Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : HB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 358

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : H. B.
Représentant : Craig Floden
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (437128) datée du 26 septembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 23 mars 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Date de la décision : Le 23 mars 2023
Numéro de dossier : GE-22-3185

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec le prestataire.

[2] Le prestataire a démontré qu’il était fondé (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi quand il l’a fait. Le prestataire était fondé à quitter son emploi parce que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] Le prestataire travaillait comme camionneur. Il a été agressé au travail par plusieurs collègues. Il sentait qu’il ne pouvait pas retourner au travail tant que l’employeur n’avait pas pris des mesures pour régler le problème avec ses agresseurs. L’employeur a d’abord dit qu’il aimerait que le prestataire fournisse une déclaration écrite afin qu’il puisse entamer une enquête. Toutefois, l’employeur a fini par dire qu’on devrait tout simplement laisser tomber complètement le problème. Un an plus tard, l’employeur a envoyé au prestataire une lettre lui demandant de retourner au travail au plus tard le 15 septembre 2021, sinon il considérerait qu’il a démissionné.  

[4] Le prestataire n’est pas retourné au travail. Il a été traumatisé par l’attaque. Il pensait que si ses agresseurs ne subissaient aucune conséquence, il pourrait être attaqué de nouveau.  

[5] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons pour lesquelles le prestataire n’a pas repris son travail. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il avait choisi de quitter son emploi) sans justification. Par conséquent, elle ne pouvait pas lui verser de prestations.

[6] La Commission affirme qu’au lieu de partir quand il l’a fait, le prestataire aurait pu remettre à l’employeur une déclaration écrite sur l’incident, obtenir un billet médical et prendre un congé de maladie, et ensuite chercher un autre emploi s’il estimait ne pas pouvoir y retourner.

[7] Le prestataire n’est pas d’accord. Il a remis sa déclaration écrite à son avocat, mais l’employeur n’a pas répondu aux appels de son avocat. Il n’a pas reçu de billet médical ni cherché un autre emploi parce qu’il espérait que l’employeur réglerait la situation avec ses collègues et qu’il pourrait retourner au travail.

Question que je dois examiner en premier

L’appel du prestataire a été renvoyé à la division générale

[8] Le prestataire a d’abord fait appel de son refus de recevoir des prestations d’assurance-emploi à la division générale du Tribunal en novembre 2021. Lors de l’audience, il a parlé d’un incident qui est survenu au travail. Il a dit qu’il avait rédigé une déclaration écrite au sujet de cet incident peu de temps après qu’il se soit produit. Le membre du Tribunal lui a demandé de fournir une copie de sa déclaration écrite après l’audience. Le prestataire l’a fait.

[9] La déclaration écrite du prestataire au sujet de l’incident était un peu différente de son témoignage. Certains détails que le prestataire a mentionnés dans son témoignage à ce sujet ne figuraient pas dans sa déclaration écrite. Le membre du Tribunal a décidé que la déclaration écrite était un compte rendu plus fiable de ce qui s’était passé parce que moins de temps s’était écoulé entre l’incident et la rédaction du compte rendu. Le membre a rejeté l’appel du prestataire, en partie, parce qu’il ne croyait pas son témoignage.

[10] Le prestataire a porté cette décision en appel à la division d’appel. La membre de la division d’appel a conclu que le prestataire aurait dû avoir l’occasion d’aborder les différences entre sa déclaration écrite et son témoignage. D’autant plus qu’il s’agissait d’une partie importante de la décision du membre de la division générale. La membre de la division d’appel a ordonné le renvoi de l’appel à la division générale pour une nouvelle audience. La présente décision découle de cette audience.

Question en litige

[11] Le prestataire est-il exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[12] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire du prestataire. Je dois ensuite décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Le prestataire a quitté son emploi volontairement

[13] Je conclus que le prestataire a quitté volontairement son emploi.

[14] Pour décider si le prestataire a quitté volontairement son emploi, j’ai vérifié s’il avait le choix de resterNote de bas de page 1.

[15] Le prestataire travaillait comme camionneur. Il travaillait pour l’employeur depuis huit ans au moment où il a été agressé et menacé au travail par deux collègues. Ensuite, il a dû prendre dix jours de congé de maladie pour se mettre en quarantaine, puis il avait déjà prévu des vacances par la suite.

[16] À son retour au travail, il a constaté qu’il était trop anxieux pour travailler. Il avait peur d’être de nouveau attaqué. L’employeur n’avait pris aucune mesure pour régler le problème avec ses collègues, alors il croyait que l’employeur ne le protégerait pas contre d’autres incidents. Il a dit à l’employeur qu’il devait rentrer chez lui et qu’il retournerait au travail lorsque le problème avec ses collègues serait réglé.

[17] En septembre 2021, l’employeur a envoyé une lettre au prestataire lui indiquant qu’il devait revenir travailler. La lettre indiquait que si le prestataire ne retournait pas au travail au plus tard le 15 septembre 2021, il considérerait qu’il a démissionné.

