Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : WW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 368

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : W. W.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant :
Gilles-Luc Bélanger

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 14 octobre 2022 (GE-22-2423)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 14 février 2023

Personnes présentes à l’audience :


Appelant
Représentant de l’intimée

Date de la décision : Le 27 mars 2023
Numéro de dossier : AD-22-851

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. La division générale n’a pas examiné 1) la légalité de la politique de vaccination de l’employeur ni 2) la question de savoir si l’appelant, W. W. (prestataire), devait se conformer à une politique qui ne faisait pas partie de son contrat de travail initial, mais cela n’aurait pas changé le résultat. Le prestataire demeure exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[2] Le prestataire fait appel de la décision de la division générale. La division générale a conclu que l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait prouvé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Le prestataire n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur. Par conséquent, le prestataire a été exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[3] Le prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de compétence et des erreurs de droit. Plus précisément, le prestataire affirme que la division générale n’a pas examiné si la politique de vaccination de son employeur était légale. Il affirme que si la division générale avait examiné la légalité de la politique, elle aurait conclu qu’elle violait plusieurs lois. Elle aurait alors conclu qu’il ne pouvait pas y avoir d’inconduite de la part du prestataire pour ne pas avoir respecté la politique de vaccination.

[4] Le prestataire soutient également que la division générale aurait dû décider qu’il n’avait pas à se faire vacciner aux termes de son contrat de travail initial. Il affirme que l’employeur n’était pas autorisé à lui imposer de nouvelles politiques sans son consentement. Il fait donc valoir que le non-respect de la nouvelle politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite.

[5] Le prestataire demande à la division d’appel d’accueillir son appel et de conclure à l’absence d’inconduite dans son cas.

[6] La Commission soutient que la division générale n’a commis aucune erreur. La Commission affirme que la politique de vaccination de l’employeur n’avait rien d’illégal et que les employeurs peuvent adopter de telles politiques, car elles sont conformes à leurs obligations générales d’assurer la sécurité et la santé au travail. La Commission demande à la division d’appel de rejeter l’appel.

Questions en litige

[7] Voici les questions en litige dans le présent appel :

  1. a) La division générale a-t-elle omis d’examiner le caractère légal de la politique de vaccination de l’employeur?
  2. b) La division générale a-t-elle omis d’examiner si le prestataire devait se conformer à la politique de vaccination de son employeur même si son contrat de travail n’exigeait pas la vaccination?

Analyse

[8] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale s’il y a des erreurs de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 1.

La division générale a-t-elle omis d’examiner le caractère légal de la politique de vaccination de l’employeur?

[9] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de compétence. Il fait valoir que la division générale aurait dû vérifier si la politique de vaccination de son employeur était légale. Il affirme que si la division générale avait accepté le fait que la politique était illégale, elle aurait conclu qu’il n’avait pas à s’y conformer et qu’il n’y avait pas eu d’inconduite.

[10] La division générale a tenu compte de l’argument du prestataire selon lequel la politique de son employeur était illégale, discriminatoire et injuste et qu’elle violait plusieurs lois ou principes juridiquesNote de bas de page 2.

[11] Toutefois, la division générale n’a pas abordé directement les arguments du prestataire concernant la légalité de la politique de l’employeur. La division générale a établi que la seule question qu’elle devait trancher était celle de savoir si les gestes posés par le prestataire répondaient à la définition d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[12] En accordant la permission de faire appel sur cette question, j’ai souligné que la Cour d’appel fédérale avait laissé entendre que, tant que la directive d’un employeur est légale, l’employé doit s’y conformerNote de bas de page 3. Ne pas s’y conformer constituerait une inconduite. J’ai estimé qu’il fallait en déduire que si la directive ou la politique d’un employeur est, par contre, illégale, on pouvait soutenir qu’un employé ne devrait pas avoir à se conformer à cette politique et qu’il n’y avait pas d’inconduite.

Selon la décision Cecchetto c Canada (Procureur général), la légalité d’une politique de vaccination n’est pas pertinente à la question de l’inconduite

[13] La Cour fédérale a récemment fourni plus de précisions sur cette question. Dans l’affaire Cecchetto c Canada (Procureur général)Note de bas de page 4, Mr Cecchetto a soutenu que la Cour fédérale devrait annuler la décision de la division d’appel dans son cas. Il a dit que la division d’appel n’avait pas répondu à ses questions sur la légalité d’exiger que les employés se soumettent à des procédures médicales, y compris la vaccination et les tests.

