Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : AK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1648

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. K.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (492711) datée du 12 juillet 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 10 novembre 2022
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Personne de soutien (K. T.)
Date de la décision : Le 9 décembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2635

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté sur les deux questions en litige.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension).

[3] Le prestataire n’a pas démontré qu’il était disponible pour travailler à compter du 1er février 2022. Par conséquent, il ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[4] Le prestataire a été suspendu de son emploiNote de bas de page 1. L’employeur du prestataire affirme que celui-ci a été suspendu parce qu’il a enfreint sa politique de vaccination : il n’a pas fourni de preuve de vaccination.

[5] Même si le prestataire ne conteste pas ce qui s’est passé, il affirme que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite.

[6] La Commission a accepté la raison de la suspension fournie par l’employeur. Elle a décidé que le prestataire avait été suspendu en raison d’une inconduiteNote de bas de page 2. Elle a également décidé que le prestataire n’était pas disponible pour travailler. Pour ces raisons, la Commission a décidé que le prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[7] Le prestataire n’est pas d’accord. Il affirme qu’il cherchait activement du travail, mais qu’il travaille dans un domaine spécialisé où les possibilités d’emploi sont rares. De plus, les employeurs étaient réticents à lui donner un emploi puisqu’il aurait pu être rappelé à son emploi à tout moment.

Question que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas une partie à l’appel

[8] Le Tribunal a décidé que l’ancien employeur du prestataire était une partie mise en cause potentielle dans l’appel du prestataire. Le Tribunal a envoyé une lettre à l’employeur pour lui demander s’il avait un intérêt direct dans l’appel et s’il voulait être ajouté en tant que partie. En date de la présente décision, l’employeur n’a toujours pas répondu. Comme rien dans le dossier n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme partie au présent appel.

Question en litige

[9] Le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

[10] Le prestataire était-il disponible pour travailler?

Analyse

[11] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique lorsque l’employeur congédie ou suspend la personneNote de bas de page 3.

[12] Pour décider si le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison le prestataire a été suspendu. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il été suspendu?

[13] Les deux parties conviennent que le prestataire a été suspendu de son emploi parce qu’il a enfreint la politique de vaccination de l’employeur en ne fournissant pas de preuve de vaccination. Je ne vois aucune preuve contredisant cela, alors je l’accepte comme un fait.

La raison de sa suspension est-elle une inconduite selon la loi?

[14] Selon la loi, la raison de la suspension du prestataire est une inconduite.

[15] La Loi sur lassurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment décider si le congédiement du prestataire constitue une inconduite au sens de la loi. Elle établit le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les facteurs à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[16] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 5. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupableNote de bas de page 6 (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal).

[17] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 7.

[18] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 8.

[19] J’ai seulement le pouvoir de trancher les questions relevant de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si le prestataire a d’autres options en vertu d’autres lois. Il ne m’appartient pas de décider si le prestataire a été congédié à tort ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables (mesures d’adaptation) pour le prestataireNote de bas de page 9. Je ne peux examiner qu’une seule chose : si ce que le prestataire a fait ou omis de faire est une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[20] La Cour d’appel fédérale a rendu une décision dans l’affaire Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 10. Monsieur McNamara a été congédié dans le cadre de la politique de dépistage des drogues de son employeur. Il a fait valoir qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances, notamment parce qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire qu’il était incapable de travailler de façon sécuritaire en raison d’une consommation de drogues, et qu’il aurait dû être couvert par le dernier test qu’il avait passé. Essentiellement, Monsieur McNamara a soutenu qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que les mesures prises par son employeur concernant son congédiement n’étaient pas justifiées.  

