Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 370

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : A. F.
Représentante ou représentant : D. F.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 6 janvier 2023 (GE-22-2612)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 27 mars 2023
Numéro de dossier : AD-23-130

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Décision

[1] Je refuse au prestataire la permission de faire appel parce qu’il n’a présenté aucun argument défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le prestataire, A. F., travaille comme éditeur vidéo pour une grande entreprise médiatique canadienne. Le 1er février 2022, son employeuse l’a placé en congé sans solde après qu’il a refusé de dire s’il avait reçu le vaccin contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à lui verser de prestations d’assurance-emploi parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeuse constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel du prestataire. Elle a conclu que le prestataire avait enfreint délibérément la politique de vaccination de son employeuse. Elle a conclu que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement la perte de son emploi.

[4] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il soutient que la division générale a fait les erreurs suivantes :

  • Elle a ignoré le fait que rien dans la loi n’obligeait son employeuse à établir et à appliquer une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Elle a ignoré le fait que ni son contrat de travail ni sa convention collective ne mentionnaient l’obligation de se faire vacciner.
  • Elle a ignoré le fait qu’il travaillait de la maison et ne représentait donc aucune menace pour ses collègues.
  • Elle n’a pas tenu compte d’une décision récente rendue par la division générale, dans laquelle elle a accordé des prestations d’assurance-emploi à une prestataire qui refusait de se soumettre à la politique de vaccination obligatoire de son employeur.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie appelante doit démontrer l’une des choses suivantes :

  • la division générale a agi de façon injuste;
  • la division générale a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • la division générale a mal interprété la loi;
  • la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que l’appel du prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Une chance raisonnable de succès est l’équivalent d’une cause défendableNote de bas de page 3. Si le prestataire n’a pas d’argument défendable, l’appel prend fin sur-le-champ.

[7] À cette étape-ci, je dois répondre à la question suivante : est-il possible de soutenir que la division générale a fait une erreur quand elle a conclu que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit applicable et les éléments de preuve qui l’ont menée à cette décision. J’ai conclu que la cause du prestataire n’est pas défendable.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] Le prestataire maintient qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce qu’il n’avait pas l’obligation de divulguer ses renseignements médicaux à son employeuse. Il affirme qu’en le forçant à le faire sous la menace d’une suspension ou d’un congédiement, son employeuse a violé les dispositions de son contrat de travail et de sa convention collective.

[10] Compte tenu du droit encadrant l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale aurait fait une erreur lorsqu’elle a rejeté ces arguments.

[11] Après avoir examiné les éléments de preuve à sa disposition, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeuse du prestataire était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme elle l’entendait.
  • L’employeuse a adopté une politique claire qu’elle a communiquée à son personnel : chaque personne devait fournir la preuve qu’elle était entièrement vaccinée.
  • Le prestataire savait que le non-respect de la politique à compter d’une certaine date entraînerait la perte de son emploi.
  • Le prestataire a refusé de façon intentionnelle de divulguer son statut vaccinal dans les délais raisonnables fixés par son employeuse.
  • Le prestataire n’a pas réussi à convaincre son employeuse que l’une des exceptions permises par la politique s’appliquait à lui.

[12] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier ainsi que le témoignage du prestataire. La division générale a conclu que le prestataire était coupable d’inconduite parce que ses faits et gestes étaient délibérés et, comme on pouvait s’y attendre, ils ont mené à une suspension. Le prestataire croyait peut-être que refuser de suivre la politique ne faisait pas de mal à son employeuse, mais au regard de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui d’en décider.

On ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la loi

Une inconduite est tout geste intentionnel qui est susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[13] Le prestataire soutient que rien dans la loi n’exigeait que son employeuse mette en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Il affirme que subir des tests ou se faire vacciner n’a jamais été une condition d’emploi pour lui.

[14] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[15] Il est important de garder à l’esprit qu’aux fins de l’assurance-emploi, le terme « inconduite » a un sens précis qui ne correspond pas nécessairement à celui du mot qu’on utilise au quotidien. Voici comment la division générale a défini l’inconduite :

[P]our qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeuse et que la possibilité de se faire suspendre pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 4.

