Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

Le requérant est un citoyen américain qui a travaillé au Canada du 3 septembre 2019 au 12 mai 2020. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi le 7 septembre 2021, après l’expiration de son permis de travail et après être retourné aux États-Unis. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a jugé qu’en tant que résident des États Unis, il était admissible à un maximum de 14 semaines de prestations d’assurance-emploi. Le requérant a fait appel de cette décision devant la division générale.

La division générale s’est dite d’accord avec la Commission. Elle a conclu que le requérant avait reçu ce qui lui était dû aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle a également refusé d’entendre son argument selon lequel la Commission de l’assurance-emploi du Canada avait violé ses droits à l’égalité garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Elle a jugé que les observations écrites du requérant ne remplissaient pas les conditions requises pour qu’une audience ait lieu sur une question relative à la Charte. Le requérant a alors demandé la permission de faire appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel.

Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (le Règlement) impose des conditions aux prestataires qui souhaitent soulever des questions constitutionnelles. Le Règlement donne également au Tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser d’entendre les arguments qu’il juge inadéquats. La Cour fédérale a clairement établi que même après que les prestataires ont déposé un avis conformément à l’article 20(1)(a) du Règlement, la division générale a le pouvoir d’exiger des observations supplémentaires et de refuser aux prestataires la permission de soulever un argument fondé sur la Charte si elle estime que ces observations sont insuffisantes. La Cour fédérale a ensuite conclu que la division générale ne peut pas examiner correctement une demande fondée sur la Charte si les observations qui l’accompagnent manquent « de détails ». La division d’appel a jugé que cette approche était conforme à la directive de la Cour suprême du Canada, qui a déclaré que les questions relatives à la Charte ne peuvent pas être tranchées dans un vide factuel. C’est pourquoi un processus spécial a été établi pour obliger les prestataires qui soulèvent des questions relatives à la Charte à préciser la loi qu’elles veulent contester et la façon dont elles ont l’intention de le faire. Une fois que ces exigences minimales sont remplies, la division générale peut exiger un document plus détaillé (appelé « dossier ») qui comprend des éléments de preuve, des observations ainsi que la jurisprudence et la doctrine sur lesquelles les prestataires ont l’intention de s’appuyer. Si, comme dans la présente affaire, le prestataire ne parvient pas à présenter un argument constitutionnel cohérent, la division générale a le droit de mettre fin au processus spécial et de renvoyer l’appel au volet régulier.

La division d’appel a conclu que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès et a refusé d’accorder la permission de faire appel.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : RP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 304

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : R. P.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 23 décembre 2022 (GE-22-1750)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 16 mars 2023
Numéro de dossier : AD-23-115

Sur cette page

Décision

[1] Je refuse au prestataire la permission de faire appel parce qu’il n’a pas présenté d’argument défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le prestataire est un citoyen américain qui a travaillé au Canada du 3 septembre 2019 au 12 mai 2020. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi le 7 septembre 2021, soit après l’expiration de son permis de travail et son retour aux États-Unis.

[3] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’en tant que résident des États-Unis, le prestataire n’était pas admissible à plus de 14 semaines de prestations d’assurance-emploi. Le prestataire n’était pas d’accord. Il pensait être admissible à plus de prestations. Il estimait qu’il faisait l’objet de discrimination en raison de son lieu de résidence. Il a porté la décision de la Commission en appel à la division générale du Tribunal.

[4] La division générale s’est rangée à l’avis de la Commission. Elle a conclu que le prestataire avait reçu ce qui lui était dû selon la Loi sur l’assurance-emploi. La division générale a également refusé d’entendre son argument selon lequel la Commission avait violé ses droits à l’égalité au titre de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a jugé que les observations écrites du prestataire ne répondaient pas aux exigences requises pour la tenue d’une audience sur une question relative à la Charte.

[5] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il prétend que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé de ne pas entendre son argument fondé sur la Charte.

