Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 318

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : J. L.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Rachel Paquette

Partie mise en cause :


Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 27 septembre 2022 (GE-22-1673)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 9 mars 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 21 mars 2023
Numéro de dossier : AD-22-727

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Décision

[1] L’appel est accueilli. L’affaire sera renvoyée à une ou un autre membre de la division générale pour réexamen.

Aperçu

[2] L’appelant, J. L. (prestataire), fait appel de la décision de la division générale. Celle-ci était d’accord avec la partie mise en cause, X (l’employeur), pour dire que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi au moment de son départ. La division générale a conclu que le départ du prestataire n’était pas la seule solution raisonnable. Il a donc été exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[3] Le prestataire affirme que la division générale a commis une erreur de fait importante. Il nie avoir donné sa démission et soutient que son employeur l’a congédié.

[4] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a d’abord établi que la division générale n’avait commis aucune erreur et qu’il n’y avait aucun moyen d’appel.

[5] Au cours de l’audience devant la division d’appel, la Commission a reconnu que la division générale avait fondé sa décision sur des renseignements incomplets. La Commission ne s’oppose pas au renvoi de l’affaire à la division générale pour réexamen. Le prestataire est prêt à accepter cette situation. La Commission affirme aussi que la preuve à la disposition de la division générale était équivalente de part et d’autre. On aurait donc dû donner le bénéfice du doute au prestataire.

[6] L’employeur n’a présenté aucune observation écrite et n’a pas assisté à l’audience de la division d’appel.

Questions préliminaires

[7] La Commission ne s’oppose pas à ce que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour réexamen, puisque celle-ci a rendu sa décision en se fondant sur des renseignements incomplets. Cependant, ce n’est pas la division générale qui a créé ce manque d’information.

[8] Les renseignements incomplets à eux seuls ne justifient pas de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, alors que ce sont les parties qui étaient responsables de ce manque d’information. La division générale n’était aucunement responsable des renseignements limités dont elle disposait. Elle n’a pas privé les parties de la possibilité de présenter leurs arguments.

[9] La division générale ne devrait pas être responsable de donner une deuxième chance aux parties pour présenter leurs arguments, alors qu’elles ont été avisées et qu’elles ont eu toutes les occasions possibles de se faire entendre devant la division générale, mais qu’elles ont simplement choisi de ne pas assister à l’audience.

[10] La division générale avait le droit de rendre une décision en l’absence des parties, même avec la preuve limitée dont elle disposait. Cependant, après avoir décidé d’aller de l’avant en l’absence des parties, la division générale devait examiner minutieusement les éléments de preuve et les arguments des parties. Elle devait s’assurer de bien interpréter la preuve. C’est dans cette perspective que j’évaluerai si la division générale a fait erreur. Si c’est le cas, l’intervention de la division d’appel est justifiée.

Questions en litige

[11] Voici les questions à trancher :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur au sujet d’un élément de preuve?
  2. b) La division générale a-t-elle omis d’évaluer si le prestataire était fondé à quitter son emploi au titre de l’article 29(c)(ix) de la Loi sur l’assurance-emploi?
  3. c) Si je réponds « oui » à la question a) ou b), comment devrais-je corriger l’erreur?

Analyse

[12] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale en cas d’erreurs de compétence, de procédure, de droit ou de certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 1.

[13] Pour qu’il y ait erreur de fait, la division générale doit avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

La division générale a-t-elle commis une erreur au sujet d’un élément de preuve?

[14] La division générale a fait erreur au sujet de certains éléments de preuve concernant les circonstances entourant le départ du prestataire.

Texto du prestataire

[15] La division générale a écrit :

L’employeur soutient que le prestataire a quitté soudainement son emploi en l’avisant par texto après seulement trois jours de travail. Selon l’employeur, la Commission a fait erreur lorsqu’elle a décidé que le prestataire était fondé à quitter son emploiNote de bas de page 2.

[16] Dans le dossier d’audience, la seule référence à un texto du prestataire se trouve dans l’avis d’appel de l’employeur à la division générale. L’employeur a déposé cet avis en mai 2022, environ 14 mois après la fin d’emploi du prestataire. Voici ce que dit l’avis d’appel :

[traduction]

[Le prestataire] a travaillé pour [l’employeur] du 8 MARS 2022 [sic] au 11 MARS 2021.

[Le prestataire] a travaillé un total de 30,5 heures pour [l’employeur].

[Le prestataire] a envoyé une communication à [l’employeur] par texto concernant la fin de son emploi [...].

La lettre reçue indique qu’il y a eu une demande de révision d’une décision en matière d’assurance-emploi datée du 11 MARS 2022. Nous croyons que des renseignements erronés ont été donnés ou que la lettre et le différend NE SONT PAS VALIDES.

