Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a été congédié par son employeur pour avoir refusé de se conformer à sa politique obligatoire de vaccination contre la COVID 19. Le demandeur a invoqué ses croyances et demandé d’être exempté de cette politique. L’employeur a toutefois rejeté sa requête. La division d’appel a conclu que la division générale avait eu raison de rejeter la demande de prestations d’assurance-emploi du demandeur. Ce dernier a alors demandé à la Cour d’appel fédérale de réviser la décision de la division d’appel.

Devant la Cour d’appel fédérale, le demandeur a soutenu que la division d’appel avait mal interprété la politique de l’employeur. La Cour d’appel fédérale a jugé que la division d’appel avait, de façon raisonnable, établi la preuve et le droit applicable entourant cette question et appliqué ce droit. Par rapport à la politique, le demandeur a invoqué une décision non publiée de la division générale, dont les faits auraient, selon lui, été identiques à sa situation. Le demandeur avait transmis cette décision non publiée au Tribunal de la sécurité sociale après son audience et avant que la division d’appel eût rendu sa décision. La division d’appel n’a pas mentionné cette décision non publiée dans ses motifs. La Cour d’appel fédérale a conclu que la division générale n’avait pas l’obligation d’y faire référence.

Le demandeur a aussi soutenu qu’il avait été déraisonnable pour la division d’appel de conclure qu’il avait délibérément enfreint la politique de l’employeur. Cette conclusion provenait des conclusions de fait de la division générale. La Cour d’appel fédérale l’a jugée raisonnable, particulièrement au regard du pouvoir restreint dont dispose la division d’appel pour toucher aux conclusions de fait de la division générale. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : RF c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 185

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Appelant : R. F.
Représentant : J. M.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Rebekah Ferriss

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 26 juillet 2022
(GE-22-960)

Membre du Tribunal : Charlotte McQuade
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 12 décembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 17 février 2023
Numéro de dossier : AD-22-626

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La division générale a commis une erreur de droit en n’examinant pas un argument qui a été soulevé devant elle, mais cela ne change pas le résultat. Le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

Aperçu

[3] R. F. est le prestataire. Il a travaillé pour un hôpital à titre de consultant en aide à la décision. L’employeur du prestataire a mis en place une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19. Le prestataire a demandé une exemption fondée sur des croyances, mais il a essuyé un refus de la part de son employeur. Le prestataire ne s’est pas fait vacciner à la date requise. Par conséquent, son employeur l’a licencié.

[4] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance‑emploi. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a exclu le prestataire du bénéfice des prestations parce qu’il a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[5] Le prestataire a interjeté appel à la division générale du Tribunal qui a rejeté l’appel. La division générale a décidé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Le prestataire a interjeté appel de cette décision auprès de la division d’appel du Tribunal.

[6] Le prestataire soutient que la division générale a mal interprété la loi et a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes. Le prestataire affirme également que la division générale a commis une erreur de droit en négligeant un argument important qu’il a soulevé.

[7] Je rejette l’appel. La division générale a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’argument fondé sur la Charte du prestataire ou en n’expliquant pas pourquoi elle ne le faisait pas, mais cela ne modifie pas le résultatNote de bas de page 1. Le prestataire a été licencié en raison de son inconduite.

Observations après l’audience

[8] À l’audience, j’ai demandé au conseiller du prestataire de présenter des observations postérieures à l’audience concernant plusieurs affaires traitées à l’audience. J’ai également demandé des observations sur la question de savoir si une décision concernant une « inconduite » constituait un exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la loiNote de bas de page 2.

[9] Le prestataire a présenté des observations après l’audienceNote de bas de page 3. Il a également inclus une affaire de la division générale du Tribunal qui a été tranchée après l’audienceNote de bas de page 4. Les observations du prestataire ont été transmises à la Commission aux fins de réplique, et la Commission a fourni des observations en réponseNote de bas de page 5.

[10] J’ai examiné toutes les observations postérieures à l’audience ainsi que la nouvelle affaire présentée par le prestataire. L’affaire est pertinente pour l’argument du prestataire au sujet de la modification de son contrat de travail. En outre, la Commission ne subit aucun préjudice, étant donné qu’elle a eu l’occasion de répondre aux observations du prestataire au sujet de cette affaire.

Questions en litige

[11] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis des erreurs de droit ou fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes lorsqu’elle a décidé que la conduite du prestataire était une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi)?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en faisant fi de l’argument du prestataire selon lequel, dans sa décision sur l’inconduite, la division générale devait équilibrer proportionnellement ses valeurs fondées sur la Charte et les objectifs législatifs applicables, afin de s’assurer que ses valeurs ne soient pas limitées plus que nécessaire?
  3. c) Si la division générale a commis l’une ou l’autre de ces erreurs, quelle devrait être la réparation?

Analyse

[12] Le prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de droit et a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes.

[13] Si l’un de ces types d’erreurs était établi, je pourrais intervenir dans la décision de la division généraleNote de bas de page 6.

La décision de la division générale était conforme au droit et à la preuve

[14] La Loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 7.

[15] La Commission a exclu le prestataire du bénéfice des prestations parce qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[16] Le prestataire a interjeté appel de cette décision devant la division générale du Tribunal.

[17] La division générale devait décider si la perte d’emploi du prestataire était imputable à une inconduite.

[18] L’employeur du prestataire a mis en œuvre une politique sur la COVID-19 le 3 septembre 2021. La politique exigeait que tous les employés, autres que ceux auxquels l’employeur avait accordé une exemption pour des raisons médicales ou pour des raisons prévues au Code des droits de la personne de l’Ontario, soient entièrement vaccinés et fournissent des documents confirmant cette exemption à l’employeur au plus tard le 21 octobre 2021Note de bas de page 8.

[19] La division générale n’a pas contesté que le prestataire a été licencié le 22 octobre 2021 parce qu’il ne s’était pas conformé à la politique de vaccination de l’employeur.

[20] Le terme « inconduite » n’est pas défini dans la Loi. La Cour d’appel fédérale a toutefois décrit le critère de l’inconduite.

[21] La division générale a fait référence à ce critère. La division générale a mentionné que pour constituer une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 9. L’inconduite comprend aussi une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 10.

[22] La division générale a souligné qu’il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (autrement dit, qu’il ait voulu mal agir) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 11.

[23] La division générale a affirmé qu’il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait nuire à l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 12.

[24] La division générale a également souligné que la Commission devait prouver qu’il était plus probable qu’improbable que le prestataire ait perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 13.

[25] La division générale reconnaissait généralement que l’employeur pourrait décider de créer et d’imposer des politiques en milieu de travail. La division générale a décidé que l’employeur du prestataire avait imposé une politique de vaccination en raison de la pandémie de COVID-19 et qu’elle est devenue une condition de son emploi lorsque la politique a été instaurée.

[26] La division générale a conclu que la politique avait été communiquée au prestataire, qu’il était au courant du délai pour se conformer et qu’il avait le temps de se conformer à la politique.

[27] La division générale a conclu que le prestataire n’était pas exempté de la politique, car son employeur n’avait pas accepté sa demande d’exemption fondée sur des croyances.

[28] La division générale a conclu que le prestataire a volontairement choisi de ne pas se conformer à la politique pour des raisons personnelles. Il a consciemment choisi de contrevenir à la politique de l’employeur.

[29] La division générale a décidé que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non‑respect entraînerait un congédiement. Cela s’explique par le fait que le prestataire a été informé lors d’une rencontre avec son employeur le 13 octobre 2021 qu’il serait congédié pour ne pas s’être conformé à la politique.

[30] La division générale a noté que si le prestataire avait eu l’intention de se conformer à la politique, il aurait pu en informer son employeur lors de cette réunion et déployer des efforts en ce sens d’ici le 22 octobre 2021, ou demander une prolongation si possible.

[31] La division générale a également rejeté l’argument du prestataire selon lequel les conséquences de la non‑conformité à la politique ne prévoyaient qu’un congé sans solde. La division générale a conclu que la politique avait établi que le licenciement était une conséquence possible.

[32] Par conséquent, la division générale a conclu que la Commission avait prouvé que les actions du prestataire équivalaient à de l’inconduiteNote de bas de page 14.