Question en litige

[6] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie appelante doit démontrer que la division générale :

  • a agi de façon inéquitable;
  • a outrepassé sa compétence ou a refusé de l’exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[7] Avant que l’appel du prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Une chance raisonnable est l’équivalent d’un argument défendableNote de bas de page 3. Si le prestataire n’a pas présenté d’argument défendable, l’affaire est close.

[8] Je dois trancher la question suivante : est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur en refusant d’entendre l’argument du prestataire fondé sur la Charte?

Analyse

[9] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que le prestataire n’a pas présenté d’argument défendable.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a mal appliqué la Loi sur l’assurance-emploi

[10] La division générale a conclu que le prestataire, en tant que résident des États-Unis, était admissible à 14 semaines de prestations d’assurance-emploi. Elle a fondé cette conclusion sur les facteurs suivants :

  • Les personnes qui demandent des prestations d’assurance-emploi ne peuvent pas recevoir de prestations à l’étranger à moins de remplir les conditions énoncées à l’article 55(6) du Règlement sur l’assurance-emploi.
  • Comme le prestataire remplissait ces conditions, il a été autorisé à recevoir des prestations d’assurance-emploi même s’il vivait aux États-Unis.
  • L’article 55(7) détermine le nombre de semaines de prestations qu’une partie prestataire non résidente admissible peut recevoir.
  • Pendant sa période de référence, qui a commencé le 23 février 2020, le prestataire a accumulé 759 heures d’emploi, ce qui lui a permis de toucher 14 semaines de prestations d’assurance-emploi.
  • Bien que le personnel de la Commission ait pu donner au prestataire des conseils trompeurs sur son admissibilité à l’assurance-emploi, les parties prestataires sont tenues de prendre des mesures raisonnables pour connaître leurs droits au titre de la Loi sur l’assurance-emploi.

[11] Ces conclusions sont conformes à la loi et semblent refléter fidèlement la preuve au dossier. Le prestataire peut trouver injuste son admissibilité à l’assurance-emploi, mais la division générale n’avait d’autre choix que de suivre la lettre de la loi. Elle ne pouvait tenir compte d’aucune des circonstances atténuantes qui ont amené le prestataire à demander des prestations d’assurance-emploi après son départ du Canada. La division générale ne pouvait pas non plus accorder des prestations supplémentaires au prestataire pour des raisons purement humanitaires.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a empêché de manière inappropriée le prestataire de soulever une question relative à la Charte

[12] Le prestataire a toujours soutenu qu’il a été victime de discrimination en raison de son lieu de résidence parce qu’il a reçu moins de prestations d’assurance-emploi que s’il était resté au Canada. Il prétend que la division générale l’a empêché de façon injuste et illégale de soutenir qu’une telle différence de traitement violait ses droits à l’égalité. Il soutient qu’une [traduction] « formalité de procédure » n’aurait pas dû empêcher la division générale d’examiner le bien-fondé de sa demande fondée sur la Charte.

[13] J’estime que cet argument n’a aucune chance raisonnable de succès.

[14] Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale impose des conditions aux parties prestataires qui souhaitent soulever des questions constitutionnelles. Le Règlement donne également au Tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser d’entendre les arguments qu’il juge inadéquats.

[15] L’article 20 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale se lit comme suit :

20 (1) Lorsque la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une disposition du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi sur l’assurance-emploi, de la partie 5 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social ou de leurs règlements est mis en cause devant le Tribunal, la partie qui soulève la question :

  1. a) dépose auprès du Tribunal un avis qui contient :
    1. (i) la disposition visée,
    2. (ii) toutes observations à l’appui de la question soulevée;
  2. b) au moins dix jours avant la date fixée pour l’audition de l’appel ou de la demande, signifie aux personnes mentionnées au paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales un avis énonçant la question et dépose auprès du Tribunal une copie de l’avis et la preuve de sa signification.

(2) Si la preuve de signification n’a pas été déposée conformément à l’alinéa (1)b), le Tribunal peut, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, ajourner ou remettre l’audition.

