Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : ZB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 363

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale — Section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : Z. B. 
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (504029) datée du 10 août 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc-André St-Jules
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 6 décembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 10 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-2841

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté avec modifications. Le Tribunal n’est pas d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.Note de bas de page 1

Aperçu

[3] Le prestataire a perdu son emploi. La Commission affirme que le prestataire a été suspendu sans solde parce qu’il s’est opposé à sa politique de vaccination : il ne s’est pas fait vacciner.Note de bas de page 2 

[4] Même si le prestataire ne conteste pas ce qui s’est passé, il affirme que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite. Il a tenté de s’y conformer, mais sa demande d’exemption a été rejetée.

[5] La Commission a décidé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que le prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Questions que je dois examiner en premier

J’ai deux appels devant moi. Ils étaient séparés.

[6] J’ai deux appels distincts devant moi avec le même prestataire. J’ai gardé les appels séparés. La présente décision porte sur une inadmissibilité en raison d’une inconduite. L’autre décision sera rendue séparément. Question d’économie de temps, j’ai prévu une audience pour les deux questions en litige.

[7] Je conclus que le fait d’avoir deux décisions distinctes ne cause pas préjudice au prestataire. Chaque question fait l’objet d’une décision propre, ce qui rend chacune plus claire et concise.

J’accepte les documents déposés après l’audience

[8] Pendant l’audience, j’ai accepté de recevoir les documents à déposer après l’audience, car ils appuyaient une partie du témoignage du prestataire. Les documents ont été présentés comme convenu. Les documents ont été communiqués à la Commission. Aucune réponse de la Commission n’a été reçue à la date de la présente décision.

Question en litige

[9] Le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[10] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique aux cas de congédiement et de suspension.Note de bas de page 3

[11] Pour décider si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider de deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison le prestataire a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère ce motif comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[12] Je conclus que le prestataire a perdu son emploi parce qu’il allait à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur.

[13] Le prestataire a déclaré qu’il a d’abord été suspendu parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination. Il a ajouté que la suspension a fini par déclencher son congédiement à compter du 20 juin 2022.

[14] La Commission affirme que le prestataire a été suspendu parce qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination de l’employeur. Le prestataire a refusé de se faire vacciner.

[15] Je conclus que le prestataire a été suspendu, puis congédié, parce qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination mise en œuvre par son employeur. Rien dans le dossier ou dans le témoignage ne laisse croire qu’il a perdu son emploi pour une autre raison.

La raison de la suspension du prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[16] La raison de la suspension du prestataire est une inconduite au sens de la loi.

[17] La Loi sur lassurance-emploi ne précise pas ce qu’on entend par inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment déterminer si la suspension du prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle énonce le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[18] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle.Note de bas de page 4 L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée.Note de bas de page 5 Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.Note de bas de page 6

[19] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raison.Note de bas de page 7

[20] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeur.Note de bas de page 8 Je dois plutôt me concentrer sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi.Note de bas de page 9

[21] Je dois me concentrer uniquement sur la Loi. Je ne peux pas décider si le prestataire a d’autres options en vertu d’autres lois. Il ne m’appartient pas de décider si le prestataire a été suspendu à tort ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables (mesures d’adaptation) pour le prestataire.Note de bas de page 10 Je ne peux examiner qu’une seule chose : si ce que le prestataire a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.

[22] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.Note de bas de page 11

[23] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait une politique de vaccination.Note de bas de page 12
  • L’employeur a avisé le prestataire de ses attentes au sujet de la vaccination.
  • L’employeur a communiqué la politique au prestataire; il a informé ses employés, y compris le prestataire, de ce à quoi il s’attendait.
  • Le prestataire savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait s’il ne respectait pas la politique.

[24] Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • Il n’a pas commis d’inconduite au sens de la loi.
  • Le vaccin est une intervention médicale à haut risque.
  • La politique de l’employeur ne tenait pas compte du fait qu’il avait déjà été atteint de COVID, donc que son corps avait déjà une immunité naturelle.
  • Il a fait de son mieux pour se conformer à l’obligation vaccinale en présentant une demande d’exemption.
  • Le prestataire a eu une carrière exemplaire; il a reçu des commentaires élogieux au cours de ses 25 années chez l’employeur. On n’a pas prouvé qu’il a eu inconduite.
  • Le statut vaccinal d’une personne n’équivaut pas à une limitation fonctionnelle relativement à sa capacité de travail.
  • Il existe de nombreuses mesures d’adaptation raisonnables et moins intrusives pour créer un milieu de travail sécuritaire et inclusif.
  • La nouvelle politique ne faisait pas partie de son contrat de travail.
  • Le prestataire a cotisé au régime d’assurance-emploi pendant plus de 25 ans et il n’a jamais été au chômage.

[25] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes.

  • L’employeur avait une politique de vaccination qui exigeait que ses employés présentent une preuve de vaccination au plus tard le 22 novembre 2021, sinon ils seraient placés en congé sans solde.Note de bas de page 13
  • Le prestataire a été informé de la politique et des conséquences de son non-respect.
  • Le prestataire connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.

[26] Premièrement, j’accepte le fait non contesté que la politique a été communiquée au prestataire. Le prestataire a déclaré qu’il l’avait reçue et qu’il comprenait la politique. Bien qu’il ait accusé réception de la politique, il n’est pas du tout d’accord avec celle-ci.

[27] Deuxièmement, je conclus que le prestataire a volontairement et consciemment choisi de ne pas se conformer à la politique pour des raisons personnelles. Il a déclaré avoir lu la politique. Il n’était pas d’accord. Il avait une immunité naturelle et a présenté une demande d’exemption.Note de bas de page 14 Il croit fermement en son immunité naturelle et a choisi de ne pas s’y conformer. Le prestataire a volontairement choisi de ne pas s’y conformer et de se fier à l’immunité naturelle de son corps.