[33] Le prestataire affirme que la division générale a commis des erreurs de fait et de droit lorsqu’elle a décidé que la conduite du prestataire était une inconduite. Le prestataire soutient que :

  • La division générale n’a pas tenu compte du fait que l’employeur a modifié les conditions d’emploi du prestataire en introduisant la politique sur la COVID-19 sans accorder une contrepartie supplémentaire au prestataire, de sorte que la politique était nulle.
  • La division générale n’a pas pris en compte que la conduite du prestataire en ne se faisant pas vacciner n’avait aucune incidence sur ses fonctions professionnelles puisqu’il travaillait de la maison.
  • La division générale a omis d’interpréter des dispositions contradictoires ou ambiguës de la politique qui décrivaient les conséquences du défaut de se conformer à la politique en faveur du prestataire, conformément au principe « contra proferentem ».
  • La division générale n’a pas fait observer que la demande de dispense en matière de droits de la personne du prestataire, fondée sur des croyances, n’a jamais été dûment examinée par l’employeur.
  • Les éléments requis pour conclure à une « inconduite » n’étaient pas présents dans cette affaire.

[34] La division générale a appliqué le bon critère juridique pour l’inconduite.

[35] La division générale s’est demandé si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait nuire à l’exécution de ses obligations envers son employeur et si, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié. Il s’agit des facteurs pertinents à prendre en considération, comme l’expose la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 15.

[36] La décision de la division générale concordait également avec la preuve. Selon la preuve, le prestataire a été informé que sa demande d’exemption avait été refusée. Il a choisi de ne pas se conformer à l’exigence de vaccination énoncée dans la politique, sachant d’après la rencontre du 13 octobre 2021 avec son employeur que la non‑conformité aurait pour conséquence un licenciement. Cela équivaut à une inconduite au sens de la loi.

Obligation de respecter la politique de sécurité

[37] Le prestataire fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que la politique sur la COVID-19 constituait une condition de son emploi.

[38] Il soutient que la politique était nulle, car il s’agissait d’une nouvelle condition d’emploi qui a été mise en œuvre unilatéralement sans examens supplémentaires. Le prestataire prétend que le fait de ne pas suivre une politique qui n’a de toute façon jamais été valide ne constituait pas une inconduite.

[39] La Commission soutient que la validité de la politique de l’employeur ne relève pas de la compétence de la division générale.

[40] La division générale reconnaissait généralement que l’employeur pourrait décider de créer et d’imposer des politiques en milieu de travail. La division générale a décidé que l’employeur du prestataire avait imposé une politique de vaccination en raison de la pandémie de COVID-19 et que le respect de cette politique est devenu une condition de son emploi lorsqu’il a instauré la politique.

[41] Cette conclusion est conforme à la loi et à la preuve au dossier.

[42] L’employeur a mis en œuvre sa politique sur la COVID-19 le 3 septembre 2021 en réponse à une directive émise le 17 août 2021 par le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario (Directive 6)Note de bas de page 16.

[43] La Directive 6 obligeait divers fournisseurs de soins de santé, y compris les hôpitaux, à instaurer une politique de vaccination d’ici le 7 septembre 2021. La Directive 6 indiquait que la politique devait exiger que les employés de l’employeur, les entrepreneurs, les bénévoles et les étudiants devaient fournir une preuve de vaccination complète, une preuve d’exemption médicale ou une preuve d’achèvement d’une séance de formation obligatoire. Toutefois, la Directive 6 permettait aux employeurs de supprimer l’option de la séance de formation. La Directive 6 indiquait également que les employeurs des hôpitaux devaient se conformer à la Loi sur la santé et la sécurité au travail et à ses règlementsNote de bas de page 17.

[44] Le prestataire n’a présenté aucune preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle l’employeur devait lui accorder une considération supplémentaire pour mettre en œuvre une telle politique. Le prestataire n’a pas déposé en preuve son contrat de travail, de sorte que l’on ignore s’il a affirmé quoi que ce soit au sujet de la mise en œuvre de nouvelles politiques par l’employeur.

[45] D’autre part, la division générale a été saisie d’éléments de preuve selon lesquels l’employeur avait un fondement légitime pour mettre en œuvre la politique. L’employeur a suivi les recommandations d’un fonctionnaire de la santé publique afin de mettre en œuvre sa politique visant à protéger la santé de l’ensemble de son personnel et de ses clients contre la COVID-19 pendant la pandémie.

[46] La division générale disposait donc d’éléments de preuve pour fonder sa conclusion selon laquelle le respect de la politique sur la COVID-19 constituait une condition d’emploi du prestataire.

[47] La Cour d’appel fédérale a répété à maintes reprises que le non‑respect délibéré d’une politique constitue une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 18.

[48] Les faits des deux affaires sur lesquelles le prestataire se fonde peuvent être distingués de ceux de la présente affaire.Note de bas de page 19 L’arrêt Braiden c La-Z-Boy Canada Limited portait sur l’ajout dans un contrat de travail d’une nouvelle condition relative à la période de préavis requise pour résilier le contrat.Note de bas de page 20 L’arrêt Moffatt c Caisse Populaire Prospera concernait une nouvelle clause de résiliation d’un contrat. Ces affaires étaient propres aux contrats en question et ne concernaient pas une situation dans laquelle un employeur a imposé une nouvelle politique de sécurité en vertu de la directive d’un fonctionnaire de la santé publiqueNote de bas de page 21.

[49] Le prestataire s’appuie sur la décision AL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada dans laquelle un membre de la division générale a conclu que la Commission n’avait pas démontré que la convention collective du prestataire renfermait une obligation expresse de vaccination. Le membre a également décidé que la vaccination n’était pas une condition implicite de l’emploi de ce prestataireNote de bas de page 22.

[50] La décision AL fait l’objet d’un appel. Elle peut également se distinguer de la présente affaire sur la base des faits. Cette affaire concernait un travailleur syndiqué et la décision portait sur les modalités précises de la convention collective.

[51] Je ne suis pas liée par la décision AL. Comme le souligne la Commission, cette décision va à l’encontre de plusieurs décisions du Tribunal selon lesquelles le défaut de se conformer à la politique d’un employeur constitue une inconduite, et ce en dépit du fond de la politiqueNote de bas de page 23.

[52] La Cour fédérale a récemment rendu une décision soulignant que l’affaire AL était propre à ses faits et qu’elle n’établissait aucune règle générale qui s’applique à d’autres situations factuellesNote de bas de page 24.

[53] Je suis convaincue que la décision de la division générale selon laquelle la conformité à la politique sur la COVID-19 constituait une obligation du prestataire envers son employeur était conforme à la fois à la loi et à la preuve dont elle disposait.

[54] Le prestataire semblait se préoccuper davantage des conséquences de la visite de l’employeur parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique. Autrement dit, il se préoccupait du choix de l’employeur de le licencier pour non‑conformité.

[55] Toutefois, comme la division générale l’a souligné et comme le prévoit la loi, la question de savoir si l’employeur a congédié à tort le prestataire n’est pas pertinente à la question de l’inconduite au sens de la Loi. Une telle prétention peut être poursuivie dans un autre forumNote de bas de page 25.

La question de savoir si le prestataire travaillait ou non à domicile n’est pas pertinente

[56] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du fait que son choix de ne pas se faire vacciner n’avait pas d’incidence sur sa capacité d’exercer ses fonctions essentielles.

[57] Le prestataire soutient qu’il travaillait à la maison depuis des années, sans s’être fait vacciner, et sans incidence négative sur son rendement au travail. Même après sa réunion officielle de cessation d’emploi, il a été autorisé à travailler à la maison pendant une semaine supplémentaire, alors qu’il n’était pas vacciné, sans incidence néfaste sur son rendement au travail.

[58] Le prestataire fait valoir que pour qu’il y ait inconduite, les fonctions centrales d’emploi devraient être affaiblies en raison de son défaut de se conformer à la politique. Il se réfère à divers cas d’inconduite dans lesquels les fonctions essentielles étaient affaibliesNote de bas de page 26. Il affirme toutefois que sa situation est nettement différente parce que le fait d’être vacciné n’a aucune incidence sur la façon dont il s’acquittait des fonctions centrales de son emploi.

[59] La question de savoir s’il était raisonnable pour l’employeur d’étendre sa politique aux travailleurs à distance n’est pas pertinente. Rien dans le critère juridique relatif à l’inconduite n’oblige la division générale à soutenir la politique et à décider si elle était raisonnable.

[60] Je n’ai connaissance d’aucune jurisprudence de la Cour fédérale ou de la Cour d’appel fédérale selon laquelle le caractère raisonnable de la politique constitue un facteur pertinent. La Cour fédérale a récemment confirmé que le rôle de la division générale est étroit et précis. Il s’agit d’établir pourquoi la personne a été congédiée et si ce motif constituait une inconduiteNote de bas de page 27.

