Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c RC, 2023 TSS 37

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Melanie Allen
Partie intimée : R. C.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 3 octobre 2022 (GE-22-1775)

Membre du Tribunal : Charlotte McQuade
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 11 janvier 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Date de la décision : Le 13 janvier 2023
Numéro de dossier : AD-22-762

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La division générale a fait une erreur de droit.

[3] J’ai remplacé la décision de la division générale par la mienne. La prestataire n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi.

Aperçu

[4] R. C. est la prestataire dans la présente affaire. Elle a quitté son emploi parce qu’elle déménageait dans une autre province pour aller vivre avec son conjoint. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi parce qu’elle avait pris la décision personnelle de déménager et qu’elle aurait pu s’assurer d’avoir un travail dans la nouvelle province avant de quitter son emploi.

[5] La prestataire a porté la décision de la Commission en appel à la division générale du Tribunal. La division générale a décidé que la prestataire avait démontré que son départ était fondé (justifié), car elle avait essayé de trouver un emploi dans sa nouvelle province avant de démissionner, ce qui était une solution raisonnable dans son cas.

[6] La Commission a porté la décision de la division générale en appel à la division d’appel. La Commission soutient que la division générale a mal appliqué le critère juridique de la justification et qu’elle n’a pas fait une analyse valable des éléments de preuve portant sur la question de savoir si, compte tenu des circonstances personnelles entourant le départ de la prestataire, quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[7] La division générale a mal appliqué le critère juridique de la justification. J’ai remplacé la décision de la division générale par la mienne.

[8] Je conclus que la prestataire n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi. Elle a pris la décision personnelle de déménager dans une autre province pour aller vivre avec son conjoint. Étant donné les circonstances, une solution raisonnable s’offrait à la prestataire : trouver un emploi dans sa nouvelle province avant de quitter son emploi.

Questions en litige

[9] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a)  La division générale a-t-elle mal appliqué le critère juridique de la justification?
  2. b)  La division générale a-t-elle analysé de façon non valable la preuve portant sur la question de savoir si, compte tenu des circonstances personnelles entourant le départ de la prestataire, quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas?

Analyse

La division générale a fait une erreur de droit

[10] La Commission avait exclu la prestataire du bénéfice des prestations après avoir décidé que cette dernière n’avait pas démontré qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi.

[11] La prestataire a porté cette décision en appel à la division générale.

[12] Personne n’a contesté le fait que la prestataire avait quitté son emploi volontairement. La division générale devait décider si le départ de la prestataire était fondé.

[13] La Loi sur lassurance-emploi prévoit qu’il y a exclusion du bénéfice des prestations quand les prestataires ont volontairement quitté leur emploi sans justificationNote de bas de page 1.

[14] Une personne est « fondée à » quitter son emploi (son départ est fondé ou justifié) si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment celles mentionnées dans la loi, son départ était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 2.

[15] Ce sont les prestataires qui ont la responsabilité de démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que leur départ était fondé.

[16] La prestataire entretenait une relation à distance. Elle et son conjoint avaient décidé d’emménager ensemble. Il ne pouvait pas déménager dans la province où elle habitait, car il devait s’occuper d’un enfant d’âge adulte. Le 19 janvier 2022, la prestataire a quitté son emploi pour déménager dans la province de son conjoint et aller vivre avec luiNote de bas de page 3.

[17] L’une des circonstances prévues par la loi est la « nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidenceNote de bas de page 4 ».

[18] La division générale a décidé que cela ne s’appliquait pas à la situation de la prestataire parce qu’il fallait que la prestataire ait vécu avec son conjoint pendant au moins un an pour qu’il soit considéré comme un « conjoint de fait », ce qui n’était pas le casNote de bas de page 5.

[19] La division générale a donc conclu qu’au moment où la prestataire a quitté son emploi, elle n’était pas obligée de suivre un époux ou un conjoint de fait vers un autre lieu de résidence. Elle a plutôt quitté son emploi pour déménager dans une autre province et aller vivre avec son conjointNote de bas de page 6.

[20] La division générale a mentionné que la prestataire avait demandé un congé à son employeur, sans succès. Elle avait travaillé avec lui pendant 25 ans. Une mutation était impossible, car l’employeur n’exerçait aucune activité dans la province où la prestataire s’en allait vivre.

