Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 274

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : T. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (495843) datée du 13 juillet 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 5 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 13 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-2591

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Décision

[1] Je rejette l’appel. Je ne suis pas d’accord avec T. P., l’appelante (prestataire).

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a démontré que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné son congédiement). Par conséquent, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a été mise en congé sans solde (suspendue), puis congédiée. Son employeur affirme qu’elle a été congédiée parce qu’elle ne s’est pas conformée à l’ordonnance de santé publique qui exigeait la vaccination contre la COVID-19. Elle a refusé de se faire vacciner.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas que cela s’est produit, elle affirme que ne pas respecter l’ordonnance de santé publique n’est pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeur pour expliquer le congédiement. Elle a décidé que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a donc conclu que la prestataire n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi à compter du 26 décembre 2021, qui est la date de début de sa demande (période de prestations).

[6] La prestataire fait appel au Tribunal de la sécurité sociale. Elle dit qu’elle a été congédiée injustement parce que le gouvernement provincial et son employeur ne lui ont pas fourni la preuve scientifique dont elle avait besoin pour donner son consentement éclairé. Elle pensait que le syndicat s’opposerait à la politique relative à la COVID-19, comme il l’avait fait pour la politique relative au vaccin contre la grippe en 2012. Elle ne pensait pas que son employeur irait jusqu’à la congédier. Elle a demandé une exemption pour raisons religieuses, mais l’agent provincial de santé publique n’examinait que les demandes d’exemption médicale.

Question que je dois examiner en premier

Partie mise en cause potentielle

[7] Parfois, le Tribunal envoie une lettre à l’ancien employeur de la partie prestataire pour lui demander s’il veut être mis en cause dans l’appel. Pour être mis en cause, l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas mettre l’employeur en cause dans cet appel. En effet, rien dans le dossier n’indique que ma décision pourrait lui imposer des obligations juridiques.

Question en litige

[8] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[9] La loi dit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique tant en cas de congédiement que de suspensionNote de bas de page 2.

[10] Pour décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois examiner pour quelle raison elle a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[11] Je conclus que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à l’ordonnance de santé publique provinciale. Plus précisément, le 24 septembre 2021, l’employeur a informé ses employés que l’ordonnance exigeait que tous les travailleurs de la santé soient entièrement vaccinés au plus tard le 26 octobre 2021. L’employeur a également fait savoir qu’il était prévu que cela devienne une condition d’emploi. II a confirmé l’obligation de se faire vacciner dans son courriel du 15 octobre 2021 et dans sa politique écrite du 1er décembre 2021.

[12] La Commission affirme que l’employeur a mis la prestataire en congé sans solde (suspendue) à compter du 25 octobre 2021 parce qu’elle n’a pas respecté l’ordonnance de santé publique. Puisqu’elle n’était toujours pas vaccinée, l’employeur l’a congédiée à compter du 18 novembre 2021. L’employeur l’a avisé qu’elle serait congédiée si elle ne se faisait pas vacciner contre la COVID-19.

[13] La prestataire a choisi de ne pas se faire vacciner. Elle dit qu’elle travaillait comme technologue de laboratoire à l’hôpital public. Elle affirme être une [traduction] « personne à l’esprit scientifique » formée en sciences. Elle a dit à son employeur qu’elle n’était pas prête à se faire vacciner contre la COVID-19 tant qu’elle n’aurait pas vu les données. Elle a fait ses propres recherches, mais les chiffres n’étaient pas disponibles parce que les vaccins étaient encore en phase d’essai. La prestataire convient que son employeur l’a congédiée à compter du 18 novembre 2021 parce qu’elle n’a pas respecté l’ordonnance de santé publique.

La prestataire a-t-elle été congédiée en raison d’une inconduite au sens de la loi?

[14] Oui, je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Voici ce dont j’ai tenu compte.

[15] La Loi sur lassurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment établir si la prestataire a été congédiée pour une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle définit le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les éléments à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[16] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite de la prestataire était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. Par inconduite, on entend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 4. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 5.

[17] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas de page 6.

[18] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 7. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8.