[18] Le prestataire a déclaré qu’il n’a pas répondu à cette lettre. L’employeur n’avait pris aucune mesure pour régler le problème avec ses collègues. Il ne pouvait pas retourner au travail parce qu’il avait trop peur et était anxieux.

[19] Le départ volontaire comprend les situations où une personne refuse de reprendre son emploiNote de bas de page 2. C’est le cas du prestataire. La preuve montre clairement qu’il avait le choix de reprendre son emploi et qu’il ne l’a pas fait.

[20] Je comprends que le prestataire avait de bonnes raisons de ne pas retourner travailler. Cependant, il avait le choix de continuer à travailler au moment où son emploi a pris fin. Il a donc quitté volontairement son emploi.

Le prestataire était fondé à quitter son emploi

[21] Je conclus que le prestataire a démontré qu’il était fondé à quitter son emploi au moment où il l’a fait.

[22] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 3. Avoir une bonne raison de quitter un emploi ne suffit pas à démontrer que le départ est fondé.

[23] Le droit explique ce que signifie « être fondé à ». Il prévoit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 4.

[24] Il incombe au prestataire de prouver qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 5.

[25] Pour décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ. La loi énonce certaines des circonstances que je dois examinerNote de bas de page 6.

[26] Après avoir trouvé les circonstances qui s’appliquent au prestataire, je dois démontrer que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas à ce moment-làNote de bas de page 7.

Les circonstances entourant la démission du prestataire

[27] Le prestataire affirme que la principale raison pour laquelle il n’a pas pu reprendre son emploi est qu’il se sentait en danger.

[28] En août 2020, il a été agressé et menacé par deux collègues. Il a fourni un témoignage détaillé des attaques : un collègue l’a agressé physiquement, a crié après lui et l’a menacé alors qu’il livrait. Le collègue a bloqué son chemin en se stationnant devant son camion, puis a tenté de sortir de force le prestataire de sa cabine. Le collègue lui criait au visage. Le prestataire a été extrêmement ébranlé par cette attaque. Il a communiqué avec son patron pendant l’attaque. Après l’incident, le patron a dit au prestataire de continuer à travailler et de venir le voir à son bureau après son quart de travailNote de bas de page 8.

[29] À la fin de la journée, le patron a dit au prestataire de rédiger une déclaration sur ce qui s’était passé. Le prestataire est retourné à son camion pour terminer des tâches administratives. Ensuite, un autre collègue s’est arrêté à côté du prestataire et a commencé à crier après lui. Il a menacé de battre le prestataire étant donné ce qui s’était passé plus tôt avec l’autre collègue. Le prestataire est sorti de son camion et est reparti, mais le collègue l’a suivi. Il a poussé le prestataire. Le prestataire lui a dit qu’il s’agissait d’une agression, puis il est parti.

[30] Le prestataire a livré un témoignage convaincant sur la façon dont ces attaques l’avaient affecté. Il était traumatisé. Il ne pouvait pas dormir. Il a commencé à faire des crises d’anxiété. Il a fourni plusieurs notes médicales qui appuient le fait qu’il vit toujours des niveaux élevés d’anxiété en lien avec cet incidentNote de bas de page 9.

[31] Le collègue qui l’avait agressé physiquement faisait partie d’un gang criminel notoire. Il était également le représentant syndical du prestataire. Le prestataire croyait que l’employeur et le syndicat protégeraient le collègue. Il craignait d’être blâmé d’une façon ou d’une autre pour l’incident. Il craignait d’être de nouveau attaqué. Il pensait que cela allait sûrement se produire si l’employeur ne prenait aucune mesure pour réprimander les agresseurs.

[32] Le prestataire a dû prendre un congé de maladie, puis il a eu des vacances qui avaient déjà été prévues. Il est retourné au travail le 4 septembre 2020, mais cela n’a pas duré longtemps. Il a fait une crise d’anxiété peu de temps après son arrivée. Il était seul à la station à préparer son camion pour la journée lorsqu’il a commencé à paniquer à l’idée d’une embuscade. Deux de ses amis superviseurs au travail lui ont dit en privé de rester à l’affût. L’agresseur pouvait revenir pendant que le prestataire était seul dans la cour alors que personne ne serait là pour l’aider.

[33] Le prestataire a téléphoné à son patron pour lui dire qu’il devait cesser de travailler. Il a dit qu’il ne pouvait pas retourner au travail tant que le problème avec ses collègues n’était pas réglé. Autrement dit, il voulait que l’employeur prenne des mesures pour calmer ses collègues ou les discipliner. Peu importe la mesure, il voulait simplement qu’on l’assure que ses collègues ne l’attaqueraient pas encore.

[34] L’employeur et le vice-président du syndicat avaient demandé au prestataire de fournir une déclaration écrite au sujet des incidents. Le prestataire était réticent à le faire parce qu’il sentait que l’employeur et le syndicat allaient prendre le parti de son collègue. Il voulait s’assurer que la preuve concernant l’incident allait être équitable. Il ne voulait pas que le collègue lise sa déclaration d’abord et rédige ensuite sa version de l’incident. Cela lui donnerait la chance de modifier son récit en fonction de ce que le prestataire avait dit.

