Assurance-emploi (AE)

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Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c CM et al., 2023 TSS 390

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Suzette Bernard
Partie intimée : C. M. et al.
Représentante : Martin Savoie
Partie mise en cause :  
Représentante : Me Pierrick Bazinet

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 14 juillet 2022 (GE-20-2036 et al.)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 31 janvier 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Représentant des intimés
Date de la décision : Le 31 mars 2023
Numéro de dossier : AD-22-500 et al.

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Les prestataires ne sont pas admissibles aux prestations.

Aperçu

[2] L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a décidé qu’elle ne pouvait verser aux intimés (prestataires) des prestations d’assurance-emploi du 22 juillet 2019 au 2 août 2019, parce que toute semaine où un prestataire est en vacances annuelles et pour laquelle il touche sa rémunération habituelle d'une semaine entière de travail, ne peut être considéré en chômage. La Commission a maintenu sa décision initiale après révision. Les prestataires ont interjeté appel devant la division générale.

[3] La division générale a déterminé que le contrat de louage de services des prestataires se poursuivaient pendant les deux semaines de fermeture de l’employeur. Elle a conclu que les prestataires étaient en chômage puisque, malgré le fait qu’ils avaient un contrat de louage de services, ils n’avaient pas reçu leur rétribution habituelle pour les semaines du 22 juillet 2019 au 2 août 2019. Elle a également conclu que les prestataires n’avaient pas reçu une rétribution différée pour les semaines en question.

[4] La division d’appel a accordé à la Commission la permission d’en appeler de la décision de la division générale. La Commission soutient que la division générale a rendu sa décision sans tenir comptes des éléments portés à sa connaissance et a erré en droit dans son interprétation de la question de l’état de chômage des prestataires.

[5] Je dois décider si la division générale a ignoré les éléments de preuve portés à sa connaissance et si elle a commis une erreur en droit dans son d’interprétation de l’article 11(3) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[6] J’accueille l’appel de la Commission.

Question en litige

[7] Est-ce que la division générale a ignoré les éléments de preuve portés à sa connaissance et commis une erreur en droit dans son d’interprétation de l’article 11(3) de la Loi sur l’AE?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[8] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.Note de bas page 1

[9] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[10] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, Je dois rejeter l'appel.

Est-ce que la division générale a ignoré les éléments de preuve portés à sa connaissance et commis une erreur en droit dans son d’interprétation de l’article 11(3) de la Loi sur l’AE?

Les faits

[11] Les prestataires ont présenté une demande initiale de prestations d’assurance-emploi qui aurait dû commencer le 21 juillet 2019. Ils ont indiqué avoir cessé de travailler le 18 juillet 2019 en raison d’un manque de travail. Ils ont également indiqué qu’ils reviendraient travailler chez leur employeur.

[12] Le 9 octobre 2019, l’employeur a confirmé auprès de la Commission que la période de fermeture d’été de l’entreprise est de deux semaines pour tous les employés. Les employés étaient attendus au travail après la période de fermeture, soit le 5 aout 2019.

[13] La Commission a déterminé que les prestataires ne pouvaient pas être considérés en chômage du 22 juillet 2019 au 2 août 2019 puisqu’ils étaient en congé annuel et qu’ils touchaient leur rétribution habituelle d’une semaine entière de travail. Les prestataires ont porté en appel la décision en révision de la Commission devant la division générale.

Décision de la division générale

[14] La division générale a déterminé que le contrat de louage de services des prestataires se poursuivaient pendant les deux semaines de fermeture de l’employeur. Elle a conclu que les prestataires étaient en chômage puisque, malgré le fait qu’ils avaient un contrat de louage de services, ils n’avaient pas reçu leur rétribution habituelle pour les semaines du 22 juillet 2019 au 2 août 2019. Elle a également conclu que les prestataires n’avaient pas reçu une rétribution différée pour les semaines en question.

Position de la Commission

[15] La Commission fait valoir que la division générale a erré en droit en écartant l’application de l’article 11(3) de la Loi sur l’AE.

[16] La Commission soutient que la division générale n’a pas tenu compte des éléments portés à sa connaissance. Elle fait valoir que les prestataires ont manifesté leur choix de prendre leurs vacances d’été lors de la ratification de la convention collective et ce choix est valable tout au long de la durée de l’entente.

