Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 327

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : D. J.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 29 décembre 2022
(GE-22-2722)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 22 mars 2023
Numéro de dossier : AD-23-111

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Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission de faire appel parce qu’elle n’a pas de cause défendable. Le présent appel n’ira donc pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, D. J., travaillait comme infirmière communautaire pour un fournisseur de soins à domicile sous contrat avec une autorité sanitaire locale. Le 31 janvier 2022, l’employeur de la prestataire l’a mise en congé sans solde après qu’elle a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19 ou de se soumettre à des tests de dépistage réguliers. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que celle-ci avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a jugé que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement une perte d’emploi.

[4] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient que celle-ci a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a ignoré le fait que rien dans la loi n’exigeait que son employeur établisse et applique une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Elle a ignoré le fait que son contrat de travail ne disait rien au sujet de l’obligation de se faire vacciner.
  • Elle a ignoré une décision récente de la division générale dans laquelle celle-ci a accordé des prestations d’assurance-emploi à une partie prestataire qui refusait de suivre la politique de vaccination obligatoire de son employeur.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale a :

  • agi de façon injuste;
  • outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • mal interprété la loi;
  • fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Avoir une chance raisonnable de succès équivaut à avoir une cause défendableNote de bas de page 3. Si la prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette étape-ci, je dois répondre à la question suivante : est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que la prestataire n’a pas de cause défendable.

Il n’y a aucun cas où la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] La prestataire insiste sur le fait qu’elle n’a rien fait de mal en refusant de se soumettre à des tests ou de se faire vacciner. Elle laisse entendre qu’en la forçant à le faire sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits. Elle fait valoir qu’elle n’aurait pas dû être exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle essayait seulement de protéger sa santé.

[10] Compte tenu du droit relatif à l’inconduite, je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

[11] Lorsque la division générale a examiné la preuve disponible, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur de la prestataire a adopté et communiqué une politique claire exigeant que les membres du personnel fournissent la preuve qu’ils avaient été entièrement vaccinés ou, à défaut, qu’ils étaient prêts à se soumettre à des tests de dépistage réguliers.
  • La prestataire savait que le non-respect de la politique à une certaine date entraînerait une perte d’emploi.
  • La prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner ou de se soumettre à des tests dans les délais raisonnables exigés par son employeur.
  • La prestataire n’a pas réussi à convaincre son employeur que sa situation correspondait à l’une des exceptions permises par la politique.

[12] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier, ainsi que le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses gestes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à sa suspension. La prestataire croyait peut-être que son refus de suivre la politique ne faisait aucun mal à son employeur, mais ce n’était pas à elle d’en décider.

Il n’y a aucune cause qui montre que la division générale a mal interprété la loi

On entend par inconduite toute action intentionnelle et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[13] La prestataire affirme que rien dans la loi n’exigeait que son employeur mette en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Elle soutient que se faire tester ou se faire vacciner n’a jamais été une condition d’emploi.

[14] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[15] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage quotidien du mot. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

[L]a conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 4.

[16] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle établit l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[17] La prestataire soutient que son contrat de travail ne l’obligeait pas à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que ce n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employée ou l’employé l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

Je dois me concentrer uniquement sur la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si la prestataire a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de décider si elle a été suspendue à tort ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables pour la prestataire (lui offrir des mesures d’adaptation). Je peux examiner une seule chose : si ce que la prestataire a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 5.

[18] Ce passage fait écho à une affaire intitulée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait dit ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 6.

[19] Dans l’affaire Lemire, la cour a conclu qu’un employeur était justifié de conclure qu’il s’agissait d’une inconduite lorsqu’un de ses livreurs a mis sur pied une entreprise secondaire pour vendre des cigarettes à la clientèle. La Cour a conclu que c’était le cas même si l’employeur n’avait pas de politique explicite contre une telle conduite.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la loi par la division générale

[20] Une décision récente a réaffirmé cette approche de l’inconduite dans le contexte spécifique des mandats de vaccination contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 7. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé à répondre à ces questions par la loi :

[traduction] Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur le vaccin contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 8.

[21] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au titre de laLoi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres façons, dans le système juridique, par lesquelles le prestataire aurait pu faire valoir ses droits fondamentaux.

[22] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si la prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et si elle était susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre par l’affirmative aux deux questions.

La division générale n’a pas ignoré un précédent contraignant

[23] La prestataire s’appuie sur une décision récente de la division générale, AL, dans laquelle il a été établi qu’une prestataire de l’assurance-emploi avait droit à des prestations même si elle n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 9. La prestataire semble suggérer que le membre de la division générale qui a instruit son dossier aurait dû suivre une analyse semblable à celle de AL.

[24] Je ne suis pas d’accord.

[25] Premièrement, il ne semble pas que la prestataire ait soulevé l’affaire AL devant la division généraleNote de bas de page 10. On ne peut donc pas reprocher au membre qui a instruit l’appel de la prestataire de ne pas avoir tenu compte d’un précédent qui ne lui a pas été présenté.

[26] Deuxièmement, l’affaire AL, comme l’affaire de la prestataire, a été tranchée par la division générale. Même si le membre qui a instruit la cause de la prestataire avait examiné l’affaire AL, il n’aurait pas été obligé de la suivre. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais non par les décisions de leurs pairs.

[27] Finalement, l’affaire AL ne semble pas accorder aux parties prestataires de l’assurance-emploi une exemption générale des politiques de vaccination obligatoire de leur employeur, comme la prestataire semble le croire. L’affaire AL semble avoir impliqué une prestataire dont la convention collective empêchait explicitement son employeur de la forcer à se faire vacciner. Selon mon examen du dossier, la prestataire n’a jamais mentionné de disposition comparable dans son propre contrat de travail. L’affaire Cecchetto, la décision récente de la Cour fédérale qui a tenu compte des exigences de l’employeur en matière de vaccination, a également tenu compte de l’affaire AL et a conclu qu’elle n’avait pas une large applicabilitéNote de bas de page 11.

Conclusion

[28] Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que le présent appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Cela signifie que l’appel n’ira pas de l’avant.

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