Nous avons joint une copie du talon de paie de nos registres comptables et une copie du relevé d’emploi original de 2021.

[C’est moi qui souligne.]

[17] La division générale a mal compris la preuve. Contrairement aux conclusions de la division générale, l’employeur n’a pas vraiment dit que « le prestataire a quitté soudainement son emploi en l’avisant par texto après seulement trois jours de travail ». Tout au plus, l’employeur a écrit que le prestataire avait envoyé un texto [traduction] « concernant la fin de son emploi ».

[18] Comme la division générale l’a mentionné, l’employeur n’a pas fourni une copie du texto pour que l’on vérifie si le prestataire a démissionné.

[19] Le texto que le prestataire a envoyé à l’employeur [traduction] « concernant la fin de son emploi » ne veut pas dire nécessairement qu’il a démissionné. En effet, le prestataire aurait pu donner d’autres raisons pour expliquer la fin de son emploi. Il se peut aussi qu’il n’ait donné aucune raison pour expliquer son départ.

[20] Si la division générale voulait fonder sa décision, en partie, sur la référence de l’employeur au texto du prestataire, elle devait s’assurer que son analyse reflétait fidèlement ce que disait cet élément de preuve.

[21] La division générale a commis une erreur au sujet de cet élément de preuve. Sa mauvaise compréhension du texto du prestataire aurait pu influencer son interprétation du reste de la preuve.

La division générale a-t-elle omis d’évaluer si le prestataire était fondé à quitter son emploi au titre de l’article 29(c)(ix) de la Loi sur l’assurance-emploi?

[22] Le fait de me demander si la division générale a évalué si le prestataire était fondé à quitter son emploi reviendrait à dire que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Cependant, étant donné la nature de l’erreur dont j’ai parlé ci-dessus, on ne sait toujours pas avec certitude si le prestataire a démissionné ou s’il a été congédié. Il serait mieux de régler cette question d’abord.

Réparation

[23] L’article 59(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit que la division d’appel peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou renvoyer l’affaire à la section de l’assurance-emploi pour réexamen.

[24] Si j’ai tous les éléments de preuve pour me permettre de rendre ma propre décision et si aucun problème d’équité procédurale n’est survenu à la division générale, je ne dois généralement pas renvoyer l’affaire.

[25] Mais comme la Commission le fait remarquer, la preuve est incomplète. Je vais en tenir compte en choisissant la réparation qui convient le mieux, car ce n’est pas la même chose que se demander si la division générale a commis une erreur.

[26] Je vais examiner la preuve pour voir si elle peut me permettre de trancher la question de savoir si le prestataire a démissionné ou s’il a été congédié.

Le prestataire affirme avoir été congédié

[27] Le prestataire a expliqué que, comme il n’avait pas la bonne formation ou les bonnes compétences, son employeur l’a congédié. Voici les notes de la conversation entre la Commission et le prestataire :

[traduction]

[Le prestataire] a déclaré qu’il avait d’abord accepté l’emploi parce qu’il suivait une formation en soudage et qu’il voulait accumuler des heures d’expérience.

[Le prestataire] a dit qu’il y a eu une erreur de communication et que son patron cherchait en fait du personnel en fabrication et non en soudage.

Comme [le prestataire] n’avait pas la bonne formation pour être ouvrier, le patron [du prestataire] l’a convoqué à son bureau après trois jours et l’a congédié parce que sa formation ne correspondait pas à l’emploi.

[Le prestataire] soutient qu’il a été congédié parce qu’il n’avait pas les compétences appropriées. Il n’a pas démissionnéNote de bas de page 3.

[28] Voici les notes d’une autre conversation entre la Commission et le prestataire :

[traduction]

Le prestataire affirme que l’entreprise n’approuvait pas ses heures d’apprenti soudeur. Il précise qu’il n’a pas quitté son emploi, mais qu’il a été congédié après trois joursNote de bas de page 4.

[29] Le prestataire a toujours gardé le même point de vue selon lequel l’employeur avait mis fin à son emploi en le congédiant parce qu’il n’avait pas les compétences qui correspondaient à l’emploi.

Le prestataire affirme aussi que son employeur [traduction] « lui a offert de partir » et qu’il a accepté

[30] Le prestataire a écrit que son employeur [traduction] « [lui] a offert de partir et [il a] acceptéNote de bas de page 5 ». Autrement, le fait de rester aurait compromis ses deux années de formation en soudage.

[31] La déclaration du prestataire porte à croire qu’il avait la possibilité de rester et de continuer à travailler pour l’employeurNote de bas de page 6. Le fait de rester aurait toutefois eu une incidence sur sa formation parce qu’il n’aurait pas obtenu ses papiers signés. Le risque de perdre ses heures d’apprenti donne alors à penser qu’il a volontairement quitté son emploi ou qu’il a démissionné.

