Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 53

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelantes : J. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Anick Dumoulin

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 1er juin 2022 (GE-22-750)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 16 novembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 23 janvier 2023
Numéro de dossier : AD-22-403

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Décision

[1] L’appelante, J. B. (prestataire), n’a pas obtenu une audience équitable devant la division générale. Elle a refusé que cette affaire soit renvoyée à la division générale pour qu’elle rende une nouvelle décision. J’ai donc tranché l’affaire, car je disposais de tous les éléments de preuve.

[2] Mon propre examen de l’affaire ne change rien au résultat. La Commission a prouvé que la prestataire avait été suspendue en raison d’une inconduite, aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). La prestataire est donc inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Aperçu

[3] La prestataire interjette appel de la décision de la division générale. Cette dernière a conclu qu’elle avait été suspendue en raison d’une inconduite. En d’autres termes, elle a conclu qu’elle avait fait quelque chose qui avait mené à sa suspension. La prestataire n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire de son employeur (et elle n’était pas admissible à l’une des exemptions prévues par son employeur).

[4] Ayant décidé qu’il y avait eu inconduite, la division générale a conclu que la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations de l’assurance‑emploi.

[5] La prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de procédure et de droit. Elle affirme plus particulièrement que la division générale a mal interprété ce que signifie une inconduite. Elle a également fait valoir qu’elle n’avait pas obtenu une audience équitable parce que la division générale a procédé à l’audience alors qu’elle n’avait reçu des documents que 45 minutes avant l’audience et qu’elle n’avait pas eu suffisamment de temps pour se préparer. De plus, la prestataire s’attendait à ce que sa représentante assiste à l’audience.

[6] L’intimée, la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (Commission), soutient que la division générale n’a commis aucune erreur de droit relativement à la question de l’inconduite. Elle admet toutefois que, dans l’ensemble, la prestataire n’a peut‑être pas eu suffisamment de temps pour se préparer à l’audience. La Commission admet également que la prestataire ne s’attendait pas à se représenter elle‑même. Dans l’intérêt de la justice naturelle, la Commission demande à la division d’appel de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

[7] La prestataire ne veut pas que l’affaire soit renvoyée à la division générale, car cela prolongerait les choses. Elle demande à la division d’appel de rendre la décision qu’à son avis la division générale aurait dû rendre en premier lieu, même si cela signifie qu’elle ne peut pas se fonder sur de nouveaux éléments de preuve qu’elle a déposés auprès de la division d’appel. (Cela n’aurait pas changé les choses de toute façon.)

[8] Je conclus que son employeur l’a suspendue pour inconduite. Elle nie que le non‑respect de la politique de vaccination de son employeur équivaille à une inconduite. La Commission soutient qu’il y a eu inconduite.

Question en litige

[9] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a)  La prestataire a-t-elle eu une occasion équitable de présenter sa preuve?
  2. b)  La division générale a‑t‑elle mal interprété ce que signifie l’inconduite?
  3. c)  Si la division générale a commis des erreurs, comment celles‑ci devraient‑elles être corrigées?

Analyse

[10] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale s’il existe des erreurs de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 1.

La prestataire a-t-elle eu une occasion équitable de présenter sa preuve?

[11] La prestataire soutient qu’elle n’a pas eu une occasion équitable de présenter sa preuve. D’une part, elle a reçu des documents 45 minutes avant l’audience, bien qu’elle en ait fait la demande plusieurs semaines auparavant. Les documents étaient pertinents pour son appel. D’autre part, elle s’attendait à ce que sa représentante assiste à l’audience et agisse en son nom. Elle n’était donc pas tout à fait prête à aller de l’avant toute seule.

[12] La prestataire affirme qu’elle n’a pas eu suffisamment de temps pour bien se préparer à l’audience devant la division générale. Elle affirme, par exemple, qu’elle aurait fait des recherches sur les allégations relatives à l’inconduite ou à la période de congé.

[13] La membre de la division générale a donné à la prestataire l’occasion d’examiner les documents. Elle a également offert de reporter l’audience. La prestataire a déclaré qu’elle préférait aller de l’avant avec l’audience au lieu de la reporterNote de bas de page 2. Elle a dit être prête à aller de l’avant, même sans sa représentante.

