Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : BM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1706

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : B. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (514772) datée du 24 août 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Bret Edwards
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 3 novembre 2022
Personne présente à l’audience : Prestataire
Date de la décision : Le 21 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2813

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Je ne suis pas d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). Par conséquent, le prestataire est inadmissible aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Le prestataire a été suspendu de son emploi. Son employeur dit qu’il a été suspendu parce qu’il a refusé de se conformer à sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19.

[4] Le prestataire convient qu’il a été suspendu pour cette raison, mais il affirme que son employeur avait aussi d’autres motivations. Il dit aussi que la politique de son employeur était illégale et que celui-ci ne cessait de modifier les dates limites pour s’y conformer, de sorte qu’il n’a jamais pensé qu’il serait réellement suspendu.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeur pour expliquer la suspension. Elle a décidé que le prestataire avait été suspendu en raison d’une inconduite. La Commission a donc conclu que le prestataire est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

Le prestataire a brièvement évoqué la Charte canadienne des droits et libertés au cours de l’audience

[6] Le prestataire a brièvement évoqué la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu’il a soutenu que la politique de vaccination de son employeur était illégale. Je lui ai demandé s’il voulait présenter une contestation formelle fondée sur la Charte dans le cadre de son appel, et il m’a répondu que non, qu’il voulait juste la mentionner rapidement, c’est tout.

[7] Par conséquent, l’audience s’est déroulée sans que le prestataire ne discute davantage de la Charte et je n’ai pas besoin d’en tenir compte ici.

Question en litige

[8] Le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[9] Pour décider si le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois examiner pour quelle raison il a été suspendu de son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi?

[10] Je conclus que le prestataire a été suspendu de son emploi parce qu’il a refusé de se conformer à la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeur.

[11] Le prestataire et la Commission ne sont pas entièrement d’accord sur la raison pour laquelle il a été suspendu de son emploi.

[12] L’employeur du prestataire a dit à la Commission qu’il avait été suspendu parce qu’il refusait de se conformer à sa politique de vaccinationNote de bas de page 2.

[13] Le prestataire a déclaré qu’il était d’accord pour dire que c’était la raison officielle de sa suspension, mais qu’il pense que son employeur l’avait en fait suspendu parce qu’il voulait le garder jusqu’à la fin de la période de pointe de Noël.

[14] J’admets que le prestataire pense qu’il a été suspendu seulement une fois la période de pointe de Noël terminée, mais il n’a fourni aucun autre élément de preuve, comme un témoin, pour étayer son témoignage. Il ne conteste pas non plus la raison fournie par son employeur pour expliquer la suspension, comme je l’ai mentionné ci‑dessus.

[15] Par conséquent, sans plus d’éléments de preuve, je ne peux pas conclure que le prestataire a été suspendu pour une raison autre que son non-respect de la politique de vaccination de son employeur.

Le prestataire a-t-il été suspendu en raison d’une inconduite au sens de la loi?

[16] Le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite au sens de la loi.

[17] La Loi sur lassurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment établir si le prestataire a été suspendu pour une inconduite au sens de la Loi. Elle définit le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les éléments à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[18] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. Par inconduite, on entend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 4. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 5.

[19] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il réellement possible qu’il soit suspenduNote de bas de page 6.

[20] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 7. Je dois plutôt me concentrer sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 8.

[21] Je dois me concentrer seulement sur la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si d’autres lois offrent d’autres options au prestataire. Je n’ai pas à décider s’il a été suspendu à tort ou si l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 9. Je peux seulement évaluer si ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[22] La Commission doit prouver que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 10.

[23] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que le prestataire connaissait la politique de vaccination de son employeur et savait qu’il pouvait être suspendu s’il ne s’y conformait pas, mais a décidé de ne pas la suivre malgré toutNote de bas de page 11.

[24] Le prestataire convient qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination de son employeur, mais il affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que la politique était illégale et que son employeur ne cessait de modifier les dates limites pour s’y conformer, de sorte qu’il n’a jamais pensé qu’il serait réellement suspenduNote de bas de page 12.

[25] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes.

[26] J’estime que les gestes du prestataire ont mené à sa suspension, car il reconnait qu’il a refusé de se conformer à la politique de vaccination de son employeur.

[27] Je juge également que les gestes du prestataire étaient intentionnels parce qu’il a pris la décision consciente de ne pas suivre la politique de vaccination de son employeur.

[28] Le prestataire a dit à la Commission et déclaré à l’audience qu’il n’avait pas demandé d’exemption à la politique de vaccination de son employeurNote de bas de page 13. Il a ajouté qu’il n’avait pas demandé d’exemption parce qu’il n’avait pas de raison valable de le faire.

[29] Le prestataire a également affirmé qu’il avait choisi de ne pas demander d’exemption parce qu’il avait entendu que son employeur les refusait toutes verbalement.

