Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : ZF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 79

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelante : Z. F.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance emploi du Canada (0) datée du 10 novembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 17 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 30 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-3691

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal est en désaccord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). Pour cette raison, elle est inadmissible aux prestations d’assurance‑emploi.

Aperçu

[3] La prestataire a été suspendue de son emploiNote de bas de page 1. L’employeur de la prestataire affirme qu’elle a été suspendue parce qu’elle est allée à l’encontre de sa politique de vaccination : elle n’a pas fourni de preuve qu’elle a été vaccinée.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas que c’est ce qui s’est produit, elle affirme qu’aller à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite et que l’employeur l’a effectivement congédiée plutôt que de l’avoir mise en congé sans solde.

[5] La Commission a accepté le motif de suspension invoqué par l’employeur. Elle a jugé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduiteNote de bas de page 2. C’est pourquoi la Commission a décidé que la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Question que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas mis en cause dans l’appel

[6] Le Tribunal a désigné l’ancien employeur de la prestataire comme partie pouvant être mise en cause dans l’appel de la prestataire. Il a donc envoyé une lettre à l’employeur pour lui demander s’il avait un intérêt direct dans l’appel et s’il souhaitait être ajouté comme partie mise en cause. L’employeur n’a pas répondu avant la date de la présente décision. Comme rien au dossier n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme partie mise en cause dans le présent appel.

L’appel de la prestataire a été renvoyé à la division générale

[7] La prestataire a d’abord interjeté appel de son refus de prestations d’assurance‑emploi auprès de la division générale du Tribunal en juin 2022. La membre de la division générale a rejeté de façon sommaire l’appel de la prestataire parce qu’elle a conclu que la prestataire n’avait aucune chance raisonnable de succès. Cela signifiait que la prestataire n’avait pas eu l’occasion de parler à une audience de son appel et que le Tribunal n’avait pas pleinement tenu compte de ses arguments au sujet de sa cause dans sa décision.

[8] La prestataire a interjeté appel de la décision sommaire de rejet devant la division d’appel. La membre de la division d’appel a conclu que l’appel de la prestataire n’aurait pas dû être rejeté sommairement. Elle a ordonné que l’appel soit renvoyé à la division générale pour une audience. Cette décision découle de cette audience.

Question en litige

[9] La prestataire a‑t‑elle perdu son emploi en raison de son inconduite?

Analyse

[10] Selon la loi, le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi s’il perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique lorsque l’employeur congédie ou suspend le prestataireNote de bas de page 3.

[11] Pour décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois trancher deux questions. D’abord, je dois établir pourquoi la prestataire a perdu son emploi. Je dois ensuite décider si ce motif constitue une inconduite selon la loi.

Pourquoi la prestataire a‑t‑elle perdu son emploi?

[12] Les deux parties conviennent que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle allait à l’encontre de la politique de vaccination de l’employeur. Rien ne prouve le contraire, de sorte que je l’accepte comme un fait.

Est-ce que le motif pour lequel elle a perdu son emploi constitue une inconduite au sens de la loi?

[13] La preuve confirme que l’employeur a suspendu la prestataire de son emploi en raison d’une inconduite au sens de la loi.

[14] La Loi sur l’assurance-emploi (Loi) ne précise pas ce que signifie une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des tribunaux administratifs et judiciaires) nous indique comment établir si le congédiement de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle énonce le critère juridique applicable à l’inconduite, à savoir les questions et les critères à prendre en considération dans l’examen de la question de l’inconduite.

[15] D’après la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. L’inconduite comprend aussi une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 5. La prestataire n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, elle n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 6.

[16] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas de page 7.

[17] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 8.

[18] Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que la prestataire a fait ou a omis de faire constitue une inconduite au sens de la Loi. Je ne peux pas prendre ma décision en me basant sur d’autres loisNote de bas de page 9. Je ne peux pas décider si un prestataire a été congédié de façon déguisée ou à tort en vertu du droit du travail. Je ne peux pas décider si un employeur a fait preuve de discrimination à l’égard d’un prestataire ou s’il aurait dû prendre des mesures d’adaptation en vertu du droit en matière de droits de la personneNote de bas de page 10. Et je ne peux pas décider si un employeur a violé la vie privée ou d’autres droits d’un prestataire.

