Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 346

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : M. R.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (521169) rendue le 29 août 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 12 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 23 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-3194

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné une suspension). Pour cette raison, il n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] Le prestataire a été suspenduNote de bas de page 1. Son employeur affirme qu’il a été suspendu parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination : il ne s’est pas fait vacciner.

[4] Même si le prestataire ne conteste pas ces faits, il dit que contrevenir à la politique de vaccination de son employeur n’est pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeur pour expliquer la suspension. Elle a décidé que le prestataire avait été suspendu en raison d’une inconduiteNote de bas de page 2. Elle a donc conclu que le prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas une partie à l’appel

[6] Le Tribunal a constaté qu’il pouvait peut-être mettre une autre partie en cause dans l’appel : l’ancien employeur du prestataire. Le Tribunal lui a fait parvenir une lettre pour lui demander s’il avait un intérêt direct dans l’appel et s’il voulait être mis en cause. En date de la présente décision, l’employeur n’a pas répondu à la lettre. Comme rien dans le dossier n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas le mettre en cause.

Question en litige

[7] Le prestataire a-t-il été suspendu en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] La loi dit qu’on ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique en cas de congédiement et en cas de suspensionNote de bas de page 3.

[9] Pour savoir si le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison il a été suspendu. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme étant une inconduite.

Pourquoi le prestataire a‑t‑il été suspendu?

[10] Les deux parties conviennent que le prestataire a été suspendu de son emploi parce qu’il a enfreint la politique de vaccination de l’employeur. Je ne vois rien qui prouve le contraire, alors j’accepte ce fait.

La raison de la suspension est-elle une inconduite au sens de la loi?

[11] La raison pour laquelle le prestataire a été suspendu est une inconduite au sens de la loi.

[12] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Mais la jurisprudence (les décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment savoir si le renvoi du prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle établit le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les points et les critères à prendre en considération lorsqu’on examine la question de l’inconduite.

[13] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 5. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 6.

[14] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que la possibilité de se faire congédier pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 7.

[15] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 8.

[16] Je peux me pencher sur une seule question : ce que le prestataire a fait ou omis de faire est‑il une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi? Je ne peux pas rendre ma décision en me fondant sur d’autres loisNote de bas de page 9. Je ne peux pas décider si les prestataires se sont fait congédier de façon déguisée ou injustifiée au sens du droit du travail. Je ne peux pas décider si les employeuses et employeurs ont fait preuve de discrimination à l’égard des prestataires ou auraient dû répondre à leurs besoins au titre de la législation sur les droits de la personneNote de bas de page 10. Je ne peux pas non plus décider si les employeuses et employeurs ont porté atteinte à la vie privée ou à d’autres droits des prestataires.

[17] La Cour d’appel fédérale a jugé une affaire appelée Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 11. M. McNamara a été congédié aux termes de la politique de son employeur sur le dépistage des drogues. Il a fait valoir qu’il n’aurait pas dû perdre son emploi parce que le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances, notamment parce qu’aucun motif raisonnable ne permettait de croire qu’il était incapable de travailler en toute sécurité après avoir consommé de la drogue et parce que le dernier test qu’il avait passé était toujours valable. Essentiellement, M. McNamara disait qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que son employeur a mal agi lorsqu’il a décidé de le congédier.  

[18] En guise de réponse aux arguments de M. McNamara, la Cour d’appel fédérale a expliqué que, dans les affaires où il est question d’inconduite, elle a toujours maintenu ceci : « il n’appartient pas au conseil ou au juge arbitre de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt, il leur appartient de dire si l’omission ou l’acte

[19] reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi ». La Cour a ajouté que, dans l’interprétation et l’application de la Loi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a fait remarquer que les membres du personnel dont le congédiement est injustifié disposent d’autres recours, « qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance-emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[20] La décision McNamara a été suivie dans une affaire plus récenteNote de bas de page 12 : Paradis c Canada (Procureur général). Comme M. McNamara, M. Paradis a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage. M. Paradis a fait valoir qu’il avait été congédié à tort, que les résultats des tests montraient qu’il n’avait pas travaillé avec les facultés affaiblies et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et aux lois provinciales sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est appuyée sur la décision McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un élément déterminant lorsqu’il s’agit de décider de l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 13.

[21] La Cour d’appel fédérale a jugé une autre affaire semblableNote de bas de page 14 : Mishibinijima c Canada (Procureur général). M. Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool. Il a fait valoir que, comme la dépendance à l’alcool était reconnue comme une déficience, son employeur était tenu de lui fournir des mesures d’adaptation. Encore une fois, la Cour a précisé qu’il faut se pencher d’abord et avant tout sur ce que la personne employée a fait ou n’a pas fait. Elle a ajouté que le fait que l’entreprise n’a pas mis de mesures d’adaptation en place pour la personne qu’elle emploie n’est pas pertinentNote de bas de page 15.

