Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 123

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : T. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (numéro du dossier : 461650) datée du 25 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Teresa M. Day
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 7 février 2023
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 8 février 2023
Numéro de dossier : GE-22-3545

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La prestataire (qui est l’appelante dans le présent appel) ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi, car elle a été suspendue de son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire travaillait comme « aide-soignante » chez X (l’employeur)Note de bas de page 2. En septembre 2021, l’employeur a instauré une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 (la politique) exigeant que tout le personnel soit entièrement vacciné au plus tard le 12 octobre 2021 [traduction] « si les gens voulaient continuer à travaillerNote de bas de page 3 ».

[4] La prestataire a été informée de la politique. Cependant, elle ne voulait pas se faire vacciner contre la COVID-19. Le 13 octobre 2021, elle a dit à l’employeur qu’elle s’opposait aux vaccins contre la COVID-19 pour des raisons religieuses et de sécurité. Elle a ajouté que la convention collective n’exigeait pas la vaccination obligatoire contre la COVID-19. Cependant, l’employeur a dit qu’aucune exemption ou mesure d’adaptation ne serait offerte à la prestataire. Elle a refusé de lui communiquer son statut vaccinal. Comme elle n’avait pas fourni de preuve de vaccination avant la date limite du 12 octobre 2021, l’employeur l’a placée en congé sans solde à compter du 13 octobre 2021Note de bas de page 4.

[5] La prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi. L’intimée (Commission) a établi qu’elle avait cessé d’occuper son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 5, ce qui voulait dire qu’elle ne pouvait pas recevoir de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 6.

[6] La prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision. La prestataire a dit avoir fait le choix personnel de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 pour des raisons religieuses. Elle a également dit que les vaccins ne sont pas sécuritaires et que la vaccination obligatoire contre la COVID-19 n’est pas une exigence de sa convention collective. Elle a fait valoir qu’elle cotisait au régime d’assurance-emploi depuis de nombreuses années et qu’elle était admissible aux prestations.

[7] La Commission a maintenu son inadmissibilité et la prestataire a fait appel de cette décision au Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 7.

[8] Je dois décider si la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Pour ce faire, je dois examiner la raison de la suspension, puis décider si la conduite qui a entraîné sa suspension est une conduite que la loi considère comme une « inconduite » dans le cadre des prestations d’assurance-emploi.

[9] La Commission affirme que la prestataire était au courant de la politique, des dates limites pour s’y conformer et des conséquences du non-respect, et qu’elle a fait le choix conscient et délibéré de ne pas s’y conformer. Elle savait qu’elle serait placée en congé sans solde en faisant ce choix, et c’est ce qui s’est passé. La Commission affirme que ces faits prouvent que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite, ce qui signifie qu’elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 8.

[10] La prestataire n’est pas d’accord. Elle dit qu’elle ne devrait pas être punie pour avoir exercé son droit à la vie privée et son droit à l’autonomie corporelle. Elle a fait le choix personnel de ne pas communiquer son statut vaccinal, mais elle était prête à porter le masque et à se soumettre à des tests rapides. Elle fait valoir qu’elle a le droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que l’employeur l’a forcée à partir en congé alors qu’elle aurait facilement pu bénéficier de mesures d’adaptation et parce qu’elle a cotisé au régime d’assurance-emploi pendant de nombreuses années et qu’elle a besoin d’une aide financière.

[11] Je suis d’accord avec la Commission. Voici mon raisonnement.

Question en litige

[12] La prestataire a-t-elle été suspendue de son emploi en raison de son inconduite?

Analyse

[13] Pour répondre à cette question, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a été suspendue. Ensuite, je dois décider s’il s’agit d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

Question en litige no 1 : Pourquoi la prestataire a-t-elle été suspendue de son emploi?

[14] La prestataire a été suspendue parce qu’elle a refusé de fournir la preuve qu’elle était entièrement vaccinée contre la COVID-19 comme l’exigeait la politique, et qu’elle n’avait pas d’exemption approuvée.