La division générale n’a pas fondé sa décision sur une erreur de fait selon laquelle le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraîner son licenciement

[61] Le prestataire soutient que la division générale a tiré une conclusion de fait erronée selon laquelle il savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraîner le licenciement.

[62] Le prestataire soutient qu’il n’a reçu aucun avertissement de son licenciement. Il affirme que la jurisprudence comporte de nombreux cas de prestataires ayant reçu des avertissements afin qu’ils sachent que le licenciement était une véritable possibilitéNote de bas de page 28.

[63] Il soutient également que la division générale n’a pas tenu compte du fait que la politique de l’employeur n’était pas claire et était ambiguë quant aux conséquences du licenciement.

[64] Il souligne que, d’une part, la politique prévoyait que les personnes qui souhaitaient rester non vaccinées sans exemption valide seraient mises en congé sans solde jusqu’à ce qu’elles se fassent vacciner.

[65] D’autre part, la politique prévoyait également que les personnes qui ne se conformaient pas à « cette politique » pourraient faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement :

[Traduction]

Le non‑respect des modalités de cette politique, y compris la falsification des résultats des tests et l’interdiction de distribuer les tests rapides, peut entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement ou à la révocation des privilèges. [Mis en évidence par la soussignée.]Note de bas de page 29

[66] Le prestataire soutient que la politique est ambiguë quant à savoir si les mots « cette politique » signifient l’ensemble de la politique ou désignent seulement la partie de la politique qui porte sur les tests autoadministrés.

[67] Il affirme que si les mots « cette politique » ne renvoyaient qu’à la partie de la politique portant sur les tests autoadministrés, cela signifierait que la politique prévoyait qu’il n’aurait dû être mis en congé sans solde que pour avoir refusé la vaccination. Toutefois, si les mots « cette politique » désignaient l’ensemble de la politique, la politique était ambiguë quant aux conséquences du non‑respect de celle‑ci.

[68] Le prestataire fait valoir que le principe de « contra proferentem » en droit exige que les ambiguïtés contractuelles soient résolues à l’encontre de la partie qui a rédigé le contrat, soit son employeur.

[69] Le prestataire soutient que la division générale n’a pas tenu compte de l’ambiguïté de la politique et que personne qui la lisait ne saurait qu’elle serait licenciée parce qu’elle ne se faisait pas vacciner.

[70] La division d’appel ne peut intervenir que pour certains types d’erreurs factuelles. Elle peut intervenir lorsque la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 30.

[71] Une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire est une conclusion qui contredit carrément les éléments de preuve ou qui n’est pas étayée par ces derniersNote de bas de page 31.

[72] Les conclusions de fait tirées sans tenir compte des éléments de preuve comprendraient les circonstances où la conclusion n’était rationnellement étayée d’aucun élément de preuve ou celles où le décideur a omis de tenir raisonnablement compte d’éléments de preuve importants qui étaient contraires à sa conclusionNote de bas de page 32.

[73] Il n’était pas nécessaire que la division générale se demande si des avertissements ont été donnés au prestataire. Les avertissements ne sont pas requis selon le critère juridique en cas d’inconduite. Il suffisait que la division générale conclue, à la lumière de la preuve, que le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait mettre son emploi en danger.

[74] La division générale était convaincue que le prestataire savait ou aurait dû savoir, à la suite de la rencontre qu’il a eue avec son employeur le 13 octobre 2021, que les conséquences du non‑respect de la politique pourraient être un congédiementNote de bas de page 33.

[75] La division générale a tenu compte de l’argument du prestataire selon lequel la politique était ambiguë. Elle a cependant conclu que le licenciement était une conséquence possible. La division générale a fait remarquer que la politique indiquait qu’un défaut de se conformer aux modalités de la politique pourrait entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Le membre de la division générale a décidé que cela signifiait un défaut de se conformer à l’une ou l’autre des modalités de la politique et que cela ne se limitait pas aux seuls manquements aux tests de dépistage rapide.

[76] La division générale a reconnu le témoignage du prestataire selon lequel il ignorait qu’il serait congédié pour non‑respect de la politique et croyait qu’il serait mis en congé sans solde, puis rappelé au travail à un moment donné. Toutefois, la division générale s’est appuyée sur le témoignage du prestataire selon lequel il a convenu qu’après la rencontre du 13 octobre 2021, il avait compris qu’il était congédié le 22 octobre 2021 en raison de sa conduiteNote de bas de page 34.

[77] La division générale a décidé que si le prestataire avait eu l’intention de se conformer à la politique, il aurait pu en informer son employeur lors de cette réunion et déployer des efforts en ce sens avant le 22 octobre 2021, ou demander une prolongation si possible.

[78] La conclusion de fait de la division générale était conforme à la preuve. Que la politique soit ambiguë ou non, la preuve établissait clairement que le prestataire avait compris, lors de la rencontre du 13 octobre 2021, que les conséquences de la non‑conformité seraient le licenciement. Il a cependant continué de refuser de se conformer.

[79] Je ne peux m’immiscer dans la façon dont la division générale a soupesé la preuve. La division générale avait le droit de conclure, à la lumière de la preuve dont elle disposait, que le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraîner le licenciement.

La conduite de l’employeur qui refuse la demande d’exemption du prestataire fondée sur des « croyances » n’était pas pertinente pour déterminer si la conduite du prestataire était délibérée

[80] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte du fait que le défaut de son employeur d’enquêter sur sa demande d’exemption de vaccination ou d’accorder ladite demande signifiait qu’il était « incapable » de se conformer à la politique.

[81] La politique de l’employeur sur la COVID-19 prévoyait des mesures d’adaptation pour une exemption médicale ou une autre exemption en vertu des « droits de la personne ». La politique exigeait qu’une demande d’exemption soit présentée à l’employeur.

[82] La politique prévoyait que le personnel qui a été jugé non vacciné peut faire l’objet de mesures d’adaptation conformément à la politique en raison d’une contradiction médicale confirmée par un médecin traitant ou une infirmière praticienne approuvée par l’employeur ou d’une raison vérifiée, selon le cas, en vertu du Code des droits de la personne de l’OntarioNote de bas de page 35.

[83] Le 22 septembre 2021, le prestataire a présenté une demande d’exemption de la politique fondée sur la croyance. Il a fourni à l’employeur un affidavit expliquant qu’il demandait des mesures d’adaptation parce qu’il fournissait la documentation de toutes les doses de vaccination requises, ce qui contredisait ses convictions sincères fondées sur [traduction] « la croyance et la conscience ».Note de bas de page 36

[84] Le 5 octobre 2021, l’employeur a répondu à la demande du prestataire en expliquant qu’à ce moment‑là, il n’envisageait aucune exemption autre que des exemptions médicales ou des exemptions relatives aux droits de la personne, conformément à la politique de vaccination contre la COVID-19.

[85] L’employeur s’est référé à une déclaration de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) selon laquelle une personne qui choisit de ne pas se faire vacciner en raison de ses préférences personnelles n’a pas besoin de mesures d’adaptation. La déclaration indiquait également que même si un prestataire pouvait satisfaire à une croyance fondée sur des croyances contre la vaccination, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’inclut pas nécessairement l’exemption de l’obligation de vaccination. De plus, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation peut être limitée si elle compromet considérablement la santé et la sécurité, ce qui équivaudrait à une contrainte excessive, comme en cas de pandémieNote de bas de page 37.

[86] La division générale a reconnu que le prestataire avait présenté une demande d’exemption fondée sur des croyances, mais cette demande a été refusée. La division générale a également reconnu le témoignage du prestataire selon lequel il était catholique et pro‑vie, mais il n’a pas soulevé cette question auprès de son employeur, car ils n’envisageaient pas d’exemptions religieusesNote de bas de page 38.

[87] La division générale a décidé que le prestataire n’avait pas prouvé qu’il était exempté de la politique. Bien qu’il ait présenté une demande d’exemption de la politique fondée sur la croyance, sa demande n’a pas été acceptée par l’employeurNote de bas de page 39.

[88] La division générale a décidé qu’elle n’avait pas le pouvoir de déterminer si l’employeur du prestataire avait omis de prendre des mesures d’adaptation pour lui et lui avait fourni des solutions de rechange. La division générale a dit que c’était parce qu’elle devait se concentrer sur la conduite du prestataire et non sur celle de l’employeur. Elle n’avait qu’à décider si le prestataire était coupable d’inconduite, et c’est ce qu’elle avait décidé. La division générale a également souligné que le recours du prestataire consistait à intenter une action devant les tribunaux judiciaires ou tout autre tribunal administratif qui pourrait traiter de ces arguments particuliersNote de bas de page 40.