[14] Mr Cecchetto a fait valoir qu’étant donné que l’efficacité et le caractère sécuritaire de ces procédures n’étaient pas prouvés, il ne devrait pas avoir à se faire vacciner. Il affirme qu’il y avait des raisons légitimes de refuser la vaccination. Pour cette raison, il affirme que le fait de ne pas se faire vacciner ne devrait pas constituer une inconduite.

[15] La Cour a écrit :

[traduction]
[46] Comme je l’ai mentionné plus haut, il est probable que le demandeur [Ceccheto] trouvera ce résultat frustrant, car mes motifs ne traitent pas des questions juridiques, éthiques et factuelles fondamentales qu’il soulève. En effet, bon nombre de ces questions dépassent tout simplement la portée de la présente affaire. Il n’est pas déraisonnable pour un décideur de ne pas traiter les arguments juridiques qui ne relèvent pas de son mandat juridique.

[47] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale et la division d’appel ont un rôle important, mais restreint et précis à jouer dans le système juridique. Dans la présente affaire, le rôle consistait à déterminer pourquoi le demandeur avait été congédié et si ce motif constituait une « inconduite ». [...]

[48] Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 ni rendu de décision à ce sujet. Une telle conclusion ne relevait ni du mandat ni de la compétence de la division d’appel ou de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 5. [Citation omise]

(C’est moi qui souligne)

[16] Dans l’affaire Cecchetto, la division d’appel n’a tiré aucune conclusion concernant la légalité de la politique de vaccination. La Cour a déclaré que cela dépassait simplement la portée de la division d’appel. La Cour a établi que la division d’appel a un rôle limité dans ce qu’elle peut faire. Elle se limite à déterminer la raison pour laquelle une partie prestataire est congédiée et si cette raison constitue une inconduite.

[17] Il ressort clairement de l’affaire Cecchetto que les arguments du prestataire au sujet de la légalité de la politique de vaccination de son employeur ne sont pas pertinents pour la question de l’inconduite. Pour cette raison, la division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a décidé qu’elle pouvait se concentrer uniquement sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

La division générale a-t-elle omis d’examiner si le prestataire devait se conformer à une politique qui ne faisait pas partie de son contrat de travail?

[18] Le prestataire soutient que la division générale n’a pas examiné s’il devait se conformer à la politique de vaccination de son employeur.

[19] Le prestataire affirme que si la division générale avait examiné cette question, elle aurait conclu que la politique de vaccination ne faisait pas partie de son contrat de travail. Comme elle ne faisait pas partie de son contrat de travail initial et qu’il dit que son employeur n’avait pas le droit d’imposer de nouvelles conditions d’emploi sans son consentement, il n’avait pas à se conformer à la nouvelle politique. S’il n’était pas tenu de s’y conformer, il nie le fait qu’il ait pu commettre une inconduite en ne se faisant pas vacciner.

Le prestataire invoque l’affaire AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada

[20] La prestataire s’appuie sur l’affaire AL c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 6. Dans cette affaire, la division générale a examiné si A. L. avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. A. L. n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur. La division générale a conclu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite dans l’affaire d’A. L. parce que l’employeur avait mis en place une politique de vaccination sans consulter les employés et sans obtenir leur consentement.

[21] La division générale a établi qu’aucune des parties ne pouvait imposer unilatéralement de nouvelles conditions au contrat de travail. Elle a conclu que seule la loi permet à un employeur d’agir unilatéralement et d’exiger qu’un employé se conforme à ses obligationsNote de bas de page 7.

[22] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur en décidant que son recours pour toute question contractuelle était de poursuivre sa cause devant une cour ou un autre tribunal. Le prestataire affirme que les mêmes circonstances que dans l’affaire AL existent dans son cas. Il fait également valoir que les principes énoncés dans la décision LR s’appliquent (même si la division générale n’a rendu la décision LR qu’environ deux mois après avoir rendu sa décision dans son cas).

[23] La division générale a reconnu l’argument du prestataire selon lequel il n’était pas contractuellement tenu d’être vaccinéNote de bas de page 8.

Un employeur peut imposer unilatéralement de nouvelles conditions ne figurant pas dans le contrat de travail

[24] Le fait que le contrat de travail ne contenait probablement pas de dispositions sur la vaccination n’empêchait pas l’employeur d’imposer unilatéralement de nouvelles conditions ou exigences au prestataire.

[25] Dans l’affaire AL, la division générale a conclu qu’aucune des parties ne pouvait imposer unilatéralement de nouvelles conditions, mais cette conclusion est incompatible avec une loi bien établie.