[15] La prestataire a répété souvent à la Commission que l’employeur l’avait placée en congé sans solde parce qu’elle n’était pas vaccinée et qu’elle ne s’était pas conformée à la politiqueNote de bas de page 9.

[16] L’employeur a confirmé que la prestataire a été suspendue parce qu’elle n’était pas vaccinée et qu’elle ne s’était pas conformée à la politiqueNote de bas de page 10.

[17] Dans son avis d’appel, la prestataire a déclaré qu’elle avait été placée en congé sans solde parce qu’elle avait choisi de ne pas communiquer ses renseignements médicaux.

[18] À l’audience, la prestataire a déclaré ce qui suit :

  • Elle a exercé son droit à la vie privée et à l’autonomie corporelle et a refusé de fournir une preuve de vaccination dans le délai prévu par la politique.
  • Lors d’une rencontre avec l’employeur, elle a lu une lettre qui expliquait les raisons pour lesquelles elle ne s’était pas fait vacciner, mais l’employeur ne voulait pas faire d’exception pour elle.
  • Elle a refusé de communiquer son statut vaccinal ou de fournir une preuve de vaccination, alors l’employeur lui a dit qu’elle ne pouvait plus venir travailler.

[19] La preuve montre que la prestataire a été suspendue de son emploi parce qu’elle n’a pas fourni de preuve de vaccination comme l’exige la politique et qu’elle n’avait pas obtenu d’exemption approuvée.

[20] Question en litige no 2 : La raison de sa suspension est-elle une inconduite au sens de la loi?

[21] Oui, la raison de la suspension de la prestataire est une inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploi.

[22] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 11. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante (ou négligente) qu’elle est presque délibérée (ou qui témoigne d’un mépris délibéré pour les effets de ses actions sur l’exécution de son travail)Note de bas de page 12.

[23] Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit considéré comme une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 13.

[24] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers l’employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit suspendue en raison de cette inconduiteNote de bas de page 14.

[25] La Commission doit prouver que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduiteNote de bas de page 15. Elle s’appuie sur la preuve que le personnel de Service Canada obtient de l’employeur et de la prestataire pour ce faire.

[26] La prestataire a répété plusieurs fois à la Commission qu’elle ne voulait pas se faire vacciner en raison de ses croyances religieuses et parce qu’elle ne pense pas que les vaccins contre la COVID-19 sont sûrs. Elle a aussi dit que la politique était contraire à sa convention collective. Elle a ajouté qu’elle était toujours prête à porter le masque et à passer des tests rapides, mais que l’employeur l’avait plutôt forcée à prendre congé.

[27] À l’audience, la prestataire a déclaré ce qui suit :

