Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1623

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale – section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : M. W.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (457470) datée du 21 février 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Leanne Bourassa
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 27 mai 2022
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 26 août 2022
Numéro de dossier : GE-22-1124

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec M. W. (le prestataire).

[2] Le prestataire n’était pas en congé volontaire, il a été mis en congé sans solde (suspendu) en raison de son inconduite. Il a refusé de se conformer aux politiques de son employeur. Cela signifie qu’il est inadmissible au bénéfice de prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] Le prestataire a été mis en congé sans solde à compter du 10 janvier 2022. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons pour lesquelles le prestataire était au chômage. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il avait choisi d’être mis en congé sans solde) sans justification. Par conséquent, la Commission a décidé qu’elle ne pouvait pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si le prestataire a volontairement pris congé de son emploi. Dans l’affirmative, je dois voir s’il avait une autre solution raisonnable que de prendre un congé sans solde. S’il n’était pas en congé volontaire, je dois décider s’il a été suspendu en raison de sa propre inconduite.

[5] La Commission affirme que le prestataire aurait pu éviter d’être mis en congé en se faisant vacciner ou en discutant de ses préoccupations avec son employeur. Il connaissait la politique de son employeur et a choisi de ne pas s’y conformer.

[6] Le prestataire n’est pas d’accord; il affirme qu’il n’a pas choisi de prendre un congé sans solde, cela lui a été imposé. Il dit que la politique de son employeur est illégale et qu’elle viole ses droits à la vie privée, le Code criminel et ses conditions d’emploi ainsi que sa convention collective. 

Question en litige

[7] Le prestataire était-il en congé en raison d’un départ volontaire ou d’une inconduite?

[8] Le prestataire a-t-il droit aux prestations d’assurance-emploi?

Analyse

[9] La Commission affirme que le prestataire est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi parce qu’il a volontairement pris une période de congé sans justification.

[10] Je vais commencer mon analyse en examinant pourquoi le prestataire ne travaillait pas.

Départ volontaire ou inconduite

La loi

[11] La Loi sur l’assurance-emploi énonce deux notions différentes qui peuvent entraîner l’exclusion d’une partie prestataire du bénéfice des prestations. Il s’agit du départ volontaire et de l’inconduiteNote de bas de page 1.

[12] Les notions sont liées parce qu’il n’est pas toujours clair si le chômage résulte du congédiement d’un employé pour inconduite ou de la décision de l’employé de partir. Je dois tirer une conclusion fondée sur l’un ou l’autre de ces deux motifsNote de bas de page 2. Cela signifie que lorsque la raison de la cessation d’emploi n’est pas claire, j’ai le pouvoir de décider si elle est fondée sur un départ volontaire ou une inconduite. En effet, il importe peu qui a pris l’initiative de mettre fin à la relation d’emploi, car les deux cas peuvent entraîner une exclusionNote de bas de page 3.

[13] Bien que la jurisprudence traite spécifiquement des exclusions pour inconduite ou départ volontaire, je juge que la logique utilisée s’applique également dans les cas d’inadmissibilité pour des suspensions pour inconduite et des congés volontaires pris sans justificationNote de bas de page 4. En effet, tous ces articles de loi traitent des actions de la personne qui ont mené à son chômage, que ce soit temporairement (en cas de congé ou de suspension) ou de façon permanente (en cas de congédiement pour inconduite ou de départ volontaire)Note de bas de page 5.

[14] En l’espèce, le prestataire a déclaré qu’il n’a pas pris un congé volontaire. Il ajoute qu’il a refusé de se conformer à la politique de vaccination de son employeur et que c’est pour cette raison que son employeur l’a mis en congé administratif sans solde. L’employeur a décidé que le prestataire ne pouvait pas travailler parce qu’il a refusé de se conformer à une politique. Je conclus donc que la question en litige n’est pas un congé volontaire, mais plutôt une suspension en raison d’une inconduite.

[15] Il s’agit également d’un cas d’inconduite parce que sans la politique de l’employeur, la décision du prestataire de ne pas se faire vacciner n’aurait pas entraîné son congé sans solde. Sans la politique, il n’y aurait pas eu de congé sans solde.

[16] Enfin, je ne considère pas qu’il s’agit d’un cas de congé volontaire parce que la Loi établit des critères particuliers pour cette situation-là. Dans ce cas-ci, le prestataire et son employeur n’ont pas conclu d’entente selon laquelle il prendrait un congé et ils ne se sont pas entendus sur la date à laquelle le prestataire reprendrait son emploiNote de bas de page 6. Le prestataire n’a pas accepté de prendre un congé sans solde. Il n’y avait pas non plus d’entente sur la date de retour, parce qu’il fallait d’abord que le prestataire se conforme à la politique de vaccination, ce qu’il n’était pas prêt à faire.

[17] En l’espèce, je conclus donc que la raison pour laquelle le prestataire ne travaillait pas n’était pas un congé volontaire, mais une suspension en raison d’une inconduite.

