Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1644

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : R. J.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (469522) datée du 6 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 9 novembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Observatrice (épouse de l’appelant)
Date de la décision : Le 17 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2047

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Je ne suis pas d’accord avec l’appelant (prestataire).

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été congédié de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Le prestataire travaillait pour X, qui est financé par les services de santé provinciaux. L’employeur a congédié le prestataire parce qu’il ne s’est pas conformé à sa politique de vaccination contre la COVID-19.

[4] Le prestataire a demandé des prestations régulières de l’assurance-emploi. La Commission a décidé que le prestataire était exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite. La Commission a maintenu sa décision après révision.

[5] Le prestataire n’est pas d’accord avec la décision de la Commission. Il fait appel au Tribunal de la sécurité sociale. Le prestataire affirme que la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur est une atteinte à ses droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Il ajoute que son employeur l’a congédié [traduction] « sans motif ».

Questions que je dois examiner en premier

Partie mise en cause potentielle

[6] Il arrive parfois que le Tribunal envoie à l’ancien employeur d’une partie prestataire une lettre dans laquelle il demande s’il souhaite être mis en cause dans l’appel. Pour être mis en cause, l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas ajouter l’employeur comme mis en cause dans le présent appel, car rien au dossier ne donne à croire que ma décision imposerait une obligation juridique à l’employeur.

Document en retard

[7] Le prestataire a déposé un document en retard le 8 novembre 2022. Je l’ai reçu après l’audience. Ce document contenait une transcription de la déclaration qu’il a lue en preuve à l’audience du 9 novembre 2022. J’ai examiné le contenu de ce documentNote de bas de page 2. Dans un souci d’équité procédurale, le Tribunal en a fourni des copies aux deux parties.

Question en litige

[8] Le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[9] La loi dit qu’on ne peut pas toucher de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique tant en cas de congédiement que de suspensionNote de bas de page 3.

[10] Pour décider si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison le prestataire ne travaille plus pour son employeur. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[11] L’employeur a dit à la Commission que le prestataire ne s’était pas conformé à sa politique de vaccination; on l’a donc congédié le 1er décembre 2021.

[12] La Commission s’est fondée sur les déclarations et les documents de politique de l’employeur pour appuyer sa décision selon laquelle il avait congédié le prestataire en raison de son inconduite.

[13] Le prestataire reconnaît avoir perdu son emploi parce qu’il a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19. Il soutient qu’il a été congédié [traduction] « sans motif » et non en raison d’une inconduite. Il affirme que la politique de l’employeur a porté atteinte à ses droits et libertés garantis par la Charte.

[14] Le prestataire affirme que son employeur l’a avisé de la politique de vaccination, par écrit, alors qu’il était chez lui, ayant contracté la COVID, du 28 septembre 2021 au 18 octobre 2021. Alors qu’il était malade chez lui, il dit avoir reçu un courriel, le 1er octobre 2021, au sujet de la politique sur le programme de vaccination en milieu de travailNote de bas de page 4. Ensuite, alors qu’il travaillait le 18 octobre 2021, il a reçu un autre courriel contenant la mise à jour publiée par les services de santé provinciauxNote de bas de page 5.

[15] Le prestataire dit qu’il ne se rappelle ni quand, ni s’il a appris que la date limite pour la vaccination avait été reportée au 30 novembre 2021. Il se souvient toutefois avoir appris, le 18 octobre 2021, qu’il pouvait être congédié parce que c’est à ce moment-là qu’on lui a dit que son employeur n’accordait pas d’exemptions religieuses.

[16] Je suis convaincue qu’aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi, la situation du prestataire peut être considérée comme un congédiement pour non-conformité à la politique de vaccination de l’employeur.

Quelle était la politique de l’employeur?

[17] L’employeur a mis en œuvre une politique de vaccination contre la COVID-19, dont une copie est versée au dossier. Elle est entrée en vigueur le 1er octobre 2021Note de bas de page 6.

[18] La politique exige que tous les employés soient entièrement vaccinés contre la COVID-19 au plus tard le 19 novembre 2021 et qu’ils fournissent une preuve de vaccination à l’employeur, à moins qu’une exemption ne leur soit accordéeNote de bas de page 7. Cette date a été reportée au 30 novembre 2021.

