Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : FS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 382

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : F. S.
Représentante ou représentant : F. S.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 4 janvier 2023 (GE-22-2765)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 4 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-142

Sur cette page

Décision

[1] Je refuse au prestataire la permission de faire appel parce qu’il n’a pas de cause défendable. Le présent appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le prestataire, F. S., travaille comme commis chez X. Le 27 novembre 2021, son employeur l’a suspendu à la suite de son refus de divulguer s’il avait reçu un vaccin contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi au prestataire parce que la non-conformité à la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel du prestataire. Elle a conclu que le prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a conclu que le prestataire savait ou aurait dû savoir que négliger la politique entraînerait probablement la perte de son emploi.

[4] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a conclu à tort que le prestataire était [traduction] « tout à fait au courant » des conséquences de la non-conformité à la politique de vaccination de son employeur.
  • Elle a ignoré le fait que ni son contrat de travail ni sa convention collective ne mentionnaient une exigence relative au vaccin.
  • Elle a ignoré le fait que son employeur a tenté d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans son consentement.
  • Elle n’a pas tenu compte du fait que son employeur a ignoré sa demande d’exemption à la politique pour motifs religieux.
  • Elle n’a pas tenu compte d’une décision récente de la division générale qui a accordé des prestations d’assurance-emploi à une prestataire, même si elle a refusé de se soumettre à la politique de vaccination obligatoire de son employeur.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale :

  • a agi de façon injuste;
  • a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas page 1.

[6] Avant que le prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas page 2. Avoir une chance raisonnable de succès équivaut à avoir une cause défendable en droitNote de bas page 3. Si le prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette étape-ci, je dois répondre à la question suivante : est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que le prestataire n’a pas de cause défendable.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a mal interprété la loi

On entend par inconduite un geste intentionnel et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[9] Le prestataire a toujours soutenu que rien dans la loi n’exigeait que son employeur mette en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Il maintient que se faire vacciner n’a jamais été une condition de son emploi.

[10] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[11] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage quotidien du mot. La division générale a défini l’inconduite de la façon suivante :

Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la façon d’agir doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelle. Une inconduite comprend également une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit suspendu ou congédié pour cette raisonNote de bas page 4.

[12] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle établit l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[13] Le prestataire soutient que son contrat de travail et sa convention collective ne l’obligeaient pas à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que ce n’est pas la question. L’important est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employé l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses de la façon suivante :

[S]a représentante fait valoir que le prestataire avait [traduction] « droit à une exemption » et que l’employeur avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Toutefois, comme je l’ai mentionné, la question de savoir si la politique de vaccination de l’employeur était juste ou raisonnable ne relevait pas de ma compétence. La seule question portée à ma connaissance était de savoir si le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. À cet égard, je dois appliquer le critère juridique relatif à l’inconduite. Autrement dit, je ne peux pas ignorer la loi, même dans les cas suscitant le plus de sympathieNote de bas page 5.

[14] Le prestataire soutient qu’il ne peut pas être coupable d’inconduite à moins d’avoir manqué à une obligation expresse ou implicite découlant de son contrat de travail. Cependant, dans une affaire intitulée Lemire, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas page 6.

[15] Dans l’affaire Lemire, la Cour a ensuite jugé qu’un employeur était fondé à considérer comme une inconduite le fait qu’un de ses employés, chargé de la livraison de nourriture, ait mis sur pied une entreprise secondaire vendant des cigarettes aux clients. La Cour a conclu qu’il en était ainsi même si l’employeur n’avait pas de politique explicite contre ce type de comportement.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la loi par la division générale

[16] Une décision récente a confirmé cette approche pour évaluer l’inconduite dans le contexte précis de l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de son employeurNote de bas page 7. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle la loi n’autorise pas le Tribunal à régler ces questions.

[traduction]

Malgré les arguments du demandeur, rien ne justifie l’annulation de la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence du Tribunal de la sécurité sociale, que ce soit à la division d’appel ou à la division généraleNote de bas page 8.

[17] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a précisé que le système juridique offrait d’autres voies par lesquelles le prestataire aurait pu faire valoir que son congédiement était injustifié ou porter plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[18] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont : le prestataire a-t-il enfreint la politique de vaccination de son employeur et, si c’est le cas, l’infraction était-elle délibérée et susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement? Dans la présente affaire, la division générale a bien fait de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas ignoré de précédent pertinent ou contraignant

[19] Devant la division générale, le prestataire a cité une affaire intitulée A.L., dans laquelle une prestataire a été jugée admissible à des prestations de l’assurance-emploi même si elle n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeurNote de bas page 9. Le prestataire soutient que la division générale a rejeté cette affaire, même si elle s’appliquait à la sienne.

[20] Cependant, comme la division générale l’a souligné à juste titre, elle n’est pas obligée de suivre les décisions du même Tribunal. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais ils ne sont pas obligés de respecter les décisions de leurs collègues.

[21] De plus, contrairement à ce que le prestataire semble croire, la décision A.L. ne dispense pas entièrement les prestataires de l’assurance-emploi de l’application des politiques de vaccination obligatoire adoptées par leurs employeuses et employeurs. Dans l’affaire A.L., il semble que la convention collective empêchait explicitement l’employeur de forcer la personne à se faire vacciner. Selon mon examen de ce dossier, le prestataire n’a jamais mentionné de disposition comparable dans son propre contrat de travail.

