Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 362

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : D. S.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 22 janvier 2023 (GE-22-2790)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 28 mars 2023
Numéro de dossier : AD-23-131

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Décision

[1] Je refuse au prestataire la permission de faire appel parce qu’il n’a pas présenté d’argument défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le prestataire, D. S., travaillait comme technicien de terrain pour une entreprise de télécommunications. Le 31 janvier 2022, son employeur l’a mis en congé sans solde après qu’il a refusé de divulguer s’il avait été vacciné contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi au prestataire parce que son refus de respecter la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel du prestataire. Elle a conclu qu’il avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a estimé qu’il savait ou aurait dû savoir que son refus de suivre la politique entraînerait probablement son congédiement.

[4] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a ignoré le fait que rien dans la loi n’obligeait son employeur à établir et à appliquer une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Elle a ignoré le fait que ni son contrat de travail ni sa convention collective ne mentionnaient une exigence de vaccination.
  • Elle a ignoré les protections contenues dans la Charte canadienne des droits et libertés.
  • Elle a ignoré le fait qu’il travaillait de la maison et qu’il ne représentait aucune menace pour ses clients ou ses collègues.
  • Elle a ignoré des décisions antérieures qui ont accordé des prestations d’assurance-emploi à des parties prestataires qui ont refusé de se soumettre à des politiques de leurs employeurs qui violaient leurs droits.

Question en litige

[5]   Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale :

  • a agi de façon inéquitable;
  • a outrepassé sa compétence ou a refusé de l’exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que l’appel du prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Une chance raisonnable de succès est l’équivalent d’un argument défendableNote de bas de page 3. Si le prestataire n’a pas présenté d’argument défendable, l’affaire est close.

[7] À cette étape, je dois décider s’il est possible de soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que le prestataire n’a pas présenté d’argument défendable.

Il est impossible de soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] Le prestataire insiste sur le fait qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce qu’il n’avait pas l’obligation de divulguer ses renseignements médicaux à son employeur. Il affirme qu’en le forçant à le faire sous la menace d’une suspension ou d’un congédiement, son employeur a violé les dispositions de son contrat de travail et de sa convention collective.

[10] Compte tenu du droit sur la question de l’inconduite, je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

[11] Après avoir examiné la preuve disponible, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur du prestataire était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur du prestataire a adopté et communiqué une politique claire exigeant que les employés fournissent une preuve qu’ils avaient été entièrement vaccinés.
  • Le prestataire savait qu’il serait congédié s’il ne se conformait pas la politique à une certaine date.
  • Le prestataire a intentionnellement refusé de divulguer son statut vaccinal dans les délais exigés par son employeur.
  • Le prestataire n’a pas réussi à convaincre son employeur que l’une des exceptions permises par la politique s’appliquait à sa situation.

[12] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier et le témoignage du prestataire. La division générale a conclu qu’il était coupable d’inconduite parce que ses actes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à sa suspension. Le prestataire croyait peut-être que son refus de suivre la politique ne causait aucun préjudice à son employeur, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui d’en décider.

Il est impossible de soutenir que la division générale a mal interprété la loi

On entend par inconduite toute action intentionnelle susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[13] Le prestataire soutient que rien dans la loi n’obligeait son employeur à mettre en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Il dit que les tests de dépistage et la vaccination n’ont jamais été des conditions d’emploi.

[14] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[15] Il est important de garder à l’esprit que le terme inconduite a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi, qui ne correspond pas nécessairement à sa signification courante. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

Pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite du prestataire était consciente, voulue ou intentionnelle. Par inconduite, on entend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée.

Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que sa conduite soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit suspendu ou congédié pour cette raisonNote de bas de page 4.

[16] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à la question de l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que pour évaluer l’admissibilité du prestataire à l’assurance-emploi, elle n’avait pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement le terme inconduite

[17] Le prestataire soutient que son contrat de travail et sa convention collective ne l’obligeaient pas à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que la question n’est pas là. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employé l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale s’est exprimée en ces termes :

Il est également important de savoir que je ne peux pas décider si d’autres lois offraient d’autres options au prestataire. Je n’ai pas à décider s’il a été suspendu injustement ou si l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnables. Je peux seulement évaluer si ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 5.

[18] Le prestataire soutient qu’il ne peut être coupable d’inconduite à moins d’avoir manqué à une obligation expresse ou implicite de son contrat de travail. On peut cependant lire ce qui suit dans la décision Lemire :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 6.