[17] La Commission soutient que la division générale a constaté qu’il était prévu que les prestataires reprennent leur emploi après les deux semaines de fermeture. Ceci signifie que les prestataires sont demeurés employés de l’employeur durant la période de congé.

[18] La Commission fait valoir que par le biais de l’article 16.01 de la convention collective, tout salarié régit par la convention collective bénéficie d’un montant d’épargne et d’une période de vacances, ce qui signifie que les prestataires ont reçu la partie de leur rétribution qui a été mise de côté.

[19] La Commission soutient que tous les prérequis pour l’application de l’article 11(3) de la Loi sur l’AE sont rencontrés. De plus, le paragraphe 10.1 du Règlement sur l’assurance-emploi prévoit que lorsqu’un assuré est rétribué par l’employeur pour une période de congé payé ou pour une période de congé par un paiement forfaitaire déterminé sans égard à la durée de la période, il est réputé avoir exercé un emploi.

[20] La Commission soutient que la conclusion de la division générale mène à un résultat absurde qui permet aux prestataires de recevoir une double rémunération durant les deux semaines de vacances : celle prévue dans la convention collective et celle payée par le régime d’assurance-emploi. Cela va à l’encontre de l’essence même du régime d’assurance-emploi.

Position des prestataires

[21] Les prestataires font valoir que la division d’appel ne siège pas de novo. Elle doit seulement déterminer si la division générale a commis une erreur de droit ou de faits.

[22] Les prestataires soutiennent que la décision de la division générale est basée sur la preuve présentée. La Commission n’étant pas présente lors de l’audience devant la division générale, elle ne peut maintenant se reprendre devant la division d’appel afin de changer les faits.

[23] Les prestataires soutiennent que la preuve a révélé que les semaines de fermeture pendant les vacances de la construction n’ont pas été rémunérées par I’employeur. Les travailleurs reçoivent leurs épargnes qu’ils ont mis de côté dans une fiducie qui prévoit la remise des épargnes aux cotisants à deux dates précisent annuellement sans égard à la prise de vacances par les travailleurs.

[24] Les prestataires soutiennent que les sommes versées par la fiducie n’ont pas valeur de rémunération au sens de la Loi sur l’AE. La Commission reconnait cette situation par une lettre datée du 23 novembre 2010 et par son argumentation au Tribunal.

[25] Les prestataires soutiennent que la preuve a démontré que les employés ne font aucune demande de vacances pour la période de fermeture de I’entreprise lors des vacances de la construction.

[26] Les prestataires soutiennent que la preuve a démontré que la période de fermeture n’était pas incluse dans le nombre de jours de vacances. L’employeur était présent et représenté devant la division générale et n’a fait aucune preuve contraire à cet état de fait.

[27] Les prestataires soutiennent que la convention collective stipule que I’entreprise est fermée lors de la période des vacances de la construction et la preuve a révélée cet état de fait. Il y a également eu arrêt de rémunération des employés par l’employeur.

Analyse

[28] La division générale devait décider si les prestataires étaient en chômage pour la période du 22 juillet au 2 août 2019 lors de la fermeture de l’employeur pendant les vacances de la construction.

[29] Tel que souligné, à bon droit, par la division générale, la question devant elle n’était pas de décider si les sommes que la fiducie versent aux prestataires est une rémunération qui doit être répartie au sens de la loi et du règlement.Note de bas page 2

[30] L’article 11(3) de la Loi sur l’AE prévoit qu’une semaine, totale ou partielle, n’est pas une semaine de chômage lorsque :

  • elle fait partie d’une période de congé en conformité avec une entente entre un employeur et un employé,
  • fait partie d’une période de congé durant laquelle l’employé demeure employé de cet employeur,
  • l’employé reçoit, indépendamment du moment du versement, la partie de sa rétribution qui a été mise de côté.

[31] La division générale a déterminé que les contrats de louage de services se poursuivaient pendant les deux semaines de fermeture de l’entreprise. Elle a considéré que les prestataires étaient liés par une convention collective. Elle a retenu que les prestataires reprenaient leurs emplois après les deux semaines de fermeture. La preuve démontre que les prestataires demeuraient employés de cet employeur.

