a été suspendue de son emploi, puis congédiée en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné son congédiement). Cela signifie que la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi pendant la période de sa suspension du 18 au 29 octobre 2021Note de bas de page 1. Elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi à compter du 30 octobre 2021, date d’entrée en vigueur du congédiementNote de bas de page 2.

Aperçu

[3] La prestataire travaillait comme commis dans un hôpital pour enfants. L’employeur l’a mise en congé sans solde (l’a suspendue), puis l’a congédiée parce qu’elle ne s’était pas conformée à sa politique de vaccination contre la COVID-19.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas que cela s’est produit, elle affirme qu’aller à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté le motif de congédiement invoqué par l’employeur. Elle a décidé que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. C’est pourquoi la Commission a décidé que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[6] La prestataire n’est pas d’accord avec la décision de la Commission de lui refuser des prestations d’assurance‑emploi. Elle a interjeté appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[7] Le 6 septembre 2022, un membre de la division générale du Tribunal a rejeté de façon sommaire l’appel de la prestataire. Celle-ci a interjeté appel de cette décision devant la division d’appel du Tribunal. Le membre de la division d’appel a conclu que le membre de la division générale avait commis une erreur en rejetant sommairement l’appel et a renvoyé l’affaire à une autre membre de la division générale pour qu’elle statue sur le bien‑fondé de l’appel de la prestataire. Je suis cette membre de la division générale.

[8] La prestataire affirme qu’elle n’a pas consenti de façon éclairée à se faire vacciner. Elle a demandé des exemptions religieuses et médicales, mais son employeur a refusé les deux demandes. Elle n’a pas renoncé à son autonomie corporelle ou à ses croyances religieuses. Elle affirme que la politique de son employeur était contraire à ses droits et libertés individuels garantis par la Charte. Elle a cotisé à l’assurance‑emploi toute sa vie professionnelle, de sorte qu’elle croit qu’elle devrait avoir droit à des prestations.

Questions que je dois examiner en premier

Mis en cause éventuel

[9] Le Tribunal envoie parfois à l’ancien employeur d’un prestataire une lettre lui demandant s’il souhaite être mis en cause dans l’appel. Pour être mis en cause, l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas ajouter l’employeur comme mis en cause au présent appel. Cette décision s’explique par le fait que rien dans le dossier n’indique que ma décision imposerait des obligations légales à l’employeur. 

Question en litige

[10] La prestataire a‑t‑elle perdu son emploi en raison de son inconduite?

Analyse

[11] Selon la loi, le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi s’il perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique lorsque l’employeur suspend ou congédie le prestataireNote de bas de page 3.

[12] Pour répondre à la question de savoir si la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, je dois trancher deux éléments. Premièrement, je dois établir pourquoi la prestataire a perdu son emploi. Je dois ensuite décider si la loi considère ce motif comme étant une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[13] Je conclus que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination obligatoire de l’employeur contre la COVID-19. L’employeur a expressément informé son personnel qu’il devait être entièrement vacciné au plus tard le 15 octobre 2021, à moins qu’il ne bénéficie d’une exemption médicale ou religieuse approuvée.

[14] La Commission affirme que l’employeur de la prestataire l’a mise en congé sans solde (suspension) à compter du 16 octobre 2021 parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination de l’employeur contre la COVID-19. Lorsqu’elle est demeurée non vaccinée, l’employeur l’a congédiée 2 semaines plus tard, soit le 29 octobre 2021. L’employeur a averti la prestataire qu’elle pourrait être congédiée si elle ne respectait pas à la politique de vaccination.

[15] La prestataire a choisi de ne pas se faire vacciner. Elle affirme que la politique ne devrait pas s’appliquer à elle parce qu’elle travaillait de la maison et que les membres de sa famille immédiate ont eu des réactions importantes au vaccin. La prestataire convient qu’elle a été congédiée parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination de l’employeur contre la COVID-19.   

Le motif du congédiement de la prestataire est-il une inconduite au sens de la loi?

[16] Oui. Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Voici ce que j’ai pris en compte.

[17] La Loi sur l’assurance-emploi (Loi) ne précise pas ce que signifie une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des tribunaux administratifs et judiciaires) nous indique comment déterminer si le congédiement de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle énonce le critère juridique applicable à l’inconduite, à savoir les questions et les critères à prendre en considération dans l’examen de la question de l’inconduite.

[18] D’après la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite de la prestataire était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. L’inconduite doit être une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 5. La prestataire n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, elle n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 6.

[19] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait nuire à l’exécution de ses obligations envers son employeur et qu’il existait une possibilité réelle d’être congédiée à cause de celaNote de bas de page 7.