[21] En réponse aux arguments de monsieur McNamara, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’elle a toujours dit que la question qui se pose dans les cas d’inconduite n’est pas de savoir « si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt, il [lui] appartient de dire si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la [Loi sur l’assurance-emploi]. » La Cour a ajouté dans l’interprétation et l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a souligné qu’il existe d’autres recours pour les personnes qui ont été congédiées à tort, « d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance‑emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[22] L’affaire Paradis c Canada (Procureur général)Note de bas de page 11est une décision plus récente qui fait suite à l’affaire McNamara. Comme monsieur McNamara, monsieur Paradis a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage. Monsieur Paradis a fait valoir qu’il avait été congédié à tort, que les résultats du test montraient qu’il n’avait pas de facultés affaiblies au travail et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et aux lois provinciales sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est appuyée sur l’affaire McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent lorsqu’il s’agit de décider d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[23] La décision Mishibinijima c Canada (Procureur général)Note de bas de page 13est une autre affaire semblable de la Cour d’appel fédérale. Monsieur Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool. Il a fait valoir que, comme la dépendance à l’alcool a été reconnue comme une invalidité, son employeur était tenu de lui fournir des mesures d’adaptation. La Cour a répété que l’accent est mis sur ce que l’employé a fait ou n’a pas fait, et que le fait que l’employeur n’ait pas pris de mesures d’adaptation pour son employé n’est pas un facteur pertinentNote de bas de page 14.

[24] Ces affaires ne concernent pas les politiques de vaccination contre la COVID-19. Cependant, les principes énoncés dans ces affaires sont quand même pertinents. Mon rôle n’est pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur et de décider s’il a eu raison de congédier le prestataire. Je dois plutôt me concentrer sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait, et si cela équivaut à une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi

[25] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination;
  • l’employeur a clairement avisé le prestataire de ses attentes concernant la présentation d’une preuve de vaccination;
  • l’employeur a envoyé des lettres au prestataire à plusieurs reprises pour lui communiquer ses attentes;
  • le prestataire savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait s’il ne respectait pas la politique.

[26] Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • la politique de vaccination de l’employeur était contraire à la loi, violait ses droits de la personne et violait sa convention collective;
  • il avait des questions sur le caractère sécuritaire du vaccin et sur la décision de l’employeur de mettre en œuvre la politique, mais l’employeur ne voulait pas lui donner de réponses;
  • il n’avait pas pensé qu’il pourrait être suspendu s’il ne respectait pas la politique.

[27] Selon la politique de vaccination de l’employeur, le personnel devait être entièrement vacciné contre la COVID-19 et présenter une preuve de vaccination. La date limite pour se faire vacciner était le 31 octobre 2021, mais elle a été reportée au 31 janvier 2022.

[28] Le prestataire a dit avoir été avisé de la politique en août 2021. Il a informé son syndicat de ses objections à la politique, mais le représentant syndical lui a dit qu’il pouvait choisir de se faire vacciner ou non. Mais s’il ne se faisait pas vacciner, il serait placé en congé sans solde (suspension). 

[29] En octobre 2021, le prestataire a envoyé un courriel à l’employeur pour lui poser des questions sur la politique et les vaccins contre la COVID-19. L’employeur a répondu que l’ensemble du personnel devait être entièrement vacciné avant la date limiteNote de bas de page 15.

[30] La première date limite est passée et rien ne s’est passé. Cela a fait croire au prestataire que la politique ne serait pas appliquée. Puis, l’employeur a envoyé une lettre en décembre 2021 indiquant que la nouvelle date limite pour la vaccination était le 31 janvier 2022Note de bas de page 16.

[31] Le prestataire a dit qu’il espérait que cette date limite passerait sans que rien ne se passe, encore une fois, mais il y avait des rumeurs selon lesquelles cette fois-ci, ce serait différent et que les gens seraient mis en congé. Il n’en était pas certain; il pensait que c’était juste une tactique d’intimidation pour inciter les gens à se faire vacciner.

[32] Le 31 janvier 2022, l’employeur a envoyé une lettre au prestataire pour l’aviser qu’il était mis en congé sans solde à compter du 1er février 2022 parce qu’il ne s’était pas conformé à sa politique de vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 17.

[33] Le prestataire a fait valoir qu’il n’avait pas refusé de se faire vacciner. Toutefois, il devait fournir une preuve de vaccination pour se conformer à la politique. Le fait qu’il n’a pas fourni de preuve de vaccination signifie qu’il est allé à l’encontre de l’exigence de la politique. Si le prestataire avait eu l’intention de se conformer à la politique, il aurait pu en informer son employeur et demander une prolongation du délai pour le faire.