[14] La membre a déclaré qu’elle tiendrait compte de la situation de la prestataire et qu’elle commencerait l’audience. Mais si, à un moment donné, la prestataire estimait qu’elle ne voulait pas aller de l’avant avec l’audience sans sa représentante, la membre était disposée à prendre en compte ce que la prestataire avait déjà dit et à reporter l’audienceNote de bas de page 3.

[15] L’audience a eu lieu. La prestataire n’a à aucun moment demandé d’ajournement.

[16] Il n’y a maintenant aucune contestation concernant la représentante de la prestataire. Cette dernière affirme qu’elle a tenté de communiquer avec la représentante à plusieurs reprises après l’audience devant la division générale. En vain. Elle ne s’attend plus à être représentée. Elle est prête à aller de l’avant en son propre nom.

[17] La membre de la division générale a agi équitablement tout au long de cette affaire. Elle a donné à la prestataire l’occasion d’examiner les documents et de demander un ajournement de l’audience. Malgré tout, je suis disposée à admettre que la prestataire n’a pas eu une audience équitable parce qu’elle a reçu des documents pertinents si tard que cela a nui à sa capacité de bien se préparer à l’audience.

Réparation

[18] À moins que le résultat soit le même, la division d’appel dispose de deux options pour remédier aux erreurs : Elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle rende une nouvelle décision, ou elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendre en premier lieu.

[19] Dans les cas d’un manquement à la procédure où un prestataire s’est vu refuser la possibilité de présenter sa preuve, la réparation consiste souvent à renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle rende une nouvelle décision. La Commission privilégie cette voie.

[20] Toutefois, la prestataire me demande de trancher l’affaire en me fondant sur les documents qui sont déjà au dossier. Elle affirme que tous les éléments de preuve figurent dans le dossier d’audience et qu’elle n’a pas d’autres éléments de preuve ou arguments à présenter.

[21] Étant donné que je dispose de tous les documents et que la prestataire préfère cette voie, je trancherai l’affaire plutôt que de la renvoyer à la division générale pour qu’elle rende une nouvelle décision.

Les arguments de la prestataire

[22] La prestataire nie qu’il y ait eu inconduite dans son cas pour les motifs qui suivent :

  • Service Canada a réexaminé son dossier et a conclu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite à compter du 3 octobre 2021Note de bas de page 4.
  • Son employeur n’a manifesté aucun intérêt ni n’a demandé d’être mis en cause dans l’instance. Elle soutient que je devrais donc faire fi des déclarations de son employeur ou y accorder peu de poids.
  • La prestataire nie qu’il y ait eu suspension. Elle affirme que son employeur l’a mise en congé sans solde. Son employeur n’a pris aucune mesure disciplinaire à son égard, et elle croit qu’elle continuera de travailler chez son employeur sans pénalité ni discrimination à titre d’employée permanenteNote de bas de page 5.
  • La prestataire s’est acquittée de ses tâches. Par exemple, elle a participé à un programme de formation et a subi des tests. Elle affirme que la vaccination ne fait pas partie des tâches que l’on attend d’elle en tant qu’employée.
  • Son employeur ne l’a pas avisée suffisamment tôt qu’elle devait se faire vacciner. Elle affirme qu’elle n’a pas eu assez de temps pour se faire vacciner après qu’elle a pris connaissance de la politique de son employeur.
  • Elle affirme également que son employeur n’a rien dit au sujet d’une mise à pied résultant d’une inconduite. Employée de longue date, elle n’a pas réalisé qu’elle pourrait être absente du travail aussi longtemps. La durée de la période de congé a eu une incidence sur elle et sur sa famille.
  • Elle affirme qu’elle n’aurait pas dû devoir consentir à se faire vacciner de toute façon parce qu’elle devrait avoir « la liberté de choix ». Elle estime que le vaccin n’est pas sécuritaire et qu’en plus, elle a déjà eu la COVID-19.

[23] La prestataire s’appuie également sur les arguments du Justice Centre for Constitutional Freedoms (Centre de justice pour les libertés constitutionnelles (Centre de justice))Note de bas de page 6.

[24] Le Centre de justice soutient que le fait de qualifier le refus de se faire vacciner d’inconduite est inconstitutionnel et incompatible avec les objectifs de la loi habilitante ou la portée du mandat législatif.

[25] Il fait valoir que, pour qu’il y ait inconduite, les actions de l’employé devaient être si graves qu’elles constituent une violation du contrat de travail. Il soutient en outre que l’employé ou l’employée doit être coupable d’inconduite grave, de négligence habituelle de son devoir, d’incompétence ou d’une conduite incompatible avec ses fonctionsNote de bas de page 7.

