Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1535

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : D. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (485685) rendue le 16 juin 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Leanne Bourassa
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 17 août 2022
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 27 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2178

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec D. M., le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé qu’il a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné la perte de son emploi). En conséquence, le prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Le prestataire a été suspendu. Son employeuse dit qu’il a été placé en congé pour non-respect de sa politique de vaccination contre la COVID-19, car il n’a pas dit s’il s’était fait vacciner ou non.

[4] Le prestataire ne conteste pas le fait qu’il n’a pas divulgué son statut vaccinal, mais il affirme que s’opposer à la politique de vaccination de son employeuse n’est pas une inconduite. Il a dû prendre un congé contre son gré.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeuse pour expliquer le congé. La Commission a décidé que le prestataire avait été suspendu pour inconduite. Elle a donc conclu qu’il n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Questions que je dois examiner en premier

L’appel n’est pas rejeté de façon sommaire

[6] Selon l’article 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division générale rejette un appel de façon sommaire si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès.

[7] L’article 22 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale précise qu’avant de rejeter sommairement un appel, la division générale doit aviser la partie appelante par écrit et lui accorder un délai raisonnable pour présenter des observations.

[8] Le 5 août 2022, j’ai informé le prestataire que j’envisageais de rejeter l’appel de façon sommaire. Il a répondu par écrit le 7 août 2022.

[9] À la lumière de la réponse du prestataire, j’ai décidé que son appel avait une chance raisonnable de succès. Ainsi, l’appel n’est pas rejeté de façon sommaire. Une audience a permis d’examiner la demande de prestations sur le fond, et la présente décision porte sur le fond de l’affaire.

L’employeuse n’est pas partie à l’appel

[10] Parfois, le Tribunal envoie une lettre aux anciennes employeuses et anciens employeurs des prestataires pour leur demander si devenir une partie à l’appel les intéresse. Dans la présente affaire, le Tribunal a fait parvenir une telle lettre à l’employeuse. Elle n’y a pas répondu.

[11] Pour devenir une partie mise en cause, l’employeuse ou l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas mettre l’employeuse en cause dans le présent appel, car rien au dossier n’indique que ma décision lui imposerait des obligations juridiques.

Question en litige

[12] Le prestataire a-t-il été suspendu de son poste en raison d’une inconduite?

Analyse

[13] La loi dit qu’on ne peut pas toucher de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique tant en cas de congédiement qu’en cas de suspensionNote de bas de page 2.

[14] Pour savoir si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. Je dois d’abord savoir pourquoi il a dû partir en congé. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[15] Je juge que le prestataire a été suspendu parce qu’il refusait de suivre la politique de vaccination de son employeuse.

[16] Le prestataire et la Commission ne sont pas tout à fait d’accord sur la raison pour laquelle le prestataire a été mis en congé de façon involontaire (il a été suspendu). Selon la Commission, l’employeuse a donné la vraie raison du congé. L’employeuse a dit à la Commission que le prestataire n’avait pas respecté sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 parce qu’il n’avait pas divulgué son statut vaccinal.

[17] L’explication du prestataire à ce sujet est moins claire. Il a d’abord dit à la Commission qu’il n’avait pas divulgué son statut vaccinal. Ensuite, lorsqu’il a demandé la révision de son dossier, il a affirmé avoir été placé en congé parce qu’il ne s’était pas fait vacciner. Quand il a déposé son appel, le prestataire a expliqué qu’il avait refusé de suivre la politique, car son employeuse avait violé son contrat. Enfin, à l’audience, il a dit que, quand il n’a pas pu rentrer au travail, il ne savait pas pourquoi il avait été suspendu.

[18] Je juge que le prestataire a été suspendu parce qu’il refusait de se conformer à la politique de l’employeuse sur la vaccination obligatoire.

[19] La politique exigeait que toutes les personnes actives au travail attestent de leur statut vaccinal au plus tard le 12 novembre 2021. Celles qui ne voudraient pas divulguer leur statut vaccinal seraient considérées comme refusant d’être entièrement vaccinées. Après le 26 novembre 2021, ces personnes seraient placées en congé non payé.

[20] C’est ce qui est arrivé au prestataire. Il admet qu’il n’a pas attesté de son statut vaccinal. Il a été placé en congé le 29 novembre 2022. Je conclus donc qu’il a été placé en congé ou suspendu de son emploi parce qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeuse.