[19] La Cour d’appel fédérale (CAF) s’est prononcée dans l’affaire intitulée Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 11. M. McNamara a été congédié de son emploi en raison de la politique sur les tests de dépistage de drogues de son employeur. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que le test de dépistage de drogues n’était pas justifié dans les circonstances, selon lesquelles il n’existait aucun motif raisonnable de penser qu’il n’était pas en mesure de travailler en toute sécurité en raison de sa consommation de drogues et qu’il aurait dû être couvert par le test qu’il avait passé précédemment.  Pour l’essentiel, M. McNamara a soutenu qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance‑emploi parce que les mesures prises par son employeur concernant son congédiement n’étaient pas correctes.  

[20] En réponse aux arguments de M. McNamara, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, selon une jurisprudence de la Cour, dans les cas d’inconduite, la question « [n’est pas] de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt […] de dire si l’acte ou l’omission reprochés à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi ». La Cour a poursuivi en soulignant que, dans l’interprétation et l’application de la Loi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a indiqué que l’employé qui fait l’objet d’un congédiement injustifié « a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance‑emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[21] La décision plus récente intitulée Paradis c Canada (Procureur général) suit l’affaire McNamaraNote de bas de page 12. Comme M. McNamara, M. Paradis a été congédié après avoir eu un résultat positif à un test de dépistage de drogues. M. Paradis a fait valoir qu’il avait été congédié à tort, que les résultats des tests indiquaient qu’il n’avait pas les facultés affaiblies au travail et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et à la législation provinciale sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est fondée sur l’arrêt McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent pour trancher la question de l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 13.

[22] Une autre décision semblable a été rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Mishibinijima c Canada (Procureur général)Note de bas de page 14. M. Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool. Il a fait valoir que, comme la dépendance à l’alcool a été reconnue comme un handicap, son employeur était tenu de fournir une mesure d’adaptation. La Cour a encore affirmé que l’accent est mis sur ce que l’employé a fait ou non, et que le fait que l’employeur n’a pas pris de mesures pour aider son employé n’est pas une question pertinenteNote de bas de page 15.

[23] Ces affaires ne portent pas sur des politiques de vaccination contre la COVID-19. Cependant, les principes établis dans ces affaires demeurent pertinents. Il ne m’appartient pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur et de décider s’il a eu raison de congédier la prestataire. Je dois plutôt concentrer mon examen sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi. 

Ce que la Commission et la prestataire disent

[24] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination et l’avait communiquée à la prestataire
  • la politique de l’employeur exigeait que la prestataire fournisse une preuve de vaccination
  • la prestataire savait ce qu’elle devait faire en vertu de la politique
  • elle savait également que son employeur pouvait la suspendre en vertu de la politique si elle ne fournissait pas la preuve de vaccination avant la date limite
  • elle a fait le choix personnel de ne pas se faire vacciner avant la date limite
  • son employeur l’a suspendue parce qu’elle ne respectait pas sa politique de vaccination

[25] La prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les motifs suivants :

  • elle pensait qu’elle serait suspendue si elle allait à l’encontre de la politique de vaccination, mais l’employeur l’a effectivement congédiée
  • la politique de vaccination de l’employeur ne faisait pas partie de son contrat de travail et ne constituait pas une exigence professionnelle justifiée
  • l’employeur aurait pu offrir des solutions de rechange à l’exigence de vaccination, comme le travail à domicile
  • la politique va à l’encontre de ses droits de la personne

[26] Je commencerai par examiner l’argument de la prestataire selon lequel l’employeur l’a congédiée plutôt que de la suspendre. Cela est important parce que la Commission doit prouver que la prestataire savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’elle perdrait son emploi en raison de sa conduite.