[34] Le prestataire savait ce qu’il devait faire pour se conformer à la politique de vaccination et ce qui arriverait s’il ne s’y conformait pas. L’employeur a informé le prestataire des exigences et des conséquences de ne pas les respecter.

[35] Le prestataire a fait valoir que la politique de l’employeur a modifié unilatéralement ses conditions d’emploi, ce qui constitue une violation de sa convention collective.

[36] L’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques en milieu de travail. Lorsque l’employeur a mis en place cette politique comme exigence pour l’ensemble du personnel, cette politique est devenue une condition expresse de l’emploi du prestataireNote de bas de page 18.

[37] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le Tribunal n’a pas à décider si la politique d’un employeur était raisonnable ou si le congédiement d’une partie prestataire était justifié. Le Tribunal doit décider si la conduite de la partie prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 19.

[38] Je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur a enfreint la convention collective du prestataire en mettant en œuvre la politique de vaccination ou en suspendant le prestataire de son emploi. Si le prestataire croyait que la politique de l’employeur violait sa convention collective, il est plus approprié de déposer un grief par l’entremise de son syndicat pour répondre à cette allégation.

[39] Le prestataire a également déclaré que la politique de l’employeur allait à l’encontre de la loi et de ses droits de la personne.

[40] Au Canada, il existe un certain nombre de lois qui protègent les droits d’une personne, comme le droit à la vie privée ou le droit à l’égalité (non-discrimination). La Charte canadienne des droits et libertés (Charte) est l’une de ces lois. Il y a aussi la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne, et un certain nombre de lois provinciales qui protègent les droits et libertés.

[41] Ces lois sont appliquées par différentes cours et différents tribunaux. 

[42] Le Tribunal peut décider si une disposition de la Loi sur l’assurance-emploi ou de son règlement (ou d’une loi connexe) porte atteinte aux droits garantis aux prestataires par la Charte. 

[43] Toutefois, le Tribunal n’est pas autorisé à examiner si une mesure prise par un employeur viole les droits fondamentaux garantis aux prestataires par la Charte. Cela dépasse ma compétence. Le Tribunal n’est pas non plus autorisé à rendre des décisions fondées sur la Déclaration canadienne des droits, sur la Loi canadienne sur les droits de la personne ou sur toute autre loi provinciale qui protège les droits et libertés.

[44] Le prestataire peut avoir d’autres recours pour faire valoir ses allégations selon lesquelles la politique de l’employeur a porté atteinte à ses droits. Cependant, ces questions doivent être traitées par la cour ou le tribunal approprié. Il n’est pas de mon ressort d’en décider.

[45] Le prestataire a également fait valoir qu’il avait besoin que l’employeur lui donne son [traduction] « consentement éclairé » en répondant à ses questions sur le vaccin avant de pouvoir décider s’il devait se conformer à la politique.

[46] Le prestataire a déclaré que l’employeur avait répondu à ses questions au sujet du vaccin en le dirigeant vers les sites Web gouvernementaux qui fournissaient de l’information sur le vaccin. Cependant, il voulait que l’employeur réponde lui-même à ses questions.

[47] Le prestataire n’a pas démontré pourquoi l’employeur devait répondre à ses questions sur le caractère sécuritaire et l’efficacité du vaccin avant de pouvoir choisir de se faire vacciner ou non. Rien ne laisse croire que son employeur aurait été la meilleure source d’information à ce sujet. Il semble également raisonnable que l’employeur l’oriente plutôt vers des ressources où il pourrait trouver les renseignements qu’il a demandés.

[48] En fin de compte, le prestataire a fait le choix de suivre la politique de l’employeur en se faisant vacciner et en fournissant une preuve de vaccination. Mais il n’a pas fait ces démarches avant la date limite. Il est donc allé à l’encontre de la politique de vaccination de l’employeur.