La raison du congédiement est-elle une inconduite au sens de la loi?

[21] La raison pour laquelle le prestataire a été congédié est une inconduite au sens de la loi.

[22] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Mais la jurisprudence (les décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment savoir si le congédiement du prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle établit le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les points et les critères à prendre en considération lorsqu’on examine la question de l’inconduite.

[23] Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il faut que la conduite soit délibérée. En d’autres termes, la conduite doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. Cela comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 4. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 5.

[24] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeuse et que la possibilité d’être congédié pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 6.

[25] La loi ne m’oblige pas à tenir compte du comportement de l’employeuseNote de bas de page 7. Je dois plutôt me pencher sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait, puis voir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8.

[26] Je dois d’abord et avant tout tenir compte de la Loi. Je ne peux pas décider si d’autres lois donnent d’autres options au prestataire. Il ne m’appartient pas de décider si le prestataire a été congédié à tort ou si l’employeuse aurait dû mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables pour luiNote de bas de page 9. Je peux me pencher sur une seule chose : la question de savoir si ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait constitue une inconduite au sens de la Loi.

[27] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (qu’il y a plus de chances) que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 10.

[28] Selon la Commission, il y a eu inconduite parce que le prestataire n’a pas suivi les instructions de l’employeuse, ce qui a entraîné un congé non payé, que l’on considère comme une suspension.

[29] Selon le prestataire, il n’y a pas eu d’inconduite parce que la politique de son employeuse était déraisonnable et allait trop loin. Ses conditions de travail ont été établies à l’embauche et son employeuse a violé sa convention collective. Il a dit qu’il avait vérifié si son employeuse pouvait lui offrir des mesures d’adaptation, mais c’était après qu’il a dû partir en congé.

[30] Le prestataire m’a présenté des éléments de preuve, dont une lettre adressée à la ministre responsable de l’assurance-emploi et une pétition déposée au Parlement au sujet des codes inscrits sur les relevés d’emploi des personnes touchées par les restrictions apportées à l’assurance-emploi. J’ai lu ces documents, mais je peux appliquer uniquement les lois en vigueur à l’heure actuelle. Je conclus donc que ces documents ne sont pas utiles pour décider si les faits et gestes du prestataire constituaient une inconduite.

[31] Selon la politique de vaccination de l’employeuse, tout le personnel actif au travail doit attester de son statut vaccinal au plus tard le 12 novembre 2021. Les personnes qui ne le font pas sont considérées comme refusant d’être entièrement vaccinées et sont placées en congé non payé après le 26 novembre 2021.

[32] Personne ne conteste le fait que le prestataire n’a pas divulgué son statut vaccinal à son employeuse. Par conséquent, je conclus qu’il a enfreint la politique de son employeuse. Ainsi, la prochaine question à trancher est celle de savoir s’il a agi de façon délibérée.

[33] À l’audience, le prestataire a dit que, quand il s’est présenté au travail le 29 novembre 2021, il ne savait pas pourquoi il n’a pas pu entrer dans l’immeuble où il travaille. Il a dit que c’était la première fois qu’il entendait parler de ce qu’il appelle maintenant la « pratique » de son employeuse.

[34] Je juge que le témoignage du prestataire à l’audience n’était pas crédible. Premièrement, son témoignage ne correspond pas aux déclarations qu’il a faites à la Commission dans le passé. Les notes de la Commission montrent qu’il lui a dit être au courant de la politique et savoir qu’il pouvait être obligé de prendre congé s’il ne respectait pas la politique.

[35] Deuxièmement, j’estime qu’il est très peu probable qu’un employé d’une société publique sous réglementation fédérale ignore complètement, comme il l’a affirmé, la politique de vaccination de son employeuse et les obligations qu’elle lui impose.

[36] L’employeuse a dit à la Commission que, le 28 octobre 2020, un message a été envoyé à tout le personnel. Il décrivait les obligations du personnel aux termes de la politique, les dates limites pour les attestations et la vaccination ainsi que les conséquences du non-respect de la politique. Elle a aussi confirmé que le prestataire n’avait pas demandé de mesures d’adaptation au titre de la politique.