[27] La prestataire soutient qu’elle comprenait qu’elle pouvait être suspendue parce qu’elle allait à l’encontre de la politique de vaccination, mais qu’elle n’aurait pas pu savoir qu’elle serait congédiée pour cela. Elle affirme qu’il s’agit de deux sanctions très différentes ayant des conséquences différentes et qu’elle ne croyait pas qu’elle pourrait perdre son emploi de façon permanente parce qu’elle allait à l’encontre de cette politique.

La prestataire a-t-elle été suspendue ou congédiée de son emploi?

[28] La preuve étaye que la prestataire a été suspendue de son emploi.

[29] L’employeur a annoncé sa politique de vaccination contre la COVID-19 le 7 octobre 2021. Elle indiquait que le personnel devait être entièrement vacciné d’ici le 19 novembre 2021. Le personnel ne répondant pas à cette attente sera mis en congé sans solde à compter du 20 novembre 2021.

[30] Le 9 novembre 2021, l’employeur a envoyé à la prestataire une lettre mentionnant qu’elle avait précisé qu’elle n’avait pas encore reçu sa première dose de vaccin contre la COVID-19 et qu’elle ne serait donc pas entièrement vaccinée d’ici le 19 novembre 2021. Elle dit qu’elle sera mise en congé sans solde à compter du 20 novembre 2021, conformément à la politique.

[31] La lettre précise également que si elle se fait vacciner à l’avenir et souhaite retourner au travail, l’employeur [traduction] « n’aura peut-être pas de poste à pourvoir, mais fera de son mieux pour [lui] trouver un poste chez [l’employeur] ».

[32] La prestataire a dit qu’elle [traduction] « a lu entre les lignes » de cette déclaration et qu’elle comprenait qu’elle était congédiée. Elle travaillait aux ressources humaines et savait que les postes ne sont pas pourvus pour une personne qui prend un congé. Elle estimait que l’employeur avait décidé de lui envoyer la lettre de suspension au lieu de la congédier carrément parce que les circonstances pourraient ne pas atteindre le seuil élevé requis pour licencier quelqu’un.

[33] La prestataire soutient que plusieurs éléments appuient sa position :

  • L’employeur l’a retirée du régime d’avantages sociaux et a supprimé l’accès à son courriel. Elle affirme que le personnel peut habituellement accéder à son courriel et demeurer inscrit à son régime d’avantages sociaux pendant son congé.
  • L’employeur a pourvu son poste. Elle a consulté le site Web de l’employeur vers la fin de février 2022 et a constaté qu’une personne avait été embauchée dans son rôleNote de bas de page 16.
  • Certaines des notes de la Commission mentionnent le « congédiement » comme raison de communiquer avec elle et l’employeur au sujet des prestations d’assurance‑emploi de la prestataireNote de bas de page 17.

[34] L’argumentation de la prestataire ne me convainc pas pour les motifs suivants.

[35] D’abord, la prestataire a témoigné qu’elle n’avait traité que du personnel en congé volontaire dans le cadre de son rôle auprès de l’employeur. Toutefois, la prestataire n’a pas pris de congé volontaire du travail. L’employeur l’a mise en congé sans solde parce qu’elle allait à l’encontre de sa politique de vaccination.

[36] De plus, la suspension de la prestataire semble être d’une durée indéterminée. La lettre de l’employeur mentionne que si la prestataire se fait vacciner et souhaite retourner au travail, l’employeur fera de son mieux pour lui trouver un poste. Le relevé d’emploi produit le 26 novembre 2021 précise que la raison de la production est « congé autorisé » et, sous la « date prévue de rappel », l’employeur a coché la case « inconnue ».  Cette preuve me révèle que la prestataire n’avait pas de date de retour précise ou approximative de sa suspension. Son retour au travail était conditionnel à ce qu’elle satisfasse aux exigences de la politique de vaccination et à ce qu’elle dise à l’employeur qu’elle voulait reprendre le travail.

[37] À mon avis, il est raisonnable qu’un congé ou une suspension du travail décidée par l’employeur soit traité différemment d’un congé autorisé.