[89] Le prestataire reconnaît que le critère d’inconduite ne met pas l’accent sur la conduite de l’employeur, mais il maintient que la conduite de l’employeur demeure pertinente pour déterminer si sa conduite était délibérée.

[90] Le prestataire affirme avoir fait tout ce qu’il pouvait pour se conformer à la politique en présentant sa demande d’exemption. Il n’a toutefois pas été en mesure de respecter la politique. Il soutient que l’employeur a enfreint sa propre politique en rejetant sa demande d’exemption des droits de la personne et en omettant même d’enquêter sur sa demande. Il affirme qu’il incombait à l’employeur d’enquêter sur sa demande. Le prestataire soutient que la réponse de l’employeur à son égard laisse entendre qu’il n’avait pas tenu compte de sa situation particulière.

[91] Le prestataire fait valoir qu’être incapable de faire quelque chose et choisir librement de ne pas le faire ne sont pas la même chose. Il affirme qu’il n’avait pas vraiment le choix. Selon lui, c’est particulièrement vrai en matière religieuse.

[92] Le prestataire invoque la décision DL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada comme autorité persuasiveNote de bas de page 41. Il soutient, comme le prestataire dans cette affaire, qu’il n’a pas délibérément omis de se conformer à la politique. Il a tenté de se conformer et, lorsque son exemption au Code des droits de la personne a été refusée, il n’a pus’y conformer.

[93] Le prestataire soutient que les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale dans Paradis c Canada (Procureur général) (Paradis), Mishibinijima c Canada (Procureur général) (Mishibinijima) et Canada (Procureur général) c McNamara (McNamara) peuvent être distinguées de son casNote de bas de page 42.

[94] Le prestataire affirme que dans ces cas, le prestataire demandait au Tribunal de statuer sur la question de savoir si l’employeur avait raison ou tort de ne pas prendre des mesures d’adaptation ou de mettre fin à son emploi. Autrement dit, le prestataire demandait au Tribunal de se concentrer sur la conduite de l’employeur. Il convient que ce n’est pas le bon objectif.

[95] Toutefois, le prestataire affirme qu’il ne soutient pas que la division générale ait dû décider si l’employeur avait eu raison ou tort de ne pas prendre de mesures d’adaptation ou de le licencier. Selon lui, cependant, la conduite de l’employeur demeure pertinente.

[96] Le prestataire invoque l’arrêt Mishibinijima à l’appui de la notion selon laquelle la conduite de l’employeur est toujours pertinente à la question de l’inconduiteNote de bas de page 43 :

« […] les mesures que prend ou aurait dû prendre l’employeur concernant le problème d’alcoolisme de l’employé peuvent être pertinentes pour décider s’il y a eu inconduite ou non […] »

[97] Le prestataire soutient que, contrairement aux affaires Paradis, Mishibinijima et McNamara, sa conduite était directement et inextricablement liée à sa demande de mesures d’adaptation en vertu de la politique.

[98] Le prestataire souligne que dans l’arrêt Mishibinijima, le prestataire a finalement été licencié en raison de son problème de consommation d’alcool, ce qui a entraîné de graves absences. Dans cette affaire, une inconduite a été constatée, même si le prestataire a soutenu que l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation pour lui.

[99] De même, dans les affaires Paradis et McNamara, les prestataires ont été licenciés en raison de la toxicomanie. Il a été conclu qu’ils avaient commis une inconduite même s’ils avaient fait valoir qu’ils auraient dû bénéficier de mesures d’adaptation ou qu’ils avaient été licenciés à tort.

[100] Toutefois, le prestataire soutient qu’aucun de ces cas ne portait sur une affirmation selon laquelle la politique de l’employeur violait (ou même engageait) les droits de la personne ou les valeurs de la Charte des prestataires.

[101] Dans ces cas, la conduite des prestataires était complètement indépendante de celle de l’employeur. L’employeur n’a pas forcé les prestataires dans ces cas-là à prendre de la drogue ou à boire de façon excessive. Le prestataire soutient donc qu’il était approprié de distinguer la réponse de l’employeur de la conduite du prestataire dans l’analyse de l’inconduite.

[102] Toutefois, le prestataire souligne qu’il n’a pas ignoré unilatéralement la politique. Il a plutôt fait tout ce qu’il pouvait pour se conformer à la politique, notamment en présentant une demande de mesures d’adaptation en vertu de la politique. Celle‑ci a été refusée d’emblée par l’employeur sans justification ni explication.

[103] Le prestataire soutient que le comportement de l’employeur, bien qu’il ne soit pas au cœur de l’affaire, demeure pertinent parce qu’il a mené directement à son incapacité de se conformer à la politique. Au dire du prestataire, si l’employeur avait accueilli la demande, le prestataire serait demeuré conforme à la politique.

[104] La Commission fait valoir qu’il n’y a pas de différence entre la situation du prestataire dans la présente affaire et celle des prestataires dans les affaires Paradis, Mishibinijima et McNamara. Dans ces cas, les demandeurs ont choisi (en raison d’allégations de dépendance ou pour d’autres motifs) de consommer de l’alcool ou des drogues, ce qui a entraîné une violation des politiques de leur employeur. De même, le prestataire était au courant qu’il devait se faire vacciner contre la COVID-19 et il a choisi de ne pas le faire, sachant que cela contreviendrait à la politique de son employeur.

[105] La Commission soutient que selon la décision Paradis et les arrêts Mishibinijima et McNamara, ce n’est pas la conduite de l’employeur qui est évaluée, mais bien celle de l’employé.

[106] La Commission souligne que même si le prestataire convient que l’accent n’est pas mis sur la conduite de l’employeur, il fait valoir que la division générale aurait dû examiner le refus de l’employeur d’acquiescer à sa demande de mesures d’adaptation. La Commission affirme que cela met l’accent sur le comportement de l’employeur.

[107] La Commission soutient que le prestataire qualifie le rejet par l’employeur de sa demande d’exemption de « refus d’emblée » et « sans justification ni explication », mais qu’une justification a été fournie au prestataire, qui a tout de même choisi de ne pas se conformer à la politique, encore qu’il ait été informé que son employeur n’examinait pas sa demande d’exemption, conformément aux directives de la Commission ontarienne des droits de la personne.

[108] La Commission affirme que l’argument du prestataire suppose que le rejet par son employeur de sa demande de mesures d’adaptation était incorrect ou inapproprié, mais qu’une telle décision est prise à juste titre par son syndicat ou par l’entremise de la tribune appropriée pour contester le refus de son employeur.

[109] La Commission souligne que même si les reproches du prestataire à l’égard de l’employeur sont fondés, la Cour fédérale a déclaré qu’il n’incombe pas aux contribuables canadiens d’assumer le coût de la conduite fautive d’un employeur au moyen de prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 44.

[110] La Commission soutient que la conclusion de la division générale selon laquelle la conduite du prestataire constituait une inconduite était conforme à la loi et à la preuve dont elle était saisie.

[111] Je conclus que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit en n’examinant pas la question de savoir si l’employeur a mené une enquête inappropriée ou rejeté la demande d’exemption du prestataire lorsqu’elle a décidé que la conduite du prestataire était délibérée.

[112] Le mot délibéré, au sens de la Cour d’appel fédérale, signifie voulu, intentionnel et conscientNote de bas de page 45.

[113] La politique permettait à l’employeur de déterminer la validité de la demande d’exemption. La politique se référait à une raison [traduction] « qui est vérifiée comme applicable en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario ». L’employeur a examiné et refusé la demande du prestataire. Ce refus a été communiqué au prestataire.

[114] Le prestataire savait que sa demande avait été refusée et connaissait les conséquences du non‑respect de l’exigence de vaccination. Malgré tout, il a choisi de ne pas respecter les exigences de vaccination de la politique. Il s’agit d’un comportement voulu et donc délibéré.

[115] Je ne suis pas en désaccord avec le fait qu’il peut y avoir des situations dans lesquelles la conduite d’un employeur qui a pu mener à l’inconduite est pertinente par rapport au comportement délibéré d’un employéNote de bas de page 46. Par exemple, la conduite d’un employeur, notamment la question de savoir si la politique a été communiquée à un employé ou si l’employeur a donné à l’employé le temps de se conformer à la politique ou a communiqué les conséquences d’une violation de cette politique serait pertinente. Ce type de comportement pourrait empêcher un employé de se conformer.

