Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 360

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. F.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (502181) rendue le 3 août 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Bret Edwards
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 21 décembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelant (prestataire)
Date de la décision : Le 6 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-2612

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Je ne suis pas d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé qu’il a été suspendu en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné une suspensionNote de bas de page 1). Par conséquent, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 2.

Aperçu

[3] Le prestataire a été suspendu parce que, selon son employeuse, il n’avait pas respecté sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19.

[4] Le prestataire ne conteste pas ces faits, mais il dit que la politique de son employeuse sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19 était injuste parce que, selon lui, elle contrevenait à son contrat de travail initial et il n’y avait aucune preuve montrant que le vaccin contre la COVID-19 était sécuritaire ou efficace.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeuse pour expliquer la suspension. La Commission a décidé que le prestataire avait été suspendu pour inconduite. Elle a donc conclu qu’il n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] Le prestataire a-t-il été suspendu en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] Pour savoir si le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison il a été suspendu. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il été suspendu?

[8] Je juge que le prestataire a été suspendu parce qu’il n’a pas suivi la politique de son employeuse sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19.

[9] Le prestataire et la Commission sont d’accord sur la raison de la suspension. Le prestataire affirme avoir été suspendu parce qu’il n’a pas suivi la politique de son employeuse sur la vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 3. Son employeuse dit qu’il a été suspendu pour la même raisonNote de bas de page 4.

La raison de la suspension est-elle une inconduite au sens de la loi?

[10] La raison pour laquelle le prestataire a été suspendu est une inconduite au sens de la loi.

[11] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (les décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment savoir si la suspension du prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle établit le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les points et les critères à prendre en considération lorsqu’on examine la question de l’inconduite.

[12] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 5. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 6. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 7.

[13] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeuse et que la possibilité de se faire suspendre pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 8.

[14] La Commission doit prouver que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que la suspension du prestataire découle d’une inconduiteNote de bas de page 9.

[15] La loi ne m’oblige pas à tenir compte du comportement de l’employeuseNote de bas de page 10. Je dois plutôt me pencher sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait, puis voir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 11.

[16] Je dois tenir compte de la Loi d’abord et avant tout. Je ne peux pas décider si d’autres lois donnent d’autres options au prestataire. Il ne m’appartient pas de décider si le prestataire a été suspendu à tort ou si l’employeuse aurait dû mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables pour luiNote de bas de page 12. Je peux me pencher sur une seule question : ce que le prestataire a fait ou omis de faire est-il une inconduite au sens de la Loi?

[17] Selon la Commission, il y a eu inconduite parce que l’employeuse avait adopté une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19, le prestataire était au courant de la politique et savait qu’il pouvait être suspendu s’il ne la respectait pas, mais il a choisi de ne pas la suivre malgré toutNote de bas de page 13.

[18] Selon le prestataire, il n’y a pas eu d’inconduite, car la politique de son employeuse était injuste et il n’aurait pas dû être obligé de la suivreNote de bas de page 14.

[19] Le prestataire a mentionné ce qui suit dans ses échanges avec la CommissionNote de bas de page 15, dans les documents qu’il a déposés au TribunalNote de bas de page 16 et durant son témoignage :

  • Il savait que son employeuse avait adopté une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 et avait reçu plusieurs rappels à ce sujet à l’automne 2021.
  • La politique l’obligeait à communiquer son statut vaccinal à son employeuse, mais il a refusé de le faire parce que c’était des renseignements médicaux personnels.
  • La politique permettait au personnel de demander une exemption, entre autres, pour des raisons médicales.
  • Il a demandé à son médecin s’il pouvait obtenir un billet qui l’exempterait de la politique en raison de ses antécédents médicaux (cancer et opérations cardiaques), mais son médecin a eu peur et a répondu que non, les médecins n’avaient pas l’autorisation de donner des exemptions.
  • La politique de son employeuse était injuste parce que, selon lui, elle contrevenait à son contrat de travail initial et rien ne prouvait que le vaccin contre la COVID-19 était sûr et efficace.
  • Il savait qu’il pouvait se faire suspendre s’il ne respectait pas la politique de son employeuse, car il avait reçu des rappels à ce sujet.

[20] Le prestataire soutient qu’une autre décision du Tribunal démontre qu’il n’a pas commis d’inconduite puisque cet appel ressemble au sienNote de bas de page 17.

[21] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Voici pourquoi.