  • En septembre 2021, l’employeur a envoyé un courriel au personnel pour annoncer la mise en place d’une politique de vaccination obligatoire et la nécessité pour tout le monde de fournir une preuve que deux doses du vaccin leur avaient été administrées au plus tard le 12 octobre 2021 « si les gens voulaient continuer à travailler ».
  • Elle n’avait aucune intention de se faire vacciner.
  • Elle « ne savait pas » ce qui se passerait après le 12 octobre 2021 si elle ne fournissait pas la preuve qu’elle avait reçu tous les vaccins.
  • Elle a continué de se rendre au travail et à passer des tests rapides avant ses quarts, tout comme elle le faisait avant le courriel.
  • Personne chez l’employeur n’est venu lui parler de la politique ou des conséquences. Il y a seulement eu le courriel.
  • Après son quart de travail du 11 octobre 2021, elle a consulté l’horaire affiché et a constaté qu’elle était censée être au travail le jeudi et le vendredi (les 14 et 15 octobre 2021)Note de bas de page 16.
  • Elle « ne savait pas » qu’en ne fournissant pas de preuve de vaccination au plus tard le 12 octobre 2021, elle serait suspendue. Elle pensait pouvoir continuer à porter le masque au travail et passer un test rapide avant ses quarts.
  • Cependant, après son quart du 11 octobre, l’employeur a demandé de la rencontrer le 13 octobre 2021 afin de discuter de la politique et de la nécessité pour elle de fournir une preuve de vaccination.
  • Elle a écrit une lettre où elle expliquait pourquoi elle ne voulait pas se faire vacciner ou communiquer son statut vaccinal. Elle a parlé de ses croyances religieuses et de ses objections aux vaccins contre la COVID-19. De plus, elle a expliqué que la politique ne faisait pas partie de la convention collective qui régissait son emploiNote de bas de page 17.
  • Elle a lu la lettre à l’employeur à la rencontre du 13 octobre. Elle pensait que l’employeur ferait une exception pour elle parce qu’elle travaillait pour lui depuis 14 ans sans avoir eu aucun problème de rendement et parce qu’elle n’est jamais tombée malade, même en ayant travaillé au plus fort de la pandémie et pendant « toutes les éclosions » dans l’établissement de soins de longue durée.
  • Mais l’employeur a refusé de faire une exception pour elle.
  • Elle a demandé des mesures d’adaptation pour effectuer des tâches auxquelles « l’obligation vaccinale ne s’appliquait pas », mais l’employeur a refusé.
  • À la rencontre du 13 octobre 2021, elle a compris qu’elle ne pourrait pas continuer de travailler si elle ne fournissait pas la preuve qu’elle avait reçu deux doses de vaccin contre la COVID-19.
  • Elle croyait qu’il s’agissait de « coercition », mais cela n’a pas changé sa décision personnelle.
  • Elle a tout de même refusé de communiquer son statut vaccinal.
  • L’employeur lui a dit qu’elle serait placée en congé sans solde immédiatement.
  • Elle était très stressée et déprimée par la suite.
  • Elle a le droit de choisir ce qui entre dans son corps et elle choisit de ne pas prendre « un vaccin expérimental » qui « ne permet pas d’enrayer la propagation de la COVID-19 ».
  • Elle a le droit de faire des choix médicaux personnels sans contrainte. Elle a également le droit de garder ses renseignements médicaux confidentiels.
  • Elle ne devrait pas être punie pour avoir exercé ses droits.
  • Elle était prête à porter le masque et à passer des tests rapides. Cela aurait dû être suffisant parce qu’elle n’a jamais été malade et qu’elle n’a jamais manqué de travail en suivant ces mesures.
  • Mais maintenant, elle n’a même plus le droit d’entrer dans son milieu de travail ou de faire son travail.
  • Elle « a tout fait correctement », n’a « rien fait de mal » et « n’a pas enfreint » sa convention collective. Elle ne comprend pas pourquoi le ministère de la santé de la Colombie-Britannique peut dire qu’elle « ne peut pas rentrer au travail ».
  • À la rencontre du 13 octobre 2021, elle a compris qu’elle serait placée en congé sans solde si elle ne fournissait pas la preuve qu’elle était entièrement vaccinée.
  • Cependant, elle a refusé d’être forcée de suivre une politique qui est entrée en vigueur après 14 ans de service et qui n’était pas dans sa convention collective.
  • Elle ne peut même pas recevoir de prestations d’assurance-emploi après avoir cotisé au régime pendant de nombreuses années. L’assurance-emploi est censée être là pour aider les gens dans des moments comme celui-ci.
  • Elle a accumulé des heures de travail et elle devrait recevoir de l’argent, et non pas être interrogée au sujet de ses croyances religieuses. Elle est prête à travailler et capable de le faire, mais l’employeur l’empêche « même d’entrer dans l’immeuble ». Elle remplit le critère pour recevoir des prestations, mais si elle ne peut pas en demander, pourquoi le gouvernement prélève-t-il les cotisations à l’assurance-emploi de sa paie?
  • Ce n’est pas juste. Elle a vraiment l’impression de se faire punir.