[116] Toutefois, la façon dont l’employeur a enquêté sur la demande de mesure d’adaptation du prestataire ou le refus de cette mesure d’adaptation n’est pas pertinent dans la présente affaire parce que la politique conférait expressément à l’employeur le pouvoir de décider de la validité de la demande d’exemption. Un désaccord au sujet de cette décision ne relève pas des modalités de la politique ni du critère juridique en matière d’inconduite.

[117] Je conviens avec la Commission que l’argument du prestataire suppose que l’employeur a pris une décision erronée sur la question de savoir s’il était admissible à une exemption fondée sur des croyances. Toutefois, pour en arriver à une telle conclusion, il faut décider si l’employeur a omis de prendre les mesures d’adaptation appropriées pour le prestataire en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario.   

[118] Toutefois, l’arrêt Mishibinijima et la décision Paradis affirment tous deux que ce n’est pas quelque chose que le Tribunal devrait trancher. Ces affaires font valoir que la question des mesures d’adaptation n’est pas pertinente à la question de l’inconduite et que le Tribunal n’est pas le forum approprié pour trancher cette question.

[119] Le prestataire invoque la décision DL c Commission de l’assurance‑emploi du CanadaNote de bas de page 47. Je ne suis pas liée par les décisions de la division générale du Tribunal et de toute façon, la présente affaire se distingue pour plusieurs raisons. Dans l’affaire DL, la politique de l’employeur exigeait simplement de fournir une lettre d’une organisation religieuse pour justifier une demande d’exemption. La politique prévoyait que les employés non vaccinés pour des raisons religieuses ne feraient pas l’objet de mesures disciplinaires.

[120] Dans cette affaire, la prestataire s’est conformée à la politique et a fourni la lettre de nature religieuse, de sorte qu’elle n’avait aucune raison d’envisager une mesure disciplinaire.

[121] Dans le cas du prestataire, la politique exigeait que le motif de l’exemption soit vérifié par l’employeur conformément au Code des droits de la personne de l’Ontario. En d’autres termes, la présentation de la demande à elle seule n’était pas suffisante pour se conformer à la politique. L’employeur devait vérifier qu’il s’appliquait en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario.

[122] De plus, dans l’affaire DL, la division générale était convaincue que la prestataire n’aurait pas pu envisager la prise de mesures disciplinaires pour ses actes. Toutefois, dans la situation du prestataire, la division générale en est arrivée à la conclusion de fait que le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’une conséquence possible du défaut de se conformer à la politique était le licenciement.

La division générale n’avait pas commis une erreur de droit en omettant de tenir compte des éléments de l’inconduite

[123] Le prestataire soutient que sa conduite n’était pas délibérée parce que la politique était nulle par manque de considération et que, malgré cela, sa conduite n’était pas voulue étant donné qu’il a tenté de se conformer à la politique du mieux qu’il pouvait. Le défaut de son employeur d’enquêter sur sa demande d’exemption ou de l’accepter signifiait qu’il n’était pas en mesure de se conformer à la politique en raison de ses croyances religieuses et autres.

[124] Il soutient également qu’il ignorait ou qu’il n’aurait pas dû savoir que le licenciement était possible, car la politique elle‑même était ambiguë. Il affirme en outre qu’il n’a jamais reçu d’avertissement avant son licenciement. De plus, le non‑respect de la politique n’a pas nui à ses fonctions essentielles.

[125] J’ai traité de ces arguments distincts ci‑dessus. La division générale a examiné tous les éléments requis du critère de l’inconduite. La décision de la division générale est cohérente avec le critère juridique relatif à l’inconduite, tel qu’il est défini par la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 48.

Les parties conviennent que la division générale a négligé l’argument du prestataire fondé sur la Charte

[126] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit en n’examinant pas son argument fondé sur la Charte. Il affirme qu’il a soulevé l’argument selon lequel la division générale, lorsqu’elle a décidé si sa conduite était une inconduite, devait équilibrer proportionnellement les valeurs de la Charte par rapport aux objectifs prévus par la loi, pour s’assurer que les protections prévues par la Charte n’étaient pas limitées plus que nécessaire.

[127] Le prestataire soutient également que le critère de la common law pour l’inconduite devrait être révisé. Il soutient que ce critère de la common law pour l’« inconduite » est incomplet, dans la mesure où il n’exige pas expressément que les décideurs examinent si les droits d’un prestataire garantis par la Charte sont exercés dans un ensemble donné de circonstances.

[128] La Charte est habituellement avancée pour contester une loi elle‑même. Toutefois, la Charte s’applique également aux décisions administratives discrétionnaires. Lorsque la Charte est soulevée dans le contexte d’une situation administrative discrétionnaire, elle est utilisée, non pas pour contester la loi elle‑même, mais plutôt à l’encontre de la façon dont le décideur a exercé son pouvoir discrétionnaire.

[129] Ce principe provient d’une décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Doré c Barreau du Québec (Doré)Note de bas de page 49. Dans cette affaire, le Barreau avait exercé son pouvoir discrétionnaire de suspendre le permis d’un avocat, selon un code de déontologie, en raison d’une lettre que M. Doré avait écrite à un juge après une procédure judiciaire. M. Doré n’a pas contesté le code de déontologie en se fondant sur la Charte, mais a plutôt soutenu que la décision de l’organisme disciplinaire de suspendre son permis violait sa liberté d’expression en vertu de la Charte.

[130] La Cour a décidé que lorsque des décisions administratives discrétionnaires mettaient en cause des protections prévues par la Charte, le décideur était tenu d’équilibrer proportionnellement les protections pertinentes prévues par la Charte par rapport aux objectifs législatifs applicables, afin de s’assurer que les protections prévues par la Charte ne soient pas limitées plus que nécessaire.

[131] Le prestataire soutient qu’il a soulevé cet argument devant la division générale, mais que celle‑ci l’a négligé.

[132] Je conviens que, même si l’argument du prestataire devant la division générale n’était pas tout à fait clair, le prestataire a soulevé cet argument devant la division générale.

[133] Le prestataire a présenté des observations écrites à la division générale selon lesquelles il exerçait ses droits en vertu des articles 2, 7, 8 et 15 de la Charte lorsqu’il a refusé de se conformer à la politique. Selon lui, le Tribunal doit interpréter et appliquer les lois et les politiques de manière à donner un effet maximal à la Charte. Il a déclaré que son refus de se conformer à la politique de l’employeur ne peut pas servir de fondement pour lui refuser les prestations d’assurance‑emploi parce que cette interprétation n’est pas compatible avec le respect de ses droits garantis par la CharteNote de bas de page 50.

[134] Le prestataire a également expliqué au cours de son audience qu’il invoquait les articles 2(a) et 7 de la Charte. Il a déclaré que ces dispositions comprenaient le droit de prendre ses propres décisions sur son propre corps, son intégrité corporelle et de ne pas en être privé, sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale et une combinaison de ces droits. Il a ajouté que la Commission n’était pas en mesure d’exercer sa décision d’une manière qui contrevient à la Charte. Il a déclaré que la Commission n’avait pas saisi les droits qu’il avait soulevés ni donné de raisons appropriéesNote de bas de page 51.

[135] Je considère que le prestataire a voulu dire « pouvoir discrétionnaire » lorsqu’il a utilisé le mot « décision » comme il a été mentionné précédemment.

[136] Je suis convaincu qu’en demandant au Tribunal d’interpréter et d’appliquer la loi d’une manière qui donne le maximum d’effet à la Charte, le prestataire demandait à la division générale d’appliquer l’analyse de l’arrêt Doré pour décider si sa conduite était une inconduite.

[137] La division générale n’a pas répondu à cet argument dans sa décision.

[138] La division générale a noté que le prestataire avait soulevé d’autres arguments. Elle énumérait certains de ces arguments et renvoyait à d’autres dans une note de bas de page aux pages où se trouvaient ces arguments. La division générale a déclaré qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher ces arguments. La division générale a affirmé que le recours du prestataire consiste à intenter une action en justice, ou à s’adresser à tout autre tribunal qui pourrait traiter ces arguments particuliersNote de bas de page 52.

[139] Les deux parties conviennent que la division générale a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’argument du prestataire fondé sur la Charte.

[140] La Commission soutient que la division générale a également privé le prestataire de son droit à l’équité procédurale lorsqu’elle n’a pas lancé la procédure d’appel fondée sur la Charte prévue à l’article 20(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS).

