Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : BH c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 237

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : B. H.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (0) datée du 27 septembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Téléconférence
Date d’audience : Le 10 janvier 2023
Personne présente à l’audience :
Partie appelante
Date de la décision : Le 1er mars 2023
Numéro de dossier : GE-22-3187

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que l’appelant a quitté volontairement son emploi. La Commission a prouvé qu’il a été congédié de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelant travaillait comme gardien de sécurité sur un site de travail éloigné. Il devait prendre l’avion pour se rendre sur le lieu de travail et en repartir. Il a perdu son emploi parce qu’il ne pouvait pas prendre l’avion pour se rendre sur le lieu de travail ou en sortir, le gouvernement fédéral ayant rendu obligatoire la vaccination contre la COVID-19 pour les voyages en avion. L’appelant n’était pas vacciné. L’employeur lui a fait signer une lettre de démission juste avant l’entrée en vigueur de cette règle.

[4] La Commission a décidé que l’appelant avait quitté volontairement son emploi sans justification. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations d’assurance-emploi.

[5] L’appelant n’est pas d’accord. Il explique qu’il n’a pas quitté son emploi, mais que l’employeur a été forcé de le congédier en raison des règles de vaccination pour les voyages en avion. Comme il n’y avait pas d’autre moyen de se rendre au travail, il ne pouvait pas continuer à travailler.

L’employeur n’est pas une partie à l’appel

[6] Le Tribunal a désigné l’ancien employeur de l’appelant comme partie mise en cause potentielle à l’appel de l’appelant. Il lui a donc envoyé une lettre pour lui demander s’il avait un intérêt direct dans l’appel et s’il souhaitait être ajouté comme partie mise en cause. L’employeur n’a pas répondu avant la date de la présente décision. Comme rien dans le dossier n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme partie à cet appel.

Questions en litige

[7] L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi ou l’employeur l’a-t-il congédié?

[8] L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[9] Une partie prestataire qui quitte volontairement son emploi est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi, à moins qu’elle puisse prouver qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploiNote de bas de page 1.

[10] De même, une partie appelante qui a été congédiée en raison d’une inconduite est également exclueNote de bas de page 2.

[11] Parfois, il n’est pas évident de savoir si la partie appelante a quitté volontairement son emploi ou si l’employeur l’a congédiée. Ces deux notions sont liées dans la Loi sur l’assurance-emploi. Elles portent sur la question de savoir si une personne a causé sa situation de chômage, soit en amorçant sa cessation d’emploi sans justification, soit en perdant son emploi en raison d’une inconduite.

[12] Comme les raisons de ces exclusions sont reliées, je suis en mesure de rendre une décision fondée sur l’un ou l’autre de ces motifs. Autrement dit, lorsque la raison de la cessation d’emploi de la partie appelante n’est pas claire, j’ai le pouvoir de décider s’il s’agit d’un départ volontaire ou d’un congédiement en raison d’une inconduiteNote de bas de page 3.

Pourquoi l’appelant a-t-il cessé de travailler?

[13] La Commission a décidé que l’appelant avait quitté volontairement son emploi. Mais on ne peut pas dire avec certitude que ce soit réellement le cas. L’appelant a toujours dit à la Commission et au Tribunal qu’il n’avait pas démissionné. Il soutient que c’est l’employeur qui l’a congédié.

[14] L’appelant travaillait comme gardien de sécurité sur un site de travail éloigné. Comme le lieu de travail était éloigné, les travailleurs devaient s’y rendre en avion. L’appelant se rendait en avion au lieu de travail pour son quart de travail, effectuait une rotation de 10 à 14 jours, puis quittait le lieu de travail en avion pour rentrer chez lui.

[15] Ensuite, le gouvernement fédéral a imposé des restrictions sur les personnes pouvant voyager en avion. À compter du 30 novembre 2021, il fallait se faire vacciner contre la COVID-19 pour monter à bord d’un avion.

[16] L’appelant n’était pas vacciné contre la COVID-19. Il savait que cela nuirait à sa capacité de se rendre au travail. L’employeur a confirmé qu’il ne pouvait pas continuer à travailler pour lui s’il n’était pas vaccinéNote de bas de page 4.

[17] L’appelant a déclaré que le 29 novembre 2021, il était sur le point de quitter le lieu de travail et rentrer chez lui. Il a été appelé au bureau du directeur général peu de temps avant son vol. Le directeur général lui a présenté une note indiquant que l’appelant ne retournerait pas au travail parce qu’il n’était pas autorisé à prendre l’avion en raison de la politique sur la COVID-19Note de bas de page 5. Le directeur général a demandé à l’appelant de signer la note parce qu’il avait besoin de consigner la raison pour laquelle l’appelant ne travaillait plus pour l’entreprise.