[49] La personne de soutien du prestataire a présenté plusieurs décisions qui, selon lui, étaient pertinentes pour l’appel du prestataire. Même si la présentation d’observations au nom d’une partie n’est pas le rôle d’une personne de soutien, j’ai examiné ces décisions ainsi que leur pertinence dans l’affaire du prestataire.

[50] Premièrement, la personne de soutien a présenté la décision TC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 891. Dans cet appel, le prestataire, T. C., a été mis en congé de son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination au travail, et la Commission a décidé qu’il avait été suspendu en raison de son inconduite.

[51] Fait important dans cette affaire, l’employeur avait avisé T. C. verbalement de la politique de vaccination deux jours avant la date limite pour se faire vacciner. T. C. n’avait pas vu de copie de la politique et ne savait pas quelles étaient les conséquences du non-respect de la politique. Il n’avait pas non plus eu l’occasion de demander une exemption à la politique. Deux jours plus tard, l’employeur l’a mis en congé. La membre du Tribunal a jugé que l’employeur avait le droit d’élaborer et d’imposer des politiques en milieu de travail, mais que le personnel devrait avoir la possibilité de comprendre la politique, de l’examiner, de savoir ce qui est exigé et de poser des questions. De plus, le personnel devait disposer d’un délai suffisant pour s’y conformer.

[52] L’appel du prestataire et celui de T. C. portent sur la même question de droit : ont-ils été suspendus de leur emploi en raison d’une inconduite? Cependant, les faits importants sont différents. Dans le cas du prestataire, il a été avisé de la politique de vaccination de l’employeur plusieurs mois avant la première date limite pour s’y conformer. Il a vu une copie de la politique et a eu la possibilité de demander une exemption, s’il le voulait. Il a également eu l’occasion de poser des questions sur la politique à son employeur et à son syndicat. Je comprends qu’il n’était pas satisfait des réponses qu’il a reçues, mais il a bel et bien eu cette possibilité. Il a également eu amplement le temps de se conformer à la politique en se faisant vacciner, s’il le souhaitait.

[53] En raison de ces différences, je juge que l’affaire T. C. n’est pas convaincante en ce qui concerne la question de savoir si le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. Les facteurs sur lesquels la membre du Tribunal dans l’affaire T. C. s’est fondée pour accueillir son appel ne sont pas présents dans la présente affaire.

[54] La personne de soutien a ensuite présenté la décision Re Thompson and Town of Oakville Re Ruelens and Town of Oakville, [1964] 1 OR 122 (en anglais seulement). Dans cet appel, un chef de police municipale a exigé que les membres de son service se soumettent à un examen médical auprès d’un médecin en particulier. Monsieur Thompson et monsieur Ruelens ont refusé cette directive et ont été congédiés pour avoir refusé d’obéir. Il est important de noter que les autres employés municipaux ont pu choisir leur propre médecin pour se soumettre à l’examen médical requis.

[55] La Haute Cour de justice de l’Ontario a estimé que, sans obligation légale ou contractuelle de le faire, le chef de la police n’avait pas le droit d’exiger que les membres du corps policier se soumettent à un examen médical par un médecin en particulier. La loi exigeait que les policiers soient examinés par un médecin au moment de leur nomination, mais cela ne s’appliquait pas à un membre existant de la police, et rien ne justifiait que le chef de la police nomme un médecin particulier pour procéder à l’examen. La Cour indique que les employés peuvent refuser d’obéir aux ordonnances de l’employeur s’il n’y a pas de fondement légal à l’ordonnance.

[56] Je juge que cette décision n’est pas convaincante pour plusieurs raisons. Premièrement, elle a été examinée par d’autres cours et tribunaux dans des affaires subséquentes, qui ont conclu que les employeurs peuvent exiger que les employés se soumettent à des examens médicaux dans certaines circonstances, même s’il n’y a pas d’obligation légale ou contractuelleNote de bas de page 20. Deuxièmement, il n’y a pas de lien suffisant entre les faits de cette affaire et la situation du prestataire. L’employeur du prestataire ne lui a pas ordonné de se soumettre à une procédure médicale. Il a pu choisir de se faire vacciner ou non. De plus, son choix de ne pas se faire vacciner avait des conséquences qui étaient énoncées dans la politique, ce dont le prestataire était au courant.