[141] En toute déférence, je conclus que la division générale a commis une erreur de droit en ne fournissant pas de motifs suffisants.

[142] La division générale n’est pas tenue d’aborder tous les arguments dont elle est saisieNote de bas de page 53. Toutefois, les motifs doivent être suffisamment clairs pour expliquer pourquoi une décision a été prise et fournir un fondement logique à cette décision. Les motifs doivent également tenir compte des principaux arguments des partiesNote de bas de page 54.

[143] La division générale a expliqué clairement pourquoi elle a décidé que les actions du prestataire équivalaient à de l’inconduite. Toutefois, les motifs de la division générale ne répondaient pas directement à l’argument fondé sur la Charte du prestataire.

[144] Étant donné que l’argument était fondé sur la Charte, il s’agissait d’un argument important auquel la division générale devait répondre. La division générale aurait pu aborder directement l’argument ou expliquer pourquoi elle ne l’abordait pas.

[145] Comme la division générale a commis une erreur de droit, je peux intervenir dans la décisionNote de bas de page 55.

[146] Avant d’intervenir, j’aborderai l’argument secondaire du prestataire selon lequel le critère de la common law en matière d’inconduite devrait être révisé pour exiger expressément que les décideurs examinent si les droits d’un prestataire garantis par la Charte sont exercés dans un ensemble donné de circonstances.

[147] Je ne vois aucune preuve que le prestataire a soulevé cet argument en particulier devant la division générale.

[148] La division d’appel est à la recherche d’erreurs que la division générale aurait pu commettre, compte tenu de la preuve dont elle dispose et des arguments qui lui ont été présentés. Ce n’est pas une tribune pour plaider la cause à nouveau, sous un angle différent, dans l’espoir d’une issue différente. Par conséquent, la division générale ne peut avoir commis une erreur de droit en omettant de tenir compte d’un argument qui ne lui a pas été présenté.

[149] Malgré cela, il ne s’agissait pas d’une erreur de ne pas tenir compte des valeurs de la Charte dans le cadre du critère de la common law en matière d’inconduite. La Cour fédérale a décidé récemment que le critère de la common law en matière d’inconduite est très limitatif et que les questions concernant les droits et libertés fondamentaux en vertu de la Charte et le fondement factuel de l’imposition d’exigences en matière de vaccination, de masque ou de couvre-visage sont correctement avancées dans d’autres forumsNote de bas de page 56.

Réparation

[150] Pour corriger l’erreur de la division générale, je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 57.

[151] Les parties ne s’entendent pas sur la réparation.

[152] La Commission demande que cette affaire soit renvoyée à la division générale. La Commission soutient que la division d’appel ne peut tenir compte de l’argument fondé sur la Charte du prestataire, car ce dernier doit d’abord suivre le processus de la Charte du Tribunal, qui exige une première étape consistant à déposer un avis relatif à la Charte en vertu de l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS.

[153] La Commission soutient également qu’elle n’a pas eu l’occasion de fournir des éléments de preuve ou des observations sur cette question, de sorte que le dossier n’est pas complet.

[154] Le prestataire soutient que, comme il ne conteste pas la « validité constitutionnelle, l’applicabilité ou l’exploitabilité d’une disposition de la Loi », il n’est pas tenu de déposer un avis relatif à la Charte en vertu de l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS.

[155] Il affirme que la Commission ne subit aucun préjudice si la division d’appel devait examiner l’analyse de l’affaire Doré parce que le prestataire a soulevé cet argument devant la division générale et que la Commission aurait pu fournir des éléments de preuve et des observations à ce moment‑là. Il soutient que le dossier est complet. Il souligne également que les deux parties ont présenté des observations à la division d’appel au sujet de l’argument du prestataire fondé sur la Charte.

[156] J’admets que le prestataire ne conteste pas la constitutionnalité de la loi. Toutefois, la Cour suprême du Canada a souligné que ce type d’analyse, qui porte sur l’équilibre entre les protections prévues par la Charte et les objectifs prévus par la loi, constitue un exercice hautement contextuelNote de bas de page 58.

[157] Comme la division générale n’a pas tenu compte de cet argument, aucune conclusion de fait particulière n’a été tirée à cet égard.

[158] Bien que le prestataire ait soulevé cet argument devant la division générale, il n’était pas tout à fait clair. De plus, il s’agit d’un nouvel argument dans le contexte de l’assurance‑emploi. Il n’est pas surprenant que la Commission anticipe le dépôt d’un avis en vertu de l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS pour qu’un tel argument se poursuive. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la Commission ait eu l’occasion de présenter des éléments de preuve ou des observations qu’elle aurait pu vouloir présenter à la division générale au sujet de l’argument du prestataire fondé sur la Charte. Je conclus que la Commission pourrait subir un préjudice si je devais tenir compte maintenant de cette analyse fondée sur la Charte dans le dossier existant. La division d’appel ne peut accepter de nouveaux éléments de preuve pour régler ce problèmeNote de bas de page 59.

[159] Outre la question de savoir si un avis est requis en vertu de l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS, si l’analyse de l’arrêt Doré s’applique à la question de l’inconduite, l’affaire devra être renvoyée à la division générale pour réexamenNote de bas de page 60.

[160] Toutefois, il ne sert à rien de renvoyer cette affaire à la division générale pour réexamen si l’analyse de l’arrêt Doré ne s’applique pas.

[161] Dans l’arrêt Doré, la Cour a fait référence à maintes reprises à cette analyse qui s’applique dans le contexte d’un exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la loiNote de bas de page 61. Comme l’a dit la Cour d’appel fédérale, « [u]ne lecture attentive de l’arrêt Doré révèle que l’obligation pour un décideur administratif d’appliquer les valeurs consacrées par la Charte ne prend naissance que dans l’hypothèse où il exerce un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi […] »Note de bas de page 62.

[162] En d’autres termes, on peut se demander, à titre préliminaire, si une décision concernant une inconduite constitue un exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la loi. Si ce n’est pas le cas, l’analyse de l’arrêt Doré ne s’applique pas.

[163] En vertu de l’article 59(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, je possède le pouvoir d’envisager deux recours possibles. J’ai donc décidé de substituer ma décision en partie en ce qui concerne une question préliminaire, puis de renvoyer l’affaire à la division générale au besoin.

[164] Je vais trancher la question préliminaire de savoir si la question de l’inconduite constitue un exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la loi auquel s’applique l’analyse de l’arrêt Doré. Je pense qu’il est juste pour les parties que je tranche cette question. Il s’agit d’une pure question de droit, et les parties ont eu l’occasion de présenter des arguments sur cette question devant moi. Pour statuer sur cette question, il n’est pas nécessaire de déposer des éléments de preuve. Le dossier est donc complet à cet égard.

[165] Si je décide que l’analyse de l’arrêt Doré s’applique à la question de l’inconduite, l’affaire devra être renvoyée à la division générale pour réexamen et l’article 59(1) de la Loi sur le MEDS me donne le pouvoir de le faire.

L’analyse de l’arrêt Doré ne s’applique pas à une décision concernant une inconduite

La position du prestataire

[166] Le prestataire soutient que la division générale exerce un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi lorsqu’elle décide si la conduite d’un prestataire équivaut à de l’inconduite.

[167] Le prestataire s’appuie sur l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dans lequel la juge L’Heureux-Dubé a commenté pour la majorité la notion de « pouvoir discrétionnaire » comme suit :Note de bas de page 63

« La notion de pouvoir discrétionnaire s’applique dans les cas où le droit ne dicte pas une décision précise, ou quand le décideur se trouve devant un choix d’options à l’intérieur de limites imposées par la loi. »

[168] Le prestataire soutient que la Cour fédérale a renvoyé à cette définition en l’approuvant dans la décision Goodrich Transport Ltd. c Vancouver Fraser Port AuthorityNote de bas de page 64. Il a également été renvoyé à cette définition avec approbation de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Strom c Saskatchewan Registered Nurses AssociationNote de bas de page 65.

[169] Le prestataire soutient, à la suite de l’arrêt Baker, que la question de l’inconduite suppose clairement l’exercice du pouvoir discrétionnaire, en ce sens que les membres du Tribunal sont appelés à prendre des décisions et « se trouve(nt) devant un choix d’options à l’intérieur de limites imposées par la loi ».

[170] Le prestataire soutient en outre que le Tribunal a reconnu que l’analyse de l’arrêt Doré s’appliquait dans certaines de ses décisions.