(3) Si un avis est déposé au titre de l’alinéa (1)a), les délais prévus par le présent règlement pour le de dépôt de documents ou d’observations ne s’appliquent pas et le Tribunal peut enjoindre aux parties de les déposer dans les délais qu’il fixeNote de bas de page 4.

[16] Dans son avis d’appel à la division générale, le prestataire a fait valoir que les règles utilisées pour calculer ses semaines de prestations d’assurance-emploi contrevenaient à la CharteNote de bas de page 5. Le membre qui présidait l’audience a examiné les arguments du prestataire sur cette question et les a jugés insuffisants. Il a demandé au prestataire de préciser les articles de la Loi sur l’assurance-emploi qu’il jugeait inconstitutionnels et les motifs de discrimination prévus à l’article 15 de la Charte qu’il avait l’intention d’invoquer. À plusieurs reprises, le membre a accordé des ajournements au prestataire pour lui donner plus de temps pour présenter ses arguments.

[17] En fin de compte, le membre a décidé que les arguments du prestataire ne répondaient pas aux exigences de l’article 20(1) pour la tenue d’une audience sur la question relative à la Charte :

[traduction]
La jurisprudence des cours d’appel, y compris de la Cour suprême du Canada, a toujours indiqué que le lieu de résidence n’est pas un motif de discrimination analogue, principalement parce qu’il n’a pas le caractère immuable nécessaire pour être reconnu comme telNote de bas de page 6.

[18] Le membre a renvoyé l’appel au volet régulier, et la division générale a rapidement tenu une audience sur les questions restantes.

[19] La Cour fédérale a clairement indiqué que même après qu’une partie prestataire a déposé un avis en application de l’article 20(1)(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, la division générale a le pouvoir d’exiger des observations supplémentaires et de refuser à la partie prestataire la permission d’invoquer un argument fondé sur la Charte si elle juge que ces observations sont insuffisantes :

L’article 20 apparaît sous l’en-tête « Questions constitutionnelles » dans le Règlement, qui indique que chaque disposition constitue un élément du cadre régissant les contestations constitutionnelles. L’article 20 prévoit un processus en deux étapes : 1) le demandeur dépose un avis en application de l’alinéa 20(1)a) et 2) la DG peut accepter des observations supplémentaires dans les délais qu’elle fixe. La seconde étape est distincte de la première.

En l’espèce, la DA n’a pas tenu compte de cette seconde étape. Elle a conclu que la DG n’avait pas compétence pour exiger un dossier, parce qu’une fois qu’un avis est déposé en application de l’alinéa 20(1)a) avec des observations minimales, la contestation est valide d’un point de vue procédural. Mais la DA n’a pas tenu compte du paragraphe 20(3), qui donne à la DG le pouvoir discrétionnaire de modifier les délais impartis et d’« enjoindre aux parties » de déposer des documents et des observations. Il n’y a rien qui limite le pouvoir discrétionnaire de la DG à cet égard[C’est moi qui souligne.] Note de bas de page 7.

[20] La Cour fédérale a poursuivi en estimant que la division générale ne peut pas examiner correctement une demande fondée sur la Charte si les observations qui l’accompagnent manquent de « détails ».

[21] Cette approche est conforme aux directives de la Cour suprême du Canada, qui a déclaré que les questions relatives à la Charte ne doivent pas être tranchées dans un vide factuelNote de bas de page 8. C’est pourquoi un processus spécial a été établi pour obliger les parties prestataires qui soulèvent des questions relatives à la Charte à préciser les lois qu’elles veulent contester et la façon dont elles ont l’intention de le faire. Une fois que ces exigences minimales sont remplies, la division générale peut exiger un document plus détaillé — appelé dossier — qui comprend des éléments de preuve, des observations et les pouvoirs sur lesquels les parties prestataires ont l’intention de s’appuyer. Si, comme dans la présente affaire, le prestataire ne présente pas un argument constitutionnel cohérent, la division générale a le droit de mettre fin au processus spécial et de renvoyer l’appel au volet régulier.

Conclusion

[22] Je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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