Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : ZB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 364

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à la permission de faire appel

Partie demanderesse : Z. B.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 10 janvier 2023
(GE-22-2841)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 28 mars 2023
Numéro de dossier : AD-23-154

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Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le demandeur (prestataire) a été suspendu et a perdu son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. On ne lui a pas accordé d’exemption. Le prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (la Commission) a décidé que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite, de sorte qu’elle ne pouvait pas lui verser de prestations. Après une révision infructueuse, le prestataire a fait appel à la division générale.

[4] La division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu et avait perdu son emploi après avoir refusé de se conformer à la politique de l’employeur. Elle a conclu que le prestataire savait ou aurait dû savoir que l’employeur était susceptible de le suspendre et de le congédier dans ces circonstances. La division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu et congédié en raison d’une inconduite.

[5] Le prestataire demande la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel.Le prestataire soutient que la division générale a refusé d’exercer sa compétence, a commis des erreurs de fait et des erreurs de droit lorsqu’elle a conclu qu’il avait été suspendu et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si le prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission de faire appel parce que l’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] Le prestataire soulève-t-il une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Ces erreurs révisables sont les suivantes :

  1. 1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. 2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou bien, elle a tranché une question sans avoir le pouvoir de le faire.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[10] La demande de permission de faire appel est une étape préliminaire à une audience sur le fond. Il s’agit d’une première étape que le prestataire doit franchir, mais où le fardeau est inférieur à celui dont il devra s’acquitter à l’audience de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande permission de faire appel, le prestataire n’a pas à prouver ses prétentions. Il doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur révisable. Autrement dit, on peut soutenir qu’il y a eu erreur révisable qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès.

[11] Par conséquent, avant d’accorder la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel susmentionnés et qu’au moins un des motifs a une chance raisonnable de succès.

Le prestataire soulève-t-il une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès?

[12] À l’appui de sa demande de permission de faire appel, le prestataire fait valoir ce qui suit :

  1. a) L’ensemble du processus avec le personnel de Service Canada a été très humiliant. Leur manque d’impartialité était évident à chaque étape du processus.
  2. b) Il n’est pas certain que la division générale ait reçu les renseignements supplémentaires qu’il a présentés après l’audience. Le fait qu’on a séparé en deux son dossier a rendu la tâche difficile. Le membre n’a pas énuméré ni pris en considération les renseignements supplémentaires dans sa décision.
  3. c) Il avait des raisons valables de refuser une intervention médicale à risque en raison de son problème de santé (immunité d’une infection antérieure et un problème cardiaque) et de ses droits constitutionnels et de common law. La division générale avait le pouvoir d’examiner les arguments fondés sur la Charte, mais elle ne l’a pas fait.
  4. d) Il ne peut y avoir d’inconduite parce qu’il n’a pas manqué à une obligation expresse et implicite découlant de son contrat de travail.
  5. e) Pour démontrer l’existence d’une inconduite, il faut établir un lien avec un processus disciplinaire conformément aux conditions d’emploi.
  6. f) Le délai de l’employeur pour se conformer ne s’étendait pas jusqu’en 2022. Seules les personnes qui ont demandé une exemption au plus tard le 22 novembre 2021 ont pu bénéficier de mesures temporaires jusqu’à ce que leur demande d’exemption soit examinée.
  7. g) Un congé ne peut être déclenché que par un employé, sous réserve de l’approbation du sous-ministre. L’employeur a déclenché le congé, contrairement à ce que prévoient les conditions d’emploi.
  8. h) La division générale n’a pas tenu compte du fait que l’employeur a modifié unilatéralement son contrat de travail, ce qui est un élément de preuve essentiel pour déterminer l’inconduite.
  9. i) L’obligation d’accepter un traitement médical pour conserver un emploi va bien au-delà d’une simple attente que les employés se conforment aux protocoles de santé et de sécurité.
  10. j) La division générale a omis d’aborder dans sa décision le fait que l’employeur n’a offert aucune mesure d’adaptation pour lui permettre de conserver son emploi.
  11. k) On ne lui a pas expliqué pourquoi la Commission avait modifié sa décision initiale après avoir fait une révision, passant du congé volontaire à l’inconduite. On l’a simplement informé qu’un congé sans solde est [traduction] « habituellement traité » comme une suspension. On n’a fourni aucun autre détail sur la façon dont le décideur était arrivé à cette décision importante, laquelle a une incidence importante sur la vie des gens, comme dans son cas particulier.
  12. l) Dans le relevé demploi de l’employeur, on n’a pas utilisé le code qui désigne l’inconduite, mais plutôt celui qui désigne un « congé autorisé ». Service Canada et la Commission ont modifié unilatéralement le code du relevé demploi sans que l’employeur se prononce.
  13. m) En tant qu’employé non syndiqué de la fonction publique de la Colombie-Britannique, son contrat de travail était régi par les Conditions générales pour les employés et les personnes nommées à un poste qui ne sont pas représentés. Le contrat ne contenait pas une clause permettant à la province d’exiger qu’il suive une intervention médicale.
  14. n) La jurisprudence ne permet pas aux décideurs de conclure que sa conduite constituait une inconduite, car les affaires judiciaires antérieures ne traitent pas d’une politique en matière de vaccination semblable à celle de son employeur, laquelle impose une intervention médicale.
  15. o) Le fait d’agir conformément à ses droits protégés par la loi constitutionnelle (qui sont également bien enracinés dans la common law canadienne) ne peut pas être considéré comme un acte répréhensible ou une conduite indésirable, de sorte que cela soit suffisant pour l’exclure du bénéfice de prestations del’assurance-emploi.
  16. p) La décision de la division générale ne démontre pas que l’analyse du membre était fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent qui est à la fois rationnel et logique (Vavilov) Note de bas de page 1.