[18] L’appelant a déclaré qu’il n’avait pas quitté son emploi. Il a été forcé de cesser de travailler en raison des restrictions imposées par le gouvernement fédéral sur les déplacements en avion des personnes qui n’étaient pas vaccinées contre la COVID-19. Son employeur ne voulait pas le congédier, mais il lui a dit qu’il devait arrêter de travailler parce qu’il ne pouvait pas se rendre sur le lieu de travail.

[19] Le 15 décembre 2021, l’employeur a émis un relevé d’emploi pour l’appelant. La raison de l’émission était « départ volontaire ».

[20] La Commission a parlé au directeur général le 16 février 2022. Il a dit que l’appelant avait démissionné, car [traduction] « il faut être vacciné pour travailler sur le lieu de travail ». Il a dit que l’appelant avait signé une lettre indiquant qu’il ne retournerait pas au travail parce qu’il n’est pas autorisé à prendre l’avion en raison de la politique sur la COVID-19Note de bas de page 6.

[21] Il y a des renseignements contradictoires sur la question de savoir si l’appelant a quitté volontairement son emploi ou si l’employeur l’a congédié. Dans de tels cas, je dois décider quelle version est la plus probable. Je dois examiner tous les éléments de preuve et rendre une décision selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 7.

[22] Je juge que la preuve au dossier appuie le fait que l’employeur a amorcé la cessation d’emploi de l’appelant. J’accorde de l’importance aux déclarations constantes de l’appelant selon lesquelles il n’a pas démissionné, mais que l’employeur l’a congédié. Il a également livré un témoignage crédible sur les événements ayant mené à son congédiement. Je pense que ses déclarations sont l’indicateur le plus fiable de la façon dont il a perdu son emploi.

[23] Pour ces motifs, je conclus que l’appelant n’a pas quitté volontairement son emploi. L’employeur l’a plutôt congédié.

[24] Comme l’appelant a été congédié, je dois décider s’il a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 8.

[25] Pour répondre à la question de savoir si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelant a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il été congédié?

[26] Les deux parties conviennent que l’appelant a été congédié parce qu’il ne pouvait pas se rendre sur le lieu de travail en raison des exigences de vaccination pour les déplacements par avion au Canada. Je ne vois aucune preuve contredisant cette affirmation, alors je l’accepte comme un fait.

La raison de son congédiement est-elle une inconduite au sens de la loi?

[27] Selon la loi, la raison du congédiement de l’appelant est une inconduite.

[28] La Loi sur lassurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Cependant, la jurisprudence explique comment établir si la suspension de l’appelant constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle énonce le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les facteurs à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[29] Pour être considérée comme une inconduite selon la jurisprudence, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 9. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 10. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupableNote de bas de page 11 (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal).

[30] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié de son emploi pour cette raisonNote de bas de page 12.

[31] La Commission doit prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 13.

[32] J’ai seulement le pouvoir de trancher les questions relevant de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si l’appelant a d’autres options en vertu d’autres lois. Il ne m’appartient pas de décider si l’appelant a été congédié à tort ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables (mesures d’adaptation) pour l’appelantNote de bas de page 14. Je ne peux examiner qu’une seule chose : la question de savoir si ce que l’appelant a fait ou a omis de faire est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[33] La Cour d’appel fédérale a rendu une décision dans l’affaire Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 15. Mr McNamara a été congédié de son emploi dans le cadre de la politique de dépistage des drogues de son employeur. Il a fait valoir qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances, notamment parce qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire qu’il était incapable de travailler de façon sécuritaire en raison d’une consommation de drogues et qu’il aurait dû être couvert par le dernier test qu’il avait passé. Essentiellement, Mr McNamara a soutenu qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que les mesures prises par son employeur concernant son congédiement n’étaient pas correctes.  

[34] En réponse aux arguments de Mr McNamara, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’elle a toujours considéré que la question dans les cas d’inconduite n’était pas « de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt, il [lui] appartient de dire si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la [Loi sur l’assurance-emploi] ». La Cour a ajouté que dans l’interprétation et l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a souligné que l’employé « qui fait l’objet d’un congédiement injustifié a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que par le [biais] des prestations d’assurance-emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[35] La décision Paradis c Canada (Procureur général) est une décision plus récente qui fait suite à la décision McNamaraNote de bas de page 16 . Comme Mr McNamara, Mr Paradis a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage. Mr Paradis a fait valoir qu’il avait été congédié à tort, que les résultats des tests montraient qu’il n’avait pas les facultés affaiblies au travail et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et aux lois provinciales sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est appuyée sur l’affaire McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent à prendre en considération pour trancher la question de l’inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 17.