[19] Je dois me concentrer seulement sur la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si d’autres lois offrent d’autres options à la prestataire. Je n’ai pas à décider si elle a été congédiée injustement ou si l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 9. Je peux seulement évaluer si ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[20] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 10.

[21] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que la prestataire était au courant de l’ordonnance de santé publique régissant son emploi. Elle était également au courant des conséquences du non-respect de l’ordonnance. Malgré cela, la prestataire a pris la décision délibérée de ne pas s’y conformer. Cette décision constitue une inconduite puisqu’elle a entraîné la perte de son emploi.

[22] La prestataire travaillait dans le domaine de la santé publique en tant que technologue de laboratoire. Son employeur, une autorité régionale de santé publique, est régi par la province. L’agent provincial de santé publique a émis l’ordonnance de santé publique exigeant que tous les travailleurs de la santé soient vaccinés au plus tard le 26 octobre 2021. Les employés non vaccinés ne sont pas autorisés à travailler.

[23] La prestataire affirme qu’elle a été congédiée avant que la politique de son employeur sur la COVID-19 n’entre en vigueur le 1er décembre 2021. Elle travaillait cependant pour une autorité de santé publique régie par l’ordonnance de santé publique. L’ordonnance indique clairement qu’elle s’applique à tous les travailleurs de la santé. La prestataire admet qu’elle a été informée de l’ordonnance le 24 septembre 2021. Elle reconnait qu’on lui a dit qu’elle pouvait être congédiée si elle ne se faisait pas vacciner, mais elle ne pensait tout simplement pas que l’employeur irait jusque là. Elle pensait qu’elle serait suspendue indéfiniment, jusqu’à ce que son syndicat conteste avec succès l’ordonnance de santé publique ou la politique de l’employeur par voie d’arbitrage.

[24] La prestataire a été informée de l’ordonnance de santé publique et des conséquences de son non-respect. L’employeur l’a avisée que tous les travailleurs de la santé devaient être entièrement vaccinés pour conserver leur emploi. Elle a reçu des courriels et elle a assisté à une réunion où on lui a clairement dit que si elle ne se faisait pas vacciner, elle pourrait être congédiée. Son congédiement était le résultat direct de son refus de respecter l’ordonnance.

Pourquoi je ne suis pas la décision du Tribunal TC c Commission de l’assurance-emploi du Canada

[25] Je ne suis pas d’accord avec la prestataire lorsqu’elle dit que son appel devrait être accueilli sur la base de la décision TC c Commission de l’assurance-emploi du Canada récemment rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 11 . Voici les raisons pour lesquelles je suis de cet avis.

[26] La prestataire a fait valoir que sa situation est semblable à celle décrite dans la décision TC. Plus précisément, elle soutient qu’on lui a dit qu’elle serait congédiée, mais qu’elle ne pensait pas que l’employeur [traduction] « irait jusque là ». Elle a fait valoir que l’ordonnance de santé publique ne disait pas que l’employeur devait la congédier, mais seulement qu’on l’empêcherait de travailler. Elle a également soutenu qu’elle avait été congédiée avant l’approbation de la politique écrite de l’employeur le 1er décembre 2021.

[27] Dans la décision TC, T. C. travaillait comme livreur pour une entreprise qui vend des couches. Après avoir examiné la preuve et les arguments présentés dans cette affaire, la membre du Tribunal a décidé que T. C. avait été congédié deux jours après avoir été informé de la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. La membre du Tribunal a conclu que T. C. n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite pour les raisons suivantes :

  • Premièrement, la politique n’avait été communiquée verbalement à T. C. que le 7 juillet 2021 et il était censé s’y conformer au plus tard le 9 juillet 2021.
  • Deuxièmement, T. C. ne savait pas et ne pouvait pas savoir que le non-respect de la politique mènerait à son congédiement. L’employeur lui a dit que s’il ne voulait pas s’y conformer, il pouvait quitter son emploi. De plus, les documents que l’employeur lui a remis ne mentionnent pas qu’il serait congédié.
  • Troisièmement, T. C. n’a pas reçu de copie de la politique ou de l’ordonnance écrite. Il ne connaissait pas le contenu précis de la politique ni les conséquences de ne pas la respecter. Il ne savait pas non plus s’il pouvait demander d’en être exempté. On ne lui a pas donné la possibilité d’examiner et de comprendre la politique, de savoir ce qu’il devait faire ou de poser des questions. On ne lui a pas non plus donné un délai suffisant pour s’y conformer.
  • Enfin, T. C. n’a pas consciemment, délibérément ou intentionnellement enfreint la directive verbale de l’employeur. Sa conduite n’était pas insouciante. Il n’a tout simplement pas eu assez de temps pour s’y conformer et ne pouvait pas savoir qu’il serait congédié pour sa conduite.