[16] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. Elle a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle détermine l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’une employeuse ou d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir l’inconduite de façon explicite

[17] Le prestataire soutient que son contrat de travail ne l’obligeait pas à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, selon la jurisprudence, là n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’entreprise a adopté une politique et si la personne employée l’a ignorée de façon délibérée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

Je dois tenir compte de la Loi d’abord et avant tout. Je ne peux pas décider si d’autres lois donnent d’autres options au prestataire. Il ne m’appartient pas de décider si le prestataire a été suspendu à tort ou si l’employeuse aurait dû mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables pour lui. Je peux me pencher sur une seule question : ce que le prestataire a fait ou omis de faire est-il une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 5.

[18] Citant une affaire appelée Lemire, le prestataire a fait un lien entre l’inconduite et le manquement à une obligation prévue de façon expresse ou implicite dans le contrat de travail. Toutefois, la décision Lemire avait ceci à ajouter :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 6.

[19] Dans l’affaire Lemire, la Cour a conclu qu’un employeur avait raison de conclure qu’on parlait d’inconduite lorsqu’un employé affecté à la livraison de denrées alimentaires organisait en parallèle la vente de cigarettes à sa clientèle. La Cour a conclu que c’était une inconduite même si l’employeur n’avait pas de politique interdisant de façon explicite une telle conduite.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la division générale

[20] Une décision récente a réaffirmé cette approche permettant d’évaluer l’inconduite dans le contexte précis de l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire CecchettoNote de bas de page 7 portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle la loi n’autorise pas le Tribunal à régler ces questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, rien ne justifie l’annulation de la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait ni du mandat ni de la compétence du Tribunal de la sécurité sociale, que ce soit à la division d’appel ou à la division généraleNote de bas de page 8.

[21] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a précisé que le système juridique offrait d’autres voies par lesquelles le prestataire aurait pu porter plainte pour congédiement injustifié ou atteinte aux droits de la personne.

[22] Dans la présente affaire, tout comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont : le prestataire a-t-il enfreint la politique de vaccination de son employeuse et, si la réponse est oui, l’infraction était-elle délibérée et pouvait-on prévoir qu’elle puisse entraîner sa suspension ou son congédiement? Dans la présente affaire, la division générale a bien fait de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas ignoré un précédent d’application obligatoire

[23] Le prestataire s’appuie sur une décision rendue récemment par la division générale dans l’affaire ALNote de bas de page 9. Dans cette affaire, elle a décidé qu’une personne qui demandait de l’assurance-emploi avait droit aux prestations même si elle n’avait pas respecté la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19. Le prestataire semble avancer que le membre de la division générale qui a jugé son dossier aurait dû faire une analyse semblable à celle effectuée dans l’affaire AL.

[24] Je ne suis pas d’accord.

[25] Premièrement, l’affaire AL, comme celle du prestataire, a été tranchée par la division générale. Comme le membre qui a examiné la cause du prestataire l’a fait remarquer, il n’était pas obligé de suivre une affaire tranchée par son propre tribunal. Les membres de la division générale ont l’obligation de suivre les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais rien ne les force à suivre celles de leurs collègues.

[26] Deuxièmement, contrairement à ce que le prestataire semble croire, l’affaire AL ne dispense pas entièrement les prestataires de l’assurance-emploi de l’application des politiques de vaccination obligatoire adoptées par leurs employeuses et employeurs. Dans l’affaire AL, il semble que la convention collective empêchait explicitement l’employeur de forcer la personne à se faire vacciner. Selon mon examen du dossier, le prestataire n’a jamais mentionné de disposition comparable dans son propre contrat de travail. Dans la décision Cecchetto, celle où la Cour fédérale s’est récemment penchée sur les exigences de l’employeur en matière de vaccination, l’affaire AL fait aussi l’objet d’un examen et, selon la conclusion, elle n’aurait pas une grande portéeNote de bas de page 10.

Conclusion

[27] Pour les motifs que je viens d’expliquer, je ne suis pas convaincu que l’appel ait une chance raisonnable de succès. Par conséquent, la permission de faire appel est refusée. Cela met donc un terme à l’appel.

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