Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : LE c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1489

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : L. E.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (475086) datée du 11 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Teresa M. Day
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 5 octobre 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 6 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1807

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La prestataire (qui est l’appelante dans le présent appel) ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi parce qu’elle a été suspendue de son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire travaillait comme adjointe de projet chez Bell Canada, qui a établi une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 exigeant que tous les employés soient entièrement vaccinés au plus tard le 31 janvier 2022. Si une personne employée ne se conformait pas à la politique ou n’obtenait pas d’exemption de vaccination au plus tard le 31 janvier 2022, elle serait mise en congé sans solde.

[4] La prestataire a été informée de la politique. Elle n’a pas voulu s’y conformer en se faisant vacciner; elle a donc demandé à son médecin de lui donner une exemption médicale. Le médecin a cependant refusé de le faire. Puisque la prestataire n’était pas vaccinée et qu’elle n’a pas non plus obtenu d’exemption à l’échéance du 31 janvier 2022, Bell l’a mise en congé sans solde prenant effet le 1er février 2022.

[5] La prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi. La défenderesse (Commission) a décidé qu’elle avait été suspendue de son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 2. Elle ne pouvait donc pas recevoir de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[6] La prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision. Elle a expliqué sa réticence à se faire vacciner en raison de préoccupations de santé et comment l’employeur aurait pu lui offrir des mesures d’adaptation en lui permettant de continuer à travailler à la maison. La Commission a maintenu l’inadmissibilité à l’égard de sa demande, et elle a porté cette décision en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[7] Je dois décider si la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite. Pour ce faire, je dois examiner la raison de sa suspension, puis décider si la conduite ayant causé sa suspension en est une qui, selon la loi, constitue une « inconduite » aux fins des prestations d’assurance-emploi.

[8] La Commission affirme que la prestataire était au courant de la politique, des délais pour s’y conformer et des conséquences de la non-conformité, et qu’elle a fait le choix conscient et délibéré de ne pas s’y conformer après que son médecin a refusé de signer sa demande d’exemption. Elle savait qu’elle serait mise en congé sans solde en faisant ce choix, et c’est ce qui s’est passé. La Commission affirme que ces faits prouvent que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite, ce qui signifie qu’elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 4.

[9] La prestataire n’est pas d’accord. Elle affirme qu’il n’y a pas eu inconduite de sa part. Elle a fait un choix personnel de ne pas se faire vacciner pour des raisons médicales. Elle affirme aussi qu’elle a le droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que l’employeur l’a forcée à partir en congé alors qu’il aurait été facile de lui offrir des mesures d’adaptation et parce qu’elle a versé des cotisations au régime d’assurance-emploi pendant de nombreuses années et a besoin d’aide financière.

[10] Je suis d’accord avec la Commission. Voici les motifs de ma décision.

Question en litige

[11] La prestataire a-t-elle été suspendue de son emploi en raison de son inconduite?

Analyse

[12] Pour répondre à cette question, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider de la raison pour laquelle la prestataire a été suspendue de son emploi. Ensuite, je dois décider si la Loi sur l’assurance-emploi considère cette raison comme une inconduite.

Question en litige no 1 : Pourquoi la prestataire a-t-elle été suspendue de son emploi?

[13] La prestataire a été suspendue parce qu’elle a refusé de se faire vacciner comme l’exigeait la politique et n’avait pas d’exemption approuvée.

[14] La prestataire a déclaré ce qui suit à la CommissionNote de bas de page 5 :

  • Elle était au courant de la politique de vaccination obligatoire et des conséquences.
  • On a dit à tous les employés de Bell en octobre 2021 que toute personne devait recevoir deux doses de vaccin au plus tard le 31 janvier 2022, sinon elle serait suspendue.
  • Elle a consulté son médecin, mais celui-ci a dit que ses préoccupations médicales ne faisaient pas partie de la liste de problèmes de santé approuvés permettant d’obtenir une exemption médicale.
  • Son médecin a refusé de lui fournir une exemption.
  • Elle a demandé à son employeur si elle pouvait continuer de travailler de la maison et faire un test de dépistage rapide si elle devait se rendre au bureau, mais on a rejeté sa demande.
  • Elle avait déjà eu la COVID et éprouvait [traduction] « des symptômes de la COVID longue », y compris des douleurs persistantes à la poitrine. Elle s’inquiétait des effets secondaires possibles des vaccins et voulait attendre que l’utilisation d’un vaccin à base de plantes soit approuvée.
  • Elle a été suspendue de son emploi le 31 janvier 2022 pour non-conformité à la politique de vaccination de BellNote de bas de page 6.

[15] J’accepte les déclarations de la prestataire à la Commission. J’estime qu’elle a été suspendue de son emploi parce qu’elle a refusé de se faire vacciner comme l’exigeait la politique et qu’elle n’avait pas d’exemption approuvée.

Question en litige no 2 : La raison de suspension de la prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[16] Oui, la raison de la suspension de la prestataire est une inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploi.

[17] Pour constituer une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 7. L’inconduite comprend également une conduite à ce point insouciante (ou négligente) qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 8 (ou qui démontre un mépris délibéré des répercussions de ses actes sur son rendement au travail).