[32] À la division d’appel, le prestataire a affirmé qu’il croyait que [traduction] « se faire offrir de partir » signifiait que son employeur le congédierait s’il décidait de rester vu qu’il n’avait pas les compétences appropriées pour l’emploiNote de bas de page 7. La division générale n’avait pas cet élément de preuve du prestataire. En général, la division d’appel n’accepte pas de nouveaux éléments de preuve. Je ne peux donc pas tenir compte des affirmations du prestataire selon lesquelles il a compris que son employeur le congédierait s’il restait.

L’employeur affirme que le prestataire a démissionné

[33] Selon l’employeur, le prestataire a démissionné. L’employeur l’a noté dans le relevé d’emploi qu’il a produit peu après le départ du prestataireNote de bas de page 8. L’employeur a aussi parlé à la Commission en mars 2022. Il a déclaré que le prestataire n’avait donné aucune raison pour avoir quitté son emploiNote de bas de page 9.

[34] L’employeur a déposé un avis d’appel à la division généraleNote de bas de page 10. Il a contesté tout ce que le prestataire avait dit.

La preuve est incomplète

[35] La preuve comporte des lacunes importantes. Par exemple, on peut se demander ce que veut vraiment dire [traduction] « se faire offrir de partir et accepter ».

[36] De plus, on peut se poser des questions sur le rôle qu’ont eu, s’il y a lieu, les inquiétudes du prestataire sur la perte de ses heures d’apprenti. Si, comme l’affirme le prestataire, son employeur lui a dit qu’il ne signerait pas ses formulaires d’apprentissage, on peut être porté à croire qu’il a incité le prestataire à quitter son emploi. Il faut donc donner au prestataire la chance d’expliquer cette situation.

[37] Le prestataire dit qu’il peut avoir des témoins. Il s’attend à ce qu’ils confirment que l’employeur a signé leurs formulaires d’apprentissage en soudage même s’ils travaillaient en fabrication. Il pensait alors avoir le même traitement. Le lien entre cette affirmation et l’argument du prestataire selon lequel il a été congédié ne semble pas particulièrement pertinent. (Cette affirmation pourrait même montrer que le prestataire avait toutes les raisons de vouloir quitter son emploi.)

[38] La preuve du prestataire pourrait être renforcée. Il pourrait expliquer pourquoi il pensait que son employeur l’avait congédié. Ainsi, nous pourrions savoir plus en détail de quoi l’employeur et le prestataire ont parlé au cours de leur réunion.

[39] Le prestataire affirme qu’il peut avoir des témoins ou, du moins, des déclarations de témoins pour vérifier qu’il leur avait bien dit qu’il avait été congédié. (Ces déclarations ne prouveraient pas qu’il a bel et bien été congédié; elles pourraient simplement montrer qu’il avait dit aux autres ce qui s’était passé.)

[40] De même, la preuve de l’employeur pourrait être renforcée s’il fournissait une copie du texto du prestataire qui est censé indiquer qu’il a démissionné. L’employeur pourrait aussi réagir aux allégations du prestataire. Celui-ci a déclaré que l’employeur l’avait convoqué en réunion pour discuter de sa compatibilité avec l’emploi. Ils auraient également discuté du fait que le prestataire voulait qu’il signe ses formulaires d’apprentissage. L’employeur n’a jamais réagi à ces affirmations.

[41] Compte tenu des lacunes dans la preuve, il convient de renvoyer l’affaire à une ou un autre membre de la division générale. Le prestataire dit qu’il assistera à toute audience que le Tribunal de la sécurité sociale pourrait organiser. Si une des parties ne se présente pas à la nouvelle audience devant la division générale, il pourrait s’ensuivre une conclusion défavorable pour cette partie.

[42] Je suis consciente du temps qui s’est écoulé depuis les événements. La fin d’emploi a eu lieu il y a deux ans déjà. Les souvenirs des témoins se seront estompés. La division générale pourrait devoir tenir compte de ces facteurs lorsqu’elle examinera et évaluera tout nouvel élément de preuve présenté.

[43] Enfin, c’est l’employeur qui a déposé l’appel initial à la division générale. La Commission et l’employeur sont responsables de prouver que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Si c’est le cas, il reviendra au prestataire de prouver qu’il était fondé à quitter son emploi. Il devrait alors démontrer que son départ était la seule solution raisonnable.

Conclusion

[44] L’appel est accueilli. La division générale a mal compris la preuve concernant les circonstances ayant mené au départ du prestataire. L’affaire sera renvoyée à une ou un autre membre de la division générale pour réexamen.

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