[22] L’affaire A.L. a été tranchée avant l’affaire Cecchetto, l’affaire récente qui fournissait des directives claires sur les politiques de vaccination obligatoire des employeurs dans le contexte de l’assurance-emploi. Dans l’affaire Cecchetto, l’affaire A.L. fait l’objet d’un examen en passant de la part de la Cour fédérale et, selon la conclusion, elle n’a pas une grande portée parce qu’elle était fondée sur un ensemble de faits très particuliersNote de bas page 10.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[23] Le prestataire soutient que la division générale s’est trompée sur les faits. Il soutient qu’il n’est pas coupable d’inconduite parce que ni son contrat de travail ni sa convention collective ne l’obligeaient à se faire vacciner. Il insiste sur le fait qu’il n’avait aucun moyen de savoir qu’il serait suspendu s’il ne se conformait pas à la nouvelle politique de son employeur. Il fait valoir que, même s’il remplissait les conditions requises pour avoir droit à une exemption religieuse, X a ignoré sa demande.

[24] Étant donné le droit relatif à l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

La division générale a examiné tous les facteurs pertinents

[25] Lorsque la division générale a examiné la preuve dont elle disposait, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur du prestataire pouvait librement établir et appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur du prestataire a adopté et communiqué une politique claire exigeant que les personnes employées fournissent une preuve indiquant qu’elles avaient été entièrement vaccinées.
  • Le prestataire savait que la non-conformité à la politique avant une date donnée entraînerait la perte de son emploi.
  • Le prestataire a intentionnellement refusé de confirmer qu’il avait été vacciné dans les délais exigés par son employeur.
  • Le prestataire n’a pas réussi à convaincre son employeur que l’une des exceptions permises par la politique s’appliquait à lui.

[26] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier, ainsi que le témoignage du prestataire. La division générale a conclu qu’il était coupable d’inconduite parce que sa façon d’agir était délibérée et qu’elle a vraisemblablement mené à sa suspension. Le prestataire croyait peut-être que son refus de suivre la politique ne faisait pas de tort à son employeur, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui d’en décider.

La division générale avait des raisons de conclure que le prestataire savait qu’il ferait l’objet de mesures disciplinaires pour non-conformité

[27] Le prestataire affirme qu’il ne s’était pas rendu compte que son défaut de se faire vacciner entraînerait sa suspension. Il affirme que, comme la politique de vaccination était [traduction] « quelque chose qui ne s’était jamais produit auparavant », il a supposé que son contrat de travail et sa convention collective auraient préséance.

[28] Il n’existe selon moi aucune cause défendable ici. La division générale a examiné ces arguments et décidé que le fait que la politique de vaccination de son employeur soit équitable ou raisonnable importait peu. Ce qui comptait était de savoir si le prestataire avait délibérément enfreint la politique et s’il savait ou aurait dû savoir que l’infraction entraînerait probablement des mesures disciplinaires. Dans la présente affaire, la preuve a démontré que la politique de vaccination de X a été communiquée aux personnes employées le 28 octobre 2021 et qu’on s’attendait à ce qu’elle soit entièrement respectée au plus tard le 26 novembre 2021Note de bas page 11.

La division générale a examiné la demande d’exemption du prestataire pour motifs religieux

[29] Le prestataire fait valoir qu’il s’oppose à la vaccination en raison d’une conviction religieuse profonde. Il accuse la division générale de ne pas avoir tenu compte de cette objection, ainsi que de la preuve selon laquelle il remplissait les conditions requises pour obtenir une exemption aux termes de la politique de vaccination de son employeur.

[30] Toutefois, la division générale n’a pas ignoré la tentative que le prestataire a faite pour obtenir une exemption pour des motifs religieux. Dans sa décision, la division générale a écrit :

Je reconnais que le prestataire a également déclaré que l’employeur n’a jamais répondu à sa demande d’exemption religieuse. Je comprends que le prestataire était déçu et mécontent de cette situation. Néanmoins, la question de savoir si la politique de vaccination de l’employeur était juste ou raisonnable n’était pas de mon ressort. Il existait d’autres moyens pour le prestataire de faire valoir ces argumentsNote de bas page 12.

[31] Le prestataire peut trouver cela injuste, voire illogique, mais il était interdit pour la division générale d’examiner ce que son employeur a fait ou n’a pas fait. La division générale devait plutôt se concentrer sur le comportement du prestataire et sur la question de savoir si ce comportement constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi et de la jurisprudence connexe.

[32] Je remarque que le prestataire a présenté une demande d’exemption pour motifs religieux le 25 novembre 2021 seulement, soit la veille de l’échéance. X n’a peut-être pas répondu à la demande du prestataire aussi rapidement que celui-ci l’aurait voulu, mais la conduite de l’employeur n’était pas pertinente à l’enquête de la division généraleNote de bas page 13.

Conclusion

[33] Pour les motifs mentionnés ci-dessus, je ne suis pas convaincu que le présent appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. L’appel n’ira donc pas de l’avant.

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