[37] À l’audience, le prestataire a dit qu’il n’a pas de téléviseur et qu’il ne passait que très peu de temps dans les locaux au travail. Il lisait les messages sur les tableaux d’affichage et parlait à ses collègues. Son travail consistait à livrer du courrier, ce qu’il faisait seul, sans trop de contacts avec les autres. Il a expliqué que personne dans l’équipe de supervision ne lui avait parlé de la politique. Mais il a aussi déclaré qu’un superviseur lui avait dit qu’il devrait téléphoner pour donner son attestation et qu’une discussion générale avait eu lieu au sujet de l’obligation. Il savait aussi que les choses avaient changé au travail, car son heure d’arrivée au centre de tri n’était plus la même à cause des protocoles de distanciation liés à la COVID-19.

[38] Le prestataire a aussi mentionné qu’avant son congé, il avait reçu une lettre de son employeuse par la poste. Par contre, comme elle était adressée à quelqu’un d’autre, il l’avait retournée sans la lire. Il n’a pas parlé de la lettre à son employeuse ou à ses collègues, ni posé des questions pour savoir de quoi il pouvait s’agir, même s’il dit avoir reçu une lettre d’excuses plus tard. Il a ajouté qu’en décembre 2021, il a reçu une lettre de son employeuse par la poste, mais il ne l’a pas ouverte.

[39] Si je mentionne ces choses, c’est parce que la conduite des prestataires peut être considérée comme une inconduite si elle est d’une telle insouciance qu’elle est délibérée. Lorsqu’une personne semble mal connaître de façon intentionnelle les politiques de son employeur, surtout quand on en discute amplement dans la sphère publique, elle se met délibérément dans une position pouvant l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur. J’estime que, si le prestataire agissait ainsi, sa conduite était d’une telle insouciance qu’on peut la considérer comme une inconduite.

[40] Enfin, je remarque aussi que le prestataire a présenté plusieurs arguments expliquant pourquoi il n’est pas d’accord avec la politique de vaccination de son employeuse et pourquoi il ne devrait pas être obligé de s’y conformer. Il a confirmé qu’il ne voulait pas divulguer son statut vaccinal à son employeuse et que, selon lui, il devrait être exempté de la vaccination. Il ne croit pas que la vaccination soit utile et que la politique aille à l’encontre de ses conditions d’emploi [sic].

[41] Les notes de la Commission montrent également que le prestataire lui a dit qu’il était au courant de la politique en vigueur, mais qu’il ne voulait pas divulguer ses renseignements médicaux personnels, car cela violait ses droits. Il avait compris qu’il pouvait être placé en congé s’il ne respectait pas la politique, mais il n’a pas demandé congé ni accepté de partir en congé.

[42] Les arguments avancés par le prestataire pour contester la politique m’amènent à conclure qu’il a choisi de ne pas accepter ni respecter la politique de vaccination de son employeuse. Comme je l’ai mentionné plus haut, je ne crois pas qu’il ignorait tout de la politique en question. Même s’il n’était pas d’accord avec le congé imposé par son employeuse, il savait que c’était un scénario possible. Ainsi, le prestataire a refusé de se conformer à la politique alors qu’il était au courant de la politique et connaissait les conséquences du non-respect de la politique. C’est une inconduite.

[43] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite, parce que le prestataire a choisi de ne pas suivre la politique de son employeuse, même s’il savait qu’il devrait peut-être partir en congé. S’il ignorait les conséquences de la politique, c’est parce qu’il évitait de façon insouciante d’être informé de la nouvelle politique même si le respect des politiques de l’employeuse est essentiel au maintien de son emploi. Le prestataire a été placé en congé de façon involontaire (il a été suspendu) parce qu’il n’a pas respecté l’obligation de divulguer son statut vaccinal, contrairement à ce que prévoyait la politique.

Somme toute, le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[44] D’après les conclusions que j’ai tirées ci‑dessus, je juge que le prestataire a dû prendre un congé de façon involontaire (il a été suspendu) en raison d’une inconduite.

[45] En effet, les faits et gestes du prestataire ont mené à son congédiement. Il a agi délibérément. Il aurait dû savoir que refuser de dire s’il s’était fait vacciner risquait de lui faire perdre son emploi.

Conclusion

[46] La Commission a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[47] L’appel est donc rejeté.

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