[22] Je juge que le prestataire a posé les gestes qui ont mené à sa suspension, car il savait que son employeuse avait une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 et il savait ce qu’il devait faire pour la respecter.

[23] Je juge aussi que les faits et gestes du prestataire étaient intentionnels, car il a pris la décision consciente de ne pas suivre la politique de son employeuse.

[24] La preuve est claire : le prestataire connaissait la politique de son employeuse. Il a dit qu’il était au courant de la politique, comme je l’ai mentionné plus haut.

[25] Les éléments de preuve montrent aussi clairement que le prestataire a choisi de ne pas suivre la politique de son employeuse. Comme je l’ai mentionné plus haut, il a expliqué qu’il avait refusé de communiquer son statut vaccinal à son employeuse, contrairement à ce que la politique exigeait.

[26] Je reconnais que le prestataire estime que son médecin aurait dû lui donner un billet médical pour l’exempter de la politique en raison des problèmes de santé qu’il a eus dans le passé. Malheureusement, cet argument n’est pas pertinent. Comme je l’ai expliqué plus haut, la seule chose que je peux regarder, ce sont les faits et gestes du prestataire par comparaison à ce que la loi dit au sujet de l’inconduite. Autrement dit, je dois me concentrer sur ce que le prestataire a fait avant sa suspension et me demander s’il savait que ses faits et gestes pouvaient mener à une suspension.

[27] Dans la présente affaire, ce qui est pertinent, c’est que le prestataire a choisi de ne pas suivre la politique de son employeuse même si son médecin avait refusé de lui donner un billet d’exemption médicale.

[28] Je reconnais aussi que le prestataire soutient que la politique de son employeuse était injuste parce que, selon lui, elle a enfreint son contrat de travail initial et rien ne démontrait que le vaccin contre la COVID-19 était sûr et efficace.

[29] Malheureusement, cet argument n’est pas pertinent non plus. Je le répète, tout ce que je peux faire, c’est regarder ce que le prestataire a fait avant sa suspension et me demander s’il savait que ses faits et gestes pouvaient mener à une suspension. Si le prestataire souhaite défendre cet argument, il doit le faire devant une autre autorité.

[30] Je comprends que le prestataire croit que le Tribunal a rendu une autre décision qui démontre qu’il n’a pas commis d’inconduite parce que la situation décrite dans cette affaire ressemble à la sienne.

[31] J’ai demandé au prestataire pourquoi il a cette impression. Il a expliqué que c’est parce que la prestataire dans cet autre appel a des antécédents médicaux semblables aux siens.

[32] Je tiens à souligner que je ne suis pas obligé de suivre les décisions rendues par le Tribunal et je dois trancher chaque affaire en fonction des faits portés à ma connaissance. Je ne suis pas lié par les autres décisions du Tribunal, et je juge que celle invoquée par le prestataire n’appuie pas assez son argument.

[33] Il est vrai que, dans l’autre décision du Tribunal, la prestataire présente des antécédents médicaux qui ressemblent à ceux du prestataire. Cependant, je juge que ce n’est pas la raison pour laquelle elle a gagné son appel. En réalité, le membre du Tribunal a plutôt rendu sa décision en fonction de la convention collective de la prestataire, selon ce que le document disait et ne disait pas au sujet de la vaccinationNote de bas de page 18.

[34] Même si le prestataire avait maintenu que l’autre décision du Tribunal montre qu’il n’a pas commis d’inconduite en raison de ce que le membre du Tribunal a dit au sujet des conventions collectives, je ne serais pas d’accord. Comme je l’ai mentionné plus haut, la seule chose que je peux faire, c’est examiner les faits et gestes du prestataire à la lumière de ce que la loi dit au sujet de l’inconduite. Ainsi, je ne peux pas interpréter et appliquer d’autres documents, comme un contrat de travail. Il existe d’autres voies pour contester ces questions, comme le dépôt d’un grief.

[35] Par conséquent, je n’accorde pas beaucoup d’importance à l’autre décision du Tribunal.

[36] Je reconnais les préoccupations du prestataire en ce qui concerne la politique de son employeuse sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19, mais je juge que la preuve montre clairement qu’il a pris la décision consciente de ne pas la respecter. Contrairement à ce que la politique exigeait, il n’a pas déclaré son statut vaccinal, ce qui démontre que ses gestes étaient intentionnels.