Les arguments de la Commission

[26] La Commission n’a pas abordé directement les arguments du Centre de justice. Elle soutient toutefois qu’il y a eu inconduite dans le cas de la prestataire parce que l’employeur avait mis en œuvre une politique et que la prestataire a choisi de ne pas s’y conformer, même si elle savait qu’il y aurait des conséquences.

Définition de l’inconduite

[27] Comme point de départ, il est nécessaire de comprendre ce qu’est une inconduite. Une fois qu’une définition d’inconduite sera établie, j’examinerai chacun des arguments de la prestataire selon lesquels sa décision de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur ne constituait pas une inconduite.

[28] La division générale a défini l’inconduite de la façon suivante.

Pour constituer une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle. [Renvoi omis] L’inconduite doit être une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré. [Renvoi omis] La prestataire n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, elle n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi. [Renvoi omis]

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiée. [Renvoi omis]Note de bas de page 8.

[29] La Commission accepte la définition d’inconduite énoncée par la division générale.

[30] La prestataire, pour sa part, soutient que la définition est trop large. Selon elle, il n’y a inconduite que s’il y a [traduction] « inconduite grave [comme lorsque des comportements criminels sont en cause], négligence habituelle du devoir, incompétence ou conduite incompatible avec ses fonctions »Note de bas de page 9.

[31] La prestataire s’appuie sur deux décisions judiciaires : Metropolitan Hotel and H.E.R.E., Local 75 (Bellan) (Re)Note de bas de page 10 et R c Arthurs, Ex Parte Port Arthur Shipbuilding Co.Note de bas de page 11

[32] Dans l’affaire Metropolitan Hotel, l’arbitre a fait remarquer que la question dont il était saisi était de savoir si l’employeur était fondé à congédier l’employé, tandis que la question dont le conseil arbitral (le prédécesseur de la division générale) était saisi était de savoir si l’employé avait perdu son emploi en raison de son inconduite, de sorte qu’il était exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[33] Le conseil arbitral a conclu que la conduite de l’employé équivalait à une inconduite. L’arbitre a noté que l’employé aurait pu faire appel de la décision du conseil arbitral auprès d’un juge‑arbitre, mais il ne l’a pas fait. L’arbitre a conclu que la décision du conseil arbitral était définitive. Autrement dit, l’arbitre n’a tiré aucune conclusion sur la question de l’inconduite parce que la question n’était pas pertinente et qu’une décision définitive avait déjà été rendue.

[34] Bien qu’il n’ait rendu aucune décision sur la question de l’inconduite, il a noté la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire TuckerNote de bas de page 12. Dans cette affaire, la Cour a statué que, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit être « volontaire ou délibéré ou résulte[r] d’une insouciance telle qu’il frôle le caractère délibéré ».

[35] La deuxième affaire citée par la prestataire, l’affaire Arthurs, n’a pas abordé la question de l’inconduite dans le contexte de l’assurance‑emploi, de sorte qu’elle n’est pas utile pour mon analyse.

[36] La jurisprudence n’appuie pas les arguments de la prestataire selon lesquels il n’y a inconduite dans le contexte de l’assurance‑emploi que s’il y a inconduite grave, négligence habituelle du devoir, incompétence ou conduite incompatible avec ses fonctions. La division générale a interprété correctement la jurisprudence et a établi ce qu’est l’inconduite pour l’application de la Loi sur l’assurance‑emploi. Je m’appuierai également sur la même jurisprudence et utiliserai la même définition d’inconduite que celle énoncée par la division générale.

[37] J’aborderai maintenant chacun des arguments de la prestataire, puis je déciderai si elle a consciemment fait quelque chose, sachant que cela pourrait nuire à ses fonctions et que cela pourrait entraîner des conséquences, comme une suspension ou un congédiement.

Suspension ou congé

[38] La prestataire nie que son employeur l’ait suspendue de son emploi. Elle note que son employeur a décrit sa cessation d’emploi comme une période de congé dans la politique de vaccination, les avis de la politique et le relevé d’emploiNote de bas de page 13.

[39] La décision de l’employeur ou son évaluation subjective de la question de savoir si un prestataire a eu un comportement qui constituait une inconduite ne définit pas l’inconduite aux fins de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 14.