[171] Dans la décision PC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, cette analyse a été appliquée pour déterminer si un prestataire satisfaisait aux exigences législatives relatives à une pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 66.

[172] Dans la décision JL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, il s’agissait de savoir si un prestataire était « disponible pour travailler » au sens de l’art 18 de la Loi. Le membre souligne que l’une des questions est de savoir si la Commission a respecté les valeurs de la Charte conformément aux principes établis dans l’arrêt Doré c Barreau du Québec. Il n’a pas été statué sur cette question, car l’affaire a été tranchée pour d’autres motifsNote de bas de page 67.

[173] De plus, dans la décision MD c Ministre de l’Emploi et du Développement social, le participant, qui renvoie à l’arrêt Doré, a accordé la permission d’en appeler de la question de savoir si une décision concernant l’admissibilité d’un prestataire aux prestations du régime de pensions du Canada violait les droits garantis par la Charte de l’appelant. Note de bas de page 68Cette affaire a été renvoyée à la division générale et réglée sans mention de l’application des valeurs de la Charte, conformément à l’arrêt Doré.

[174] Le prestataire soutient que la question de savoir si un prestataire a droit à une pension et si un prestataire était « disponible pour travailler » sont des questions précises qui, comme la question de savoir si un prestataire a commis une « inconduite », exigent que le Tribunal évalue la preuve présentée par les parties et applique cette preuve à un ensemble de principes pour finalement en arriver à une décision. Le prestataire souligne que dans de nombreux cas, la décision finale du Tribunal équivaut à un « oui » ou à un « non ». Toutefois, cela ne signifie pas que le Tribunal n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire en cours de route pour en arriver à la réponse qu’il juge appropriée.

[175] Le prestataire soutient que le Tribunal doit tenir compte de la situation complète du prestataire et accorder du poids à cette situation lors d’une analyse de l’« inconduite ». Il soutient donc que cette décision suppose clairement l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire important.

La position de la Commission

[176] La Commission fait valoir que le cadre de l’arrêt Doré ne s’applique pas à une décision concernant une inconduite. La Commission soutient que ses décisions initiales et de réexamen rejetant des prestations ne sont pas des décisions discrétionnaires, pas plus que la décision de la division générale.

[177] La Commission fait valoir que la conclusion d’inconduite est un résultat précis dicté par le critère de la common law et le libellé de la Loi. Soit il y a inconduite, soit il n’y en a pas. Le décideur n’a pas le pouvoir discrétionnaire de choisir parmi une gamme de résultats. Lorsqu’une inconduite est constatée, le décideur ne peut accorder des prestations d’assurance‑emploi malgré la présence d’une inconduite.

[178] La Commission renvoie au libellé de l’article 30(1) de la Loi qui prévoit ce qui suit : « Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification […] »

[179] La Commission souligne que l’article 30 n’a pas de libellé permissif qui accorde le pouvoir discrétionnaire de déterminer l’inconduite.

[180] Comme le souligne la Commission, cela fait contraste avec d’autres articles de la Loi dans lesquels le législateur a explicitement accordé un pouvoir discrétionnaire. Par exemple, l’article 52 de la Loi confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de réexaminer des décisions antérieures en utilisant l’expression « peut » examiner de nouveau.

[181] La Commission affirme que la plupart des autres décisions prises en vertu de la Loi ne sont pas discrétionnaires et constituent une application de critères législatifs clairs aux faits.

[182] Plus particulièrement, la Commission soutient que les critères d’admissibilité ne sont pas discrétionnaires. La Commission renvoie à l’article 7 de la Loi qui prévoit que si une personne n’a pas d’arrêt de rémunération et qu’elle n’a pas accumulé suffisamment d’heures assurables admissibles, elle ne peut pas recevoir de prestations.

[183] La Commission maintient qu’il n’existe pas de pouvoir discrétionnaire d’accorder des prestations si les critères d’admissibilité n’ont pas été respectés. De même, si une inconduite est constatée, la personne est exclue. Le décideur n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’accorder des prestations malgré l’existence d’une inconduite.

[184] La Commission a ajouté que la Loi est un régime d’assurance sociale contributif dont le but est d’offrir une protection aux « travailleurs qui perdent leur emploi involontairement, non ceux qui se trouvent sans emploi de par leur faute »Note de bas de page 69.

[185] La Commission explique que s’il existait un pouvoir discrétionnaire de choisir parmi une gamme de résultats lorsqu’on applique les critères d’admissibilité prévus par la loi, les personnes qui ne satisfont pas aux exigences d’admissibilité recevraient des prestations, ce qui est contraire à l’objet de la Loi.

[186] Cela signifierait également, dans le contexte de la législation conférant des prestations, des décisions incohérentes au sujet de l’admissibilité. Pour cette raison, la Commission soutient que les décisions sont prises en appliquant des exigences législatives claires pour déterminer l’admissibilité aux prestations.

[187] La Commission fait valoir que l’arrêt Baker n’appuie pas la proposition selon laquelle toutes les décisions administratives sont discrétionnaires.

[188] La Commission souligne que la décision examinée dans l’affaire Baker était une décision discrétionnaire en vertu de l’article 114(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Cette disposition prévoyait :

114(2) Le ministre peut révoquer le sursis s’il estime, après examen, sur la base de l’alinéa 113d) et conformément aux règlements, des motifs qui l’ont justifié, que les circonstances l’ayant amené ont changé. [soulignement ajouté]

[189] La Commission note que l’inclusion des mots « s’il estime » et que « le ministre peut […] après examen » indique que le législateur a l’intention d’accorder au ministre de l’Immigration un pouvoir discrétionnaire d’annuler une mesure de renvoi ou d’y surseoir.

[190] La Commission soutient que l’article 30 de la Loi ne confère pas le pouvoir discrétionnaire d’annuler une conclusion d’inconduite ou de surseoir à celle-ci. En cas d’inconduite, le prestataire est exclu. La division générale ne possède pas le pouvoir de se soustraire à la Loi ou de l’interpréter contrairement à son sens ordinaire.

[191] La Commission soutient que le Tribunal ne doit pas chercher plus loin que le libellé de la loi pour déterminer si une décision au sujet d’une inconduite est une décision discrétionnaire.

[192] La Commission soutient qu’aucun des arrêts de la Cour suprême du Canada dans lesquels l’analyse de l’arrêt Doré a été appliquée ne concernait l’admissibilité aux prestations.

[193] Par exemple, l’arrêt Ktunaxa Nation c Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations)(Ktunaxa Nation)portait sur une décision discrétionnaire d’autoriser la construction d’un centre de villégiature sur un territoire visé par un traité. De nombreux intervenants présentaient une myriade de résultats possibles, contrairement à la question de l’inconduite qui ne peut avoir qu’un seulrésultatNote de bas de page 70.

[194] L’arrêt Law Society of British Columbia c Trinity Western University (Trinity Western)concernait également une décision discrétionnaireNote de bas de page 71. La décision a été prise par les conseillers du Barreau de la Colombie‑Britannique à la suite d’un référendum visant à déclarer que le projet de faculté de droit de Trinity Western n’était pas une faculté approuvée.

[195] La Commission souligne que la décision découle d’un vaste pouvoir discrétionnaire accordé au Barreau de la Colombie-Britannique pour réglementer la profession. Il ne s’agissait pas simplement d’appliquer les critères prévus par la loi pour déterminer l’admissibilité aux prestations.

[196] La Commission soutient que, dans tous ces cas, la décision en cause était une décision discrétionnaire générale, et non simplement l’application de critères prévus par la loi pour déterminer l’admissibilité. 

[197] La Commission soutient en outre qu’aucune des décisions du Tribunal auxquelles le prestataire renvoie n’appuie la position selon laquelle une décision concernant une inconduite nécessite un exercice légal du pouvoir discrétionnaire.

[198] La décision accordant la permission d’en appeler dans l’affaire MD c Ministre de l’Emploi et du Développement social n’est pas utile, car la permission a été accordée uniquement au motif qu’il était possible de soutenir que la personne pouvait invoquer les valeurs de la Charte.Note de bas de page 72 De même, dans la décision JL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, le cadre de l’arrêt Doré n’a pas été appliqué, mais il a seulement été mentionné comme « un argument intéressant »Note de bas de page 73.