[30] Cependant, il n’a fourni aucun élément de preuve montrant que cela s’est réellement produit, autre que de dire qu’il en a entendu parler par des collègues de travail. Par conséquent, sans autres éléments de preuve, je ne peux pas conclure que son employeur refusait verbalement les autres demandes d’exemption.

[31] Le prestataire a également dit à la Commission et déclaré à l’audience qu’il estime que la politique de vaccination de son employeur était illégale parce que les obligations vaccinales étaient illégales et ne faisaient pas partie de sa convention collectiveNote de bas de page 14.

[32] Je comprends la position du prestataire, mais il n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que la politique de vaccination de son employeur était illégale, si ce n’est pour soulever des arguments (concernant la relation employeur-employé) qui ne sont pas pertinents pour décider s’il a commis une inconduite. Par ailleurs, il faut aussi comprendre que l’employeur a le droit d’imposer des politiques conçues pour protéger son personnel et sa clientèle.

[33] Ainsi, selon la preuve dont je dispose, je ne peux pas conclure que la politique de vaccination de l’employeur était illégale. Si le prestataire souhaite continuer à faire valoir cet argument, il doit le faire par une autre voie.

[34] De plus, le prestataire a déclaré qu’il connaissait d’autres collègues dans sa situation qui étaient admissibles aux prestations d’assurance-emploi, et qu’il devrait donc l’être aussi.

[35] Je ne suis pas lié par les décisions de la Commission concernant d’autres demandes d’assurance-emploi et je ne peux pas faire d’hypothèses sur les renseignements précis sur lesquels la Commission s’est appuyée pour rendre ces décisions. Je peux examiner les gestes du prestataire par rapport à ce que la loi dit sur la question de l’inconduite. Dans la présente affaire, il est clair que le prestataire a pris la décision consciente de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur en refusant de se faire vacciner.

[36] Je juge également que le prestataire savait ou aurait dû savoir que son refus de se conformer à la politique de vaccination de son employeur pouvait entraîner sa suspension.

[37] L’employeur du prestataire a dit à la Commission qu’il a mis en place sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 le 15 septembre 2021. Il affirme qu’il en a informé les employés de plusieurs façons, notamment par des lettres, des affiches à côté des horloges de pointage et deux assemblées publiques avec son directeur médicalNote de bas de page 15.

[38] Je remarque que la politique de vaccination de l’employeur prévoit que les employés devaient divulguer leur statut vaccinal au plus tard le 15 octobre 2021 et être entièrement vaccinés au plus tard le 1er novembre 2021. La politique de vaccination précise également qu’après le 31 décembre 2022, toute personne qui n’était pas entièrement vaccinée et qui n’avait pas obtenu d’exemption serait mise en congé sans soldeNote de bas de page 16.

[39] Je note que le 7 décembre 2022, l’employeur du prestataire a mis à jour sa politique pour qu’on y lise qu’après le 10 janvier 2022, toute personne qui n’était pas entièrement vaccinée et qui n’avait pas obtenu d’exemption serait mise en congé sans soldeNote de bas de page 17. L’employeur a également transmis un bulletin d’information aux employés qui réitérait cette nouvelle date limiteNote de bas de page 18.

[40] Le prestataire a dit à la Commission et déclaré à l’audience qu’il avait reçu un total de cinq avertissements verbaux et écrits de son employeur au sujet de sa politique de vaccination. Il a reçu le premier de ces avertissements en septembre 2021 et le dernier à la fin décembre 2021Note de bas de page 19.

[41] Le prestataire a dit que ses quatre premiers avertissements étaient verbaux. Il a soutenu que les gestionnaires lui ont donné ces avertissements et lui ont dit que les employés devaient être vaccinés à des dates précises. Il a cependant précisé que les gestionnaires étaient vagues quant à ce qui arriverait aux employés qui ne respecteraient pas la politique et qu’ils n’ont jamais dit expressément qu’ils seraient mis en congé.

[42] Le prestataire a affirmé que son dernier avertissement était une lettre datant de la fin décembre 2021 qui disait qu’il pouvait être suspendu (mis en congé sans solde) pour ne pas s’être conformé à la politique de vaccination. Il a déclaré qu’il n’a jamais reçu les autres lettres que son employeur dit avoir envoyées à ce sujet, comme mentionné ci-dessus.

[43] Même si j’admets que le prestataire n’a pas reçu de lettre de son employeur avant la fin décembre 2021, je conclus tout de même qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve montrant qu’il savait qu’il pouvait être suspendu pour ne pas avoir respecté la politique de vaccination de son employeur.

[44] Si la version des faits du prestataire est exacte, il aurait eu environ deux semaines pour se faire vacciner après avoir reçu la lettre à la fin décembre 2021 afin de se conformer à la politique de vaccination de son employeur avant d’être mis en congé sans solde (le 10 janvier 2022).