La politique a-t-elle été communiquée au prestataire?

[19] Le prestataire convient que l’employeur lui a communiqué la politique le 1er octobre 2021. Selon la politique, la déclaration du statut vaccinal était obligatoire et il y avait des délais pour s’y conformer. L’ensemble du personnel devait déclarer s’il était vacciné. Si une personne n’était pas vaccinée, elle devait présenter une copie de l’exemption approuvée par l’employeur.

Quelles étaient les conséquences de la non-conformité à la politique?

[20] La politique dit que [traduction] « Les employés qui ne se conforment pas à la présente politique seront considérés comme inaptes au travail et leur congédiement prendra effet dès maintenantNote de bas de page 8 ».

[21] Les documents au dossier montrent que dans les cas où une personne n’obtient pas d’exemption, elle est tenue, selon la politique, d’être entièrement vaccinée contre la COVID-19, comme tout le personnel. Elle doit aussi déclarer son statut vaccinal à son employeur au plus tard le 19 novembre 2021 (cette date a été modifiée par la suite et reportée au 30 novembre 2021) afin de continuer à travaillerNote de bas de page 9.

[22] Le prestataire dit qu’il savait que la politique l’obligeait à déclarer son statut vaccinal s’il n’obtenait pas d’exemption. Il savait aussi qu’il serait congédié s’il n’était pas vacciné. Il a confirmé avoir reçu les courriels, envoyés par l’employeur le 1er octobre 2021 et le 18 octobre 2021, concernant l’obligation de vaccination s’il souhaitait continuer à travaillerNote de bas de page 10.

[23] Puisque le prestataire ne s’est pas conformé à la politique, l’employeur l’a congédié à compter du 1er décembre 2021.

La politique prévoyait-elle des exemptions?

[24] Oui. La politique prévoit des mesures d’adaptation pour les employés qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des motifs religieux ou des raisons médicales. Le prestataire a dit qu’il avait demandé des mesures d’adaptation pour des motifs religieux, mais que l’employeur avait rejeté sa demande. Il n’a pas demandé d’exemption médicale.

La raison de la suspension et du congédiement du prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[25] Oui. Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Voici ce dont j’ai tenu compte.

[26] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 11. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 12.

[27] Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 13.

[28] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 14.

[29] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 15.

[30] Je conclus que le prestataire a délibérément et consciemment choisi de ne pas se conformer à la politique de l’employeur. Il savait que les conséquences de la non-conformité entraîneraient son congédiement.

[31] L’employeur a dit à la Commission que l’on avait communiqué la politique au prestataire de vive voix, plusieurs semaines avant son entrée en vigueur le 1er octobre 2021. Le prestataire ne se souvient pas d’avoir entendu parler de la politique avant d’avoir reçu le courriel du 1er octobre 2021. Il confirme également avoir reçu la mise à jour le 18 octobre 2021.

[32] Le prestataire dit ne pas se rappeler si on lui avait indiqué que la date limite de déclaration des vaccins avait été reportée au 30 novembre 2022. Même s’il ne se souvient peut-être pas de la date exacte à laquelle il a été informé, il n’a pas nié qu’il connaissait la nouvelle date limite.

[33] J’estime qu’il est très peu probable que le prestataire n’était pas au courant des dates limites de la politique, étant donné qu’il travaillait comme gestionnaire des opérations de l’installation, supervisant une équipe d’entretien et embauchant des entrepreneurs qualifiés auxquels la politique s’appliquait. De plus, il admet qu’il savait qu’il serait congédié s’il ne se conformait pas à la politique et qu’il est resté au travail jusqu’au 30 novembre 2021.

[34] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le Tribunal doit se concentrer sur la conduite du prestataire, et non sur celle de l’employeur. Il ne s’agit pas de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en congédiant le prestataire d’une manière qui constituait un congédiement injuste, mais plutôt de décider si le prestataire était coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné la perte de son emploiNote de bas de page 16.