[199] De plus, la Commission affirme que la décision PC c Ministre de l’Emploi et du Développement social peut être distinguée compte tenu du type de décision priseNote de bas de page 74. La question en litige dans cette affaire était une disposition de la loi sur la sécurité de la vieillesse qui prévoyait que « s’il y a des raisons suffisantes de croire qu’un acte de naissance ne peut être obtenu, le ministre établit l’âge et l’identité du demandeur sur le fondement de toute autre preuve ou tout autre renseignement relatifs à l’âge et à l’identité de celui-ci. »

[200] La Commission soutient qu’il existe une approche souple en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour renoncer à l’exigence que l’âge et l’identité soient vérifiés uniquement au moyen d’un certificat de naissance. Ce n’est pas la même chose qu’une décision d’inconduite en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi) qui n’offre aucune souplesse.

Mes conclusions

[201] Je conclus qu’une décision concernant une inconduite en vertu de l’article 30 de la Loi n’est pas un exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la loi. Par conséquent, l’analyse de l’arrêt Doré ne s’applique pas.

[202] Dans l’arrêt Baker, la Cour a souligné que la notion de pouvoir discrétionnaire s’applique dans les cas où le droit ne dicte pas une décision précise, ou quand le décideur se trouve devant un choix d’options à l’intérieur de limites imposées par la loiNote de bas de page 75.

[203] Toutefois, il importe de tenir compte de ce commentaire dans son contexte. Dans cette affaire, la Cour examinait quelle devrait être la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions discrétionnaires. La Cour a fait remarquer que la norme de contrôle s’appliquait à tout le spectre, certaines décisions ayant droit à plus de déférence et d’autres moins.

[204] La Cour a souligné qu’il existe une distinction entre les décisions discrétionnaires et celles qui concernent l’interprétation des règles de droit. La Cour a fait remarquer qu’il n’est pas facile d’établir une distinction entre l’interprétation et l’exercice du pouvoir discrétionnaire, car l’interprétation des règles juridiques comporte un pouvoir discrétionnaire considérable pour clarifier, combler les lacunes législatives et faire des choix parmi les diverses options.

[205] La Cour a décidé que la norme de contrôle devrait tenir compte de l’expertise du tribunal, de la nature de la décision rendue et du libellé de la disposition et de la loi qui l’entourent. La Cour a souligné que des facteurs comme la question de savoir si une décision est « polycentrique » et l’intention révélée par le libellé législatif devraient également être pris en compte. La Cour a également déclaré que l’ampleur du choix laissé par le législateur au décideur administratif et la nature de la décision prise sont également des considérations importantes dans l’analyseNote de bas de page 76.

[206] La Cour a affirmé que même si les décisions discrétionnaires seront généralement très respectées, le pouvoir discrétionnaire devait être exercé conformément, entre autres, aux principes de la Charte.

[207] Compte tenu des faits de cette affaire, la Cour a décidé que la déférence devrait être accordée aux agents d’immigration qui exercent les pouvoirs conférés par la loi, au vu de la nature particulière de l’enquête, de son rôle dans le régime législatif à titre d’exception, du fait que le décideur est le ministre et du pouvoir discrétionnaire considérable dont le libellé législatif témoigne.

[208] L’arrêt Baker précède l’arrêt Doré et ne traite donc pas de l’analyse de l’arrêt Doré. Cependant, il donne une indication des facteurs pertinents pour décider si une décision a plus de caractéristiques d’une décision discrétionnaire que d’autres. Je vais donc examiner ces facteurs.

[209] Le premier facteur à prendre en considération est de savoir si le Tribunal possède une expertise spécialisée. Dans une certaine mesure, le Tribunal possède une expertise particulière. Les décisions prises par la Commission au sujet des questions d’assurance‑emploi sont toutes soumises à la division générale lorsqu’un appel est interjeté. Toutefois, le décideur n’utilise pas d’expertise particulière pour prendre une décision concernant une inconduite. La décision consiste à appliquer aux faits un critère établi par la common lawNote de bas de page 77.

[210] Deuxièmement, le texte de la disposition ne laisse pas entendre qu’une décision concernant une inconduite est une décision discrétionnaire.

[211] L’article 30(1) prévoit ce qui suit :

« Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification […] »

[212] Le texte n’est pas ambigu. Il est clair et simple que l’exclusion se produit si un prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Ce n’est pas un libellé permissif.

[213] Cela fait contraste avec d’autres dispositions de la Loi dans lesquelles le législateur a expressément indiqué son intention d’accorder un pouvoir discrétionnaire.

[214] Par exemple, le mot « peut » est utilisé à l’article 52 de la Loi, ce qui suggère un pouvoir discrétionnaire d’examiner de nouveau une demande. De plus, en vertu de l’article 112(1), la Commission possède le pouvoir discrétionnaire d’effectuer une révision si elle est en retard, dans « le délai supplémentaire que la Commission peut accorder ».

[215] L’absence de libellé permissif à l’article 30(1) de la Loi par rapport aux autres dispositions de la Loi m’indique que le législateur n’avait pas l’intention d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 30(1) de la Loi.

[216] De plus, la nature de la décision elle-même ne suggère pas de pouvoir discrétionnaire. Ce n’est pas une décision polycentrique. Une décision au sujet de l’inconduite est strictement une décision visant à déterminer si un prestataire sera exclu du bénéfice des prestations ou non. Le résultat est dicté par le critère de la common law appliqué aux faits.

[217] L’article 7 de la Loi indique clairement que les critères d’admissibilité aux prestations d’assurance‑emploi sont obligatoires.

[218] Une décision discrétionnaire au sujet de l’exclusion serait incompatible avec la notion selon laquelle les prestataires doivent satisfaire aux exigences obligatoires pour être admissibles.

[219] De plus, s’il y avait un pouvoir discrétionnaire de verser des prestations, malgré une conclusion d’inconduite, cela pourrait faire en sorte que des personnes ne satisfont pas aux exigences d’admissibilité reçoivent des prestations, ce qui est contraire à l’objet de la Loi.

[220] Comme l’a déclaré la Commission, la Loi est « un régime d’assurance sociale contributif visant à fournir une protection aux travailleurs qui perdent leur emploi involontairement, et non à ceux qui se retrouvent sans emploi de leur propre faute »Note de bas de page 78.

[221] Ces facteurs indiquent tous qu’une décision concernant l’inconduite n’est pas un exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la loi.

[222] Aucune des décisions judiciaires sur lesquelles le prestataire s’appuie ne porte sur une décision comme une inconduite qui consiste à appliquer aux faits un critère juridique établi. Chacun de ces cas comportait plutôt un vaste pouvoir discrétionnaire, ce qui était évident soit par le libellé de la loi appliquée, soit par la nature de la décision prise.

[223] Aucune des décisions du Tribunal auxquelles le prestataire a renvoyé ne me lie. L’analyse de l’arrêt Doré a été commentée, mais elle n’a pas été appliquée dans les décisions JL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada ou MD c Ministre de l’Emploi et du Développement social Note de bas de page 79. Ces deux décisions ne sont donc d’aucune utilité.

[224] L’analyse de l’arrêt Doré a été appliquée dans la décision PC c Ministre de l’Emploi et du Développement social Note de bas de page 80. Toutefois, le libellé prévu par la loi comportait un certain pouvoir discrétionnaire quant à l’établissement de l’âge. Je tiens également à souligner que dans la présente décision, il n’a pas été tenu compte de la question de savoir si la décision à l’étude constituait un exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la loi. La décision ne me convainc donc pas.

[225] Une décision concernant une inconduite consiste à soupeser la preuve, à tirer des conclusions de fait et à appliquer aux faits le critère décrit par la Cour d’appel fédérale. Il ne s’agit pas d’une décision discrétionnaire simplement parce qu’un membre pourrait apprécier la preuve différemment d’un autre. C’est la nature de toutes les décisions juridiques qui exigent des conclusions de fait.

[226] Le prestataire n’a pas prouvé qu’une décision concernant une inconduite suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi auquel s’applique l’analyse de l’arrêt Doré.

[227] Compte tenu de ma conclusion sur cette question préliminaire, il n’est pas nécessaire que cette affaire soit renvoyée à la division générale pour réexamen. L’analyse de l’arrêt Doré ne s’applique pas.

[228] Comme mentionné précédemment, la division générale n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle. Il n’y a donc aucune raison de modifier la conclusion d’inconduite de la division générale.

Conclusion

[229] L’appel est rejeté. La division générale a commis une erreur de droit en n’ayant pas fourni de motifs suffisants au sujet d’un argument soulevé par le prestataire.

[230] Toutefois, cette erreur n’a aucune incidence sur le résultat.

[231] Le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. 

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