[40] De même, les attentes d’un prestataire ne définissent pas l’inconduite. Dans l’affaire Jolin, la Cour d’appel fédérale a déclaré que ce n’est pas parce que la sanction disciplinaire s’avère plus sévère que celle prévue par le prestataire que son comportement n’est pas de l’inconduiteNote de bas de page 15.

[41] Il ressort clairement de ces décisions que je dois effectuer ma propre analyse objective. Mon analyse doit être indépendante de l’évaluation de l’employeur ou de l’employé. Je ne peux m’en remettre à leur décision quant à la question de savoir s’il y a eu une période de congé ou une suspension.

[42] Je dois examiner ce qui a causé la cessation d’emploi de la prestataire. Si l’employeur a mis la prestataire en congé pour des raisons qui n’ont rien à avoir avec ce qu’elle a fait, il s’agit d’une mise à pied. Si, en revanche, la conduite (ou l’omission) de la prestataire a amené l’employeur à la mettre en congé, il s’agit en fait d’une suspension aux fins de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 16.

[43] En l’espèce, la non‑conformité de la prestataire à la politique de vaccination de son employeur a directement entraîné la cessation de son emploi. Bien que la politique mentionne que l’employeur mettrait les membres du personnel non vaccinés en congé sans solde, du point de vue de la Loi, l’employeur a suspendu la prestataire parce qu’elle n’était pas encore vaccinée.

Thèse de Service Canada

[44] La prestataire soutient que Service Canada a conclu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite dans son cas. Dans son avis d’appel à la division générale, la prestataire a fait référence à des lettres de la Commission qui, selon elle, montrent que cette dernière a conclu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite dans son casNote de bas de page 17.

[45] La prestataire a fourni des copies des lettres du 14 janvier 2022Note de bas de page 18 et du 17 février 2022Note de bas de page 19 de Service Canada. Aucune de ces lettres ne montre que Service Canada ou la Commission ne considérait plus la prestataire comme ayant perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[46] De plus, si la Commission avait déjà établi qu’il n’y avait pas eu d’inconduite, que la prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi ou qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi, il n’aurait pas été nécessaire que la prestataire dépose un appel auprès de la division générale.

[47] Même si la prestataire avait produit ces documents, les décisions de Service Canada ou de la Commission sur la question de l’inconduite ne me lient pas. La division d’appel est un organisme indépendant qui n’a aucun lien de dépendance avec Service Canada et la Commission. Leur raisonnement et leur analyse peuvent être utiles et donner quelques indications. Mais leurs décisions sur la question de l’inconduite ne sont pas définitives et déterminantes.

[48] Je dois plutôt tenir compte des faits et du droit pour déterminer s’il y a eu inconduite aux fins de la Loi.

L’employeur n’a pas participé à l’instance devant la division générale

[49] L’employeur n’a pas été mis en cause dans l’instance devant la division générale et il n’a pas assisté à celle‑ci. (Autrement dit, la Commission n’a pas appelé l’employeur à témoigner.) Pour cette raison, la prestataire soutient que toute preuve de l’employeur devrait être rayée du dossier ou, à tout le moins, jouir de peu de poids.

[50] À proprement parler, tout document contenu dans le dossier d’audience de la division générale provient soit de la prestataire, soit de la Commission. La prestataire soutient donc essentiellement que des parties du dossier de la Commission devraient être exclues.

[51] La Commission n’a pas assisté à l’audience devant la division générale. Elle s’est appuyée sur ses observations écrites, ainsi que sur son propre dossier, qui comprenait des documents de l’employeur.

[52] L’instance tenue devant le Tribunal de la sécurité sociale est généralement informelle. Elle ne respecte pas les règles strictes de la preuve. Il incombe au membre du tribunal de décider si des documents ou des éléments de preuve doivent faire partie du dossier ou d’établir quel poids doit être accordé à ces éléments de preuve. Le membre qui décide qu’un document est important pour l’issue de l’affaire jugera probablement nécessaire d’inclure ce document dans la preuve.

[53] Si la prestataire en l’espèce s’opposait à la preuve de la Commission, elle pouvait demander à cette dernière de faire comparaître un témoin utile. Elle aurait ainsi pu contre‑interroger ce témoin. Mais elle ne s’est pas opposée à la preuve de la Commission à ce moment‑là.

[54] Malgré les arguments de la prestataire sur cette question, je conclus que les parties s’entendent sur les faits sous‑jacents, à savoir que la prestataire n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeur.