[35] Dans la présente affaire, le prestataire a délibérément choisi de ne pas se conformer à la politique de l’employeur. Sa conduite contrevenait à la politique de l’employeur. De plus, il savait que cette façon d’agir entraînerait des mesures disciplinaires, ce qui se traduirait par son congédiement par l’employeur.

[36] Je reconnais que le prestataire a le droit de décider de se faire vacciner ou non. Il savait cependant qu’il y aurait des conséquences s’il refusait de respecter la politique de vaccination de l’employeur. Dans la présente affaire, il s’agissait du congédiement de son emploi. Je reconnais également que l’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et d’imposer des politiques en milieu de travail pour assurer la santé et la sécurité de tout son personnel et de la clientèle.

[37] Dans la présente affaire, le prestataire a choisi de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 même s’il savait que cela pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur.

[38] Il est incontesté que le prestataire travaillait pour un employeur qui est financé par l’autorité sanitaire provinciale. L’employeur a dit au prestataire qu’il avait implanté la politique conformément aux exigences du mandat de l’autorité sanitaire provinciale, qui exigeait que tout le personnel soit vacciné s’il ne répondait pas aux critères d’exemption. L’employeur a élaboré sa politique de vaccination dans le cadre d’efforts visant à assurer la sécurité du public, et il l’a fait sans distinction.

[39] La Loi sur l’assurance-emploi a pour objet d’indemniser les personnes sans travail dont l’emploi a pris fin pour des raisons indépendantes de leur volonté. Il faut que la perte de l’emploi qui est assuré soit involontaireNote de bas de page 17. Il ne s’agit pas d’un droit automatique, même si une partie prestataire a payé des cotisations d’assurance-emploi.

[40] À mon avis, le prestataire n’a pas perdu son emploi pour des raisons indépendantes de sa volonté. En effet, c’est son choix de ne pas se conformer à la politique de l’employeur qui a mené à son congédiement. D’après les conclusions que j’ai tirées ci-dessus, je conclus que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Autres arguments

[41] Le prestataire est en désaccord avec la politique de l’employeur et son congédiement pour diverses raisons. Il affirme que l’inconduite n’a jamais été mentionnée lors de ses discussions avec son employeur ou dans aucune des lettres qu’on lui a envoyées. Ses discussions et sa lettre de congédiement appuient plutôt le fait que l’on a mis fin à son emploi [traduction] « sans motif ». Il affirme également que la politique est une atteinte à ses droits et libertés garantis par la Charte, aux droits de la personne, et ainsi de suite.

[42] Bien que le relevé d’emploi et d’autres documents puissent indiquer un congédiement sans motif, ce sont les faits de l’affaire qui mènent à une conclusion d’inconduite et d’exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[43] La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont toutes deux déclaré que la question de savoir si un employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé selon la loi sur les droits de la personne n’est pas pertinente concernant la question de l’inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. C’est parce que ce n’est pas la conduite de l’employeur qui est en cause et qu’une telle question peut être traitée dans d’autres instancesNote de bas de page 18.

[44] J’ai également tenu compte de la décision de la Cour d’appel fédérale qui précise que le rôle du Tribunal n’est pas de décider si un congédiement par l’employeur était justifié ou s’il s’agissait de la sanction appropriéeNote de bas de page 19.

[45] Je n’ai pas le pouvoir de décider si la politique de vaccination de l’employeur était illégale. De même, je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur a porté atteinte à l’un ou l’autre des droits du prestataire en tant qu’employé lorsqu’il l’a congédié ou s’il aurait pu ou dû lui offrir d’autres mesures d’adaptation. Le recours du prestataire contre son employeur consiste à intenter ces poursuites devant les cours, ou d’autres tribunaux pertinents qui peuvent traiter de ces questions particulières.

[46] Je dois établir si la conduite du prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 20. Compte tenu des faits de la présente affaire, j’ai déjà décidé que la façon d’agir du prestataire constitue une inconduite délibérée, comme je l’ai mentionné plus haut.

Conclusion

[47] La Commission a prouvé que le prestataire a été congédié en raison d’une inconduite. Pour cette raison, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[48] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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