[36] L’affaire Mishibinijima c Canada (Procureur général) est une autre affaire semblable tranchée par la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 18. Mr Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool. Il a fait valoir que, la dépendance à l’alcool ayant été reconnue comme une invalidité, son employeur était tenu de lui fournir des mesures d’adaptation. La Cour a rappelé que l’accent est mis sur ce que l’employé a fait ou n’a pas fait, et que le fait que l’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation pour son employé n’est pas un facteur pertinentNote de bas de page 19.

[37] Ces affaires ne portent pas sur les politiques de vaccination contre la COVID-19, mais les principes qui y sont énoncés sont quand même pertinents. Dans une décision très récente qui concernait une politique de vaccination contre la COVID-19, l’appelant a fait valoir que ses questions sur le caractère sécuritaire et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 et des tests antigéniques n’avaient jamais reçu de réponses satisfaisantes. Il a ajouté qu’aucun décideur n’avait abordé la question de savoir comment une personne pourrait être forcée de prendre un médicament non testé ou de procéder à un test, alors que cela porte atteinte à l’intégrité corporelle fondamentale et constitue une discrimination fondée sur des choix médicaux personnelsNote de bas de page 20.

[38] En rejetant l’affaire, la Cour fédérale a écrit :

[traduction]
Bien que le demandeur soit clairement frustré par le fait qu’aucun des décideurs n’a abordé ce qu’il considère comme étant les questions de droit ou de fait fondamentales qu’il soulève [...], le problème principal avec l’argument du demandeur est qu’il critique les décideurs parce qu’ils n’ont pas abordé un ensemble de questions qu’ils ne sont pas autorisés à aborder selon la loiNote de bas de page 21.

[39] La Cour fédérale a également écrit :

[traduction]
La division générale du Tribunal de la sécurité sociale et la division d’appel ont un rôle important, mais restreint et précis à jouer dans le système juridique. Dans la présente affaire, ce rôle consistait à déterminer la raison pour laquelle le demandeur avait été congédié et si cette raison constituait une « inconduite »Note de bas de page 22.

[40] La jurisprudence établit clairement que mon rôle n’est pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur et de décider s’il avait raison de congédier l’appelant. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi

[41] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur ne voulait pas le congédier.
  • L’employeur n’avait pas de politique de vaccination. C’est le gouvernement du Canada qui a imposé des restrictions à sa capacité de se rendre au travail.

[42] L’employeur a dit à la Commission qu’il n’avait pas d’exigences en matière de vaccination. Cependant, la seule façon de se rendre au lieu de travail était de prendre l’avion. À compter du 30 novembre 2021, le gouvernement fédéral a mis en place des règles qui exigeaient que les voyageurs aériens soient vaccinés contre la COVID-19. L’appelant ne pouvait pas continuer à travailler parce qu’il n’était pas vacciné et ne pouvait donc pas se rendre sur le lieu de travail.

[43] L’appelant a déclaré qu’un représentant des ressources humaines de l’employeur s’était rendu sur le lieu de travail au début de novembre 2021. Il a dit à tous les employés que s’ils ne se faisaient pas vacciner, ils perdraient leur emploi à cause des nouvelles règles de voyage du gouvernement.

[44] J’estime que l’appelant connaissait les nouvelles règles du gouvernement en matière de voyage aérien et savait ce qui se passerait s’il ne les respectait pas parce qu’il a déclaré qu’il connaissait les règles et qu’on lui avait dit qu’il perdrait son emploi s’il n’était pas vacciné.

[45] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • Le gouvernement du Canada a imposé des restrictions quant aux personnes autorisées à voyager en avion. À compter du 30 novembre 2021, il fallait se faire vacciner contre la COVID-19 pour monter à bord d’un avion.
  • L’employeur a clairement informé l’appelant des nouvelles règles de voyage et du fait qu’il perdrait son emploi s’il n’était pas vacciné.
  • L’appelant connaissait ou aurait dû connaître les conséquences de ne pas se faire vacciner lorsque les nouvelles règles de voyage sont entrées en vigueur.

Alors, l’appelant a-t-il été congédié en raison d’une inconduite?

[46] Selon mes conclusions précédentes, je conclus que l’appelant a été congédié de son emploi en raison d’une inconduite.

[47] En effet, les gestes de l’appelant ont mené à son congédiement. Il a agi délibérément. Il savait ou aurait dû savoir que le non-respect des nouvelles restrictions de voyage du gouvernement entraînerait probablement son congédiement, et il a choisi de ne pas les respecter.

Conclusion

[48] L’appel est rejeté.

[49] La Commission a prouvé que l’appelant a été congédié de son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

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