Justice naturelle

[13] Le prestataire soutient que tout le processus avec le personnel de Service Canada a été humiliant. Leur manque d’impartialité était évident à chaque étape du processus. Ils n’ont pas expliqué pourquoi ils ont modifié la décision initiale, passant d’un congé volontaire à une inconduite.

[14] Le rôle de la division générale est d’examiner les éléments de preuve qui lui sont présentés par les deux parties, de déterminer les faits pertinents à la question de droit dont elle est saisie, et de rédiger sa propre décision indépendante à cet égard. Ce n’est pas le rôle de la division générale d’enquêter sur la demande ou de se prononcer sur la conduite de la Commission pendant le processus de demande.

[15] La notion de « justice naturelle » comprend le droit d’une partie prestataire à une audience équitable devant la division générale. Une audience équitable implique un préavis suffisant de l’audience, la possibilité d’être entendu, le droit de savoir ce qui est reproché à une partie et la possibilité de répondre à ces allégations.

[16] Le prestataire soutient qu’il n’est pas certain que la division générale ait reçu les renseignements supplémentaires qu’il a déposés après l’audience. La séparation de son dossier en deux dossiers a rendu la tâche difficile. Le membre n’a pas non plus énuméré et pris en considération les renseignements supplémentaires dans sa décision.

[17] Je signale que la division générale a reconnu avoir reçu les renseignements supplémentaires déposés par le prestataire après l’audience.Note de bas de page 2 Les documents ont été acceptés par le membre et communiqués à la Commission.Note de bas de page 3 Aucune réponse de la Commission n’a été reçue à la date de la décision de la division générale.

[18] Sans aborder spécifiquement le contenu de chaque document déposé par le prestataire, je remarque que le membre de la division générale répond aux arguments du prestataire dans sa décision.

[19] Je conclus que le prestataire a eu droit à une audience équitable. Il a reçu un préavis suffisant de l’audience. Il a eu l’occasion d’être entendu, le droit de savoir ce qui lui est reproché et la possibilité de répondre à ces allégations. Le fait que la division générale a instruit deux appels distincts au cours de la même audience n’a causé aucun préjudice au prestataire.

[20] Je ne vois pas de manquement à la justice naturelle de la part de la division générale. Ce moyen d’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Inconduite

[21] La division générale devait décider si le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.Note de bas de page 4

[22] La notion d’inconduite n’implique pas qu’il est nécessaire que le comportement reproché résulte d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins d’une telle insouciance que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail.

[23] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite lorsqu’il a suspendu le prestataire de telle sorte que sa suspension était injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si le prestataire s’est rendu coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné sa suspension. Note de bas de page 5

[24] À la lumière de la preuve, la division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu (on l’a empêché de travailler) parce qu’il avait refusé de se conformer à la politique. Il avait été informé de la politique de l’employeur et avait eu le temps de s’y conformer. Il n’a pas obtenu d’exemption médicale. Le prestataire a refusé intentionnellement; il a agi délibérément. C’était la cause directe de sa suspension.

[25] La division générale a conclu que le prestataire savait ou aurait dû savoir que son refus de se conformer à la politique pourrait entraîner sa suspension.

[26] La division générale a conclu à partir de la preuve prépondérante que le comportement du prestataire constituait une inconduite.