[28] Je ne suis pas liée par les autres décisions rendues par le TribunalNote de bas de page 12. Je n’ai donc pas à les suivre, mais peux m’appuyer sur elles pour me guider si je les trouve convaincantes ou utiles.

[29] Je ne suis pas convaincue par la décision TC du Tribunal. En effet, les faits de cette affaire ne sont pas semblables à ceux dont je suis saisie.

[30] Dans la présente affaire, la prestataire travaillait dans le domaine de la santé publique pour un employeur régi par l’ordonnance de santé publique. L’ordonnance et les directives de l’employeur ont été communiquées par écrit à la prestataire le 24 septembre 2021. C’était plusieurs semaines avant sa suspension et son congédiement subséquent. Les conséquences du non-respect de l’ordonnance ont été clairement communiquées à la prestataire, à la fois verbalement et par écrit. Elle a choisi consciemment et délibérément de ne pas la respecter.

[31] Je reconnais que la prestataire a le droit d’accepter ou de refuser de se faire vacciner et de divulguer son statut vaccinal, mais elle savait qu’il y avait des conséquences si elle refusait de suivre l’ordonnance de santé publique, qui dans la présente affaire étaient une suspension puis un congédiement.

[32] Je reconnais également que le bureau de la santé provincial et l’employeur ont le droit de gérer leurs activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et d’imposer des pratiques et des politiques en milieu de travail afin d’assurer la santé et la sécurité de tous les employés et patients. L’obligation de la prestataire envers son employeur était de se conformer à l’ordonnance de santé publique, ce qui était une condition pour conserver son emploiNote de bas de page 13.

[33] L’objectif de la Loi sur l’assurance-emploi est d’indemniser les personnes dont l’emploi a pris fin involontairement et qui sont sans emploi. La protection est offerte seulement en cas de perte d’emploi involontaire. Il ne s’agit pas d’un droit automatique, même si une partie prestataire a cotisé à l’assurance-emploi.

[34] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux déclaré que la question de savoir si un employeur a manqué à son obligation prévue par la législation sur les droits de la personne d’offrir des mesures d’adaptation à un employé n’est pas pertinente à la question de l’inconduite au sens de Loi sur l’assurance-emploi. En effet, ce n’est pas le comportement de l’employeur qui est en cause. Il existe d’autres forums où l’on peut soulever ces questionsNote de bas de page 14.

[35] Je n’ai pas le pouvoir de décider si l’ordonnance de santé publique était illégale. De même, je n’ai pas le pouvoir de décider si le bureau de la santé provincial ou l’employeur ont violé les droits de la prestataire en tant qu’employée lorsqu’elle a été congédiée, ou s’ils auraient pu ou dû lui offrir d’autres mesures d’adaptation. Le recours dont la prestataire dispose contre son employeur est de faire valoir ses droits par l’entremise de son syndicat, en cours ou devant tout autre tribunal qui peut traiter de ces questions particulières.

[36] À mon avis, la prestataire n’a pas perdu son emploi involontairement. En effet, elle a choisi de ne pas se conformer à l’ordonnance de santé publique, ce qui a entraîné son congédiement. Elle a agi délibérément. Bien qu’elle affirme qu’elle ne pensait vraiment pas que son employeur irait jusqu’à la congédier, elle a clairement été avertie qu’elle perdrait son emploi si elle refusait de se faire vacciner. Je conclus donc que la prestataire a été congédiée en raison d’une inconduite.

[37] La demande (période de prestations) a commencé le 26 décembre 2021, plusieurs semaines après le congédiement de la prestataire. Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 26 décembre 2021.

Conclusion

[38] L’appel est rejeté.

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