[57] Je reconnais que le prestataire espérait ne pas être suspendu après la date limite de vaccination du 31 janvier 2022. Toutefois, la conséquence du non-respect de la politique de l’employeur était clairement énoncée dans la politique elle-même et dans les communications que l’employeur lui a adressées. Cela m’indique qu’il aurait normalement pu prévoir qu’en allant à l’encontre de la politique, cela entraînerait probablement sa suspension.

[58] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination selon laquelle le personnel devait fournir une preuve de vaccination complète contre la COVID-19;
  • l’employeur a clairement avisé le prestataire de ses attentes envers le personnel en ce qui concerne la vaccination;
  • l’employeur a communiqué au prestataire ce à quoi il s’attendait;
  • le prestataire connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.

Alors, le prestataire a-t-il été suspendu en raison d’une inconduite?

[59] Selon mes conclusions précédentes, j’estime que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

[60] En effet, les actions du prestataire ont mené à sa suspension. Il a agi délibérément. Il savait que le fait de ne pas fournir de preuve de vaccination était susceptible d’entraîner sa suspension.

Le prestataire était-il disponible pour travailler?

[61] Deux articles de loi différents exigent que les prestataires démontrent leur disponibilité pour le travail. Toutefois, la Commission a décidé que le prestataire était inadmissible au titre d’un seul de ces articles.

[62] La Loi sur lassurance-emploi prévoit qu’une personne doit prouver qu’elle est « capable de travailler et disponible à cette fin », mais incapable de trouver un emploi convenableNote de bas de page 21. La jurisprudence énonce trois éléments que la partie prestataire doit prouver pour démontrer qu’elle est « disponible » en ce sensNote de bas de page 22. Je vais examiner ces éléments ci-dessous.

Capable de travailler et disponible pour le faire

[63] La jurisprudence établit trois éléments que je dois prendre en considération pour décider si le prestataire était capable de travailler et disponible pour le faire, mais incapable de trouver un emploi convenable. Le prestataire doit prouver les trois choses suivantesNote de bas de page 23 :

  • Il voulait retourner travailler aussitôt qu’un emploi convenable lui serait offert.
  • Il a fait des efforts pour trouver un emploi convenable.
  • Il n’a pas établi de conditions personnelles qui auraient pu limiter indûment (c’est-à-dire beaucoup trop) ses chances de retourner travailler.

[64] Lorsque j’examine chacun de ces éléments, je dois examiner l’attitude et la conduite du prestataireNote de bas de page 24.

Vouloir retourner travailler

[65] Le prestataire a démontré qu’il voulait retourner travailler aussitôt qu’un emploi convenable lui serait offert.

[66] Le prestataire occupait un emploi spécialisé dans un domaine technique. Son employeur a mis en place une politique de vaccination obligatoire et il a été suspendu de son emploi en raison de cette politique le 1er février 2022.

[67] Le prestataire a dit qu’il cherchait un autre emploi après sa suspension. Il s’est inscrit au Guichet-Emplois en ligne et a fait des recherches d’emploi dans son domaine. En raison de la nature spécialisée de son travail, il n’y a eu que trois offres d’emploi qui lui ont convenu pendant toute la durée de son congé. L’une était chez son ancien employeur, alors il n’a pas pu y postuler. Une autre offre était pour un employeur concurrent, mais cet employeur exigeait aussi que le personnel soit vacciné. Il a postulé pour le troisième emploi et a communiqué avec l’employeur. Cependant, lorsque l’employeur a appris qu’il attendait d’être rappelé à son emploi, il s’est désintéressé de sa candidature.

[68] J’estime que le prestataire voulait retourner au travail. Il cherchait activement du travail. Le fait qu’il ait postulé pour un emploi et communiqué avec l’employeur confirme également qu’il voulait travailler.

Faire des efforts pour trouver un emploi convenable

[69] Le prestataire a fait assez d’efforts pour trouver un emploi convenable.