[32] Dans son analyse de l’article 11(3) de la Loi sur l’AE, la division générale n’a pas remis en question que les prestataires reçoivent leurs épargnes mise de côté en fiducie, deux fois par année. Elle a retenu que la convention collective prévoit un versement « aux vacances d’été [et] au congé des Fêtes d’hiver ».

[33] Je constate que la convention collective stipule que tout salarié qui aura complété un certain nombre d’années de service avant la date d’échéance de l’année de référence, bénéficiera d’un montant d’épargne relatif à un pourcentage et d’une période de vacances.Note de bas page 3

[34] Il ressort clairement de la preuve que le pourcentage d’épargne versé à un employé est directement lié à la durée de ses vacances établie sur la base de son ancienneté.Note de bas page 4

[35] La preuve démontre que les prestataires reçoivent, indépendamment du moment du versement, la partie de leur rétribution qui a été mise de côté.

[36] La division générale devait finalement déterminer si les semaines en litige font partie d’une période de congé en conformité avec une entente entre un employeur et un employé. La division générale a déterminé que les prestataires ne prenaient pas une période de congé pendant cette période.

[37] La division générale s’appuie sur la version anglaise du texte de loi afin de conclure que l’employé ne prend par une période de congé. Elle fait valoir que l’article 11(3) indique « the employee takes the period of leave ».

[38] La division générale souligne que même s’il existe une convention collective, et donc une entente pour la fermeture des deux semaines de la construction, elle pourrait difficilement conclure que l’employé « prend » une période de congé à ce moment. Elle fait valoir qu’un employé ne pourrait pas demeurer au travail et ne peut travailler en raison de la fermeture de l’entreprise. Aucune demande de vacances n’a été présentée pour cette période. Selon elle, les employés n’avaient pas le choix de travailler ou non.

[39] Je suis d’avis que la division générale a erré dans son interprétation de la loi puisqu’elle ne tient compte pas de la version anglaise de la loi dans son intégralité. La version anglaise indique que l’employé « takes the period of leave under an agreement with their employer ». La division générale omet de considérer que la période de congé en litige est établie par les prestataires à la suite d’une entente avec l’employeur.

[40] Afin de soutenir sa position, la division générale fait fi de la convention collective de travail qui a été négociée par les parties et qui établit les conditions de travail des salariés chez cet employeur, incluant les vacances annuelles. La convention collective lie les parties qui y sont signataires.

[41] En vertu de cette convention collective, les prestataires ont fait le choix de prendre deux semaines de congé lors de la fermeture de l’employeur pendant les vacances de la construction.

[42] Cette volonté des parties est clairement exprimée dans la convention collective qui stipule que l’employeur fermera l’usine durant les deux (2) semaines de vacances d’été de la construction du Québec et que seul l’arrêt des fêtes n’est pas pris en compte dans la période de vacances du salarié.Note de bas page 5

[43] Il n’était donc pas nécessaire pour les prestataires de présenter une demande de vacances pour cette période puisque celle-ci était déjà prévue à la convention collective. Ce fait a été confirmé à plusieurs reprises par l’employeur.Note de bas page 6

[44] Pour ces motifs, je suis d’avis que la division générale a ignoré les éléments portés à sa connaissance et a erré en droit dans son interprétation de l’article 11(3) de la Loi sur l’AE.

[45] Il y a donc lieu pour moi d’intervenir.

Remède

[46] Considérant que les deux parties ont eu l'occasion de présenter leur cause devant la division générale, je rendrai la décision qui aurait dû être rendue par la division générale.Note de bas page 7

[47] La preuve démontre que toutes les conditions requises pour l'application de l’article 11(3) de la Loi sur l’AE sont remplies. Les prestataires sont demeurés employés de l’employeur, ont reçu la partie de leurs rétributions mise de côté, et le congé était prévu dans la convention collective acceptée par les prestataires. Les prestataires ne sont pas admissibles aux prestations.

[48] Il y a lieu d’accueillir l’appel de la Commission.

Conclusion

[49] L’appel est accueilli.

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