[21] La division générale a pris en considération le fait que la prestataire était en vacances dans sa nouvelle province du 23  décembre 2021 au 19 janvier 2022. La ville où elle déménageait était très petite et il y avait plusieurs autres villes dans les environs. Il n’y avait pas de grosses entreprises à proximité. La pêche et le tourisme étaient les principales industries de la région.

[22] La division générale a établi le fait qu’après son arrivée, la prestataire avait essayé de trouver du travail au magasin local, à l’épicerie et à la pharmacie. Elle avait aussi discuté avec ses proches, qui lui ont parlé d’un poste dans un restaurant. Mais lorsqu’elle s’est renseignée, le poste n’était plus disponible.

[23] La division générale a fait référence à un principe tiré de la loi : la plupart du temps, on a l’obligation de démontrer qu’on a fait des efforts pour trouver un autre emploi avant de prendre la décision unilatérale de quitter son emploiNote de bas de page 7.

[24] Elle a conclu que l’obligation consiste à chercher un emploi, et non à en obtenir un. La division générale a précisé que le fait que la prestataire n’ait pas réussi à trouver un emploi ne permet pas de trancher la présente affaire.

[25] La division générale a décidé que la prestataire avait exploré jusqu’au bout la solution raisonnable qui consistait à chercher un autre emploi avant de quitter son poste parce qu’elle avait démontré qu’elle avait fait des recherches dans sa nouvelle province avant la fin de son emploi. Par conséquent, la division générale a conclu que la prestataire avait démontré qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi.

[26] La Commission soutient que la division générale a cité le bon critère juridique, mais qu’elle l’a mal appliqué. Elle fait valoir qu’au lieu de vérifier si, compte tenu des circonstances, le départ de la prestataire était la seule solution raisonnable dans son cas, la division générale a seulement pris en compte le fait que la prestataire avait recouru à la solution raisonnable de chercher du travail avant de démissionner.

[27] La Commission ajoute que la division générale n’a pas analysé de façon valable la preuve portant sur la question de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances, c’est-à-dire la décision personnelle de déménager, le départ de la prestataire était la seule solution raisonnable dans son cas. La division générale s’est plutôt penchée sur les éléments qui auraient pu appuyer la décision prise par la prestataire, soit quitter son emploi.

[28] La Commission explique que la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale a confirmé que le fait de quitter un emploi pour des raisons personnelles ne constitue pas une justification et que la division générale n’a pas tenu compte de cette jurisprudenceNote de bas de page 8.

[29] La prestataire n’est pas d’accord. Elle soutient que la division générale a bien appliqué la loi. Elle dit avoir envisagé toutes les solutions raisonnables, car elle a demandé un congé à son employeur, ce qui n’était pas possible, et elle a cherché du travail avant de démissionner.

[30] Avec respect, je conclus que la division générale a fait une erreur de droit. La division générale a cité le bon critère juridique de la « justification », mais elle ne l’a pas appliqué comme il faut.

[31] La division générale s’est surtout attardée sur le fait que la prestataire avait cherché une solution raisonnable, c’est-à-dire essayer de trouver du travail, pour ne pas avoir à quitter son emploi, mais elle n’a pas vérifié si, compte tenu des circonstances personnelles entourant le départ de la prestataire, quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 9.

[32] Comme la division générale a fait une erreur de droit, je peux modifier sa décisionNote de bas de page 10.

Réparation

[33] Pour corriger l’erreur, je peux renvoyer l’appel à la division générale pour réexamen ou je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 11.

[34] À l’audience, la prestataire a dit qu’elle voulait que je remplace la décision de la division générale par la mienne. Elle veut que je rejette l’appel. Elle affirme que son départ était fondé.

[35] Elle soutient qu’elle a exploré toutes les solutions raisonnables parce que, pendant ses vacances, elle a essayé de trouver du travail dans sa nouvelle province. Mais elle a dû revenir chez elle pour vendre sa maison. Elle a aussi demandé un congé à son employeur, qui a refusé. Et comme il n’exerce aucune activité dans la province où elle allait déménager, elle ne pouvait pas se faire muter.

[36] La Commission souhaite aussi que je remplace la décision de la division générale par la mienne. Elle veut que j’accueille l’appel.

[37] Selon la Commission, quitter un emploi pour des raisons personnelles ne constitue pas une justification. Elle fait valoir que, compte tenu de la raison personnelle pour laquelle la prestataire a quitté son emploi, une solution raisonnable était de rester en poste jusqu’à ce qu’elle trouve un nouvel emploi dans la province où elle déménageait.

