Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 525

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à
une permission de faire appel

Partie demanderesse : T. P.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 8 février 2023
(GE-22-3545)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 27 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-240

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Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission de faire appel parce qu’elle n’a pas de cause défendable. Le présent appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, T. P., travaillait comme aide-soignante dans une maison de retraite. Le 13 octobre 2021, son employeur l’a placée en congé sans solde après qu’elle a refusé de dire si elle avait été vaccinée contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a conclu que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement une perte d’emploi.

[4] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient qu’elle n’est pas coupable d’inconduite et fait valoir que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a mal interprété le sens du mot « inconduite » tel qu’il est défini dans la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle a fondé sa décision sur des éléments de preuve inexistants, c’est-à-dire la prétendue politique de vaccination obligatoire de son employeur, qu’elle dit n’avoir jamais vue.
  • Elle a ignoré le fait que son employeur n’avait jamais avisé la prestataire qu’elle devait se faire vacciner au plus tard à une certaine date.
  • Elle a ignoré le fait que la convention collective ne disait rien au sujet d’une exigence de vaccination.
  • Elle a ignoré le fait que l’employeur a tenté d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans le consentement de la prestataire.
  • Elle a rendu sa décision seulement 24 heures après avoir entendu l’appel, ce qui laisse croire qu’elle a accordé peu d’attention au témoignage et aux arguments de la prestataire.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale :

  • a agi de façon injuste;
  • a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Avoir une chance raisonnable de succès est la même chose qu’avoir une cause défendableNote de bas de page 3. Si la prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : Est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que la prestataire n’a pas de cause défendable.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] Devant la division générale, la prestataire a soutenu qu’elle n’avait rien fait de mal en refusant de se faire vacciner. Elle a affirmé qu’en la forçant à recevoir un vaccin sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits.

[10] Étant donné le droit relatif à l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

Des éléments de preuve montrent que la prestataire connaissait la politique de vaccination obligatoire de son employeur

[11] La prestataire affirme qu’elle ignorait l’existence de la politique de vaccination de son employeur et qu’elle n’avait aucune idée qu’elle serait suspendue si elle ne recevait pas l’injection au plus tard le 12 octobre 2021. Elle prétend que la division générale a tranché l’appel sans avoir jamais vu la politique.

[12] Je ne vois pas le bien-fondé de cet argument.

[13] Il est vrai que la politique de vaccination obligatoire de l’employeur n’est pas au dossier. La Commission l’a demandé, mais l’employeur n’a apparemment jamais tenu sa promesse de lui en faire parvenir une copie. Néanmoins, la division générale disposait d’éléments de preuve considérables montrant (i) que la politique existait et (ii) que la prestataire était au courant de la politique avant la date limite de vaccination :

  • Lors d’une conversation téléphonique documentée par le personnel de Service Canada, la prestataire a déclaré que son employeur l’avait informée de la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 vers la fin de septembre 2021 et que la date limite pour être entièrement vaccinée était le 12 octobre 2021Note de bas de page 4.
  • Lors d’une conversation téléphonique avec le personnel de Service Canada, la prestataire a de nouveau déclaré qu’elle avait été informée de la politique de vaccination en septembre 2021Note de bas de page 5.
  • Dans son témoignage, la prestataire a confirmé qu’en septembre 2021, elle a reçu un courriel de la direction générale de son employeur annonçant la politique de vaccination et la date limite pour s’y conformerNote de bas de page 6.

[14] Devant la division générale, la prestataire a insisté sur le fait que les personnes qui la supervisaient ne l’avaient pas « informé » de la politique de vaccination avant la date limite du 12 octobre 2021. Elle a dit qu’on lui a parlé de la politique pour la première fois le 13 octobre 2021, durant sa rencontre avec la direction générale et la direction des soins où on l’a informée de sa suspension.

[15] Toutefois, il semble que la prestataire essayait de faire une distinction artificielle entre le fait d’être « informée » verbalement de la politique et le fait d’en être « avisée » par écrit. La preuve, y compris la sienne, indiquait clairement que son employeur l’avait avisée de la politique par courriel bien avant la date à laquelle elle devait être entièrement vaccinée.

La division générale a examiné tous les facteurs pertinents

[16] Lorsque la division générale a examiné la preuve disponible, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer une politique de vaccination comme il l’entendait.
  • L’employeur de la prestataire a adopté et communiqué une politique claire exigeant que le personnel fournisse une preuve de vaccination complète.
  • La prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique après une date précise entraînerait une perte d’emploi.
  • La prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner dans les délais prescrits.

[17] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier, ainsi que le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses gestes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à sa suspension. La prestataire croyait peut-être que son refus de suivre la politique de vaccination ne lui causait aucun tort, mais du point de vue de l’assurance-emploi, cette décision ne lui revenait pas.

On ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[18] Le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une employée et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à la prestataire, mais c’est l’interprétation que les tribunaux ont adoptée à maintes reprises et que la division générale se devait de suivre.

On entend par inconduite toute action intentionnelle et susceptible d’entraîner une perte d’emploi

[19] Devant la division générale, la prestataire a soutenu que son employeur n’avait pas à mettre en place une politique de vaccination obligatoire. Elle a affirmé que le dépistage ou la vaccination n’avaient jamais été des conditions d’emploi.

[20] Je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

[21] Il est important de garder à l’esprit que le mot « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage courant. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante (ou négligente) qu’elle est presque délibérée […].

Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit considéré comme une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers l’employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit suspendue en raison de cette inconduite [mis en évidence dans l’original]Note de bas de page 7.

[22] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle détermine l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[23] La prestataire a fait valoir que rien dans son contrat de travail et la convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que là n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employée l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

La prestataire soutient que la politique de l’employeur a eu pour effet de la forcer à choisir entre travailler et recevoir un vaccin qu’elle jugeait « expérimental » et possiblement néfaste pour la santé. Elle affirme que la politique transgressait la convention collective et bon nombre de ses droits.

Je ne tire aucune conclusion quant à la validité de la politique ou à toute transgression des droits de la prestataire. Elle est libre de présenter ces arguments aux organismes décisionnels appropriés et d’y demander réparationNote de bas de page 8.

[24] Ce passage reprend une décision intitulée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait dit ce qui suit :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 9.

[25] Dans la décision Lemire, la Cour a estimé qu’un employeur avait été justifié de conclure à une inconduite lorsqu’un livreur de denrées alimentaires a voulu mettre sur pied un commerce secondaire de vente de cigarettes à la clientèle. La Cour a conclu à l’inconduite même si l’employeur n’avait pas de politique explicite à ce sujet.

Une nouvelle affaire confirme comment la division générale a interprété la loi

[26] Une décision récente de la Cour fédérale a réaffirmé cette approche à l’égard de l’inconduite dans le contexte précis de l’obligation vaccinale contre la COVID-19. Comme le dossier actuel, la décision Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 10. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé par la loi à répondre à ces questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur le vaccin contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 11.

[27] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres façons, dans le système de justice, pour le prestataire de faire valoir son congédiement injustifié ou ses revendications en matière de droits de la personne.

[28] Dans le dossier actuel, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si la prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et si elle était susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. Ici, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

On ne peut pas soutenir que la division générale avait un parti pris

[29] La prestataire soutient que la division générale a fait preuve de partialité. Elle souligne le fait que la division générale a rendu sa décision dès le lendemain de son audience. À son avis, cela donne à penser que la division générale n’a pas correctement examiné son appel.

[30] Encore une fois, je ne vois aucun argument défendable ici. La division générale n’est pas arrivée au résultat souhaité par la prestataire, mais cela ne veut pas dire qu’elle avait un parti pris. La courte attente ne laisse pas croire en soi que l’audience de la prestataire était inéquitable.

[31] La partialité suggère un esprit fermé qui est prédisposé à un résultat particulier. Le critère permettant de conclure qu’il y a une partialité est exigeant, et le fardeau de l’établir relève de la partie qui prétend qu’elle existe.

[32] La Cour suprême du Canada a énoncé le critère relatif à la partialité comme suit : « À quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratiqueNote de bas de page 12? » Une allégation de partialité ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressionsNote de bas de page 13.

[33] J’ai écouté l’enregistrement de l’audience et rien dans le ton ou le contenu des remarques de la membre ne me laisse croire qu’il y a eu partialité à l’égard de la prestataire. Le simple fait que la division générale a préparé et finalisé sa décision dans la journée suivant l’audience ne signifie pas nécessairement qu’elle a omis de tenir compte de la preuve et des arguments de la prestataire. Il ne faut pas oublier que l’examen d’un dossier peut (et doit) être fait avant l’audience. En tous les cas, la preuve selon laquelle une décision particulière est justifiée se trouve dans les motifs de cette décision.

[34] J’ai examiné les motifs écrits de la décision de la division générale et je constate que la division générale a analysé en détail les observations de la prestataire, en particulier son argument selon lequel elle n’a pas reçu un préavis suffisant de la politique de vaccination de son employeur. Selon moi, la division générale a conclu à juste titre que la prestataire connaissait l’existence de la politique et savait qu’elle subirait des conséquences si elle ne la respectait pas. Je ne vois rien qui laisse croire que la division générale a ignoré la preuve ou la loi pour en arriver à cette conclusion.

Conclusion

[35] Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que le présent appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Cela signifie que l’appel n’ira pas de l’avant.

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