[38] Dans la plupart des cas, un membre du personnel en congé volontaire reprend le même poste après une période déterminée. Toutefois, la prestataire était suspendue du travail contre son gré et n’avait pas de période de congé définie. Sa suspension était en quelque sorte une mesure disciplinaire pour ne pas avoir répondu aux attentes de l’employeur en matière de vaccination. Il est donc raisonnable que l’employeur lui retire l’accès au courriel et l’exclue du régime d’avantages sociaux. En fait, lui permettre de conserver l’accès à son courriel aurait pu indiquer qu’elle pouvait tout de même envoyer des messages et des communications au nom de l’entreprise. Il serait inhabituel pour un employeur de permettre à une employée suspendue d’envoyer et de recevoir des courriels liés à son travail.

[39] De plus, remplacer un employé en congé n’est pas inhabituel. Les employeurs pourvoient souvent des postes vacants de façon temporaire pendant les congés de maternité ou parentaux, car ces congés peuvent être longs. Comme le congé de la prestataire était d’une durée indéterminée, il est raisonnable que l’employeur ait dû pourvoir son poste. Il est possible que l’employeur ne puisse fonctionner efficacement sans pourvoir le poste vacant de la prestataire pendant une période qui pourrait être longue.

[40] L’employeur l’a informée qu’elle ne serait peut-être pas en mesure de réintégrer son poste. Cependant, ce n’est pas la même chose que de dire que leur relation d’emploi a été interrompue de façon permanente. La communication de l’employeur à la prestataire révélait qu’elle était mise en congé sans solde conformément à sa politique. La lettre précisait également les conditions dans lesquelles la prestataire pouvait retourner au travail.

[41] Je n’ai pas accordé de poids aux notes de la Commission qui font référence au congédiement parce que ce sont seulement des notes qu’un agent de la Commission a prises au sujet de ses tentatives de communiquer avec la prestataire et son employeur. Les notes ne sont pas pertinentes pour établir si l’employeur a suspendu ou congédié la prestataire. Elles ne permettent même pas d’établir si la Commission croyait que la prestataire avait été suspendue ou congédiée. Cette preuve n’a aucune valeur probante. Autrement dit, elle ne prouve rien.

[42] Je ne suis pas convaincue que la prestataire ait démontré que l’employeur l’a congédiée. La preuve étaye la suspension de la prestataire de son emploi. Toutefois, ma conclusion n’est pertinente que dans le contexte de la question de savoir si la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle perdrait son emploi en raison de sa conduite. La question de savoir si l’employeur a congédié la prestataire de façon abusive ou déguisée ne relève pas de mon pouvoir en droit. Ce sont des concepts qui existent en droit du travail et en common law au Canada, mais qui ne sont pas pertinents dans la présente décision.

La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue pour inconduite

[43] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite parce qu’elle a démontré ce qui suit :

  • l’employeur avait une politique de vaccination selon laquelle le personnel devait être entièrement vacciné contre la COVID-19
  • la prestataire était au courant de la politique de vaccination et de ce que l’employeur attendait de son personnel sur le plan de la vaccination
  • elle savait que l’employeur pouvait la suspendre si elle ne se faisait pas vacciner avant la date limite
  • elle a consciemment, délibérément et intentionnellement pris la décision personnelle de ne pas se faire vacciner avant la date limite
  • elle a été suspendue de son emploi parce qu’elle ne respectait pas la politique de vaccination de l’employeur

La politique de l’employeur était une condition d’emploi

[44] L’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le droit d’élaborer et d’instaurer des politiques en milieu de travail. Quand l’employeur a fait de cette politique une exigence pour l’ensemble de ses employés, elle est devenue du même coup une condition expresse d’emploi pour la prestataireNote de bas de page 18.

Autres arguments

[45] Je n’ai pas le pouvoir légal (en droit, nous l’appelons « compétence ») de trancher au sujet de certains des arguments avancés par la prestataire. Plus particulièrement :

  • la question de savoir si l’employeur avait le droit d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans déterminer s’il s’agit d’une exigence professionnelle justifiée;
  • la question de savoir si la politique de l’employeur a violé ses droits de la personne.