[35] Le prestataire a rédigé sa déclaration et a embauché un avocat. Il a demandé à l’avocat de remettre la déclaration à l’employeur une fois que celui-ci aurait également reçu la déclaration du collègue. De cette façon, aucune des parties ne pouvait voir la déclaration de l’autre en premier.

[36] L’avocat du prestataire a tenté de communiquer avec l’employeur, mais celui-ci a refusé de répondre à ses appels et n’a retourné aucun message. Le prestataire a demandé à l’employeur de parler à son avocat, mais l’employeur n’a toujours pas voulu le faire. Finalement, l’employeur lui a dit qu’il ne mènerait pas d’enquête sur l’incident. Il voulait que le prestataire oublie ce qui s’était passé et retourne au travail.

[37] Le prestataire estimait ne pas pouvoir retourner au travail. Il ne se sentait pas en sécurité. L’employeur n’avait pris aucune mesure pour le protéger des collègues qui l’avaient agressé. Et il était encore traumatisé par les incidents. Sa santé mentale a été affectée négativement par l’idée de travailler de nouveau dans ces conditions.

Le prestataire n’avait aucune autre solution raisonnable

[38] La Commission affirme que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi parce que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui au moment où il l’a fait. Plus précisément, elle dit qu’il aurait pu fournir à l’employeur une déclaration écrite au sujet des incidents qui se sont produits. Il aurait également pu remettre à l’employeur les billets médicaux démontrant qu’il ne pouvait pas retourner au travail et prendre un congé de maladie. Enfin, il aurait pu chercher un autre emploi avant de partir.

[39] Le prestataire affirme qu’il ne s’agissait pas de solutions raisonnables pour les raisons suivantes.

[40] Premièrement, il avait fait de nombreuses tentatives de bonne foi pour remettre sa déclaration écrite à son employeur. Il voulait s’assurer que l’employeur suivait un processus équitable, alors il a donné sa déclaration à son avocat. Il a demandé à son avocat de la transmettre à l’employeur, une fois que la déclaration du collègue aurait également été reçue.

[41] L’avocat du prestataire a contacté l’employeur à de nombreuses reprises, mais l’employeur a refusé de répondre à ses appels et n’a pas voulu le rappeler. Le prestataire a demandé à l’employeur de parler à son avocat et de résoudre le problème, mais l’employeur n’a pas voulu le faire et n’a pas expliqué pourquoi il refusait.

[42] Le prestataire et son avocat se sont entretenus avec le vice-président du syndicat pour tenter de trouver une solution. Le vice-président a dit à l’avocat du prestataire qu’il ferait examiner l’incident par une partie impartiale. L’avocat remettrait au syndicat la déclaration du prestataire dès que le vice-président trouverait l’examinateur. Le vice-président a dit qu’il communiquerait avec le prestataire dès que cela se ferait. Il n’a plus jamais communiqué avec le prestataire à ce sujet.

[43] L’employeur a fini par dire au prestataire qu’il ne mènerait pas du tout d’enquête sur les incidents. Il lui a qu’il devait oublier ce qui s’était passé et retourner au travail.

[44] En somme, le prestataire affirme qu’il a tenté de fournir une déclaration écrite par l’entremise de son avocat, mais que l’employeur a abandonné l’enquête de toute façon, alors il ne s’agissait pas d’une solution raisonnable au lieu de quitter son emploi.

[45] Deuxièmement, le prestataire croyait qu’il retournerait à son emploi dès que l’employeur aurait réglé le problème avec ses collègues. Il n’a pas demandé un congé de son poste ni cherché un autre emploi parce qu’il attendait que l’employeur prenne des mesures en vue d’une résolution. Ce n’est qu’en septembre 2021, lorsque l’employeur l’a informé qu’il abandonnait l’enquête, que le prestataire s’est rendu compte qu’il ne pourrait pas retourner au travail.

[46] Le prestataire a livré un témoignage crédible et non contesté sur l’anxiété et les autres problèmes de santé qu’il a éprouvés à la suite d’une agression au travail. Plusieurs notes médicales qu’il a fournies, ainsi qu’une évaluation de son conseiller, appuyaient cette conclusion. Par conséquent, j’admets que le prestataire avait des problèmes de santé mentale et physique parce qu’il avait été agressé au travail.

[47] Je juge également crédible le fait que le prestataire n’a pas pu reprendre son emploi parce qu’il craignait d’être de nouveau agressé. Il s’agissait d’une crainte raisonnable, car rien ne prouve que l’employeur a pris des mesures disciplinaires contre les agresseurs, malgré sa politique de tolérance zéro à l’égard de la violenceNote de bas de page 10. Pour cette raison, je conclus que le retour à son emploi n’était pas une option raisonnable parce que les conditions de travail l’insécurisaient et avaient un impact négatif sur sa santé mentale.

[48] Lorsque j’examine toutes les circonstances, je conclus que quitter son emploi au moment où il l’a fait était la seule solution raisonnable dans son cas. Cela signifie que le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi.

Conclusion

[49] Je conclus que le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations.

[50] Cela signifie que l’appel est accueilli.

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