[28] Troisièmement, le prestataire connaissait les conséquences du non-respect de la politique. Cela est confirmé par son témoignage et sa demande d’exemption à l’employeur datée du 22 novembre 2021. Dans sa demande d’exemption, le prestataire a écrit qu’il présentait la demande [traduction] « sous la contrainte et la menace de perdre [s]on emploi ».Note de bas de page 15

[29] Ce fait est encore confirmé par le courriel que l’employeur a envoyé le 22 novembre 2021.Note de bas de page 16 Cette lettre confirme la réception de la demande et fournit des renseignements sur les [traduction] « modalités de travail temporaires » pour travailler de la maison le temps que l’on évalue la demande. Ce courriel faisait suite à la demande d’exemption du prestataire au titre du Code des droits de la personne.

[30] Pour cette raison, le prestataire a travaillé à 100 % de la maison après cette date. Ce courriel montre que l’employeur prenait l’affaire au sérieux. Le prestataire aurait dû savoir que l’employeur avait l’intention de mettre en œuvre la politique telle qu’elle a été communiquée.

[31] Après le rejet de sa demande d’exemption, il a été placé en congé sans solde à compter du 19 janvier 2022.Note de bas de page 17 La lettre de congé que le prestataire a reçue lui a donné plus de temps à se conformer à la politique. Cela montre que l’employeur a continué de mettre en œuvre la politique et qu’il n’y a pas renoncé. Le prestataire a maintenu sa position quant à la vaccination et a choisi de ne pas se faire vacciner, ce qui signifie qu’il ne respectait pas la politique.

[32] Le prestataire a déclaré qu’il a ensuite été congédié le 20 juin 2022.

[33] Certains des arguments du prestataire critiquent la conduite de l’employeur, y compris le caractère raisonnable de la politique et les conséquences en cas de non-respect.

[34] Comme je l’ai mentionné plus haut, je n’ai pas le pouvoir de décider si la politique était raisonnable ou si l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation pour le prestataire. Les tribunaux appuient cette conclusion.Note de bas de page 18 Le fait que l’employeur a rejeté sa demande d’exemption s’inscrit dans cette catégorie. Je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur avait tort de rejeter sa demande d’exemption.

[35] Dans une autre affaire, la Cour fédérale a décidé que la question relevait d’une autre instance lorsqu’un prestataire soutenait que la politique de l’employeur violait ses droits de la personne.Note de bas de page 19 Par conséquent, il n’est pas possible de trancher ici les arguments du prestataire concernant les droits de la personne et l’application prétendument discriminatoire de la politique de l’employeur.

[36] Le prestataire soutient que la politique de vaccination viole les droits que lui confèrent la Charte canadienne des droits et libertés et le Code des droits de la personne de la Colombie-Britannique. Il y a aussi la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne et un certain nombre de lois provinciales qui protègent les droits et libertés. Ces lois sont appliquées par différentes cours et différents tribunaux. Le Tribunal de la sécurité sociale n’a pas la compétence (le pouvoir) d’examiner si une mesure prise par un employeur viole la Charte ou les lois sur les droits de la personne.

[37] Je peux seulement décider si ce que le prestataire a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. J’ai déjà décidé que la conduite du prestataire constitue une inconduite.

[38] Je juge que le prestataire est très crédible. Ses déclarations étaient cohérentes et rien dans les déclarations de la Commission ne laisse croire qu’il y a des problèmes de crédibilité. Je n’ai aucun doute que le prestataire était un très bon employé.

[39] Le prestataire affirme qu’on n’a pas prouvé qu’il y a eu inconduite. Je conviens que le prestataire n’a jamais eu d’intention coupable. Rien dans le dossier ne laisse croire que c’est ce qui s’est passé. Toutefois, les tribunaux ont décidé au fil des années qu’une personne n’a pas à avoir une intention coupable pour être coupable d’inconduite.Note de bas de page 20

[40] J’estime qu’une fois que l’employeur a imposé sa politique de vaccination, celle-ci est devenue une condition d’emploi. Je conviens que le prestataire peut refuser la vaccination. C’est sa propre décision. Je conviens également que l’employeur doit gérer les activités quotidiennes du milieu de travail. Cela comprend l’élaboration et l’application de politiques liées à la santé et à la sécurité au travail.

[41] En choisissant de ne pas se faire vacciner – après l’échec de sa demande de mesures d’adaptation – le prestataire a pris une décision personnelle qui a entraîné des conséquences prévisibles pour son emploi.

[42] Je comprends que le prestataire estime qu’il devrait avoir droit à des prestations parce qu’il a cotisé au régime de l’assurance-emploi. Cette croyance va à l’encontre du principe fondamental de l’assurance-emploi. En effet, un employé ne doit pas se placer volontairement dans une situation de chômage. C’est ce que le prestataire a fait dans la présente affaire. Ce manquement conscient et délibéré à l’obligation envers l’employeur constitue une inconduite au sens de la Loi.

Le prestataire a-t-il donc perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[43] À la lumière de mes conclusions précédentes, je conclus que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[44] En effet, les actions du prestataire ont mené à sa suspension. Il a agi délibérément. Il savait que le refus de se faire vacciner allait probablement faire en sorte qu’il perde son emploi.

Conclusion

[45] Je conclus que le prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations pour la période de suspension allant du 19 janvier 2022 au 19 juin 2022.

[46] Je conclus que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations à compter du 20 juin 2022. Il s’agit de la date de son congédiement.

[47] Par conséquent, l’appel est rejeté avec modifications.

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