[27] Il est bien établi qu’une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.Note de bas de page 6 On considère également comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi le fait de ne pas observer une politique dûment approuvée par un gouvernement ou une entreprise.Note de bas de page 7

[28] Il n’est pas vraiment contesté qu’un employeur a l’obligation de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés sur leur lieu de travail. Dans la présente affaire, l’employeur a suivi les recommandations du Bureau provincial de la santé de la Colombie-Britannique pour mettre en œuvre sa politique visant à protéger la santé de tous ses employés pendant la pandémie. La politique était en vigueur lorsque le prestataire a été suspendu.Note de bas de page 8

[29] Il n’appartient pas au Tribunal de décider si les mesures en matière de santé et de sécurité de l’employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables.

[30] Le prestataire soutient qu’un congé autorisé ne peut être déclenché que par un employé sous réserve de l’approbation du sous-ministre. L’employeur a contrevenu aux conditions d’emploi lorsqu’il a lui-même déclenché le congé.

[31] La division générale n’avait pas à décider si l’employeur avait le droit de mettre le prestataire en « congé » lorsqu’il a refusé de suivre la politique. Il est bien établi que la procédure disciplinaire d’un employeur n’est pas pertinente pour déterminer l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.Note de bas de page 9

[32] Le prestataire soutient également que la division générale a refusé d’exercer sa compétence sur la question de savoir si l’employeur a omis de lui offrir des mesures d’adaptation et si la politique violait ses droits en matière d’emploi, ses droits de la personne et ses droits constitutionnels.

[33] Il revient à une autre instance de trancher la question de savoir si l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation pour le prestataire, si la politique a violé son contrat de travail, et si la politique a violé ses droits de la personne et constitutionnels. Le Tribunal n’est pas la tribune appropriée par laquelle le prestataire peut obtenir la réparation qu’il demande.Note de bas de page 10

[34] La Cour fédérale a rendu une décision récente dans l’affaire Cecchetto concernant l’inconduite et le refus d’une partie prestataire de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. Le prestataire dans cette affaire a fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a soutenu qu’il n’était pas prouvé que le vaccin était sécuritaire et efficace. Le prestataire a estimé avoir subi de la discrimination en raison de son choix médical personnel. Il a affirmé qu’il a le droit de contrôler sa propre intégrité corporelle et que ses droits ont été violés en vertu du droit canadien et du droit international.Note de bas de page 11

[35] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle, selon la loi, le Tribunal n’est pas autorisé à répondre à ces questions. La Cour a convenu qu’en faisant un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.Note de bas de page 12 La Cour a déclaré qu’il existe d’autres façons dont les demandes du prestataire peuvent progresser adéquatement dans le cadre du système juridique.

[36] Dans l’affaire Paradis, le prestataire s’est vu refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Il a soutenu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite parce que la politique de l’employeur violait ses droits au titre de l’Alberta Human Rights Act. La Cour fédérale a conclu que cette question relevait d’une autre instance.

[37] La Cour fédérale a déclaré qu’il existe des recours disponibles pour qu’une partie prestataire sanctionne le comportement d’un employeur, autre que le transfert des coûts de ce comportement au Régime d’assurance-emploi.

[38] Dans l’affaire Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation de l’employeur de fournir des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite à l’assurance-emploi.

[39] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale n’est pas de déterminer si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite lorsqu’il a suspendu le prestataire de sorte que sa suspension serait injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si le prestataire s’est rendu coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[40] La preuve prépondérante devant la division générale démontre que le prestataire a fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie et que cela a entraîné sa suspension.

[41] Le prestataire soutient qu’il a trouvé une décision de la division générale qui appuie sa position.Note de bas de page 13 Il est important de rappeler que la division d’appel n’est pas tenue de se conformer aux décisions de la division générale. Ce sont les décisions de la Cour fédérale que nous sommes obligés de respecter, et qui ont, en effet, été suivies par la division d’appel. De plus, les faits sont différents dans l’affaire que cite le prestataire parce que la convention collective de la prestataire comportait des dispositions précises concernant le refus de toute vaccination. Le prestataire en l’espèce n’a présenté aucun élément de preuve de ce genre à la division générale. De plus, la décision de la division générale mentionnée a été rendue avant la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Cecchetto.

[42] J’estime que la division générale n’a pas commis d’erreur révisable lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement selon les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, laquelle a défini l’inconduite en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi.Note de bas de page 14

[43] Le membre de la division générale qui a mené l’audience a rendu une décision très structurée et détaillée. La conclusion du membre est appuyée par la preuve prépondérante et la loi.

[44] Je suis pleinement conscient que le prestataire peut demander réparation devant une autre instance, si une violation est établie.Note de bas de page 15 Cela ne change rien au fait qu’en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite.

[45] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments du prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel, je conclus que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès sur la question de l’inconduite.

Conclusion

[46] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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