[20] La loi ne précise pas que je dois tenir compte de la façon dont l’employeur s’est comportéNote de bas de page 8. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela équivaut à une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 9.

[21] Je dois me concentrer uniquement sur la Loi. Je ne peux rendre aucune décision quant à savoir si la prestataire a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la question de savoir si la prestataire a été congédiée à tort ou si l’employeur aurait dû adopter des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à l’égard de la prestataireNote de bas de page 10. Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que la prestataire a fait ou a omis de faire constitue une inconduite au sens de la Loi.

[22] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 11.

[23] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce qu’elle a établi que les gestes de la prestataire contrevenaient à son contrat de travail. Elle a été informée de la politique de l’employeur exigeant la vaccination contre la COVID-19 et du fait que le non-respect de cette politique entraînerait une perte d’emploi. La politique s’appliquait au personnel occupant le poste de la prestataire et découlait d’un décret du gouvernement provincial. Malgré cela, les gestes de la prestataire étaient conscients et intentionnels et posés en toute connaissance de cause qu’ils entraînent sa suspension ou son licenciement. De cette façon, ses gestes mènent à la perte d’emploi et répondent à la définition d’inconduite.

[24] L’employeur a mis en œuvre une politique et l’a communiquée au personnel. La prestataire a été informée des conséquences du non-respect de la politique. Elle a assisté à une réunion de grief syndical où on lui a clairement dit que si elle demeurait non vaccinée, elle perdrait son emploi. Elle savait que, peu importe son lieu de travail, elle devait quand même être vaccinée avant d’être autorisée à retourner au travail. Le congédiement de la prestataire a résulté directement de son non-respect.

[25] La prestataire affirme que le refus de se faire vacciner contre la COVID-19 n’était pas un acte volontaire, intentionnel ou délibéré. Elle soutient que l’employeur lui a dit qu’il examinerait la situation de chacun individuellement, mais qu’il ne l’a pas fait. L’employeur a plutôt traité tout le monde de la même façon. Toutefois, la politique de l’employeur prévoit clairement qu’elle s’applique à tout le personnel et elle a confirmé que la politique s’appliquait à elle même si elle travaillait de la maison.

[26] La prestataire affirme que le fait d’être non vaccinée n’a pas nui à sa capacité d’exercer ses fonctions parce qu’elle pouvait travailler de la maison et qu’elle ne travaillait pas dans le domaine des soins aux patients. Elle a offert de continuer à travailler de la maison ou de faire du dépistage et de porter des EPI si elle travaille dans l’immeuble.

[27] La prestataire a expliqué en détail comment elle a procédé pour demander une exemption médicale et une exemption religieuse. Elle a ajouté avoir suivi la formation éducative exigée par la politique. Elle dit avoir choisi de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 parce que sa fille biologique a eu une réaction sévère. Puis, après avoir perdu son emploi, sa mère a subi un accident vasculaire cérébral (AIT) en raison de sa dose de rappel (troisième dose de vaccin). Sa sœur a également réagi lors d’un test d’allergie. Elle dit avoir refusé de donner son consentement éclairé pour se faire vacciner.

[28] Je reconnais que la prestataire peut avoir de bonnes raisons d’avoir choisi de ne pas se faire vacciner. Cependant, je ne suis pas d’accord avec elle lorsqu’elle affirme qu’il devrait être fait droit à son appel parce qu’elle estime que sa situation est la même que dans une décision récente rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (A. L. c C.E.I.C.)Note de bas de page 12. Dans cette décision, la prestataire travaillait dans le domaine des soins de santé et était visée par une convention collective. Toutefois, les faits relatifs à cette affaire ne sont pas les mêmes que ceux de la situation de la prestataire.

[29] Comme je l’ai expliqué pendant l’audience, je ne suis pas liée par les décisions rendues par d’autres membres de la division générale du Tribunal. D’autres décisions peuvent toutefois me convaincre si j’estime que les faits sont les mêmes. Tel n’est pas le cas ici.

[30] Dans la décision A. L. c C.E.I.C., le membre a conclu que la Commission ne s’était pas acquittée du fardeau d’établir que la prestataire avait manqué à une obligation expresse ou implicite découlant de son contrat de travail. Il a tiré cette conclusion en partie après avoir considéré comme fait que la prestataire avait un problème de santé. Dans l’affaire dont je suis saisie, ce sont la fille et la mère de la prestataire qui ont eu des réactions aux vaccins contre la COVID-19. Sa sœur a eu une réaction à un test d’allergie. La prestataire n’a pas démontré qu’elle avait un problème de santé. Elle reconnaît que son médecin et son employeur ont refusé sa demande d’exemption médicale parce qu’elle n’a pas de problème de santé qui satisfait aux exigences d’exemption.