[26] Dans un milieu de travail syndiqué, un employeur peut imposer unilatéralement toute règle ou politique, même si le syndicat n’est pas d’accord, pourvu que cela soit conforme à la convention collective et raisonnableNote de bas de page 9. C’est ce qu’on appelle le « critère énoncé dans KVP ». Les tribunaux ont toujours appuyé ce critère.

[27] L’emploi du prestataire n’était pas dans un milieu de travail syndiqué. Mais les tribunaux ont régulièrement utilisé cette approche en dehors du contexte syndicalNote de bas de page 10. Autrement dit, tant que les politiques ou les règles de l’employeur sont conformes au contrat de travail et qu’elles sont globalement raisonnables, l’employeur peut imposer unilatéralement de nouvelles politiques ou règles.

La division générale a un rôle limité quant aux questions qu’elle peut examiner

[28] Si la Cour fédérale a décidé qu’il n’appartenait pas à la division générale d’évaluer le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de vaccination d’un employeur, il devrait en être de même lorsque la question du caractère raisonnable d’une politique de vaccination est soulevée.

[29] Cela voudrait dire que la division générale n’a aucun rôle à jouer pour décider si une politique de vaccination est raisonnable, que ce soit aux fins de l’évaluation d’une inconduite ou à d’autres fins, par exemple pour examiner si un employeur peut imposer unilatéralement une règle ou une politique en milieu de travail.

[30] Après tout, il semblerait déraisonnable que, d’une part, la division générale n’ait ni le mandat ni la compétence de décider du bien-fondé, de la légitimité ou de la légalité d’une politique de vaccination, mais que, d’autre part, elle ait ensuite un mandat large pour décider du caractère raisonnable de cette politique.

[31] La Cour fédérale a clairement indiqué que la division générale et la division d’appel ont un rôle restreint et précis. Leur rôle se limite à déterminer la raison pour laquelle une partie prestataire aurait pu être congédiée et si cette raison constitue une inconduiteNote de bas de page 11.

Dans l’affaire Cecchetto, la Cour fédérale a reconnu que l’employeur pouvait imposer unilatéralement une politique de vaccination

[32] Dans l’affaire Cecchetto, le demandeur s’est appuyé sur la décision AL, tout comme le prestataire dans l’appel dont je suis saisie. Mr Cecchetto a fait valoir que le fait de refuser de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur ne constituait pas une inconduite.

[33] Il ressort clairement de la preuve dans l’affaire Cecchetto que le contrat de travail du demandeur n’exigeait pas la vaccination. Le demandeur a commencé à travailler en 2017, bien avant le début de la pandémie. Son employeur a par la suite adopté la directive provinciale sur la santé qui exigeait la vaccination ou des tests réguliers. L’employeur a adopté la politique unilatéralement, sans le consentement de Mr Cecchetto.

[34] La Cour a pris note de ces éléments de preuve. Elle savait quand Mr Cecchetto avait commencé à travailler et que son employeur avait adopté la directive provinciale sur la santé. Mr Cecchetto s’est opposé à cette directive. La Cour a admis que, même si la vaccination ne faisait pas partie du contrat de travail initial de Mr Cecchetto, son employeur pouvait par la suite adopter une politique exigeant la vaccination.

[35] La Cour a estimé que la division générale avait raisonnablement conclu que Mr Cecchetto avait commis une inconduite en ne respectant pas cette politique qui ne faisait pas partie de son contrat de travail initial.

[36] La Cour a déclaré qu’il pouvait y avoir des circonstances de fait rendant la décision AL pertinente. Toutefois, la Cour a formulé cette observation dans une remarque incidente et, par conséquent, elle n’est pas contraignante. De plus, la Cour s’est empressée d’établir les faits qui distinguent l’affaire. Elle a souligné que dans l’affaire AL, la politique de l’employeur exigeait la vaccination obligatoire et ne prévoyait aucune exemption ni aucun test de dépistage comme solution de rechange. Dans la présente affaire, l’employeur du prestataire a fourni certaines mesures d’adaptation, même si elles n’ont pas été accordées au prestataire.

[37] Bien que le contrat de travail du prestataire n’exigeait pas la vaccination, il est clair, d’après l’affaire Cecchetto, qu’un employeur peut introduire une nouvelle politique ou règle, même si un employé n’est pas d’accord avec elle et n’y consent pas.

Conclusion

[38] L’appel est rejeté.

[39] La division générale n’a pas omis d’examiner si la politique de vaccination de l’employeur était légale. La division générale n’avait tout simplement pas le pouvoir de trancher cette question.

[40] La division générale a pris note de l’argument du prestataire selon lequel il n’était pas contractuellement tenu d’être vacciné. La division générale n’a pas abordé directement cet argument, mais cela n’aurait pas changé le résultat de l’affaire.

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