[22] Ces affaires ne parlent pas de politiques de vaccination contre la COVID‑19. Cependant, les principes qui s’y trouvent sont toujours pertinents. Mon rôle n’est pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur pour décider s’il avait raison de congédier le prestataire. Je dois plutôt me pencher sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait, puis voir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi

Ce que disent la Commission et le prestataire

[23] La Commission et le prestataire s’entendent sur les principaux faits dans la présente affaire. Les principaux faits sont ce que la Commission doit prouver pour démontrer que la conduite du prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi.

[24] Selon la Commission, il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait une politique de vaccination qu’il a communiquée au prestataire.
  • La politique de l’employeur obligeait le prestataire à fournir une preuve de vaccination ou à obtenir une exemption approuvée.
  • Le prestataire savait ce que la politique lui demandait de faire.
  • Il savait aussi que son employeur pouvait le suspendre aux termes de la politique s’il ne fournissait pas sa preuve de vaccination ou n’obtenait pas une exemption avant la date limite.
  • Il a demandé des exemptions pour des raisons religieuses et des motifs liés aux droits de la personne, mais l’employeur a rejeté ses demandes.
  • Il a fait le choix personnel de ne pas se faire vacciner avant la date limite.
  • Son employeur l’a suspendu parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination.

[25] Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • La politique de vaccination de l’employeur était contraire à la loi et violait ses droits fondamentaux.
  • L’employeur a agi de façon déraisonnable lorsqu’il a rejeté ses demandes d’exemption.
  • Il travaillait de la maison, alors son statut vaccinal ne l’empêchait en rien de faire son travail.

[26] Dans le présent appel, les éléments de preuve sont cohérents et simples. Le prestataire savait ce qu’il avait à faire pour respecter la politique de vaccination et ce qui se passerait s’il ne le faisait pas. L’employeur l’a informé des exigences de la politique et des conséquences du non‑respect de la politique.

[27] L’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et de mettre en place des politiques en milieu de travail. Lorsqu’il a mis en œuvre cette politique obligatoire pour tout le personnel, elle est devenue une condition expresse de l’emploi du prestataireNote de bas de page 16. Rien ne prouve que le prestataire était exempté de la politique parce qu’il travaillait de la maison.

[28] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le Tribunal n’a pas à décider si la politique d’une employeuse ou d’un employeur était raisonnable ni si le congédiement des prestataires était justifié. Le Tribunal doit décider si la conduite du prestataire constituait une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 17.

[29] Il existe un certain nombre de lois qui protègent les droits d’une personne, comme le droit à la vie privée ou le droit à l’égalité (absence de discrimination). L’une d’elles est la Charte. Il y a aussi la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne et bon nombre de lois provinciales qui protègent les droits et les libertés.

[30] Ces lois sont appliquées par différentes cours et divers tribunaux. 

[31] Le Tribunal peut décider si une des dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi ou de ses règlements (ou d’une loi connexe) porte atteinte aux droits que la Charte garantit aux prestataires.

[32] Le Tribunal n’est toutefois pas autorisé à vérifier si une mesure prise par une employeuse ou un employeur viole les droits fondamentaux que la Charte garantit aux prestataires. Une telle chose dépasse ma compétence. Le Tribunal n’est pas non plus autorisé à rendre des décisions fondées sur la Charte canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne ou les lois provinciales qui protègent les droits et les libertés.

[33] Le prestataire a peut-être d’autres recours pour faire valoir ses prétentions, soit que la politique de l’employeur a porté atteinte à ses droits. Mais ces questions doivent être traitées par la cour ou le tribunal approprié. Elles ne relèvent pas de ma compétence.

[34] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite parce qu’elle a démontré ceci :

  • L’employeur avait adopté une politique de vaccination qui obligeait son personnel à fournir une preuve de vaccination contre la COVID‑19.
  • Le prestataire connaissait la politique de vaccination et ce que l’employeur attendait de son personnel à cet égard.
  • Il savait que l’employeur pouvait le suspendre s’il ne se faisait pas vacciner avant la date limite.
  • Il a demandé d’être exempté de la politique, mais l’employeur a refusé.
  • De façon consciente, délibérée et intentionnelle, il a pris la décision personnelle de ne pas se faire vacciner avant la date limite.
  • Il a été suspendu parce qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination de l’employeur.

Somme toute, le prestataire a‑t‑il été suspendu en raison d’une inconduite?

[35] Compte tenu des conclusions que je viens de tirer, je juge que le prestataire a été suspendu pour inconduite.

[36] En effet, sa suspension découle de ses faits et gestes. Il a agi de façon délibérée. Il savait qu’il risquait de se faire suspendre s’il ne se faisait pas vacciner.

Conclusion

[37] La Commission a prouvé que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. Pour cette raison, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[38] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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