[55] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la prestataire a reçu un avis suffisant de la politique de vaccination de son employeur. Cela ne signifie pas que je devrais faire fi de la preuve de l’employeur sur cette question ou accorder peu de poids à celle‑ci. La preuve de l’employeur serait très pertinente. Je dois plutôt examiner scrupuleusement la preuve sur cette question, y compris toute preuve de l’employeur.

Avis de vaccination

[56] La prestataire soutient qu’elle n’a pas reçu un préavis suffisant de la politique de vaccination de son employeur pour se faire vacciner à temps. Elle soutient que, si elle n’a pas reçu un préavis de vaccination suffisant, on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle se conforme à la politique de vaccination de son employeur. Par conséquent, elle affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite.

[57] La preuve du préavis de l’employeur est la suivante :

  • Lettre de l’employeur datée du 1er septembre 2021 - la lettre se lit comme suit :

[Traduction]

[Votre employeur] s’est joint aux principaux fournisseurs de soins pour personnes âgées du Canada pour annoncer que nous rendons la vaccination contre la COVID-19 obligatoire pour les membres de notre équipe des établissements de soins de longue durée et des résidences pour personnes âgées partout au Canada. Les membres de l’équipe qui ne sont pas entièrement vaccinés d’ici le 12 octobre 2021 seront mis en congé sans solde jusqu’à ce qu’ils soient entièrement vaccinés.Note de bas de page 20

  • Lettre de l’employeur datée du 20 septembre 2021 - la lettre se lit comme suit :

[Traduction]

Vous n’avez pas encore été entièrement vaccinée (et ne relevez pas d’une exemption), contrairement à ce qu’exige notre politique de vaccination contre la COVID-19, telle qu’elle a été communiquée le 12 septembre 2021. Par conséquent, vous serez mise en congé sans solde…Note de bas de page 21

  • Les lettres de l’employeur datées du 9 novembre 2021Note de bas de page 22 et du 20 janvier 2022Note de bas de page 23 mentionnent également que l’employeur a communiqué sa politique de vaccination le 12 septembre 2021.
  • L’employeur a informé la Commission qu’il avait avisé les employés en septembre et qu’il y avait des bulletins d’information de l’entrepriseNote de bas de page 24. L’employeur a fourni des copies des mises à jour hebdomadaires des communications au personnel, chaque semaine du 3 septembre au 8 octobre 2021. Chaque mise à jour dit ceci : [traduction] « VACCINATION OBLIGATOIRE À COMPTER DU 12 OCTOBRE 2021 »Note de bas de page 25.

[58] Il semble, à la lumière de cette preuve, que l’employeur ait avisé les employés dès le 1er septembre 2021 par lettre, suivie de bulletins d’information de l’entreprise les 3 et 10 septembre 2021, avant de donner un avis officiel le 12 septembre 2021.

[59] Il n’y a dans le dossier d’audience de la division générale aucune preuve qui montre quand la prestataire a pris connaissance de la politique de vaccination de son employeur et, après qu’elle en a pris connaissance, aucune preuve qui montre quels efforts elle a déployés pour tenter de se faire vacciner et à quel moment elle a déployé ces efforts, et combien de temps il a fallu pour obtenir des rendez‑vous pour se faire vacciner.

[60] Aucune preuve ne démontre si un délai de quatre à six semaines n’était pas suffisamment long pour que la prestataire se fasse vacciner ou que l’employeur n’a pas donné un préavis suffisant de sa politique.

[61] L’employeur a informé les employés de sa décision d’instaurer une politique de vaccination obligatoire six semaines environ avant de le faire, puis il leur a donné un préavis officiel de quatre semaines de la politique. La prestataire disposait d’un délai de quatre semaines au cours duquel elle aurait pu se faire vacciner. C’était assez de temps pour se faire vacciner. Cela dit, je remarque que la prestataire n’a jamais eu l’intention de se faire vacciner de toute façon, de sorte que la question de l’avis aurait peut‑être été un facteur purement théorique.

Avis des conséquences

[62] La prestataire soutient qu’elle n’était pas au courant des conséquences. Elle nie avoir su que son employeur pouvait la mettre en congé sans solde pendant une longue période. Elle affirme que son employeur n’a pas donné de préavis suffisant des conséquences.

