Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : NE c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1378

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : N. E.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (0) datée du 8 août 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Sylvie Charron
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 14 novembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 30 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2718

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). Par conséquent, l’appelant est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelant a été suspendu de son emploi. Son employeur dit qu’il a été congédié temporairement parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination : il ne s’est pas fait vacciner dans le délai prévu par la politique. Il a également refusé l’option de subir des tests de dépistage tous les deux jours.

[4] Même si l’appelant ne conteste pas ce que cela s’est produit, il soutient que ne pas suivre la politique de vaccination de son employeur n’est pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeur pour expliquer le congé sans solde. Elle a estimé que l’appelant avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a donc conclu que l’appelant est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] L’appelant a-t-il perdu temporairement son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] La loi dit qu’une personne ne peut pas toucher de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique tant en cas de congédiement que de suspensionNote de bas de page 2.

[8] Pour répondre à la question de savoir si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois examiner pour quelle raison il a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[9] Je conclus que l’appelant a perdu son emploi parce qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeur.

[10] L’appelant affirme que même s’il connaissait la politique de vaccination de l’employeur et les répercussions possibles de ne pas la suivre, il s’est opposé à ce que ses renseignements personnels sur son état de santé et ses croyances religieuses soient communiqués à l’employeur.

[11] L’appelant dit qu’il travaille dans le secteur des technologies de l’information et qu’il travaille de la maison; même s’il n’est pas vacciné, il n’a jamais été incapable d’accomplir ses tâches. De plus, il a été rappelé au travail après cinq semaines de suspension. À l’époque, il avait accepté de subir des tests de dépistage rapides tous les deux jours, mais cette condition a été abandonnée une fois qu’il est retourné au travail.

[12] La Commission affirme que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Il a été informé de la politique de vaccination de l’employeur qui exigeait qu’il se fasse vacciner au plus tard le 15 octobre 2021 ou qu’il subisse des tests de dépistage rapide fournis par l’employeur tous les deux jours. L’appelant a refusé les deux options, sans donner de raison. Il a été suspendu le 21 octobre 2021.

[13] Dans sa demande de prestations, l’appelant affirme avoir refusé de se conformer à la politique parce que cela aurait compromis ses croyances et ses convictions religieuses profondes.

[14] Je conclus que l’appelant a été suspendu de son emploi pour avoir refusé de se conformer à la politique de vaccination de l’employeur.

[15] Les deux parties conviennent que c’est ce qui s’est passé. Je ne vois aucun élément de preuve qui contredise cela.

L’appelant a-t-il été congédié en raison d’une inconduite au sens de la loi?

[16] L’appelant a été congédié en raison d’une inconduite au sens de la loi.

[17] La Loi sur lassurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment établir si l’appelant a été congédié pour une inconduite au sens de la Loi. Cette dernière définit le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les éléments à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[18] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. Par inconduite, on entend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 4. Il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que sa conduite soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 5.

[19] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 6.

[20] La Commission doit prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire que la Commission doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 7.

[21] J’ai le pouvoir de trancher seulement les questions qui sont prévues dans la Loi. Je ne peux pas décider si l’appelant a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de décider s’il a été congédié à tort ou si l’employeur aurait dû prendre des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à l’égard de l’appelantNote de bas de page 8. Je ne peux examiner qu’une seule chose, soit si ce que l’appelant a fait ou a omis de faire est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[22] La Cour d’appel fédérale s’est prononcée dans l’affaire intitulée Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 9. M. McNamara a été congédié en application de la politique de dépistage des drogues de son employeur. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que le test de dépistage de drogues n’était pas justifié dans les circonstances, notamment parce qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire qu’il était incapable de travailler de façon sécuritaire en raison de sa consommation de drogues et parce qu’il aurait dû être couvert par le dernier test de dépistage qu’il avait subi. Essentiellement, M. McNamara a soutenu qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que les actions de son employeur en lien avec son congédiement n’étaient pas justifiées.

[23] En réponse aux arguments de M. McNamara, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’elle a toujours dit que la question dans les affaires impliquant une inconduite n’est « pas […] de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié, mais plutôt de décider si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi ». La Cour a ensuite noté que dans l’interprétation et l’application de la Loi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a souligné que d’autres recours s’offrent aux employés qui font l’objet d’un congédiement injustifié, « des recours qui permettent d’éviter que […] les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé » par le truchement des prestations d’assurance-emploi.

[24] Une décision plus récente qui fait suite à l’affaire McNamara est l’affaire Paradis c Canada (Procureur général)Note de bas de page 10. Comme M. McNamara, M. Paradis a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage de drogues. M. Paradis a soutenu qu’il avait été congédié à tort, que les résultats du test indiquaient qu’il n’avait pas les facultés affaiblies au travail et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et aux lois provinciales sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est appuyée sur la décision McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent pour trancher la question de l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 11.