[28] Je reconnais la déception de la prestataire de ne pas recevoir de prestations d’assurance-emploi après sa suspension.

[29] Toutefois, le rôle du Tribunal n’est pas de décider si la politique de l’employeur était raisonnable, si l’employeur devait offrir des mesures d’adaptation à la prestataire comme le port du masque et les tests rapides ni si la pénalité d’être placée en congé sans solde était trop sévèreNote de bas de page 18.

[30] Le Tribunal doit se concentrer sur la conduite qui a entraîné la suspension de la prestataire et décider si elle constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[31] J’ai déjà conclu que la conduite qui a mené à la suspension de la prestataire était son défaut de fournir une preuve de vaccination conformément à la politique de l’employeur adoptée en réponse à la pandémie de COVID-19.

[32] La preuve non contestée obtenue de l’employeur et de la prestataire, ainsi que le témoignage de la prestataire à l’audience, me permettent de tirer les conclusions supplémentaires suivantes :

  1. a) La prestataire a été informée de la politique et a eu le temps de s’y conformer.
  2. b) Son refus de se conformer à la politique était délibéré et intentionnel. Son refus était donc délibéré.
  3. c) Elle savait que son défaut de fournir une preuve de vaccination entraînerait une suspensionNote de bas de page 19. Elle a donc accepté les conséquences.
  4. d) Son refus de se conformer à la politique était la cause directe de sa suspension.

[33] L’employeur a le droit d’établir des politiques en matière de santé et de sécurité au travail. La prestataire avait le droit de refuser de se conformer à la politique. En choisissant de ne pas se faire vacciner et de fournir une preuve de vaccination, elle a pris une décision personnelle qui a eu des conséquences prévisibles sur son emploi.

[34] La division d’appel du Tribunal a confirmé à maintes reprises qu’il importe peu que la décision personnelle d’une partie prestataire soit fondée sur des croyances religieuses, des préoccupations médicales ou une autre raison personnelle. Le choix conscient de ne pas se conformer à une politique de santé et de sécurité en milieu de travail liée à la COVID-19 est considéré comme délibéré et constituera une inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 20.

[35] Les décisions de la division d’appel s’appuient sur la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale selon laquelle une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 21.

[36] Par conséquent, je conclus que le refus délibéré de la prestataire de fournir une preuve de vaccination conformément à la politique, en l’absence d’une exemption approuvée, constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[37] La prestataire n’a pas été congédiée et pourrait reprendre ses fonctions après avoir été vaccinéeNote de bas de page 22. Cependant, cela n’enlève rien au fait qu’à la rencontre du 13 octobre 2021, elle savait qu’elle serait suspendue pour non-respect de la politique et qu’elle a tout de même refusé de s’y conformer.

[38] La prestataire soutient que la politique de l’employeur a eu pour effet de la forcer à choisir entre travailler et recevoir un vaccin qu’elle jugeait « expérimental » et possiblement néfaste pour la santé. Elle affirme que la politique transgressait la convention collective et bon nombre de ses droits.

[39] Je ne tire aucune conclusion quant à la validité de la politique ou à toute transgression des droits de la prestataire. Elle est libre de présenter ces arguments aux organismes décisionnels appropriés et d’y demander réparationNote de bas de page 23. Aucun de ses arguments ne change le fait que la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’elle a été suspendue en raison d’une conduite qui constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Par conséquent, elle n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi pendant sa suspension.

[40] Enfin, il ne suffit pas d’avoir cotisé au régime d’assurance-emploi ou d’avoir besoin d’un soutien financier. Si une partie prestataire est suspendue de son emploi en raison de son inconduite, elle n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi pendant la période de suspension, peu importe le nombre d’années pendant lesquelles elle a cotisé au programme ou sa situation financière difficile.

Conclusion

[41] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite. Par conséquent, la prestataire n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi pendant la période de suspension.

[42] L’appel est rejeté.

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