[63] Les lettres de l’employeur précisent en des termes clairs que tout employé non encore vacciné au plus tard le 12 octobre 2021 serait mis en congé sans solde. Ces termes étaient clairs. Je conclus que l’employeur a donné un préavis suffisant des conséquences de l’omission des employés de se faire vacciner.

[64] L’employeur a aussi précisé dans son avis que les employés resteraient en congé sans solde [traduction] « jusqu’à ce qu’ils soient entièrement vaccinés ». Bien qu’il n’y ait pas de date de fin ni de délai, il ressort clairement des avis de l’employeur que la période de congé pouvait être longue. La durée de la période de congé dépendrait soit d’une modification de la politique de l’employeur, soit de la question de savoir si les employés se feraient vacciner.

Les fonctions de la prestataire

[65] La prestataire soutient que même si elle n’a pas été vaccinée, cela n’a pas nui à l’exécution de ses fonctions. Elle soutient s’être acquittée de ses obligations et responsabilités. Elle affirme que, pour qu’il y ait inconduite, sa conduite devait entraver l’exécution de ses fonctions envers son employeur. Elle nie que la vaccination soit liée à une partie quelconque de ses fonctions. Elle prétend donc qu’il n’y a pas eu d’inconduite.

[66] Or, il ressort clairement de la politique de vaccination de l’employeur que les employés non vaccinés ne seraient pas autorisés à accéder au lieu de travail. L’employeur a annoncé que la vaccination était obligatoire pour ses établissements de soins de longue durée et ses résidences pour personnes âgées. Donc, si la prestataire ne pouvait pas accéder à son lieu de travail, elle ne pourrait pas s’acquitter de ses fonctions d’aide‑infirmière.

Entrave à la liberté de choix

[67] La prestataire soutient qu’elle ne devrait pas être tenue de se faire vacciner parce qu’elle devrait être autorisée à exercer sa liberté de choix et être en mesure de refuser un vaccin qu’elle estime non sécuritaire. Elle a déjà contracté la COVID-19 au travail de toute façon.

[68] Dans l’affaire ParmarNote de bas de page 26, la Cour s’est demandé si un employeur avait le droit de mettre un employé en congé sans solde pour non‑respect d’une politique de vaccination obligatoire. La Cour a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[154] Enfin, je reconnais qu’il est extraordinaire pour un employeur d’adopter une politique en milieu de travail qui a une incidence sur l’intégrité corporelle d’un employé, mais dans le contexte des défis sanitaires extraordinaires posés par la pandémie mondiale de COVID-19, de telles politiques sont raisonnables. Elles ne forcent pas un employé à se faire vacciner. Elles le contraignent plutôt à faire un choix entre se faire vacciner et continuer à gagner un revenu, ou rester non vacciné et perdre un revenu. Mme Parmar a fait son choix en se fondant sur ce qui semble avoir été des renseignements conjecturaux sur les risques possibles.

[155] Je note que, dans l’affaire Maddock c Colombie-Britannique, 2022 BCSC 1065, le juge en chef Hinkson est arrivé à une conclusion semblable en ce qui concerne l’exigence d’une preuve de vaccination pour les restaurants. Au para 78, le juge en chef Hinkson a écrit que ces politiques [traduction] « n’obligent ni n’interdisent l’assujettissement à aucune forme de traitement médical » : para 78. Les personnes demeurent plutôt libres de faire des choix dans les limites de la politique. Pour reprendre Maddock, la PVO n’a « [laissé à Mme Parmar] aucun autre choix raisonnable que d’accepter, ou d’accepter dans les faits, un traitement non consensuel » : paras 78 et 79. Mme Parmar a conservé le choix de rester en congé sans solde.

(Mis en évidence par la soussignée.)

[69] Bref, la Cour a conclu que Mme Parmar avait bel et bien le choix : elle pouvait se faire vacciner et continuer à gagner un revenu, ou rester non vaccinée, et perdre son revenu.

[70] L’affaire LewisNote de bas de page 27concernait un patient participant au programme de greffe d’un hôpital albertain. Le programme exigeait que les patients se fassent vacciner contre la COVID-19 avant d’obtenir une greffe. Mme Lewis n’a pas été en mesure d’obtenir une greffe d’organe parce qu’elle a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19. Mme Lewis a soutenu que l’exigence d’une vaccination violait ses droits garantis par la Charte.