[31] Le membre dans la décision A. L. c C.E.I.C. a également conclu que la convention collective (contrat de travail) de la prestataire reconnaît qu’elle a le droit de refuser toute vaccination recommandée ou requise. Après son analyse de cette convention collective, le membre a établi qu’il n’existait pas d’obligation expresse découlant du contrat de travail de cette prestataire. Il a plutôt conclu que l’employeur avait imposé unilatéralement à cette prestataire la politique de vaccination contre la COVID-19 sans tenir compte de la convention collective et sans consulter l’agent négociateur.

[32] Dans la présente affaire, aucune disposition de la convention collective de la prestataire ne traite des exigences en matière de vaccination ou du droit de refuser la vaccination. Cependant, la convention collective de la prestataire confère à son employeur le pouvoir d’élaborer des politiquesNote de bas de page 13. La convention collective prévoit également ce qui suit :

9.01 [Traduction] Le Syndicat reconnaît qu’il est du droit et de la fonction exclusifs de l’Employeur de gérer et de diriger ses opérations et ses affaires à tous égards et, sans limiter ou restreindre ce droit et cette fonction :
a) de déterminer et d’établir des normes et des procédures relatives aux soins, au bien‑être, à la sécurité et au confort des patients/clients de l’Employeur […]Note de bas de page 14

[33] Compte tenu de la preuve dont je dispose, je conclus que la prestataire avait une obligation explicite ou implicite de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur découlant de son emploi. La politique de l’employeur prévoit clairement que le personnel doit déclarer son statut vaccinal et être entièrement vacciné à moins qu’il ne reçoive une exemption approuvée. La prestataire a tenté d’obtenir des exemptions médicales et religieuses, mais les deux lui ont été refusées. Cela signifie qu’elle devait être vaccinée pour se conformer à la politique.

[34] Je reconnais que la prestataire a le droit de décider si elle doit être vaccinée ou de divulguer son statut vaccinal. Elle savait cependant qu’il y avait des conséquences si elle refusait de suivre la politique de vaccination, soit dans ce cas‑ci une suspension, puis un congédiement.

[35] Je reconnais également que l’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et d’imposer des pratiques et des politiques en milieu de travail, afin d’assurer la santé et la sécurité de l’ensemble de son personnel et de ses clients.

[36] La question de savoir si la prestataire travaillait ou non de la maison n’est pas pertinente. Cela s’explique par le fait que l’obligation envers son employeur était de se conformer à la politique de vaccination, ce qui était une condition de maintien de l’emploiNote de bas de page 15.

[37] La Loi a pour objectif d’indemniser des personnes dont l’emploi s’est involontairement terminé et qui se retrouvent sans travail. La perte d’emploi assurée doit être involontaire. Il ne s’agit pas d’un droit automatique, même si un prestataire a versé des cotisations d’assurance‑emploi.

[38] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux affirmé que la question de savoir si un employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé en vertu des lois sur les droits de la personne n’est pas pertinente à la question de l’inconduite au titre de la Loi. C’est parce que ce n’est pas la conduite de l’employeur qui est en cause. Ces questions peuvent être traitées devant d’autres instancesNote de bas de page 16.

[39] Je ne possède pas le pouvoir d’établir si la politique de vaccination de l’employeur était illégale ou contrevenait à la convention collective. De même, je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur a violé l’un ou l’autre des droits de la prestataire en tant qu’employée lorsqu’il l’a congédiée, ou s’il aurait pu ou dû lui accorder des mesures d’adaptation d’une autre façon. Le recours de la prestataire contre son employeur consiste à poursuivre ses réclamations par l’entremise de son syndicat, devant la Cour ou tout autre tribunal qui peut traiter de ces questions particulières.

[40] À mon avis, la prestataire n’a pas perdu son emploi involontairement. Cela s’explique par le fait que la prestataire a choisi de ne pas respecter la politique de l’employeur, ce qui a mené à son congédiement. Elle a agi délibérément. Elle savait qu’elle risquait de perdre son emploi si elle refusait de se faire vacciner. Je conclus donc que la prestataire a été congédiée de son emploi en raison de son inconduite.

Conclusion

[41] L’appel est rejeté, avec modification pour inclure la période d’inadmissibilité pour la suspension du 18 octobre 2021 au 29 octobre 2021. L’exclusion pour une période indéterminée pour le congédiement entre en vigueur le 30 octobre 2021. 

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