[18] Je reconnais que les arguments de la Commission visent à démontrer que le prestataire n’était pas fondé à prendre un congé volontaire, non pas à le rendre inadmissible en raison d’une suspension pour inconduite. Cependant, son argumentation écrite et la documentation qu’elle a fournie soulèvent des points qui s’appliquent mieux à l’analyse d’une suspension en raison d’une inconduite. Par conséquent, je ne crois pas qu’ils seront contrariés par ma conclusion selon laquelle il s’agit d’une suspension et non d’un congé volontaire. On a également interrogé le prestataire pendant l’audience sur des faits qui étaient pertinents à la fois pour les critères du départ volontaire et de l’inconduite.

Le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi en raison de sa propre inconduite?

[19] Pour décider si le prestataire a été suspendu de son emploi en raison de sa propre inconduite, je dois d’abord décider pourquoi il ne travaille plus. Ensuite, je dois décider si la loi considère cela comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire était-il en congé sans solde?

[20] Je conclus que le prestataire a été mis en congé sans solde (suspendu) parce qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeur.

[21] Le prestataire et la Commission conviennent que l’employeur a mis en œuvre une nouvelle politique de vaccination contre la COVID-19. La politique prévoyait une date limite pour la vaccination des employés. La politique précise également que si un employé ne présente pas de preuve de vaccination dans les délais prescrits, il sera placé en congé sans solde jusqu’à ce que les documents requis soient fournis. Le prestataire ne s’est pas conformé à la politique dans le délai prévu. Par conséquent, on lui a dit qu’il serait placé en congé administratif. Il ne conteste pas cela.

[22] Dans une lettre datée du 6 janvier 2022, l’employeur a dit au prestataire qu’il n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire. L’employeur a précisé qu’à compter du 10 janvier 2022, le prestataire serait placé en congé sans solde pendant six semaines. S’il continuait de ne pas s’y conformer, à compter du 2 février 2022, il subirait une suspension disciplinaire sans solde de deux semaines, puis un congédiement pour motif valable par la suite.

[23] J’estime qu’il est clair que le prestataire a été mis en congé sans solde parce qu’il n’avait pas respecté la politique de son employeur.

La raison de la suspension du prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[24] La raison de la suspension est une inconduite au sens de la loi.

[25] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 7. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que ses gestes constituent une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 8.

[26] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il fasse l’objet de mesures disciplinaires pour cette raisonNote de bas de page 9.

[27] La Commission doit prouver que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduiteNote de bas de page 10.

[28] Le rôle du Tribunal n’est pas de décider si la suspension (en l’occurrence, un congé sans solde) était justifiée ou si elle constituait la sanction appropriéeNote de bas de page 11.

[29] La Commission affirme que le prestataire a été mis en congé parce qu’il ne voulait pas se faire vacciner. Il a confirmé qu’il ne s’était pas conformé à la politique de l’employeur pour des raisons personnelles et parce qu’il croyait qu’elle violait ses droits. Le prestataire a dit que c’était un choix personnel de ne pas s’y conformer.

[30] Le prestataire affirme avoir fait l’objet de mesures disciplinaires pour ne pas avoir accepté la politique de vaccination illégale contre la COVID-19 de l’employeur. Il affirme que la politique de l’employeur contrevient à diverses lois et qu’elle n’a jamais été une condition d’emploi ni une condition de la convention collective. Il a toujours été prêt, disposé et capable de travailler depuis qu’il a été placé en congé sans solde.

[31] Le prestataire a dit à la Commission que le 20 septembre 2021, son employeur a adopté une politique de vaccination obligatoire et qu’il en a été informé par courriel. Le 26 novembre 2021, il a été informé par l’employeur que tous les employés devaient se faire vacciner, sinon ils seraient placés en congé. Il ne s’est pas conformé à la politique pour des raisons personnelles.

[32] Le prestataire a soumis au Tribunal les lettres qu’il a reçues de son employeur au sujet de ses obligations aux termes de la politiqueNote de bas de page 12 :

  • Lettre datée du 26 octobre 2021

    Cette lettre indique que le prestataire n’a pas divulgué son statut vaccinal au plus tard le 20 octobre 2021. Il devait participer à une séance d’information au plus tard le 10 novembre. On s’attendait à ce qu’il reçoive après les doses requises de vaccin contre la COVID-19 au plus tard le 20 décembre 2021. Sinon, le prestataire serait en congé sans solde pendant six semaines et pourrait faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.

  • Lettre datée du 17 novembre 2021

    Cette lettre indique que le prestataire a bel et bien participé à la séance d’information, mais qu’il n’a toujours pas divulgué son statut vaccinal. Il a reçu un avertissement verbal pour non-respect de la politique. S’il ne recevait pas les doses requises au plus tard le 20 décembre 2021, il serait placé en congé sans solde à compter du 10 janvier 2022 pour une période de 6 semaines, puis il subirait une suspension disciplinaire de 2 semaines et possiblement d’autres mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.