[71] La Cour d’appel de l’Alberta a convenu que Mme Lewis avait le droit de refuser d’être vaccinée contre la COVID-19. En tant qu’adulte ayant la capacité juridique, elle avait le droit de décider quoi mettre dans son corps. Mais l’exercice de ce choix était assorti de conséquencesNote de bas de page 28.

[72] Dans l’affaire McNamaraNote de bas de page 29, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’accent devait être mis sur le comportement de l’employé. La Cour d’appel a noté que l’article 30 de la Loi prévoit ce qui suit : « s’il [le prestataire] perd un emploi en raison de son inconduite ».

[73] Il y a eu d’autres affaires (dont les circonstances étaient différentes), principalement dans le contexte des décisions arbitrales en matière de travail, dans lesquelles on a conclu que l’enjeu n’est pas la vaccination forcée, mais les conséquences du choix d’une personne de ne pas se faire vaccinerNote de bas de page 30. C’est la question qui se pose également en l’espèce.

[74] La politique de vaccination de l’employeur exigeait la vaccination comme condition au maintien de l’emploi. Les employés, y compris la prestataire, ont eu le choix. Ils pouvaient choisir de ne pas être vaccinés, même si cela signifiait être mis en congé sans solde.

Absence de mesures disciplinaires

[75] La prestataire soutient en outre qu’il n’y a pas eu de suspension ni d’inconduite parce que son employeur a qualifié sa cessation d’emploi de congé sans solde. Elle ne s’attendait pas ni ne s’attend aujourd’hui à ce qu’on lui impose des mesures disciplinaires ni à être victime de discrimination pour ne pas s’être conformée à la politique de vaccination de son employeur.

[76] Les tribunaux ont statué qu’il existe une distinction entre la suspension à des fins disciplinaires et la suspension pour l’application de la Loi. Ainsi, bien qu’elle puisse ne pas faire l’objet de mesures disciplinaires, la conduite d’un employé peut néanmoins constituer une inconduite aux fins de la Loi. Autrement dit, la décision ou l’évaluation subjective de l’employeur ou de l’employé visant à déterminer si le prestataire a eu un comportement qui constituait une inconduite ne définit pas l’inconduite aux fins de la LoiNote de bas de page 31.

[77] Au lieu de me fier à la décision de l’employeur ou de l’employé quant à savoir s’il y a eu inconduite aux fins de la Loi, je dois faire ma propre analyse objectiveNote de bas de page 32.

La conduite de la prestataire constituait-elle une inconduite?

[78] La Commission a prouvé qu’il y avait eu inconduite parce que la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle risquait d’être mise en congé sans solde si elle ne se conformait pas à la politique de vaccination de son employeur. L’employeur a envoyé des avis à la prestataire en septembre 2021. Il a également publié des mises à jour hebdomadaires. L’employeur a dit aux employés qu’ils devaient être entièrement vaccinés au plus tard le 12 octobre 2021. S’ils ne se faisaient pas entièrement vacciner au plus tard à cette date, l’employeur les mettrait en congé sans solde jusqu’à ce qu’ils soient entièrement vaccinés.

[79] La prestataire a décidé de ne pas se faire vacciner. Elle n’était pas d’accord avec la politique de son employeur. Elle avait demandé une exemption, mais son employeur ne lui en a donné aucune. Elle a soutenu que son employeur avait dépassé les bornes, un peu comme l’employeur l’avait fait dans une affaire d’arbitrage du travailNote de bas de page 33, et que sa liberté de choisir avait été violée. Elle affirme donc qu’il n’y a pas d’inconduite dans ces circonstances.

[80] Toutefois, les droits de gestion de l’employeur ne sont pas pertinents quant à la question de l’inconduite. Et, comme je l’ai dit plus haut, la prestataire était libre de choisir de ne pas être vaccinée.

[81] La prestataire avait suffisamment de temps pour se faire vacciner. Elle a choisi de ne pas se faire vacciner alors qu’elle devait le faire pour pouvoir accéder à son lieu de travail après le 12 octobre 2021. En choisissant de ne pas se faire vacciner, elle a consciemment choisi de ne pas se conformer. Comme les employés non vaccinés n’étaient pas autorisés à entrer dans le lieu de travail, la prestataire ne pouvait pas s’acquitter de ses fonctions d’aide‑infirmière. Elle a donc été mise en congé.

Conclusion

[82] L’appel est accueilli en partie pour tenir compte du fait que la prestataire n’a pas eu une occasion équitable de présenter sa preuve devant la division générale. Mais cela ne change rien au résultat global.

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