[19] Dans la décision Lemire, la Cour a conclu qu’un employeur était fondé à considérer comme une inconduite le fait qu’un de ses employés chargés de la livraison de nourriture ait exploité une entreprise parallèle de vente de cigarettes. La Cour a conclu qu’il en était ainsi même si l’employeur n’avait pas de politique explicite à l’encontre d’une telle conduite.

Une nouvelle affaire confirme l’interprétation de la loi par la division générale

[20] Une décision récente a réaffirmé l’approche de la division générale à l’égard de la question de l’inconduite dans le contexte précis des obligations vaccinales contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 7. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas autorisé par la loi à trancher ces questions :

[traduction]

Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ou de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 8.

[21] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres façons pour le prestataire de faire valoir ses allégations de congédiement abusif et ses revendications en matière de droits de la personne dans le cadre du système juridique.

[22] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si le prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et vraisemblablement susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. La division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas ignoré des précédents pertinents ou contraignants

[23] À l’audience de la division générale, le prestataire a cité un certain nombre d’affaires à l’appui de son argument selon lequel son employeur n’avait pas le droit de l’obliger à se faire vacciner contre son gré. Plusieurs de ces affaires ont confirmé le droit à l’intégrité corporelle reconnu par la common lawNote de bas de page 9, qui est désormais inscrit dans la Charte. Cependant, je ne vois pas en quoi ces affaires sont pertinentes pour les affaires portant sur l’emploi et l’assurance-emploi en particulier.

[24] Les employés subordonnent souvent volontairement leurs droits lorsqu’ils acceptent un emploi. Par exemple, un employé peut accepter de se soumettre régulièrement à des tests de dépistage de drogues. Un employé peut aussi renoncer sciemment à un aspect de son droit à la liberté d’expression, comme son droit de critiquer publiquement son employeur. Pendant la durée de leur emploi, l’employeur peut tenter d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits de ses employés, mais ces derniers sont libres de quitter leur emploi s’ils veulent exercer pleinement ces droits. S’ils estiment qu’une nouvelle politique viole les dispositions de leur contrat de travail, ils sont également libres de poursuivre leurs employeurs en justice. Toutefois, le processus de demande d’assurance-emploi n’est pas l’endroit approprié pour plaider une cause.

[25] Le prestataire s’est également appuyé sur deux décisions d’assurance-emploi du présent Tribunal, mais elles ne lui ont pas été d’un grand secours parce qu’elles n’étaient pas contraignantes ni pertinentes.

[26] Comme la membre qui a instruit l’appel du prestataire l’a souligné à juste titre, elle n’était pas tenue de suivre les décisions rendues par les membres de son propre tribunal. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais ils ne le sont pas par les décisions de leurs pairs.

[27] Le prestataire a cité la décision ML dans laquelle il a été conclu que la divulgation de renseignements confidentiels par un employé n’était pas une inconduiteNote de bas de page 10. Toutefois, les faits de cette affaire différaient considérablement de ceux du prestataire. Dans la décision ML, la division générale était saisie d’un accord de règlement découlant d’un grief déposé par le syndicat du prestataire. Cet accord disait que le prestataire i) n’avait pas enfreint délibérément la politique de confidentialité de son employeur et ii) ne savait pas que sa divulgation entraînerait probablement son congédiement. Dans la présente affaire, le prestataire ne peut s’appuyer sur des conclusions comparables.

[28] Le prestataire a également cité la décision AL récemment rendue par la division générale dans laquelle un prestataire a été jugé admissible à des prestations d’assurance‑emploi même s’il n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 11. Toutefois, comme l’a noté la division générale, cette affaire n’a qu’une pertinence limitée par rapport à la situation du prestataire.

[29] La décision AL n’exempte pas totalement les prestataires de l’assurance-emploi des politiques de vaccination obligatoire de leurs employeurs comme le prestataire semble le penser. La décision AL semble concerner un prestataire dont la convention collective empêchait explicitement son employeur de l’obliger à se faire vacciner. Selon mon examen du dossier, le prestataire n’a jamais mentionné de disposition comparable dans son propre contrat de travail.

[30] De plus, l’affaire AL a été tranchée avant l’affaire Cecchetto, l’affaire récente qui fournit des orientations claires sur les obligations vaccinales des employeurs dans le contexte de l’assurance-emploi. Dans l’affaire Cecchetto, la Cour fédérale a examiné la décision AL et a laissé entendre qu’elle ne serait pas applicable de manière générale parce qu’elle reposait sur un ensemble de faits très particuliersNote de bas de page 12.

Conclusion

[31] Pour les raisons que je viens d’énumérer, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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