[25] Une autre décision semblable a été rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Mishibinijima c Canada (Procureur général)Note de bas de page 12. M. Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool. Il a soutenu que comme la dépendance à l’alcool a été reconnue comme une déficience, son employeur était tenu de lui offrir des mesures d’adaptation. La Cour a rappelé que l’accent doit être mis sur ce que l’employé a fait ou n’a pas fait, et que le fait que l’employeur ne lui a pas offert de mesures d’adaptation n’est pas un facteur pertinentNote de bas de page 13.

[26] Ces affaires ne portent évidemment pas sur des politiques de vaccination contre la COVID-19, mais les principes qu’elles renferment sont tout de même pertinents. Mon rôle n’est pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur et d’établir s’il a eu raison de suspendre l’appelant. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait, et établir si cela constitue une inconduite au titre de la Loi.

[27] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination;
  • l’employeur a clairement informé l’appelant de ses attentes concernant la vaccination et du fait qu’il devait dire s’il avait été vacciné ou s’il choisissait de subir des tests de dépistage régulièrement;
  • l’employeur a envoyé des courriels à l’appelant et aux autres employés à plusieurs reprises pour leur faire part de ses attentes, et il a également organisé une rencontre à laquelle les employés devaient assister et au cours de laquelle on leur a expliqué qu’ils pourraient être mis en congé sans solde ou congédiés s’ils ne respectaient pas la politique de vaccination;
  • l’appelant savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait s’il ne respectait pas la politique.

[28] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • la politique de vaccination de l’employeur était illégale;
  • il était contraint de se faire vacciner;
  • la politique de vaccination ne faisait pas partie de son contrat de travail et n’était pas pertinente par rapport à ses fonctions puisqu’il travaillait de la maison;
  • l’employeur n’a jamais dit qu’il avait commis une inconduite;
  • il a supposé que la Charte lui garantissait le droit de protéger sa vie privée en ce qui concerne son statut vaccinal et ses croyances religieuses;
  • il est un citoyen respectueux des lois et veut l’argent qui lui est dû.

[29] La politique de vaccination de l’employeur dit que les employés devaient avoir reçu deux doses du vaccin au plus tard le 15 octobre 2021, ou accepter de subir des tests rapides de dépistage tous les deux jours aux frais de l’employeur.

[30] La politique a été adoptée le 1er septembre 2021 et communiquée à tous les employés dans les deux langues officielles par courriel et en personne.

[31] Les employés ont été avertis que le non-respect de la politique pouvait entraîner leur congédiement.

[32] L’appelant savait ce que la politique de vaccination exigeait de lui et ce qui se passerait s’il ne la respectait pas. L’employeur l’a informé des exigences et des conséquences de ne pas les respecter. De plus, l’appelant a déclaré qu’il était au courant de cela.

[33] À l’audience, l’appelant a confirmé qu’il n’avait pas demandé d’exemption à la politique de vaccination. Il a déclaré qu’à sa connaissance, il n’existait aucun document officiel qu’on pouvait remplir pour demander une exemption. Quoi qu’il en soit, il n’en aurait pas demandé une, car il ne voulait pas divulguer de renseignements personnels sur son état de santé et ses croyances religieuses.

[34] L’appelant m’a également informé qu’il avait obtenu un nouvel emploi et qu’il avait quitté l’entreprise le 7 octobre 2022.

[35] L’appelant est catégorique sur le fait qu’il ne devrait pas avoir à se conformer à une politique de l’employeur qui n’est pas légale. Il ne s’agit pas selon lui d’une inconduite. Toutefois, il n’a présenté aucun élément de preuve montrant en quoi la politique serait illégale.

[36] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination qui disait que les employés qui ne s’y conformaient pas dans le délai imparti étaient susceptibles d’être mis en congé sans solde (suspendus);
  • l’employeur a clairement informé l’appelant de ce qu’il attendait de ses employés en termes de vaccination, et notamment de leur obligation de dire s’ils avaient été vaccinés ou s’ils choisissaient de subir des tests de dépistage régulièrementNote de bas de page 14;
  • l’employeur a envoyé des courriels à l’appelant et à d’autres employés pour leur faire part de ses attentes;
  • l’appelant connaissait ou aurait dû connaître les conséquences en cas de non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.

L’appelant a-t-il donc été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

[37] D’après les conclusions que j’ai tirées ci-dessus, je juge que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

[38] Ceci est dû au fait que les actions de l’appelant ont mené à sa suspension. Il a agi de façon délibérée. Il savait qu’il risquait de se faire suspendre ou congédier s’il refusait de se faire vacciner, ou de dire s’il avait été vacciné ou s’il suivait les règles de dépistage.

[39] Bien que je sois sensible à la situation de l’appelant à ce moment-là, je ne peux pas me pencher sur la légalité ou la validité de la politique de vaccination de l’employeur, comme je l’ai expliqué plus haut.

Conclusion

[40] La Commission a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. L’appelant est donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[41] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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