[18] La prestataire n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, il n’est pas nécessaire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite selon la loiNote de bas de page 9.

[19] Il y a inconduite lorsque la partie prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers l’employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit suspendueNote de bas de page 10.

[20] La Commission doit prouver que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 11. Elle s’appuie sur la preuve que les représentantes et les représentants de Service Canada obtiennent de l’employeur et de la prestataire pour le faire.

[21] La prestataire affirme qu’elle a pris la décision médicale personnelle de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19. Elle affirme qu’elle était toujours disposée à travailler de la maison et à faire des tests de dépistage si elle devait se rendre au bureau, mais que l’employeur l’a forcée à quitter son emploi même si elle ne représentait un risque pour personne. Elle soutient que pour ces raisons, sa conduite ne peut être considérée comme volontaire. Je ne suis pas d’accord.

[22] La prestataire a déclaré ce qui suit à l’audience :

  • Lui refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite [traduction] « est une mauvaise décision ».
  • Son employeur n’a jamais dit qu’elle avait fait [traduction] « quoi que ce soit que l’on peut qualifier d’inconduite ».
  • On parle d’inconduite si on [traduction] « fait quelque chose de mal au travail », mais [traduction] « personne chez Bell » ne lui a dit qu’elle avait [traduction] « commis une inconduite ». Il n’y a eu aucune réunion avec son gestionnaire et son représentant syndical; on ne lui a pas non plus demandé de signer une lettre reconnaissant un incident; soit le genre de chose qui se retrouverait dans son dossier d’emploi.
  • On lui a simplement dit qu’elle était mise en congé sans solde pour non-conformité à la politique de vaccination.
  • Sa situation était particulière.
  • Elle travaillait à temps plein de la maison et n’avait pas à se rendre au bureau lorsque la politique est entrée en vigueur.
  • Elle a proposé de se faire tester s’il était possible qu’elle doive se rendre au bureau, mais l’employeur a refusé.
  • Elle a envoyé un courriel à l’employeur pour demander les renseignements disponibles au sujet de la sécurité des vaccins et si Bell pouvait être [traduction] « responsable » si quelque chose lui arrivait.
  • On lui a dit que c’était à ses propres risques.
  • Elle a fait ses propres recherches et n’était pas à l’aise de se faire vacciner. Elle se préoccupait beaucoup des douleurs qu’elle éprouvait à la poitrine.
  • Elle a essayé de [traduction] « négocier » des mesures d’adaptation lui permettant de travailler de la maison sans être vaccinée, car elle ne rencontre pas la clientèle et n’entre pas en contact avec ses collègues.
  • Cependant, Bell lui a toujours opposé un [traduction] « NON ferme ».
  • On n’a jamais tenté de lui offrir quelque mesure d’adaptation que ce soit, même s’il n’y avait [traduction] « aucun risque ».
  • Son médecin lui a dit que les douleurs à la poitrine étaient probablement seulement un symptôme de la [traduction] « COVID longue » et n’a pas voulu lui donner d’exemption.
  • Elle a un enfant à nourrir et des dépenses à payer; elle a donc fini par décider qu’elle se rendrait à une clinique de vaccination pour recevoir sa première dose. Cependant, lorsqu’elle a parlé de ses douleurs à la poitrine à la personne passant en revue ses renseignements médicaux, on a refusé de lui faire l’injection parce que, selon eux, si elle avait de telles douleurs [traduction] « il n’était pas recommandé » qu’elle se fasse vacciner à ce moment-là.
  • Elle a expliqué cela à l’employeur et a encore demandé une mesure d’adaptation, mais la réponse est demeurée [traduction] « toujours un non ferme ».
  • Lorsqu’elle est retournée à la clinique de vaccination, on lui a dit avoir besoin de plus de renseignements de la part de son médecin avant de pouvoir la vacciner. Elle a obtenu de plus amples renseignements, mais tout ce qu’ils ont constaté était un rythme cardiaque irrégulier, c’est-à-dire [traduction] « rien dont ils aient à se préoccuper ».
  • [traduction] « En fin de compte, je ne me sentais toujours pas à l’aise à l’idée de recevoir ce vaccin, car, encore une fois, j’ai ces douleurs à la poitrine ».
  • Elle n’avait pas d’exemption médicale. Elle a cependant pris la décision personnelle de ne pas se faire vacciner parce que le médecin ne pouvait toujours pas expliquer pourquoi elle ressentait des douleurs à la poitrine. De plus, il n’y avait aucun moyen de connaître les effets que les vaccins auraient sur elle.
  • Elle ne pense pas qu’elle avait assez de renseignements concernant sa propre situation médicale pour prendre cette décision, et personne n’allait être [traduction] « responsable » si quelque chose lui arrivait.
  • Elle ne croit pas que sa situation corresponde à la définition de l’inconduite de l’assurance-emploi.
  • Elle a fait tout ce qui était nécessaire de sa part [traduction] « sur le plan professionnel ». La seule chose qu’elle n’a pas faite a été de [traduction] « mettre quelque chose dans son corps ». Il s’agissait d’une décision médicale personnelle, et cela ne devrait rien avoir à faire avec son travail, d’autant plus qu’elle travaillait seulement de la maison et ne mettait ni la clientèle ni ses collègues en danger.
  • [traduction] « Ce n’est pas terrible comme choix si la seule option est de recevoir un vaccin ou de perdre son emploi ou encore sa maison ».
  • Elle a travaillé fort et cotisé au régime d’assurance-emploi pendant des années; pourtant, on la punit pour avoir pris une décision médicale personnelle [traduction] « qui ne touchait personne » à part elle.
  • Elle a maintenant été rappelée au travail.
  • Mais entre-temps, elle a eu beaucoup de difficultés financières après avoir passé six mois sans aucun revenu. Elle a une famille qui compte sur elle pour en prendre soin.
  • L’expérience a été [traduction] « affreuse » et l’a isolée. Elle a le sentiment que ses droits lui ont été retirés et d’avoir fait l’objet de discrimination.
  • Son syndicat [traduction] « s’en prend à Bell », car il y a eu des situations, comme la sienne, où la vaccination obligatoire [traduction] « n’était pas nécessaire ». Elle ignore combien de temps le processus prendra, mais un grief a été déposé au nom d’un groupe d’employés et elle fait partie de ce groupe.