[46] Les tribunaux ont dit que lorsque je tranche des appels en matière d’inconduite, je ne devrais pas me demander si la politique d’un employeur ou la sanction qu’elle a imposée à un employé est raisonnable ou légale en vertu d’un contrat de travail, d’une convention collective ou de lois comme les lois sur les droits de la personneNote de bas de page 19.

[47] Un certain nombre de lois protègent les droits d’une personne, comme le droit à la vie privée ou le droit à l’égalité (non‑discrimination). La Charte canadienne des droits de la personne (Charte) n’est qu’une de ces lois. Il y a aussi la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne et un certain nombre de lois provinciales qui protègent les droits et libertés.

[48] Les différentes cours et différents tribunaux appliquent ces lois. 

[49] Le Tribunal peut examiner si une disposition de la Loi ou de son règlement (ou d’une loi connexe) porte atteinte aux droits d’un prestataire garantis par la Charte

[50] Cependant, ce Tribunal n’est pas autorisé à décider si une mesure prise par un employeur viole les droits fondamentaux d’un prestataire garantis par la Charte. Cela dépasse ma compétence. Le Tribunal n’est pas non plus autorisé à rendre des décisions fondées sur la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne ou sur toute loi provinciale qui protège les droits et libertés.

[51] La prestataire peut disposer d’autres recours pour poursuivre ses prétentions selon lesquelles la politique de l’employeur a violé ses droits. Cependant, ces questions doivent être traitées par la cour ou le tribunal compétent. Elles ne relèvent pas de ma compétence.

Autre décision du Tribunal

[52] La prestataire a présenté une décision du Tribunal qui, selon elle, est pertinente dans son cas . Elle a fait référence à la décision en utilisant son numéro de dossier du Tribunal. Comme cette décision n’a pas encore été publiée, je l’appellerai AL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada.

[53] Dans ce cas, AL travaillait à l’administration de l’hôpital. Elle a été suspendue, puis congédiée par l’hôpital parce qu’elle ne respectait pas sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19. Compte tenu de la preuve et de l’argumentation dans cette affaire, le membre du Tribunal a conclu qu’AL n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[54] Le membre du Tribunal a conclu que l’employeur avait modifié les modalités du contrat de travail d’AL et imposé une nouvelle condition d’emploi sans son accord et sans modifier la convention collective. Il a également conclu qu’un employeur pouvait imposer une nouvelle condition d’emploi à un employé seulement [traduction] « lorsque la loi exige une mesure particulière de la part d’un employeur et la conformité d’un employé » et que l’employeur n’était pas tenu par la loi d’exiger la vaccination du personnel. Le membre a donc conclu que la prestataire n’avait pas manqué à une obligation envers l’employeur lorsqu’elle a choisi de ne pas se faire vacciner comme l’exige la politique.

[55] Le membre du Tribunal a également conclu que les prestataires ont le droit de choisir d’accepter ou non un traitement médical. En outre, même si son choix contredit la politique de son employeur et mène à son congédiement, l’exercice de ce « droit » ne peut être considéré comme un acte ou une conduite fautive suffisante pour conclure qu’il s’agit d’une inconduite digne d’une sanction ou d’une exclusion en vertu de la LoiNote de bas de page 21.

[56] Je ne suis pas liée par d’autres décisions du Tribunal, mais je peux suivre leur orientation si je la trouve convaincante et utile. Je n’adopterai pas le raisonnement suivi dans la décision AL pour les raisons suivantes.

[57] Premièrement, les faits liés à la prestataire dans le cadre de l’appel dont je suis saisie sont sensiblement différents de ceux de la décision AL. Fait important, AL avait une convention collective qui établissait si les vaccins autres que la COVID-19 étaient obligatoires. Le membre du Tribunal s’est appuyé sur ce fait pour conclure que l’employeur et le syndicat (les parties à la convention collective) avaient traité de l’exigence d’autres vaccins dans la convention collective. Le membre du Tribunal a donc expliqué qu’il aurait fallu suivre le même processus pour exiger le vaccin contre la COVID-19.