  • Lettre datée du 26 novembre 2021

    Cette lettre indique qu’en date du 20 novembre 2021, le prestataire n’avait toujours pas divulgué son statut vaccinal ou indiqué qu’il avait reçu une première dose du vaccin ; il ne respectait donc pas la politique. S’il ne recevait pas les doses requises au plus tard le 20 décembre 2021, il serait placé en congé sans solde à compter du 10 janvier 2022 pour une période de 6 semaines, puis il subirait une suspension disciplinaire de 2 semaines et possiblement d’autres mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.

[33] Chacune de ces lettres énonce les obligations du prestataire et les conséquences de ne pas s’y conformer. Le prestataire a confirmé à l’audience que dans chaque cas, soit son superviseur lui remettait la lettre, soit il y avait une rencontre pour qu’on lui donne un avertissement verbal. Il savait donc à quoi s’attendre.

[34] Le prestataire a également expliqué qu’il a fait plusieurs démarches pour ne pas se conformer aux exigences de l’employeur. Il a consulté la politique et a lu les documents en ligne avant de décider de ne pas divulguer son statut. Il en a parlé au syndicat et a signé un formulaire de grief. Il a présenté une demande d’exemption religieuse qui a été rejetée. Il a donné à ses employeurs un avis de responsabilité contestant la politique. Tout cela montre qu’il était au courant de ses obligations et qu’il a intentionnellement choisi de ne pas se conformer à la politique.

[35] D’après la preuve, il est clair que le choix du prestataire de ne pas respecter la politique de vaccination de l’employeur était conscient, délibéré et intentionnel. Il n’a pas divulgué son statut vaccinal. Il savait que s’il ne se conformait pas en se faisant vacciner, il serait mis en congé sans solde. Il a quand même choisi de ne pas s’y conformer tout en sachant qu’il pouvait être placé en congé pour cette raison. Il s’agit d’une conduite délibérée.

[36] Le refus du prestataire de se conformer à la politique de vaccination de l’employeur constituait une inconduite au sens de l’assurance-emploi. Je conclus qu’il a été prouvé qu’il y a eu inconduite parce que le prestataire a refusé de se conformer à la politique de vaccination de l’employeur. Ce refus a entraîné sa mise en congé sans solde (suspension) ; sa conduite était délibérée et il savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait être suspendu et finalement congédié de son emploi s’il ne respectait pas la politique.

[37] À la lumière de mes conclusions ci-dessus, je conclus que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, il est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

Durée de l’inadmissibilité

[38] Une personne qui a été déclarée inadmissible en raison d’une suspension pour inconduite n’a pas droit aux prestations jusqu’à ce que la période de suspension prenne fin, qu’elle perde ou quitte volontairement son emploi ou qu’elle ait accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable pour être admissible aux prestationsNote de bas de page 13.

[39] Depuis que le prestataire a été mis en congé, la politique de l’employeur a été modifié. Bien qu’elle prévoyait initialement qu’il soit congédié, il semble que l’employeur ait maintenant invité le prestataire à revenir au travail. Le prestataire a déclaré qu’il était retourné au travail, même s’il était en congé de maladie au moment de l’audience.

[40] Lorsque le prestataire est retourné au travail, sa période de suspension a pris fin. Son inadmissibilité prendrait donc fin à cette date.

Autres arguments

[41] Le prestataire a soutenu que la politique de son employeur contrevenait à la Loi sur l’accès à l’information, au Code criminel du Canada et au Code de Nuremberg. Il affirme également que la politique ne fait pas partie de ses conditions d’emploi ni de sa convention collective.

[42] Si le prestataire avait volontairement pris un congé, je devrais vérifier si ces éléments lui donnent un motif valable de quitter son emploi. En décidant que le prestataire n’a pas pris congé, j’ai réfléchi à la pertinence de ces arguments. Toutefois, comme le prestataire n’a pas volontairement cessé de travailler, ces arguments ne sont pas directement pertinents à la situation en cause parce qu’il n’a pas à démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi.

[43] Dans les cas d’exclusion ou d’inadmissibilité du bénéfice de prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite, l’analyse est axée sur l’acte ou l’omission du prestataire. La conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinentNote de bas de page 14.

[44] Toutefois, je signale que dans chaque lettre envoyée au prestataire, l’employeur déclare qu’il est tenu, en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario, de prendre toutes les précautions raisonnables pour assurer la sécurité du milieu de travail et protéger ses travailleurs. Les lettres prévoient également des exemptions médicales et des exemptions pour les droits de la personne.

[45] Je comprends que le prestataire a des préoccupations au sujet de la politique de l’employeur. Ces préoccupations dépassent la compétence du Tribunal. Les différends liés à la convention collective doivent suivre la procédure d’arbitrage appropriée et les plaintes en matière de droits de la personne peuvent être portées devant le tribunal chargé d’instruire ces plaintes.

Conclusion

[46] Je conclus que le prestataire a été suspendu en raison de son inconduite. Il est donc inadmissible au bénéfice de prestations pour la période où il était en congé administratif sans solde.

[47] Cela signifie que l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.