[23] Je comprends la frustration de la prestataire et les difficultés financières qu’elle a éprouvées depuis qu’elle a été suspendue.

[24] Cependant, il n’appartient pas au Tribunal de décider si la politique de l’employeur était raisonnable, si l’employeur aurait dû accepter la demande d’exemption de la prestataire fondée sur sa décision personnelle, ou si l’imposition du congé sans solde était trop sévèreNote de bas de page 12.

[25] Le Tribunal doit se concentrer sur la conduite ayant entraîné la suspension de la prestataire et décider s’il s’agit d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[26] J’ai déjà conclu que la conduite ayant mené à la suspension de la prestataire était son refus de se faire vacciner conformément à la politique de l’employeur en milieu de travail en réponse à la pandémie de COVID-19.

[27] La preuve non contestée obtenue de l’employeur ainsi que la preuve et le témoignage de la prestataire à l’audience me permettent de tirer les conclusions supplémentaires suivantes :

  1. a)  La prestataire a été informée de la politique et a eu le temps de s’y conformer.
  2. b)  Son refus de se conformer à la politique était délibéré et intentionnel. Cela a rendu son refus volontaire.
  3. c)  Elle savait que son refus de se faire vacciner après n’avoir pu obtenir l’approbation d’une exemption pouvait entraîner sa suspension de son emploi. Cela signifie qu’elle a accepté les conséquences.
  4. d)  Son refus de se conformer à la politique était la cause directe de sa suspension.

[28] L’employeur a le droit d’établir des politiques en matière de sécurité au travail. La prestataire a toujours eu le droit de refuser de se conformer à la politique.

[29] En choisissant de ne pas se faire vacciner après que son médecin de famille a refusé de lui fournir une exemption médicale, elle a pris une décision personnelle qui a mené à des conséquences prévisibles sur son emploi.

[30] La division d’appel du présent Tribunal a confirmé à plusieurs reprises qu’il importe peu que cette décision personnelle soit fondée sur des croyances religieuses, des préoccupations médicales ou sur une autre raison personnelle. Le fait de choisir délibérément de ne pas se conformer à une politique sur la sécurité au travail liée à la COVID-19 est considéré comme volontaire et constitue une inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 13.

[31] Ces affaires sont étayées par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, selon laquelle une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 14.

[32] Je conclus donc que le refus délibéré de la prestataire de se faire vacciner conformément à la politique, après n’avoir pu obtenir l’approbation d’une exemption à la date limite qui y était indiquée, constitue une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[33] La réintégration de la prestataire après sa suspension n’enlève rien au fait qu’elle savait qu’elle pouvait être suspendue pour non-conformité à la politique à la date limite du 31 janvier 2022Note de bas de page 15.

[34] La prestataire soutient que la politique de l’employeur a eu pour conséquence de la forcer à choisir entre travailler et recevoir un vaccin qui, selon elle, pouvait avoir un effet néfaste sur sa santé. Elle ajoute que la politique violait la convention collective régissant son emploi et était discriminatoire.

[35] Je ne tire aucune conclusion concernant la validité de la politique ou toute violation des droits de la prestataire. Elle est libre de présenter ces arguments devant les instances juridictionnelles compétentes et de leur demander réparationNote de bas de page 16. Aucun de ses arguments ne change le fait que la Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a été congédiée en raison d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[36] De plus, cela signifie qu’elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi.

[37] Enfin, il ne suffit pas d’avoir versé des cotisations au régime d’assurance-emploi ou d’avoir besoin de soutien financier. Si une partie prestataire est suspendue de son emploi en raison de son inconduite, elle n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi pendant la période de suspension, peu importe le nombre d’années au cours desquelles elle a cotisé au régime ou la difficulté de sa situation financière.

Conclusion

[38] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite. Autrement dit, elle est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi pendant la période de la suspension, à compter du 1er février 2022.

[39] L’appel est rejeté.

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