[58] Je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement. La convention collective régit les conditions d’emploi du personnel syndiqué. La question de savoir si la convention collective d’un prestataire traite des exigences en matière de vaccination n’a pas d’effet déterminant dans l’affaire dont je suis saisie. Ce qui a un tel effet, c’est la question de savoir si la conduite de la prestataire de refuser de suivre la politique de vaccination de l’employeur constitue une inconduite au sens de la Loi et de la jurisprudence mentionnées précédemment. De plus, dans l’appel dont je suis saisie, la prestataire n’a pas produit de preuve qu’elle a une convention collective et que celle‑ci comporte une disposition qui considérait la vaccination obligatoire. Je conclus donc que le cas de la prestataire se distingue des faits énoncés dans la décision AL.

[59] Par ailleurs, le membre du Tribunal a fondé sa conclusion sur le principe selon lequel les employeurs ne peuvent pas mettre en place de nouvelles conditions d’emploi à moins qu’il y ait une obligation légale ou que l’employé y ait consenti explicitement ou implicitement. Toutefois, d’autres cours et tribunaux ont examiné cette question et en sont arrivés à une conclusion différente.

[60] Par exemple, dans l’Affaire intéressant Thompson et la Ville d’Oakville et l’Affaire intéressant Ruelens et la Ville d’Oakville [1964] 1 OR 122, la Haute Cour de justice de l’Ontario a statué que, sans obligation légale ou contractuelle, un chef de police municipale ne pouvait pas exiger que les membres du corps policier se soumettent à un examen médical par un médecin en particulier. À l’époque, les agents de police étaient tenus par la loi de faire l’objet d’un examen médical lorsqu’ils étaient nommés au sein de la police. Cependant, cette obligation ne s’appliquait pas à un membre existant de la police et il n’y avait aucune raison d’exiger que l’agent en chef nomme le médecin désigné pour effectuer l’examen. La Cour a indiqué que le personnel pouvait refuser d’obéir aux ordres d’un employeur s’il n’y avait pas de fondement légitime à l’ordonnance.

[61] Toutefois, dans des décisions ultérieures, d’autres tribunaux ont conclu que les employeurs peuvent exiger que le personnel se soumette à des examens médicaux dans certaines circonstances, même s’il n’existe pas d’obligation législative ou contractuelleNote de bas de page 22. Je ne suis donc pas convaincue qu’un employeur ne peut mettre en œuvre une politique que s’il existe une base législative ou contractuelle pour cette politique.

[62] Enfin, je ne suis pas d’accord avec le raisonnement du membre du Tribunal selon lequel la conduite d’AL, qui ne s’est pas fait vacciner, ne peut être considérée comme une inconduite parce qu’elle exerçait son droit de choisir d’accepter ou non un traitement médical. La qualification du membre selon laquelle l’inconduite aux fins de l’assurance‑emploi nécessite un « acte répréhensible » ou une « conduite suffisante pour conclure qu’il s’agit d’une inconduite digne d’une sanction » est erronée et va à l’encontre des directives antérieures des tribunaux.

[63] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Secours, la Cour d’appel fédérale a statué que le fait de limiter l’inconduite aux actes pour lesquels il y avait une intention fautive constituait une erreur de droitNote de bas de page 23. Dans la présente décision, je ne suis pas d’accord avec la conclusion du membre du Tribunal selon laquelle une conclusion d’inconduite exige un acte répréhensible ou un comportement fautif digne d’une sanction. Les tribunaux ont déclaré sans équivoque qu’une telle interprétation du critère juridique constituerait une erreur de droit.

Ainsi, la prestataire a-t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

[64] Compte tenu de mes conclusions ci‑dessus, je juge que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[65] Cela s’explique par le fait que les actes de la prestataire ont mené à sa suspension. Elle a agi délibérément. Elle savait qu’elle pourrait se faire suspendre parce qu’elle ne s’était pas fait vacciner.

Conclusion

[66] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi elle a décidé que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[67] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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