[38] J’estime que, dans la présente affaire, il convient de rendre ma propre décision pour remplacer la précédente. Les parties ont eu la chance juste et équitable de présenter tous leurs arguments à l’audience devant la division générale, et les faits essentiels ne sont pas contestés.

Nouvelle décision

[39] La division générale a décidé que, dans le cas de la prestataire, il n’y avait aucune « nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence » parce qu’il fallait que la prestataire ait vécu avec son conjoint pendant au moins un an pour qu’il soit considéré comme son « conjoint de fait », ce qui n’était pas le casNote de bas de page 12. 

[40] Je suis d’accord avec cette conclusion. La preuve montrait que la prestataire vivait avec son conjoint depuis moins d’un an.

[41] Je conclus que la prestataire a pris la décision personnelle de déménager dans une autre province pour aller vivre avec son conjoint. Voilà les circonstances entourant son départ.

[42] La division générale a expliqué que la loi oblige les prestataires à chercher un autre emploi avant de démissionner, et c’est tout. Elle a ajouté que le fait de ne pas en trouver un n’est pas un élément déterminant. La division générale a cité une décision de la Cour d’appel fédérale pour appuyer sa position.

[43] Selon l’affaire citée par la division générale, quand on est prestataire, on a l’obligation de démontrer qu’on a fait des efforts pour trouver un autre emploi avant de prendre la décision unilatérale de quitter son emploi. Je suis d’accord avec la division générale : la décision citée ne dit pas noir sur blanc qu’il faut s’assurer d’avoir un nouvel emploiNote de bas de page 13. Je remarque toutefois que les faits de l’affaire n’avaient rien à voir avec une démission motivée par des raisons purement personnelles. Les faits illustraient la situation d’une prestataire qui avait quitté son emploi parce que ses fonctions avaient été modifiées.

[44] Plus récemment, dans une décision qui a fait jurisprudence, la Cour d’appel fédérale a confirmé que quitter un emploi pour des raisons personnelles ne constitue pas une justificationNote de bas de page 14.

[45] Compte tenu de cette décision de jurisprudence et de la raison personnelle pour laquelle la prestataire a quitté son emploi, je conclus qu’elle n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi. Une solution raisonnable qui s’offrait à elle était de continuer à travailler jusqu’à ce qu’elle trouve un nouvel emploi.

[46] Même si j’admettais que la prestataire n’était pas obligée de trouver un emploi, mais seulement de faire des recherches pour en trouver un, je juge qu’une solution raisonnable s’offrait tout de même à la prestataire : elle pouvait conserver son poste jusqu’à ce qu’elle ait entrepris une recherche d’emploi plus active et plus soutenue dans la nouvelle province.

[47] Il est vrai que la prestataire a demandé un congé à son employeur et qu’elle a tenté de trouver du travail pendant ses vacances du 23 décembre 2021 au 19 janvier 2022. Plus précisément, la division générale a accepté le fait que la prestataire avait demandé du travail dans trois magasins de vente au détail et qu’elle avait vérifié si un poste était disponible dans un restaurantNote de bas de page 15.

[48] Je reconnais que la prestataire déménageait dans une petite ville où les possibilités d’emploi étaient limitées. Cependant, elle n’a fait que très peu de tentatives pour trouver du travail avant de démissionner. Sa recherche d’emploi a été brève, soit pendant ses vacances du 23 décembre 2021 au 19 janvier 2022. Elle a admis devant la division générale qu’elle n’a pas consulté de sites Web pour essayer de trouver du travail ni vérifié les annonces sur les babillards. Elle a dit qu’elle pensait d’abord recevoir des prestations d’assurance-emploi, puis commencer à chercher un emploi, car elle était en plein déménagement, ce qui occupait ses penséesNote de bas de page 16. 

[49] La recherche active et soutenue d’un emploi dans la nouvelle province était une solution raisonnable dans le cas de la prestataire, car aucune urgence ne la poussait à quitter son emploi et sa décision de démissionner et de déménager était de nature personnelle.

[50] Il ne fait aucun doute que la prestataire avait une bonne raison personnelle de quitter son emploi. Toutefois, avoir une bonne raison, ce n’est pas comme démontrer qu’on est « fondé à » quitter son emploi au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Comme des solutions raisonnables s’offraient à la prestataire, compte tenu des circonstances entourant son départ, elle n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi.

Conclusion

[51] L’appel est accueilli. La division générale a fait une erreur de droit. J’ai remplacé la décision de la division générale par la mienne et j’ai conclu que la prestataire n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi.

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