[70] Les efforts du prestataire pour trouver un nouvel emploi comprenaient la recherche régulière d’offres d’emploi en ligne, la communication avec un employeur potentiel et la présentation d’une demande d’emploi.

[71] Étant donné le nombre limité d’emplois disponibles dans le domaine du prestataire, je pense que le prestataire a fait des efforts raisonnables et continus pour trouver du travail en cherchant des offres d’emploi et en postulant pour un emploi qui pourrait lui convenir. Ainsi, ses efforts pour trouver du travail ont démontré qu’il voulait retourner travailler dès qu’un emploi convenable lui serait offert.

Limiter indûment ses chances de retourner travailler

[72] Le prestataire a établi des conditions personnelles qui ont peut-être limité à tort ses chances de retourner travailler.

[73] La Commission a affirmé que le prestataire limitait trop ses chances de retourner travailler parce qu’il n’était pas disposé à accepter un autre emploi qui pourrait compromettre son retour chez son employeur actuel.

[74] Le prestataire a convenu qu’il n’était pas prêt à risquer son emploi actuel (dont il a été suspendu) en acceptant un emploi chez un concurrent. De plus, il a dit à un employeur que s’il obtenait l’emploi, il pourrait devoir le quitter sous peu s’il était rappelé à son travail.

[75] Le prestataire a déclaré que cela était tout à fait raisonnable, car il avait été un employé à long terme et qu’il était assujetti à une clause de non-concurrence qui l’empêchait d’accepter du travail chez un concurrent de l’employeur pendant deux ans.

[76] Le prestataire a également déclaré qu’il pouvait seulement postuler pour des emplois qui n’exigeaient pas que le personnel soit vacciné contre la COVID-19. Il a déclaré que cela l’a empêché de postuler à un emploi pendant sa suspension. Il a dit avoir trouvé un poste qui lui convenait, mais qu’il n’avait pas pu postuler parce que l’entreprise avait une politique exigeant que le personnel se fasse vacciner.

[77] Je comprends que le prestataire n’avait pas fait de choix quant à la vaccination. Il s’inquiétait du caractère sécuritaire et de l’efficacité du vaccin. Je reconnais que le prestataire avait de bonnes raisons personnelles de ne pas vouloir se faire vacciner contre la COVID-19 à ce moment-là. Cependant, peu importe les raisons du prestataire, son témoignage appuie le fait que l’incapacité d’accepter un emploi qui exigeait la vaccination contre la COVID-19 a sérieusement limité ses chances de retourner travailler.

[78] La Cour d’appel fédérale a donné des conseils dans les cas où les prestataires ont de bonnes raisons de ne pas pouvoir accepter un emploi :

La question de la disponibilité est une question objective, il s’agit de savoir si un prestataire est suffisamment disponible en vue d’un emploi convenable pour avoir droit aux prestations d’assurance-[emploi]. Elle ne peut être subordonnée aux raisons particulières, quelque compassion qu’elles puissent susciter, pour lesquelles un prestataire impose des restrictions à sa disponibilité. Car, si le contraire était vrai, la disponibilité serait une exigence très variable, tributaire qu’elle serait des raisons particulières qu’invoque l’intéressé pour expliquer son manque relatif de disponibilitéNote de bas de page 25.

[79] Le choix du prestataire de ne pas accepter un travail qui pourrait l’empêcher de retourner à son emploi et son incapacité à accepter un emploi auprès d’employeurs qui avaient une politique de vaccination étaient des obstacles qui ne lui permettaient pas de postuler et d’accepter des emplois convenables. Il s’agit de conditions personnelles qui limitaient indûment ses chances de retourner travailler.

Alors, le prestataire était-il capable de travailler et disponible pour le faire?

[80] Selon mes conclusions sur les trois éléments, j’estime que le prestataire n’a pas démontré qu’il était capable de travailler et disponible pour le faire, mais incapable de trouver un emploi convenable.

Conclusion

[81] La Commission a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, le prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[82] Le prestataire n’a pas démontré qu’il était disponible pour travailler au sens de la loi. C’est pourquoi je conclus que le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi.

[83] Par conséquent, l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.