[37] De plus, je juge que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique de son employeuse sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19 pouvait entraîner une suspension.

[38] Je conclus que les éléments de preuve sont clairs : l’employeuse a dit plus d’une fois au prestataire qu’une suspension était possible s’il ne respectait pas la politique.

[39] Je remarque que la politique de l’employeuse prévoit ceciNote de bas de page 19 :

  • Tout le personnel doit être entièrement vacciné à compter du 31 octobre 2021.
  • Chaque membre du personnel doit présenter une attestation de vaccination. Les personnes qui ne le feront pas seront considérées comme n’étant pas entièrement vaccinées ou non vaccinées.
  • À compter du 1er décembre 2021, les personnes non vaccinées ont jusqu’au 31 janvier 2022 pour présenter la preuve qu’elles ont reçu toutes les doses du vaccin. Sinon, elles seront placées en congé sans solde dès le 1er février 2022.
  • Les membres du personnel qui sont en congé sans solde et n’ont toujours pas reçu le vaccin peuvent se faire congédier sans autre préavis.

[40] Je constate que, dans un courriel que l’employeuse du prestataire a envoyé le 2 décembre 2021, il est écrit que toutes les personnes qui ne sont pas entièrement vaccinées seront placées en congé sans solde à compter du 1er février 2022Note de bas de page 20.

[41] Je constate aussi que, dans un autre courriel envoyé le 3 décembre 2021, l’employeuse mentionne que les personnes qui n’ont pas attesté être entièrement vaccinées au plus tard le 31 janvier 2022 seront placées en congé sans solde le lendemain (1er février 2022Note de bas de page 21).

[42] Le courriel précise aussi que, comme le prestataire n’a pas présenté son attestation de vaccination, il doit entamer sans délai les démarches pour se faire vacciner s’il veut éviter un congé sans solde. Pour ce faire, il doit envoyer la preuve qu’il a reçu sa première dose de vaccin au plus tard le 10 décembre 2021 et il doit envoyer la preuve de sa deuxième dose au plus tard le 17 janvier 2022Note de bas de page 22.

[43] Je remarque aussi que le prestataire a dit qu’il savait qu’il pouvait se faire suspendre pour non-respect de la politique de son employeuse, car il a reçu plusieurs rappels à ce sujet à l’automne 2021, comme je l’ai mentionné plus haut.

[44] Par conséquent, je conclus que la conduite du prestataire constitue une inconduite au sens de la loi puisqu’il a posé les gestes qui ont mené à la suspension (il n’a pas respecté la politique de son employeuse sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19), ses faits et gestes étaient intentionnels et il savait ou aurait dû savoir que sa conduite entraînerait une suspension.

Somme toute, le prestataire a-t-il été suspendu en raison d’une inconduite?

[45] Compte tenu des conclusions que je viens de tirer, je juge que le prestataire a été suspendu pour inconduite.

[46] Le prestataire a déclaré que la suspension avait eu des conséquences néfastes sur ses finances et qu’il a droit à l’assurance-emploi parce qu’il y verse des cotisations depuis de nombreuses années.

[47] Je comprends l’argument du prestataire et je suis sensible à sa situation financière. Malheureusement, l’assurance-emploi n’est pas une prestation automatique. Comme pour tout autre régime d’assurance, il faut remplir certaines conditions pour avoir droit aux prestations. La Commission a prouvé que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. En conséquence, il n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Autres considérations

[48] La Commission propose de modifier sa décision initiale. Elle propose que la période d’inadmissibilité du prestataire prenne plutôt fin le 15 juillet 2022.

[49] La Commission fait valoir que, même si la politique de son employeuse sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19 n’était plus en vigueur à compter du 30 juin 2022, la suspension du prestataire a duré jusqu’au 18 juillet 2022. Ainsi, la fin de sa période d’inadmissibilité devrait plutôt être le 15 juillet 2022Note de bas de page 23.

[50] Je suis d’accord avec la Commission. Les courriels échangés entre le prestataire et son employeuse montrent clairement que le prestataire est retourné au travail le 18 juillet 2022Note de bas de page 24. Rien ne prouve non plus que cette date de retour soit inexacte.

[51] Par conséquent, je conclus qu’il faut modifier la fin de la période d’inadmissibilité du prestataire, qui doit se terminer le 15 juillet 2022, comme l’a proposé la Commission.

Conclusion

[52] La Commission a prouvé que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. Il n’est donc pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[53] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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