[45] Je reconnais que je pourrais me demander si un employeur qui instaure une politique de vaccination obligatoire et qui ne donne aux employés que deux semaines pour se faire vacciner afin de continuer à travailler fournit un préavis suffisant, mais ce n’était pas du tout le cas dans la présente affaire.

[46] Il y a des éléments de preuve clairs montrant que l’employeur du prestataire a instauré sa politique en septembre 2021, comme je l’ai mentionné ci-dessus, donc bien avant la lettre que le prestataire dit avoir reçue à la fin de décembre 2021. Il y a aussi des éléments de preuve clairs montrant que le prestataire était au courant de la politique en septembre 2021, comme mentionné ci-dessus.

[47] De plus, le prestataire a fourni des éléments de preuve clairs démontrant qu’il a reçu quatre avertissements verbaux entre septembre 2021 et décembre 2021 et que ces avis comprenaient tous des dates limites précises pour se faire vacciner. Je juge qu’il est raisonnable de croire que puisque ces avertissements étaient tous semblables (ils lui indiquaient quand il devait se faire vacciner au plus tard), il aurait dû se rendre compte que son statut professionnel pouvait être compromis s’il ne s’y conformait pas.

[48] Ainsi, en me fondant sur tous ces éléments de preuve, je conclus que le prestataire disposait encore d’un délai raisonnable pour se faire vacciner lorsqu’il a reçu la lettre de son employeur à la fin décembre 2021 afin d’éviter d’être mis en congé sans solde, car cette exigence n’aurait pas dû le surprendre à ce moment-là.

[49] Le prestataire a également déclaré qu’il ne pensait pas qu’il serait effectivement suspendu pour ne pas avoir respecté la politique de vaccination de son employeur parce que celui-ci ne cessait de modifier les dates limites pour s’y conformer. Le prestataire pensait finalement que son employeur bluffait en parlant de mises en congé pour ne pas s’être fait vacciner.

[50] Je crois le prestataire lorsqu’il dit qu’il ne pensait pas qu’il serait suspendu parce que son employeur ne cessait de modifier les dates limites et qu’il a fini par penser qu’il bluffait. Il y a aussi des éléments de preuve montrant que son employeur a modifié les dates limites de sa politique, comme je l’ai mentionné plus haut.

[51] Mais cela ne signifie pas que le prestataire ne pouvait pas non plus savoir qu’il pouvait être suspendu pour ne pas s’être fait vacciner. En d’autres termes, il était tout à fait possible pour lui de croire ces deux choses en même temps, d’autant plus qu’il a confirmé avoir reçu quatre avertissements verbaux et un avertissement écrit entre septembre 2021 et décembre 2021 et qu’il était conscient des conséquences du non‑respect de la politique à la fin de décembre 2021, comme mentionné ci-dessus.

[52] Bien que je comprenne que le prestataire ne pensait pas qu’il serait suspendu même après avoir choisi de ne pas se faire vacciner, je juge que la preuve montre qu’il aurait dû savoir qu’il pouvait être suspendu.

[53] Par conséquent, je conclus que les gestes du prestataire constituent une inconduite au sens de la loi puisqu’ils ont mené à sa suspension (il a refusé de se conformer à la politique de vaccination de son employeur), qu’ils étaient intentionnels et qu’il savait ou aurait dû savoir qu’ils allaient mener à sa suspension.

Le prestataire a-t-il donc été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

[54] Selon mes conclusions précédentes, je juge que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

[55] Le prestataire a déclaré qu’il était admissible aux prestations d’assurance-emploi parce qu’il y avait cotisé pendant de nombreuses annéesNote de bas de page 20.

[56] Je comprends l’argument du prestataire. Toutefois, les prestations d’assurance‑emploi ne sont pas automatiques. Comme pour tout autre régime d’assurance, il faut remplir certaines conditions pour en recevoir. La Commission a prouvé que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. Par conséquent, il n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi.

Autres considérations

[57] La Commission propose une modification à sa décision initiale, soit d’imposer une inadmissibilité pour suspension en raison d’une inconduite à compter du 9 janvier 2022 plutôt qu’une exclusion pour congédiement en raison d’une inconduiteNote de bas de page 21.

[58] La Commission fait valoir que le prestataire a été suspendu, et non congédié, en raison d’une inconduite, de sorte que la modification corrige le dossierNote de bas de page 22.

[59] Je suis d’accord avec la Commission. La preuve montre clairement que l’employeur du prestataire l’a mis en congé à compter du 10 janvier 2022 comme je l’ai mentionné plus haut.

[60] Par conséquent, je conclus que le prestataire a été suspendu à compter du 10 janvier 2022, tel que proposé par la Commission.

Conclusion

[61] La Commission a prouvé que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. Le prestataire est donc inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

[62] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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